La présidente l'a dit : c'est un rapport inédit sur l'industrie pornographique car jusqu'à présent aucune institution publique, aucun service d'inspection de l'État, ni aucune assemblée parlementaire, ni France Stratégie ne s'était penché sur le fonctionnement, la structure et l'influence de l'industrie pornographique dans nos sociétés.
Une définition préalable : la pornographie renvoie à l'exploitation commerciale de la représentation explicite de pratiques sexuelles non simulées. Elle se distingue ainsi de l'érotisme et des scènes de sexe simulé dans le cinéma traditionnel.
Les conditions dans lesquelles s'est exercée cette activité ont significativement évolué : renvoyant d'abord à de la littérature pornographique puis à l'émergence, dans les années 1970, de films pornographiques abusivement associés à la libération sexuelle, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec l'arrivée des tubes et la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne.
La pornographie est devenue une industrie mondialisée, dans une économie globale mondialisée et dans une mondialisation globale des échanges et communications. C'est une activité qui génère plusieurs milliards d'euros de profit chaque année, concentrés dans les mains de quelques grandes multinationales souvent basées dans des paradis fiscaux. C'est pourquoi nous pensons que le porno est aujourd'hui plus une affaire d'argent qu'une affaire de sexe.
Pour alimenter les tubes et générer un trafic massif, fondement de leur modèle économique, la production de toujours plus de contenus, et de contenus de plus en plus extrêmes et « trash », est devenue nécessaire. Le nombre de producteurs s'est multiplié, sans qu'il n'y ait plus de réelle distinction entre le secteur dit professionnel et un secteur amateur en pleine expansion.
Aujourd'hui, les vidéos pornographiques hébergées sur des plateformes de streaming de contenus pornographiques constituent plus d'un quart (27 %) de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde, 16 % du flux total de données sur Internet et 5 % du total des émissions de gaz à effet de serre dues au numérique. Un site comme Pornhub aurait généré un total de 42 milliards de visites en 2019 et afficherait un nombre de près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde.
Notre rapport s'inscrit également dans un contexte particulier, celui du traitement pénal, pour la première fois en France, de violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques. Les auteurs de ces violences font aujourd'hui l'objet de diverses mises en examen, pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec acte de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme, etc.
Les témoignages que nous avons recueillis, en particulier lors d'une audition à huis clos de victimes de l'affaire dite French Bukkake, ont mis en évidence des similitudes marquantes et sordides :
- dans les méthodes de recrutement des producteurs, ciblant des jeunes femmes précaires et vulnérables ;
- dans les modes opératoires : un viol initial dit de soumission pour briser la victime, un processus de déshumanisation, des manipulations, des actes sexuels forcés, des partenaires multiples imposés, des viols... ;
- et enfin, souvent, un chantage a posteriori : pour obtenir le retrait d'une vidéo, les producteurs exigent de 3 000 à 5 000 €, soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée.
Nous estimons que ces pratiques ne constituent pas des dérives, comme on peut souvent le lire, mais sont inhérentes à l'industrie pornographique aujourd'hui. Il s'agit donc de violences systémiques.
Selon des chiffres publiés par la Fondation Scelles, 90 % des scènes pornographiques comportent des violences sexuelles, physiques ou verbales. Ces violences ne sont pas simulées. Elles sont bien réelles pour les femmes filmées.
Certains professionnels de l'industrie pornographique ont voulu mettre en avant une réglementation et un encadrement du secteur avec des contrats détaillant les pratiques sexuelles acceptées ou non, des chartes dites déontologiques, la présence d'un « coordinateur d'intimité » sur les tournages...
Mais le consentement en matière sexuelle est par nature réversible à tout moment. Nous estimons qu'en matière de pornographie, le soi-disant « droit au contrat » avancé par certains revient tout simplement et cyniquement à monétiser la contrainte sexuelle et ouvre la voie à l'exploitation commerciale de la vulnérabilité économique, sociale et psychologique dans laquelle se trouvent la très grande majorité des femmes engagées sur ces tournages.
Beaucoup d'experts auditionnés par la délégation ont d'ailleurs fait état d'une porosité avérée entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie.
Les mesures largement « marketing » mises en avant par certains ne nous ont pas convaincues.
Si nous ne méconnaissons pas l'existence d'initiatives visant à produire du contenu sexuel pour adultes de façon « alternative », nous estimons que ce type de productions, extrêmement minoritaires et par ailleurs marginales en termes de public consommateur, ne constitue que l'arbre qui cache l'immense forêt des violences pornographiques aujourd'hui.
Après avoir abordé la question de la production et de la diffusion des contenus porno, je laisse maintenant la parole à ma collègue Alexandra Borchio Fontimp qui va traiter de la question de leur consommation.