La proposition de loi déposée par notre collègue Denise Saint-Pé a pour objectif de créer les conditions nécessaires à la mise en place de comités sociaux et économiques (CSE) à La Poste.
En effet, cette entreprise hors normes par sa taille, ses missions de service public et son implantation territoriale reste aussi, pour des raisons historiques, un cas particulier en matière de dialogue social.
La loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom a profondément réformé l'administration des postes et télécommunications en créant deux entreprises publiques distinctes : La Poste et France Télécom. Le 1er mars 2010, La Poste est devenue une société anonyme à capitaux publics ayant le caractère d'un service public national.
Le personnel de La Poste se caractérise par une pluralité de statuts, fruit de l'évolution de l'entreprise : d'une part, des fonctionnaires régis par des statuts particuliers, qui représentent près d'un tiers des effectifs, ainsi que des agents contractuels de droit public ; d'autre part, des salariés de droit privé, représentant les deux tiers des quelque 170 000 collaborateurs de La Poste SA.
Pour assurer la représentation individuelle et collective de son personnel, La Poste est dotée d'instances représentatives spécifiques et adaptées aux particularités de l'entreprise.
Sur le modèle de la fonction publique, des comités techniques (CT) national et locaux exercent des attributions en matière d'organisation et de fonctionnement des services, de règles statutaires et d'égalité professionnelle. La Poste dispose également de 637 comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui contribuent à la santé et à la sécurité du personnel. Ces instances n'ont désormais plus d'équivalent dans le secteur privé ni dans le secteur public. Depuis l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, les entreprises ont regroupé leurs instances, dont les CHSCT, au sein du comité social et économique. Dans la fonction publique, la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a substitué les comités sociaux aux comités techniques.
La représentation individuelle des salariés et agents contractuels de La Poste est par ailleurs assurée au sein de commissions consultatives paritaires (CCP), tandis que des commissions administratives paritaires (CAP) sont compétentes pour connaître des questions d'ordre individuel concernant les fonctionnaires. Enfin, la gestion des activités sociales et culturelles au sein de l'entreprise est assurée par un conseil d'orientation et de gestion des activités sociales (Cogas).
Pour l'exercice du droit syndical, La Poste applique les règles de la fonction publique à l'ensemble de son personnel. La loi du 2 juin 1990 exclut en effet l'application à La Poste des règles du dialogue social qui prévalent dans les entreprises privées, dont les règles relatives aux délégués syndicaux. Ainsi, la validité des accords collectifs conclus à La Poste est subordonnée à leur signature par un ou plusieurs syndicats ayant recueilli au total au moins 30 % des suffrages exprimés aux élections des comités techniques, et à l'absence d'opposition d'organisations syndicales parties prenantes à la négociation représentant une majorité des suffrages exprimés.
La loi du 6 août 2019 précitée a prévu que les dispositions du code du travail relatives aux CHSCT, abrogées en 2017, continueraient de s'appliquer à La Poste jusqu'au prochain renouvellement de ces instances. Or aucune disposition ne prévoit le cadre qui s'appliquera à l'issue des mandats actuels au sein des instances de La Poste. Une intervention législative est donc nécessaire pour fixer le futur cadre du dialogue social dans cette entreprise. La présente proposition de loi prévoit ainsi l'application du droit commun des relations collectives de travail, sous réserve de son adaptation aux spécificités de l'entreprise.
Les mandats des représentants du personnel aux CHSCT s'achevant le 31 janvier 2023, la proposition de loi prévoit de rendre les dispositions relatives au CSE applicables à La Poste au terme d'une période transitoire de négociation et de mise en place des nouvelles instances. À cette fin, l'article 1er du texte prévoit de prolonger les mandats en cours des membres des CT et des CHSCT jusqu'à la proclamation des résultats aux élections aux CSE à La Poste et, au plus tard, jusqu'au 31 juillet 2024.
À compter de ces mêmes échéances, l'article 2 rend applicables à l'ensemble du personnel de La Poste les dispositions du code du travail relatives au droit syndical, à la négociation collective et aux institutions représentatives du personnel, sous réserve d'adaptations justifiées par la situation particulière des fonctionnaires. Cette disposition aura pour effet de fonder la représentativité syndicale sur les résultats des élections aux CSE, avec un seuil de 10 % des suffrages exprimés, et de conférer le monopole de la négociation aux délégués syndicaux. S'appliquera également la règle de l'accord majoritaire : pour être valide, un accord devra être signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 50 % - contre 30 % actuellement - des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives lors des dernières élections professionnelles.
La transformation du paysage des instances représentatives du personnel verra disparaître les CT, les CHSCT et le Cogas au profit d'un CSE central et de CSE d'établissement, dont le nombre reste à déterminer par accord collectif.
Je le rappelle, les CSE ont été créés en 2017 pour regrouper les délégués du personnel (DP), les comités d'entreprise (CE) et les CHSCT. Mis en place dans les entreprises d'au moins 11 salariés, ils sont composés de l'employeur et d'une délégation du personnel dont les membres sont élus par les salariés pour une durée maximale de quatre ans.
Dans les entreprises d'au moins 50 salariés, le CSE assure l'expression collective des salariés sur la gestion et l'évolution économiques et financières de l'entreprise, l'organisation du travail, la formation professionnelle et les techniques de production. Il dispose de prérogatives spécifiques en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail et, dans les entreprises et établissements d'au moins 300 salariés, une commission dédiée, la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), doit être instaurée en son sein. Enfin, le CSE assure la gestion des activités sociales et culturelles dans l'entreprise.
L'article 2 prévoit également l'institution d'un organisme représentant les fonctionnaires de La Poste, dit « conseil des questions statutaires », ayant vocation à être consulté sur les projets de loi et de règlement relatifs à leurs statuts. En outre, les CAP et les CCP seraient conservées. Pour préparer l'instauration des CSE et l'organisation des élections professionnelles, La Poste devra s'appuyer sur des règles issues du code du travail.
L'article 3 institue à cette fin un régime transitoire autorisant l'entreprise à négocier des accords pour l'organisation des élections et la détermination du fonctionnement et des attributions des futurs CSE avec les organisations syndicales disposant de sièges dans les comités techniques. Il prévoit, par dérogation au droit syndical actuellement applicable à La Poste, des conditions de validité des accords alignées sur celles qui prévalent en droit du travail, afin d'assurer l'applicabilité des accords après la constitution des CSE.
La mise en place de CSE à La Poste constitue un chantier de grande ampleur, complexifié par la coexistence d'une pluralité de statuts, qui s'accompagne d'un changement culturel majeur avec le passage au droit syndical applicable aux entreprises privées. Il importe que les partenaires sociaux soient en mesure de négocier la mise en place d'un cadre de dialogue social ambitieux, prenant notamment en compte le défi de la proximité et les besoins différenciés selon les territoires, en particulier dans les outre-mer. Dans cette perspective, un accord de méthode a été conclu en septembre 2022 afin de définir les modalités et les thèmes de la négociation dans la perspective de la mise en place des nouvelles instances.
Dès lors, après avoir entendu les dirigeants et l'ensemble des organisations syndicales représentatives de La Poste, je considère qu'il n'y a pas lieu de précipiter le calendrier de la réforme et qu'il convient de laisser du temps à la négociation. Je vous proposerai donc, en accord avec l'auteur de la proposition de loi, de reporter du 31 juillet au 31 octobre 2024 la date limite de prolongation des mandats actuels et de mise en place des CSE.
Je vous proposerai également d'adopter une série d'amendements de portée technique visant à assurer la bonne articulation du droit du travail avec les dispositions spécifiques à l'entreprise.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous invite à adopter cette proposition de loi.
Pour finir, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre inclut exclusivement des dispositions relatives aux relations collectives de travail à La Poste. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs au service public postal, aux activités et aux missions de La Poste, ainsi qu'au droit du travail et au droit de la fonction publique, en dehors du droit régissant les relations collectives de travail à La Poste.
Il en est ainsi décidé.