Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h30
Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce — Examen du rapport et du texte de la commission, amendement 3

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur :

Je tiens d'abord à remercier Nathalie Goulet d'avoir déposé cette proposition de loi visant à régler diverses questions liées à l'éligibilité des juges consulaires des tribunaux de commerce. Les élections annuelles, qui devaient avoir lieu la première quinzaine du mois d'octobre 2022, ont été décalées par le Gouvernement à la fin du mois de novembre.

C'est la deuxième fois, et j'espère la dernière, que notre collègue doit prendre une initiative pour que nous examinions la question de l'élection des juges consulaires des tribunaux de commerce. À l'automne dernier, nous avions déjà approuvé, sur le rapport de François Bonhomme, un texte pour régler des malfaçons héritées de la loi Pacte, la très volumineuse loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises que nous avons dû adopter dans une certaine précipitation...

La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, votée conforme en première lecture dans les deux chambres, a réintégré les membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats aux élections des juges consulaires. Il s'agirait aujourd'hui de renouveler l'exercice, car la Conférence générale des juges consulaires de France et le ministère de la justice ont de nouveau relevé des difficultés relatives au régime de l'élection des juges consulaires.

Je tiens à vous rassurer tout de suite : mes auditions n'ont pas mis en lumière de risque d'invalidation des mandats des juges consulaires ou de « disparition des tribunaux de commerce » comme certains le craignaient... Aucun contentieux n'a remis en cause les élections organisées depuis 2019. L'enjeu est de corriger certaines erreurs de plume, mais surtout d'élargir le vivier des candidats en permettant aux cadres dirigeants de se présenter aux futures élections.

Avant l'adoption en 2019 de la loi Pacte, les cadres dirigeants salariés faisaient partie du corps électoral des délégués consulaires et étaient, à ce titre, éligibles aux fonctions de juge consulaire. La suppression et le remplacement des délégués consulaires par les membres élus des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat ont mis, indirectement, un terme à leur éligibilité.

Or leurs compétences spécialisées, en droit bancaire ou cambiaire par exemple, et leur disponibilité sont précieuses pour la résolution des litiges soumis aux juridictions commerciales. À titre d'exemple, la Conférence générale des juges consulaires de France estime que les cadres dirigeants salariés représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce de grande taille.

Il me semble donc tout à fait opportun de rétablir l'éligibilité des cadres dirigeants salariés, qui seraient soumis aux mêmes règles déontologiques et disciplinaires que l'ensemble des juges composant les tribunaux de commerce.

L'article 1er apporte une modification qui dépasse cet objectif puisqu'il vise à modifier le corps électoral des chambres de commerce et d'industrie en permettant aux cadres dirigeants salariés de l'intégrer. Je vous proposerai, avec un premier amendement, de supprimer l'article 1er et de modifier l'article 3 qui porte sur l'éligibilité des juges consulaires pour y intégrer les cadres dirigeants.

L'article 2 de la proposition de loi aborde un tout autre sujet. Il vise à créer une cinquième cause de cessation des fonctions des juges consulaires en cas de refus de siéger sans motif légitime. Je relève que ce sujet n'est pas frappé du sceau de l'urgence et que, dans un rapport de la commission des lois de l'an dernier, François Bonhomme et moi-même avions relevé qu'une réponse disciplinaire pouvait être apportée à la situation du refus de siéger. Nous avions recommandé que les chefs de cour se saisissent de leur pouvoir disciplinaire.

Il me semble préférable de limiter nos débats à la problématique qui justifie l'urgence de la proposition de loi, à savoir le vivier des candidats aux élections des juges des tribunaux de commerce.

L'article 3, qui traite des conditions d'éligibilité aux fonctions de juge consulaire, constitue vraiment le coeur de la proposition de loi. Il tend à rectifier certaines malfaçons issues de la loi Pacte. Il vise en particulier à clarifier la question de l'inscription sur les listes électorales des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat. Le législateur de 2019 n'a pas souhaité qu'il s'agisse d'une obligation de double inscription : il convient donc de modifier la rédaction.

Cet article vise également à permettre aux juges en exercice et aux anciens juges ayant six ans d'ancienneté d'être réélus dans leur tribunal ou un tribunal limitrophe sans condition de résidence, tout en prévoyant un régime dérogatoire spécial, fixé par décret, pour les tribunaux non limitrophes.

Sur cette question, j'étais beaucoup plus réservé. En effet, les conditions actuelles résultent de la loi du 11 octobre 2021 et il ne me paraissait pas justifié de les retoucher aussi rapidement sans élément nouveau.

En l'état, les juges en exercice et les anciens juges doivent justifier d'une domiciliation ou d'une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d'un tribunal limitrophe. L'attachement à un territoire assoit la légitimité de ces candidats aux fonctions de juge du tribunal de commerce. En effet, la particularité historique de la juridiction commerciale réside dans le fait que les justiciables sont jugés par des pairs. Ces derniers ont une connaissance fine de la vie économique locale du territoire dans lequel ils exercent. Or, en supprimant l'obligation du lien géographique avec le tribunal, nous risquerions de modifier la typologie des juridictions commerciales.

Ce matin, juste avant notre réunion, la direction des services judiciaires m'a enfin fait parvenir des éléments concrets justifiant la demande de modification de la règle de résidence. Il semblerait que 307 juges consulaires soient concernés. Il s'agit de personnes qui étaient domiciliées dans le ressort du tribunal dans lequel elles étaient élues en raison de leur activité professionnelle et qui, à la retraite, ne disposent plus de cette domiciliation. En l'état de la législation, il leur est difficile de se porter candidats sauf à se faire domicilier chez un tiers.

Compte tenu de cette information, il me semble que nous pouvons envisager de modifier la règle.

Je soumets à votre appréciation les deux options que nous avons. Première option : lever la condition de résidence pour les seuls cas que l'on nous décrit, c'est-à-dire lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d'origine ; deuxième option : lever cette condition lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d'origine ou un tribunal limitrophe, ce qui est plus souple.

En fonction de notre position, je modifierai en conséquence mon amendement n° 3.

S'agissant de ce texte, Nathalie Goulet parlait d'une deuxième rustine : c'est devenu un plâtre imposant... Et comme tout plâtre, ce n'est qu'en l'enlevant que nous verrons s'il a permis d'améliorer les choses !

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