La proposition de loi que nous examinons ce matin, cosignée par 136 députés et votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en novembre dernier, est attendue avec impatience par les sages-femmes. Afin de permettre son entrée en vigueur rapide, j'aurais souhaité que le texte transmis soit adopté sans modification. Mais des difficultés relatives à ses délais d'application, unanimement relevés, me conduisent à vous proposer de l'amender. Je souhaite toutefois que cette proposition de loi, lorsqu'elle sera adoptée par le Sénat, puisse être rapidement inscrite - ainsi amendée - par le Gouvernement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale afin qu'elle soit définitivement adoptée. Nous avons obtenu un engagement oral. Les mesures qu'elle porte en faveur de la reconnaissance de la profession sont, à la fois, nécessaires et urgentes. Les nombreux mouvements de grève depuis le début de l'année dernière en sont la manifestation.
Les sages-femmes ont la conviction, depuis trop longtemps, de ne pas être suffisamment légitimées, et ce malgré le caractère médical de leur activité et l'étendue de leurs responsabilités. Plusieurs fois, la question a été posée par des sages-femmes auditionnées : « Pourquoi si peu de considération, depuis si longtemps ? ». Et la question se prolongeait : « Est-ce parce que nous sommes des femmes, [...] qui prenons en soin des femmes ? »
Les 24 000 sages-femmes exerçant actuellement dans notre pays sont, à plus de 97 %, des femmes. Leur champ de compétences est le plus étendu d'Europe et n'a cessé de s'étendre ces dernières années. Au-delà de l'accouchement en salle de naissance, les sages-femmes contribuent à la santé des femmes tout au long de leur vie. Leurs compétences se sont considérablement élargies et comprennent désormais la surveillance gynécologique, le suivi prénatal puis postnatal, le suivi du nouveau-né. Ces dernières années, la loi les a autorisées à prescrire ou poser des dispositifs contraceptifs, à pratiquer l'interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse puis à expérimenter l'IVG chirurgicale. Les sages-femmes contribuent également au développement de l'accouchement physiologique, pour les femmes qui le désirent, à travers l'expérimentation des maisons de naissance.
Malgré ces avancées majeures, contribuant à asseoir leur rôle, la profession vit un profond mal-être. Leurs conditions de travail à l'hôpital se dégradent : le taux d'encadrement y est toujours fixé par des décrets de périnatalité de 1998 qu'il est urgent de réviser. Leurs conditions de rémunération et leur statut ne correspondent pas, selon les organisations représentatives de la profession, aux responsabilités exercées. Leur formation ne s'est pas adaptée aux évolutions importantes qu'a connues la profession, et demeure établie sur un modèle hospitalier et régional correspondant à celui des formations paramédicales. Or, la profession de sage-femme est intrinsèquement liée à la santé des femmes, et donc, à la santé publique. Se pose également la question de son attractivité. Et ce, dans un contexte où le rapport de surveillance de la santé périnatale en France de Santé publique France datant de septembre 2022, juge que « l'évolution de la santé périnatale ces dix dernières années témoigne d'une situation préoccupante de façon globale en France », et le rapport de rappeler que « l'état de santé de la petite enfance et de l'enfance conditionne la santé à l'âge adulte ».
Même si cette proposition de loi ne résoudra pas l'ensemble de ces difficultés, elle pose des jalons absolument nécessaires. Lors des auditions, des sages-femmes ont parlé de « nouvel élan » permis par cette proposition de loi. En effet, il s'agit d'une étape fondamentale.
L'article 1er de la proposition de loi vise à achever le processus d'intégration universitaire des formations de sages-femmes, initié il y a plus de 13 ans par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) », qui autorisait l'intégration des écoles à l'université, sous réserve de l'accord du conseil régional. Ce processus est aujourd'hui à l'arrêt. D'après le ministère, 14 seulement des 35 écoles de sages-femmes sont intégrées à l'université. La majorité d'entre elles demeurent adossées à un centre hospitalier. Ce modèle, correspondant à celui des formations paramédicales, ne favorise pas le développement de la recherche en maïeutique ni le rapprochement des différentes professions médicales dès l'université, si nécessaire à l'exercice coordonné.
Le texte substitue à la faculté d'intégration une obligation, assortie d'un délai : l'intégration des écoles à l'université devra être achevée au 1er septembre 2027. Ce délai semble nécessaire pour lever les nombreux freins qui ont stoppé le processus. La loi fixe également les modalités de cette intégration : les écoles de sages-femmes seront intégrées, préférentiellement, aux unités de formation et de recherche (UFR) en santé mixtes réunissant, notamment, les autres professions médicales. Lorsque cela n'est pas possible, elles seront intégrées aux UFR de médecine. Dans ce dernier cas, les organisations souhaitent que cette intégration ait lieu dans le cadre d'un département de maïeutique. Cette intégration préférentielle aux UFR en santé mixtes est soutenue par la profession ; les auditions ont mis en lumière deux exigences : l'autonomie - financière, pédagogique et de gouvernance - et l'interdépendance.
L'article 1er bis de la proposition de loi crée un statut de sages-femmes agréées maîtres de stage des universités, à l'instar de celui des médecins généralistes, permettant de mieux encadrer les stages étudiants en ambulatoire. Les conditions d'agrément des sages-femmes maîtres de stage sont renvoyées à un décret en Conseil d'État, mais devront comprendre une formation préalable, auprès de l'université ou d'un organisme habilité.
Les sages-femmes que nous avons entendues soulignent l'intérêt de ce dispositif pour améliorer la formation et la valorisation des maîtres de stage. Toutefois, elles relèvent qu'il ne répond que partiellement au besoin exprimé par les étudiantes : alors que l'hôpital est fréquemment jugé être le terrain de stage le plus difficile, il n'est pas nommément visé par ce dispositif. L'Association nationale des étudiants sages-femmes, que j'ai auditionnée, demande à ce que soit également mis en place un statut de référent de stage à l'hôpital, supposant lui aussi une formation préalable.
L'article 2 de la proposition de loi vise à réformer la formation des sages-femmes en créant un troisième cycle d'études de maïeutique et en prévoyant la révision de l'ensemble des référentiels de formation. Les étudiantes obtiendraient désormais, à l'issue de leurs études, après soutenance d'une thèse d'exercice, un diplôme d'État de docteur en maïeutique, remplaçant l'actuel diplôme d'État. Cette mesure, qui aligne la formation des sages-femmes sur celles des pharmaciens et des dentistes, est soutenue par l'ensemble des sages-femmes que nous avons auditionnées. Elle doit permettre, selon elles, de diminuer l'intensité actuellement excessive des études, d'enrichir leur contenu en tenant compte des nouvelles compétences confiées à la profession, de diversifier les lieux de stage pour mieux préparer les étudiantes aux différents modes d'exercice et d'ouvrir sur la recherche en maïeutique très faiblement développée en France, contrairement à d'autres pays.
La proposition de loi transmise prévoit toutefois que la création du troisième cycle comme la révision des référentiels de formation interviendront dès la rentrée universitaire 2023, et s'appliqueront à l'ensemble des étudiantes qui débuteront le deuxième cycle à compter de cette date. Ces modalités d'application ont suscité des inquiétudes parmi toutes les personnes auditionnées. Elles conduisent, d'abord, à imposer la réforme aux étudiantes actuellement en deuxième et troisième années de premier cycle, qui se sont engagées dans les études de maïeutique sans savoir que celles-ci seraient allongées et surtout qui n'auront pas bénéficié de la nouvelle maquette pédagogique du 1er cycle. Elles précipitent, par ailleurs, la révision des référentiels de formation alors que celle-ci requiert un important travail de concertation et de réingénierie du cursus. Elle rend plus difficile, enfin, la gestion de l'année blanche, sans sortie de sage-femme diplômée, induite par l'allongement des études : en audition, le ministère a confirmé ne pas avoir prévu que cette année blanche se produise dès 2025 et craindre ses effets sur la démographie des sages-femmes si celle-ci intervient aussi tôt alors qu'un délai à 2028 permet de planifier des actions anticipatrices.
En conséquence, et afin de tenir compte de ces inquiétudes, un amendement aux articles 1er et 2 prévoit de reporter cette réforme à la rentrée universitaire 2024, et de ne l'appliquer qu'aux étudiantes entrant, à compter de cette date, en deuxième année de premier cycle des études de maïeutique. Ce report préservera la cohérence du cursus de l'ensemble des étudiantes et assurera que seules les étudiantes ayant choisi cette filière en pleine connaissance de la durée d'études seront concernées par le nouveau troisième cycle.
L'article 3 vise à faciliter, pour les sages-femmes enseignantes-chercheuses, la conciliation de leurs activités d'enseignement et de recherche avec le maintien d'une activité clinique, en ambulatoire comme à l'hôpital. Les modalités d'application de l'article, ainsi que les conditions de recrutement et d'exercice des sages-femmes bénéficiant de ce statut, sont renvoyées à un décret en Conseil d'État.
Actuellement, les sages-femmes concernées ne disposent d'aucun statut spécifique leur permettant de cumuler ces trois activités. Elles doivent recourir aux dispositifs de droit commun de la fonction publique permettant l'exercice d'une activité dite accessoire, et notamment de soins, sous réserve d'obtenir l'accord de leur autorité hiérarchique. À l'hôpital, elles sont le plus souvent contraintes de ne réaliser que des vacations. Certains enseignants demandent de continuer leur activité clinique.
Cet article devrait ainsi faciliter le cumul des activités d'enseignement et de recherche avec une activité clinique.
Si l'intérêt de ces dispositions a été reconnu par l'ensemble des sages-femmes auditionnées, plusieurs ont souligné qu'elles devraient donner lieu à la création d'un véritable statut de bi-appartenance permettant d'améliorer véritablement l'attractivité des carrières universitaires en maïeutique.
L'article 4, enfin, vise à reclasser les sages-femmes dans deux nomenclatures statistiques de l'Insee, au sein desquelles elles apparaissent aujourd'hui isolées des autres professions médicales. D'une part, dans la nomenclature des activités françaises (NAF), au sein de laquelle elles sont jusque-là classées avec les infirmiers, les activités des sages-femmes seraient reclassées aux côtés de celles des médecins et des dentistes. D'autre part, dans la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), au sein de laquelle elles figurent jusque-là parmi les professions intermédiaires, les sages-femmes seraient reclassées dans les cadres et professions intellectuelles supérieures, aux côtés des autres professions médicales.
La portée juridique de cet article apparaît incertaine. L'Insee a notamment signalé, lors de l'audition, que la nomenclature NAF était fondée sur une nomenclature d'activités européenne NACE à laquelle il ne lui est pas possible de déroger dans les conditions prévues par la proposition de loi. Toutefois, rien ne s'oppose à séparer les activités des sages-femmes de celles des infirmiers en deux sous-classes distinctes, nonobstant le peu d'effectifs concerné. Afin d'adresser un signal de reconnaissance à la profession et en cohérence avec le vote de l'Assemblée, je vous propose d'adopter en l'état ces dispositions.
En conclusion, si la proposition de loi que nous examinons ne traite pas de l'ensemble des difficultés soulignées par les sages-femmes, elle marque de l'avis de tous une étape fondamentale et porte des avancées ambitieuses susceptibles d'améliorer durablement l'attractivité de la profession.
L'intégration universitaire, la création d'un diplôme d'État de docteur en maïeutique permettent d'asseoir la reconnaissance des sages-femmes comme profession médicale. La création d'un troisième cycle et la mise en place d'un statut de sage-femme agréée maître de stage amélioreront nettement les conditions de formation des étudiantes. La révision des référentiels de formation permettra d'adapter les études de sages-femmes aux évolutions importantes qu'a connues la profession durant ces dernières années.
Cette proposition de loi répond d'ailleurs à la huitième proposition du Livre blanc des sages-femmes publié cette année, au titre évocateur : « Réformer les études de sages-femmes pour répondre aux attentes des étudiants et aux besoins de santé publique. »
En tant que rapporteure, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère qu'il comprend des dispositions relatives à la formation des sages-femmes ainsi qu'au statut des enseignants-chercheurs en maïeutique. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte dont nous avons à débattre, des amendements relatifs aux compétences des sages-femmes, aux règles d'organisation de la profession et à la formation des autres professions médicales. De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.
Il en est ainsi décidé.