Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un rapport qui, je pense, fera date. Jamais un rapport parlementaire ne s'était penché sur les pratiques de l'industrie pornographique et sur leurs conséquences pour les femmes mais aussi pour l'ensemble de la société.
Avec mes trois collègues co-rapporteures Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, nous nous sommes emparées de ce sujet, sur lequel nous avons travaillé pendant plus de six mois.
Nous avons mené des dizaines d'heures d'auditions. Nous avons entendu toutes les parties prenantes, avec des prises de position souvent différentes, parfois déroutantes, toujours enrichissantes. Ont ainsi nourri nos réflexions : des chercheurs, des associations féministes, des professionnels du secteur - producteurs, diffuseurs, actrices et réalisatrices -, des magistrats, des professionnels de santé, des associations de protection de l'enfance, ou encore, entre autres, l'Arcom, la Cnil et le PEReN. Nous avons également entendu, à huis clos, des victimes de l'affaire dite French Bukkake, cette affaire sordide révélée par Le Parisien et Le Monde, qui a permis de mettre au grand jour les pratiques de producteurs sans scrupules qui ont brisé la vie de dizaines de femmes. Une cinquantaine de victimes sont parties civiles dans cette affaire et douze individus ont été mis en examen pour proxénétisme, traite des êtres humains et viol. Par ailleurs, une deuxième affaire, dite Jacquie et Michel, a conduit à la mise en examen pour complicité de viol et traite des êtres humains en bande organisée, le 17 juin 2022, de Michel Piron, fondateur du site pornographique Jacquie et Michel et PDG du groupe ARES, aux côtés de trois autres personnes. À la lumière des révélations judiciaires, les propos qu'avaient tenus, devant notre délégation, les représentants du groupe ARES apparaissent aujourd'hui emprunts de cynisme et d'hypocrisie.
Nous avons également analysé les principaux contenus disponibles aujourd'hui sur les sites pornographiques les plus consultés, ceux que l'on appelle des tubes - des plateformes en ligne qui proposent gratuitement des dizaines de milliers de vidéos. Je pense important de le dire ici : il faut sortir de toute vision datée, faussée et édulcorée du porno. Le porno aujourd'hui ce sont des contenus violents, dégradants, humiliants. Les scènes dans lesquelles un homme - et plus souvent des hommes, parfois jusqu'à 50 - infligent des violences physiques et sexuelles à une femme sont devenues la norme.
Ce sont ces violences et leur banalisation qui nous ont amenées à des prises de position fortes au sein de ce rapport. Après tout ce travail, il n'était pas possible pour nous de présenter un rapport tiède et timide.
Nous dénonçons une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes, que ce soit celles qui se retrouvent dans ces productions ou celles qui subissent une sexualité calquée sur les normes de violences véhiculées par le porno.
Nous nous inquiétons également tout particulièrement de l'accès des mineurs à ces contenus. Aujourd'hui, la loi - plus précisément l'article 227-24 du code pénal - n'est toujours pas appliquée : en un clic, tout internaute, même mineur, peut accéder sans aucun contrôle aux sites pornographiques. Nous formulons des recommandations concrètes pour contrôler enfin l'âge des utilisateurs de ces sites.
Mes trois collègues co-rapporteures vont vous présenter dans le détail nos principaux constats et recommandations.
Vous avez sous les yeux L'Essentiel du rapport, qui synthétise les principaux constats et reprend l'intégralité des vingt-trois recommandations. Vous avez reçu ce document dès hier ainsi que le plan et l'avant-propos du projet de rapport.
Sachez que les quatre rapporteures que nous sommes portons collectivement ce rapport, qui a fait l'objet de nombreuses réunions et concertations.
Je laisse sans plus tarder la parole à ma collègue rapporteure Laurence Rossignol.
La présidente l'a dit : c'est un rapport inédit sur l'industrie pornographique car jusqu'à présent aucune institution publique, aucun service d'inspection de l'État, ni aucune assemblée parlementaire, ni France Stratégie ne s'était penché sur le fonctionnement, la structure et l'influence de l'industrie pornographique dans nos sociétés.
Une définition préalable : la pornographie renvoie à l'exploitation commerciale de la représentation explicite de pratiques sexuelles non simulées. Elle se distingue ainsi de l'érotisme et des scènes de sexe simulé dans le cinéma traditionnel.
Les conditions dans lesquelles s'est exercée cette activité ont significativement évolué : renvoyant d'abord à de la littérature pornographique puis à l'émergence, dans les années 1970, de films pornographiques abusivement associés à la libération sexuelle, la pornographie a franchi, à partir du milieu des années 2000, une nouvelle étape avec l'arrivée des tubes et la massification de la diffusion de vidéos pornographiques en ligne.
La pornographie est devenue une industrie mondialisée, dans une économie globale mondialisée et dans une mondialisation globale des échanges et communications. C'est une activité qui génère plusieurs milliards d'euros de profit chaque année, concentrés dans les mains de quelques grandes multinationales souvent basées dans des paradis fiscaux. C'est pourquoi nous pensons que le porno est aujourd'hui plus une affaire d'argent qu'une affaire de sexe.
Pour alimenter les tubes et générer un trafic massif, fondement de leur modèle économique, la production de toujours plus de contenus, et de contenus de plus en plus extrêmes et « trash », est devenue nécessaire. Le nombre de producteurs s'est multiplié, sans qu'il n'y ait plus de réelle distinction entre le secteur dit professionnel et un secteur amateur en pleine expansion.
Aujourd'hui, les vidéos pornographiques hébergées sur des plateformes de streaming de contenus pornographiques constituent plus d'un quart (27 %) de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde, 16 % du flux total de données sur Internet et 5 % du total des émissions de gaz à effet de serre dues au numérique. Un site comme Pornhub aurait généré un total de 42 milliards de visites en 2019 et afficherait un nombre de près de 220 000 vidéos vues chaque minute dans le monde.
Notre rapport s'inscrit également dans un contexte particulier, celui du traitement pénal, pour la première fois en France, de violences commises dans un contexte de pornographie sur des femmes victimes de graves maltraitances, sexuelles, physiques et psychologiques. Les auteurs de ces violences font aujourd'hui l'objet de diverses mises en examen, pour viol, viol aggravé, complicité de viol avec acte de torture et de barbarie, traite des êtres humains aux fins de viol, proxénétisme, etc.
Les témoignages que nous avons recueillis, en particulier lors d'une audition à huis clos de victimes de l'affaire dite French Bukkake, ont mis en évidence des similitudes marquantes et sordides :
- dans les méthodes de recrutement des producteurs, ciblant des jeunes femmes précaires et vulnérables ;
- dans les modes opératoires : un viol initial dit de soumission pour briser la victime, un processus de déshumanisation, des manipulations, des actes sexuels forcés, des partenaires multiples imposés, des viols... ;
- et enfin, souvent, un chantage a posteriori : pour obtenir le retrait d'une vidéo, les producteurs exigent de 3 000 à 5 000 €, soit dix fois plus que la rémunération obtenue pour la scène tournée.
Nous estimons que ces pratiques ne constituent pas des dérives, comme on peut souvent le lire, mais sont inhérentes à l'industrie pornographique aujourd'hui. Il s'agit donc de violences systémiques.
Selon des chiffres publiés par la Fondation Scelles, 90 % des scènes pornographiques comportent des violences sexuelles, physiques ou verbales. Ces violences ne sont pas simulées. Elles sont bien réelles pour les femmes filmées.
Certains professionnels de l'industrie pornographique ont voulu mettre en avant une réglementation et un encadrement du secteur avec des contrats détaillant les pratiques sexuelles acceptées ou non, des chartes dites déontologiques, la présence d'un « coordinateur d'intimité » sur les tournages...
Mais le consentement en matière sexuelle est par nature réversible à tout moment. Nous estimons qu'en matière de pornographie, le soi-disant « droit au contrat » avancé par certains revient tout simplement et cyniquement à monétiser la contrainte sexuelle et ouvre la voie à l'exploitation commerciale de la vulnérabilité économique, sociale et psychologique dans laquelle se trouvent la très grande majorité des femmes engagées sur ces tournages.
Beaucoup d'experts auditionnés par la délégation ont d'ailleurs fait état d'une porosité avérée entre le monde de la prostitution et celui de la pornographie.
Les mesures largement « marketing » mises en avant par certains ne nous ont pas convaincues.
Si nous ne méconnaissons pas l'existence d'initiatives visant à produire du contenu sexuel pour adultes de façon « alternative », nous estimons que ce type de productions, extrêmement minoritaires et par ailleurs marginales en termes de public consommateur, ne constitue que l'arbre qui cache l'immense forêt des violences pornographiques aujourd'hui.
Après avoir abordé la question de la production et de la diffusion des contenus porno, je laisse maintenant la parole à ma collègue Alexandra Borchio Fontimp qui va traiter de la question de leur consommation.
La consommation de porno est aujourd'hui massive et banalisée, chez les adolescents comme chez les adultes. Nous avons pu accéder à des données Médiamétrie qui confirment ce que les sondages indiquent sur l'ampleur de ce phénomène.
Quelques chiffres me semblent particulièrement éclairants, s'agissant de la France :
- chaque mois, 19 millions d'internautes se rendent sur des sites porno, parmi lesquels 2,3 millions de mineurs ;
- chaque mois, près d'un tiers des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site porno ;
- enfin, ces sont deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers des enfants de moins de 12 ans qui ont déjà eu accès à des images pornographiques, volontairement parfois mais aussi bien souvent involontairement, à l'occasion de recherches internet, de discussions sur les réseaux sociaux ou du téléchargement d'un film ou dessin animé.
Ces chiffres sont alarmants. Et pourtant rien n'est fait ! L'article 227-24 du code pénal réprime toute diffusion de contenu susceptible d'être vu par un mineur et précise même, depuis la loi du 30 juillet 2020, que les sites porno doivent s'assurer de la majorité de l'internaute sans se contenter d'une simple déclaration. Cependant, tous les sites comme Pornhub ou Youporn sont aujourd'hui aisément accessibles, en un seul clic, sans aucune vérification d'âge.
De même, aucun contrôle de l'âge de l'utilisateur n'est effectué sur les réseaux sociaux où le principe de l'auto-déclaration domine. Or de nombreux comptes sur Twitter ou Instagram affichent des contenus pornographiques ou font la promotion de contenus disponibles sur d'autres sites, comme Onlyfans. Des avertissements sont parfois affichés mais tel n'est pas toujours le cas et un simple clic permet de passer outre l'avertissement.
Les conséquences sur la jeunesse de cette exposition massive au porno sont inquiétantes. Les psychologues, neuroscientifiques, infirmières et professionnels de l'éducation que nous avons entendus nous ont dressé un tableau sombre des effets qu'ils constatent chaque jour sur les jeunes qu'ils accompagnent : des traumatismes, des troubles du sommeil, de l'attention et de l'alimentation, une vision déformée et violente de la sexualité, des difficultés à nouer des relations avec des personnes du sexe opposé, une sexualisation précoce, des conduites à risques ou violentes...
Ces conséquences ne se limitent d'ailleurs pas au seul public mineur, le porno a également un impact sur les adultes, sur leurs représentations d'eux-mêmes, des femmes et de la sexualité.
Pour s'en convaincre, il est important de préciser la nature des contenus auxquels les internautes ont aujourd'hui accès. Nous nous sommes penchées sur le porno aujourd'hui proposé sur les tubes les plus visités en France. Les vidéos sont de plus en plus violentes, extrêmes et dégradantes. Vous avez des milliers de vidéos recensées dans des catégories comme « sexe brutal » « ado amateur », « fantasme familial », « interracial », « gangbang », et pire encore.
Si ces contenus ne sont pas forcément les plus recherchés, ils sont cependant très rapidement proposés à l'internaute sur la page principale des sites ou dans l'onglet « vidéos les plus regardées ». Des recherches ont en outre montré qu'en cas d'accoutumance au porno, les consommateurs se dirigent vers des contenus de plus en plus violents.
Nous ne pouvons plus nous dissimuler derrière des difficultés techniques pour tolérer une diffusion de porno sans aucune limite ni garde-fou. Le contrôle de l'accès aux contenus pornographiques et la protection de notre jeunesse doivent, selon nous, constituer une priorité et donner lieu à l'adoption des solutions concrètes que nous proposons, comme ma collègue Laurence Cohen va vous l'exposer.
Il me revient maintenant de vous présenter nos principales recommandations pour lutter contre les violences pornographiques et leurs conséquences. Je me réjouis que nous soyons parvenu avec les quatre rapporteures à un consensus en la matière.
Au nombre de vingt-trois, nos recommandations se déclinent en quatre grands axes :
- premièrement, faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique et pénale.
Chacun et chacune d'entre nous doit prendre conscience des conditions sordides dans lesquelles se déroulent la plupart des tournages pornographiques.
Nous recommandons notamment :
- de faire des violences sexuelles commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale (viol ou agression sexuelle), comme ce qui existe en matière d'apologie du terrorisme ou d'appel à la haine ;
- et d'imposer aux sites pornographiques des messages d'avertissement, concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles. Il est temps non seulement de responsabiliser les sites mais aussi celles et ceux qui regardent ces contenus pornographiques.
Nous souhaitons aussi que les forces de l'ordre soient formées au recueil des plaintes des victimes spécifiques que constituent les femmes victimes de l'industrie pornographique.
Enfin, nous appelons à une réflexion plus globale sur l'existence même de l'industrie pornographique.
Notre deuxième axe de recommandation concerne la suppression de contenus illicites et le droit à l'oubli.
Les diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, ne sauraient s'exonérer de leurs responsabilités :
- des amendes doivent être imposées aux diffuseurs dès lors qu'ils ne suppriment pas tout contenu illicite qui leur a été signalé ;
- les diffuseurs doivent établir des procédures permettant aux personnes filmées, et non plus aux seuls propriétaires des vidéos, d'obtenir gratuitement le retrait de vidéos dans lesquelles elles apparaissent. Nous insistons sur l'importance de la gratuité : aujourd'hui c'est un parcours semé d'embûches pour les femmes filmées, de qui il est exigé des sommes importantes qui dépassent la rémunération qu'elles ont perçue.
Nous recommandons également la création d'une catégorie « violences sexuelles » au sein de Pharos, la plateforme qui traite des signalements de contenus illicites en ligne, afin de faciliter et de mieux comptabiliser ces signalements.
Notre troisième axe de recommandation concerne le blocage de l'accès des mineurs aux contenus pornographiques.
Nous appelons l'Arcom à adopter une démarche davantage proactive, notamment par l'adoption de lignes directrices qui devront préciser :
- que les sites porno doivent afficher un écran noir tant que la majorité de l'internaute n'a pas été confirmée ;
- et quels critères les dispositifs de vérification d'âge doivent respecter.
À ce titre, nous appelons au développement de dispositifs de vérification d'âge ayant vocation à servir d'intermédiaire entre l'internaute et les sites consultés, avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la Cnil.
Nous pensons que, pour plus d'efficacité, pourrait également être confiée à l'Arcom la possibilité de prononcer des sanctions administratives aux montants dissuasifs à l'encontre des sites porno restant accessibles aux mineurs.
Enfin, tous les parents doivent prendre conscience de la nécessité d'installer un dispositif de contrôle parental sur les équipements de leurs enfants. Nous recommandons qu'un tel dispositif soit activé par défaut lors de la souscription d'un abonnement téléphonique pour un mineur.
Enfin, notre quatrième et dernier axe de recommandation traite des questions d'éducation.
Les trois séances annuelles d'éducation à la vie sexuelle et affective, prévues par la loi, sont encore largement absentes d'un grand nombre d'établissements. Nous avons évoqué ce sujet de nombreuses fois au sein de la délégation. Afin d'accentuer la pression pour l'application de la loi, nous demandons la publication d'une évaluation annuelle de sa mise en oeuvre au niveau de chaque académie, ainsi que la désignation d'un ou d'une délégué(e) académique à l'éducation à l'égalité et à la sexualité. Nous souhaitons que les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie soient abordés dans le cadre de ces séances.
Nous recommandons également le recrutement de professionnels de santé, formés en matière d'éducation à la santé et de conduite de projet, dans les établissements scolaires. Ils sont essentiels pour répondre aux interrogations des adolescents et adolescentes.
Enfin, nous appelons à une campagne de communication afin de faire connaître auprès des adolescents et adolescentes et de leurs parents les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité.
Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.
Comme vous l'avez vu, nous avons fait le choix dans ce rapport d'avoir des propositions réalistes et pragmatiques face aux pratiques de l'industrie pornographique. Il s'agit d'imposer ce sujet dans le débat public.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et entendre vos réactions.
Tout d'abord, merci pour ce travail nécessaire. Comment expliquez-vous que les dispositions législatives, notamment celles destinées à faire en sorte que les mineurs n'aient pas accès à ces contenus traumatisants, ne soient pas mises en place ?
L'industrie pornographique a fortement évolué depuis vingt ans. Avant, la pornographie diffusée à la télévision était très encadrée. Avec l'apparition des tubes dans les années 2006-2007, nous avons assisté à une massification de la diffusion, de la production et de la consommation.
Les vecteurs de diffusion de la pornographie évoluent rapidement.
Je vais prendre un exemple, celui d'Onlyfans. Au départ c'était un réseau social qui permettait d'avoir une relation privilégiée avec des stars. Désormais c'est un réseau investi par des personnes lambda, dont des mineurs, qui envoient des images sexuelles contre rémunération. Lors d'un déplacement au collège de Gentilly, une collégienne nous a expliqué qu'une de ses amies gagnait 400 € par mois en envoyant des photos à caractère sexuel sur Onlyfans. Onlyfans avait décidé, en 2021, de retirer les contenus à caractère sexuel explicite de ce réseau mais il a finalement fait volte-face : l'essentiel de ce réseau désormais, ce sont les contenus sexuels.
En outre, la pornographie est un monde opaque. Les principaux professionnels du secteur sont aujourd'hui des spécialistes de la finance hébergés dans des paradis fiscaux
Tout cela peut permettre d'expliquer pourquoi les lois et réglementations sont difficiles à appliquer.
Nous n'avons pas le même traitement politique des vidéos d'apologie du terrorisme et des vidéos pornographiques. Il faut des décisions de justice. Ce sont des procédures relativement complexes. Nos recommandations visent d'ailleurs à accélérer les procédures, notamment en assermentant les agents de l'Arcom ou en traitant les vidéos montrant des scènes dégradantes et portant atteinte à la dignité humaine comme on traite les vidéos d'apologie du terrorisme ou de pédocriminalité.
Enfin, il faut des enquêteurs formés et des moyens d'enquête. Nous en manquons.
Il faut aussi réfléchir au sacro-saint principe de la liberté du net.
Merci aux quatre rapporteures pour ce rapport collégial, pour les auditions qui étaient parfois choquantes mais malheureusement fort instructives, et pour des propositions qui sont pour la plupart des mesures pratico-pratiques. En particulier, donner plus de pouvoir à l'Arcom, pour constater directement des infractions, me semble une bonne chose.
Il faut aussi protéger les mineurs qui ne savent pas que ce qu'ils vont voir va influencer leur perception de la sexualité et de leur relation à l'autre et va leur porter préjudice. Nous avons vu lors des auditions qu'il y avait désormais des solutions plus simples et moins intrusives pour contrôler l'âge des internautes. Jusqu'à présent pour contrôler la majorité de l'utilisateur, il n'y avait pas beaucoup de solutions, sauf à communiquer des données à des entités qui ne sont pas forcément très recommandables. Aujourd'hui il existe par exemple des logiciels d'analyse faciale qui permettent de déterminer si la personne face à la caméra a plus ou moins de 18 ans. La proposition de labelliser ces dispositifs de vérification d'âge est une façon pratique de vraiment protéger les enfants. De la même façon, avoir un écran noir tant que la vérification d'âge n'est pas faite me semble une proposition pratique.
Ce sont des propositions qui me semblent plus réglementaires que législatives et donc rapidement applicables. J'espère donc que votre rapport sera lu.
Compte tenu de la pression médiatique que nous avons depuis plusieurs semaines, nous ne doutons pas que le rapport va être lu et relu...
Je m'associe aux félicitations pour la rédaction de ce rapport.
J'ai participé à certaines auditions qui pour certaines étaient insoutenables, avec la description d'actes de barbarie institutionnalisés. Je vous remercie pour toutes les femmes confrontées à ce crime organisé.
Je pense que votre travail a déjà eu un retentissement, au-delà des suites juridiques qui pourront suivre. Nous avons pu voir que le curseur a bougé ces derniers mois, avec notamment des mises en examen, et avec encore aujourd'hui des gardes à vue dans le cadre de l'affaire Jacquie et Michel.
Avez-vous des pistes pour porter ce sujet à une échelle qui ne soit pas uniquement française ? Nous sommes face à un réseau de criminalité organisé à l'échelle européenne et mondiale, un réseau de traite de femmes. Derrière ce business de l'argent, il y a des paradis fiscaux, des comptes offshore... Le président de la République a évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'élargir le mandat du procureur européen chargé des questions de cybercriminalité. J'ai assisté à une audition du commissaire européen au numérique Thierry Breton qui a des ambitions fortes au niveau européen. Je pense qu'il faut voir comment nous pouvons agir au niveau européen, en plus des propositions que vous pouvez formuler et que je soutiens.
Nous déposerons une proposition de résolution pour donner une autre caisse de résonance au rapport.
Il faut que le rapport apporte un regard nouveau sur la pornographie, pour que le regard de l'opinion change.
Le fait de publier un rapport parlementaire sur ce sujet est en soi un événement.
Nos constats montrent que les problèmes sont systémiques. Rendre public le rapport ouvre déjà la possibilité de susciter une prise de conscience, en particulier chez ceux qui regardent des contenus pornographiques.
On nous a démontré lors de nos auditions la porosité entre prostitution et pornographie. Il est important de rappeler que le but recherché est de faire de l'argent, sans considération pour les conditions de tournage.
Il faut évidemment travailler au niveau européen et au niveau mondial. Il faut bien commencer quelque part, c'est ce que nous faisons.
Notre rapport sera lu à l'étranger car tout le monde a le même problème.
Ce travail, avec six mois d'enquête et des dizaines d'heures d'auditions sur un sujet assez tabou, a été difficile.
Nous avons deux objectifs.
Tout d'abord, nous voulons ouvrir les yeux de la société sur cette industrie et la situation des femmes. Il ne faut pas imaginer que la plupart des actrices sont consentantes. Les témoignages à huis clos de victimes étaient éclairants. La plupart du temps ce sont des femmes en grande précarité qui sont manipulées. Ce qu'on voit à l'écran est bien loin de la réalité qu'elles vivent.
Ensuite, nous voulons absolument protéger les mineurs. Il faut réguler l'accès. Des outils existent. Nous avons par exemple entendu une entreprise britannique qui a un système d'analyse faciale, qui a une marge d'erreur d'estimation de l'âge de seulement un an. Il faut maintenant que l'Arcom joue son rôle.
Il faut aussi insister sur l'importance de l'école et de l'éducation. Il n'est pas question d'aller expliquer la pornographie aux enfants mais il faut leur expliquer l'importance du respect de soi-même. Il y a des familles dans lesquelles ces sujets sont abordés mais ce n'est pas le cas de tous. L'école a un rôle à jouer, même si on lui en demande déjà beaucoup.
Je tiens à préciser que nous avons fait le choix de ne pas être sur une position réglementariste qui n'est pas réaliste.
Il faut agir à l'échelle internationale. S'il y a une proposition de résolution, il faut que ce soit une proposition de résolution européenne.
Je verrais très bien se créer une alliance de parlementaires contre la pornographie.
Le rapport sera évidemment lu à l'étranger.
Je pense qu'il faut aller très vite et très fort après la publication de ce rapport. Bravo à vous.
Je salue votre courage et le travail que vous avez fourni.
Le rapport de notre collègue Pierre Ouzoulias sur la vie étudiante évoquait déjà le cas de jeunes femmes qui proposent des services sexuels pour des raisons financières et je me réjouis que vous ayez creusé ce sujet.
Les enfants sont souvent plus aguerris que leurs parents en matière de technologie. Il faut donc vraiment que les parents soient sensibilisés.
Vous recommandez le recrutement de professionnels de santé formés, s'agit-il des professionnels qui sont déjà dans les établissements et quelles formations imaginez-vous ? Dans les années 2000 avait été créé un DU de sexologie. Est-ce que vous pensez que les professionnels de santé devraient suivre un tel cursus ?
J'espère que ce rapport permettra une prise de conscience à tous les niveaux.
La médecine scolaire ferait partie du dispositif pour protéger les adolescents si elle existait réellement...
Il faut que les séances d'éducation à la vie sexuelle et affective soient mises en place. Il faut aussi que ces séances évoluent. Expliquer l'anatomie sexuelle à des adolescents déjà exposés depuis longtemps à des contenus sexuels explicites n'est sans doute pas pertinent. Il faut des programmes clairs pour éviter de trop fortes disparités dans les enseignements entre établissements.
Merci pour le travail réalisé.
J'ai eu l'occasion de rencontrer des femmes concernées par le tournage de films pour l'un des sites que vous avez évoqué. Je les ai rencontrées avec un avocat, ainsi qu'avec des universitaires. Il y a des enjeux financiers énormes derrière ces tournages.
Depuis les années 1990, le gonzo, venu des États-Unis, est arrivé dans le porno. Il y a une forme de surenchère, il faut que les contenus soient le plus trash et le plus hard possible. Les réalisateurs français ont voulu montrer qu'ils pouvaient faire mieux ou plutôt pire que les réalisateurs américains.
Le porno a aussi évolué sous l'influence de pratiques venues du Japon, d'érotisation des collégiennes et lycéennes. De plus en plus de plateformes monnayent aujourd'hui des images de mineures.
Le rapport que vous sortez est très attendu.
Cependant, les stratégies de contournement sont déjà à l'oeuvre du fait des enjeux financiers colossaux. Elles sont de deux ordres :
- les tournages se font de moins en moins en France, à l'exception de Jacquie et Michel. Les tournages se font beaucoup en Europe de l'Est ;
- les plateformes vont se déplacer dans des pays sans encadrement législatif.
D'où la nécessité d'avoir une réflexion au niveau international. Il faut que le Gouvernement porte ce sujet qui n'apparait pas forcément prioritaire mais qui l'est. Il faut porter le sujet à travers le prisme de la protection de l'enfance pour qu'on ne nous oppose pas un pseudo objectif moralisateur.
Des spécialistes nous ont parlé de l'addiction au porno. Le porno est la drogue parfaite car gratuite et accessible à tout moment. L'addiction au porno conduit à une demande de contenus de plus en plus extrêmes, et justement de gonzo.
Notre rapport montre bien que les violences sont systémiques et que les personnes recrutées pour les tournages sont des proies. Ce sont des femmes fragiles à qui on fait miroiter de l'argent facile mais qui se trouvent ensuite dans des conditions abominables.
Il faut démonter les pratiques de cette industrie au sein de laquelle les femmes ne sont pas considérées à l'égal des hommes.
Le porno normalise des relations violentes entre femmes et hommes, et non d'égale à égal.
Il n'y a pas de droit sans morale, ni de société sans morale. Nous légiférons selon une morale ou des morales. Nous sommes là pour protéger la dignité de l'être humain et, en l'espèce, la dignité des femmes.
Il faut que les gens oublient le porno du passé, qui n'existe plus.
Lors d'une audition avec des réalisatrices, qui nous défendaient la possibilité d'une pornographie dite éthique, j'ai voulu évoquer l'éthique des contenus. La réalisatrice m'a répondu qu'elle ne faisait que répondre à la demande du client... Or le client veut de plus en plus de contenus extrêmes.
J'aimerais reprendre les propos d'une psychologue que nous avons entendue, qui nous expliquait que la curiosité des adolescents en matière sexuelle était normale et saine, mais que ce n'était pas normal qu'ils trouvent les réponses à leurs questions dans le porno.
Le porno colonise le cerveau de ceux qui y sont addicts, qu'ils soient mineurs ou adultes.
Est-ce que ce rapport a évoqué le coût social et psychologique du porno ? Cela colonise effectivement les cerveaux et la sexualité. Les jeunes ont une image déformée de la sexualité avant même d'entrer dans la sexualité. Les images ont vraiment une emprise sur ceux qui sont addicts. C'est un enjeu de santé publique, c'est un fléau.
La consommation intensive de porno a des conséquences nombreuses : des traumatismes, des troubles de l'attention, une vision déformée de la sexualité, une sexualisation précoce...
Il y a aussi des conséquences en matière de demandes de chirurgie esthétique.
Je pense que s'attaquer au porno est essentiel dans la lutte contre les violences sexuelles et conjugales. Le porno violent conduit à des comportements violents. Je pense notamment au témoignage d'une infirmière qui nous a rapporté le cas d'un couple de jeunes adolescents amoureux : lorsque ces jeunes ont décidé d'avoir une relation sexuelle complètement consentie, la jeune fille a été traumatisée car son petit ami a reproduit des pratiques qu'il avait vu dans des films porno et qu'il imaginait être la norme.
Merci de donner un coup de pied dans la fourmilière. Ce que vous décrivez fait froid dans le dos ! Si nous ne faisons rien, nous sommes complices d'une traite humaine. Il faut protéger les futures générations de cette industrie.
Nous passons au vote sur les recommandations du rapport.
Le rapport et ses conclusions sont adoptés à l'unanimité.
S'agissant du titre, nous adoptons ce titre fort et percutant : « Porno : l'enfer du décor ».
Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.
Nous espérons que vous serez les ambassadeurs de ce rapport, notamment auprès de vos groupes respectifs.
Merci à tous !