Nous ne disposons pas d'estimation précise, mais nous reviendrons vers vous dès que nous l'aurons.
Sur les conséquences qui doivent être tirées du versement à la source de prestations sociales voulu par le Président de la République, je veux d'abord souligner l'intérêt de la réforme des APL.
En premier lieu, elle a permis de rapprocher le montant des prestations versées de celui des ressources des foyers, puisque le versement des APL est désormais calculé sur les ressources du trimestre précédant le versement, et non sur les bases fiscales de l'année n-2, comme c'était le cas jusqu'en 2020.
En second lieu, cette réforme a fait faire des économies pour la branche famille, à hauteur de 1,1 milliard d'euros en 2021. Cependant, 200 000 familles ont subi des ruptures de versement. D'innombrables erreurs ont été commises. Les caisses d'allocations familiales ont dû recruter plus de 2 000 agents pour corriger manuellement certains des versements. Ces dysfonctionnements montrent qu'un calcul intégralement automatique réalisé à partir des données de salaires de la DSN et des prestations sociales ne peut s'envisager sans que toutes les précautions aient été prises au préalable, ce qui, à l'évidence, n'a pas été le cas pour la réforme des APL.
Il faut tirer les enseignements de cette réforme. À cet égard, la voie de l'expérimentation retenue par le Gouvernement pour ajuster le versement du RSA et de la prime d'activité aux dernières ressources connues est une approche qui me semble plutôt raisonnable. Cela devrait sans doute inspirer les réformes futures dans le champ des prestations sociales.
Quant au transfert aux Urssaf de la gestion du recouvrement des cotisations versées par les professionnels libéraux à leur caisse de retraite, nous pensons que l'exemple réussi de la transformation du RSI est une source d'inspiration pour la gestion de la sécurité sociale des autres indépendants libéraux ou exploitants agricoles. Cela s'est accompagné du maintien d'une gouvernance spécifique qui permet aux artisans et aux commerçants de continuer à gérer les équilibres financiers de leur régime complémentaire et de verser des aides et secours à leurs ressortissants dans le besoin, selon leurs propres règles.
Notre enquête montre qu'il n'y a pas de difficulté particulière. D'ailleurs, la gestion des cotisations et des droits à la retraite des micro-entrepreneurs libéraux est d'ores et déjà confiée aux Urssaf et aux caisses de retraite du régime général. Les représentants des professions sont attachés au système historique qu'ils ont créé. C'est bien normal, mais il faut savoir aussi prendre en compte les gains d'efficience attendus d'une gestion plus rationnelle. Par ailleurs, ce qui compte pour l'assuré de base, c'est la simplicité et l'efficacité. Il préfère n'avoir qu'un interlocuteur, que ce soit pour le paiement des cotisations ou pour le suivi des prestations. Bien évidemment, des réformes qui regroupent ou suppriment des systèmes historiques doivent être préparées, expliquées, exécutées avec prudence et méthode, mais, quand elles sont réalisées, elles emportent la satisfaction des assurés ; nous l'avons constaté pour les anciens assurés du RSI.
Monsieur Henno, je partage largement vos considérations générales sur les retraites, même si la Cour ne revient pas dans le détail sur la réforme des retraites dans ce rapport. Cependant, elle s'est déjà prononcée sur le sujet : nous sommes de ceux qui estiment qu'il y a bien un problème de soutenabilité à long terme de notre système de retraite et qu'il faut le réformer pour assurer son financement durable.
Il y a des tas de façons de le faire, mais elles reviennent toutes à une alternative : soit les actifs partent plus tard en retraite, soit on baisse les pensions. Il me paraît tout de même largement préférable, dans le contexte actuel d'allongement de la durée de vie et de la dégradation du rapport actifs-inactifs, de procéder par la première voie plutôt que par la seconde.
En tout état de cause, on ne peut pas attendre d'une réforme des retraites qu'elle soit une sorte de couteau suisse. Elle ne peut pas viser dix objectifs. Elle ne peut pas à la fois participer au redressement des finances publiques, augmenter la croissance et l'emploi, réduire les déficits et, en même temps, nous dispenser de toute autre réforme, d'autant que ses effets sont forcément très progressifs dans le temps. Il ne faut pas bercer quiconque d'illusions : la réforme des retraites doit se faire, dans l'équation que nous avons rappelée - nous entourer d'expertise, procéder à des concertations et prévoir une application suffisamment étalée dans le temps pour permettre une bonne acceptation des mesures prises par la société. Dans ce contexte, la question des dépenses maladie doit elle aussi être traitée. Je ne crois vraiment pas que tout se réduise à la réforme des retraites...
Vous m'avez interrogé, en votre qualité de rapporteur, sur la question de la garde des enfants. Je partage votre avis : l'accueil des enfants est l'un des enjeux centraux de la politique familiale. Il faut y apporter une très grande attention compte tenu de son impact pour les familles et pour les finances publiques. Je rappelle que près de 15 milliards d'euros sont dépensés chaque année au titre des politiques publiques d'accueil du jeune enfant. Nous voyons que des progrès sont faits, ne serait-ce que du point de vue de la simplification et de la facilitation pour les familles. Simplifier devrait toujours être la priorité pour nos citoyens. Ainsi, nous recommandons que le crédit d'impôt pour garde d'enfant bénéficie directement aux familles, en même temps que le CMG. Dans sa réponse, le directeur de l'Acoss nous a confirmé que ce service sera ouvert dans moins de deux ans.
Vous m'interrogez ensuite sur la disposition du PLFSS qui prévoit des mécanismes pour atténuer les effets de seuil des barèmes du CMG. Cette disposition va clairement dans le bon sens : il est souhaitable d'éviter une forme de ségrégation sociale de l'accueil des jeunes enfants.
Je fais cependant deux observations complémentaires. Premièrement, je note que la disposition du PLFSS va plus loin que ce que nous proposions pour les familles monoparentales, en allongeant jusqu'aux 12 ans de l'enfant, au lieu de 6, le bénéfice du CMG et en majorant la prestation pour ces familles. S'il y a une logique forte à cibler les familles monoparentales, cette évolution est, pour le coup, assez large. Deuxièmement, l'ensemble des dispositions prévues par le PLFSS sont coûteuses, avec 600 millions d'euros en année pleine en 2026. Nous regrettons, à cet égard, que les évolutions nécessaires ne soient pas accompagnées d'une réforme concomitante du régime de la PreParE, versée en cas de congé parental, réforme que nous recommandions pour rendre les dispositifs plus cohérents et pour atténuer les coûts.
Enfin, vous m'interrogez sur l'opportunité de réguler davantage le salaire des assistantes maternelles. Je note que le versement du CMG est déjà conditionné au fait que ce salaire soit inférieur à 5 Smic horaires par jour et par enfant, ce qui constitue une première limitation significative, mais, dans le système actuel, le montant du CMG est de plus en plus plafonné de façon différenciée selon les revenus des parents et selon le nombre de leurs enfants. Dans le nouveau système envisagé, l'assistante maternelle pourrait être tentée de se rapprocher davantage du plafond de 5 Smic. Aussi, nous avons préconisé un système de régulation plus ajusté, sans pour autant prendre position sur ses modalités détaillées, qui relèveront de textes réglementaires de l'administration.
Madame Gruny, je répondrai à vos deux premières questions en quatre points.
Premièrement, le projet du Gouvernement montre effectivement une poursuite de la croissance des excédents de la branche AT-MP, qui passerait de 1,3 milliard en 2021 à 3,3 milliards en 2026.
Deuxièmement, il existe des liens financiers entre les branches maladie et AT-MP. Nous savons que certaines dépenses de la première relèvent, en réalité, de la seconde. Cela représentait, en 2021, entre 1,2 et 2,1 milliards d'euros. Un transfert financier compense en partie cette charge indue pour la branche maladie ; il sera porté à 1,2 milliard d'euros en 2023 dans le PLFSS.
Troisièmement, la durée moyenne des arrêts de travail pour AT-MP est très dépendante du secteur d'activité des salariés, ce qui est compréhensible, mais la durée moyenne des arrêts maladie l'est aussi, ce qui est plus surprenant. Il est donc logique d'envisager, comme nous le recommandons, une approche de la gestion du risque commune aux arrêts de travail pour maladie et pour AT-MP.
Quatrièmement, l'évolution des indemnités journalières est extrêmement préoccupante, puisque, hors covid, en dix ans, entre 2012 et 2021, les dépenses liées aux arrêts de travail sont passées de 8,8 à 13 milliards d'euros, soit près de 50 % d'augmentation, contre seulement 30 % pour l'Ondam total. Autant dire que la gestion du risque n'a pas été efficace dans le domaine des arrêts de travail. La priorité serait de prévenir les arrêts longs, qui tirent les dépenses vers le haut, et qui sont les plus pénalisants pour les salariés : ils les éloignent du travail, réduisent leurs chances de reprendre une activité professionnelle et pèsent sur la retraite. Cela s'appelle la prévention de la désinsertion professionnelle.
Voilà l'ensemble des raisons qui ont poussé la Cour à proposer de rassembler dans une même branche de gestion les prestations maladie et AT-MP, proposition qui figure d'ailleurs dans un rapport sur les arrêts de travail établi en 2019 par trois experts à la demande du Premier ministre.
Vous m'interrogez sur notre recommandation de soumettre les établissements médico-sociaux à un taux de cotisation du risque AT-MP qui tienne compte du risque réel de chaque gestionnaire d'établissement. Il faut rappeler que les salariés du secteur médico-social ont trois fois plus de risques d'être victimes d'un accident du travail et d'une maladie professionnelle que les salariés de l'ensemble des secteurs économiques. C'est 30 % de plus que dans les entreprises du BTP (bâtiments et travaux publics), secteur pourtant connu pour sa pénibilité et sa dangerosité. Il faut faire évoluer le système avec progressivité et prudence, pour éviter d'éventuels surcoûts à la charge des résidents. Nous avons, à ce titre, préconisé des investissements.
Monsieur Mouiller, vous vous interrogez également sur le caractère hors norme, révélé par notre enquête, du risque d'arrêt de travail auquel sont exposés les salariés des établissements médico-sociaux. Trois fois plus, c'est considérable et c'est vraiment catastrophique. Cette situation est au coeur du défaut d'attractivité du secteur - ce n'est pas qu'un enjeu de niveau de salaire. Elle doit appeler des mesures vigoureuses sur deux plans : la prévention, qui doit mobiliser les employeurs et les administrations, dont, bien sûr les agences régionales de santé (ARS) ; le recrutement de personnels supplémentaires dans les Ehpad. Il est sans doute inhabituel que la Cour appelle à des recrutements supplémentaires, mais, ce faisant, elle est dans son rôle : lorsqu'elle appelle sans relâche à chercher les marges d'efficience de la dépense publique, c'est aussi pour contribuer au financement des dépenses supplémentaires là où elles sont nécessaires.
Vous avez évoqué le sujet du virage domiciliaire : nos concitoyens souhaitent vieillir chez eux le plus longtemps possible. En janvier dernier, nous avons remis à votre commission une communication sur les services de soins à domicile qui montre l'utilité et la pertinence de ces derniers, mais il faut aussi prendre en compte les risques particuliers auxquels sont exposés les salariés qui interviennent au domicile des personnes âgées ou handicapées, risques liés aux transports, à l'état du domicile de la personne - sur lequel l'employeur n'a pas la capacité d'agir -, au fait que le salarié intervient seul. Il faut agir sur tous ces plans.
Vos deux dernières questions constituent pour moi un point de grande attention. Le contrôle des Ehpad, notamment privés lucratifs, est un enjeu de premier plan, d'abord pour la qualité et la sécurité de nos citoyens âgés, mais aussi pour le bon usage des fonds publics. Nous avons expertisé le projet d'article 32 du PLFSS sur le renforcement du pouvoir des ARS et des conseils départementaux. Cela rejoint les analyses du rapport que nous vous avons soumis. Celui que vous avez rédigé, madame Meunier, avec M. Bonne, est d'excellente qualité et très inspirant en la matière. Ces dispositions sont indispensables.
Je me borne à deux remarques. Premièrement, il faut s'assurer que la rédaction proposée couvre bien tous les montages possibles par lesquels des établissements et services du secteur médico-social sont contrôlés par des personnes tierces, et l'expérience montre que le diable est dans les détails. Par exemple, est-on certain que la rédaction couvre bien le cas où une superposition de structures associatives et privées commerciales dispose du contrôle direct ou indirect ? Deuxièmement, je répète qu'il faut compléter le code des juridictions financières pour garantir à la Cour et aux chambres régionales la possibilité de contrôler la totalité des ressources des établissements gestionnaires et des groupes auxquels ils appartiennent. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, notamment pour tout ce qui résulte des tarifs d'hébergement ou les suppléments pratiqués à l'endroit des usagers.
Les scandales qui ont éclaté montrent à quel point ce secteur doit davantage être contrôlé. À mon sens, l'institution que je préside et les chambres régionales des comptes sont, à l'évidence, les mieux placées et les plus légitimes pour le faire, d'où le travail que je vous propose d'effectuer ensemble pour parvenir à améliorer la législation. Je suis persuadé que nous pouvons parvenir, sur ce point, à un consensus entre le Gouvernement et les deux assemblées. Ce sera un progrès.
Monsieur Vanlerenberghe, en matière de pertinence des soins, plusieurs outils sont à la disposition de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) ou des pouvoirs publics, mais ils sont sous-utilisés : la rémunération au forfait des médecins ; la régulation prix-volume, qui fonctionne plutôt bien pour la biologie médicale ; la prévention, qui est le parent pauvre de la politique de santé ; la maîtrise médicalisée, c'est-à-dire le juste soin dispensé à bon escient au plus juste coût. Il y a là des sources d'économies considérables.
Pour ce qui concerne la fraude, la Cour va revenir dès le Ralfss 2023, qui sera produit en juin prochain, sur le suivi des recommandations sur la fraude aux prestations sociales qu'elle a formulées dans le rapport que vous lui aviez demandé lorsque vous étiez rapporteur général de la commission.
Oui, le travail des seniors est un sujet central. J'ai lu comme vous l'excellente interview que Jean-Hervé Lorenzi a donnée ce matin dans un quotidien bien informé. Le taux d'emploi des seniors est encore en net décalage par rapport à celui des autres pays. C'est un enjeu tout à fait essentiel, même si l'on en parle peu dans la réflexion sur la réforme des retraites. Il est assez complexe pour les entreprises. Agir sur ce dernier ne sera pas une solution magique, mais cela ne doit pas pour autant être esquivé.
M. Milon m'a posé des questions fondamentales sur la durabilité de la protection sociale. Je vais lui faire une réponse de conviction : cette durabilité est possible, à une condition, qui est d'éviter la spirale de la dette, à rebours des pratiques actuelles. La question de la dette est vitale et souvent mal posée. On ne s'interroge que sur le niveau de la dette. Celui-ci est très élevé : il est supérieur à la moyenne de la zone euro et plus élevé que dans la plupart de nos pays compétiteurs. Cependant, il n'y a pas de problème de soutenabilité de notre dette, qui est finançable, la France ayant plutôt une bonne signature et étant accrochée à l'Allemagne.
Le problème de la dette est que, plus elle grossit, plus se renforce le service de la dette, et moins nous aurons la capacité à déployer des dépenses utiles. Je dis à ceux qui rêvent d'une augmentation constante de la dette que cela n'a pas de sens ! La dépense publique doit s'arrêter à un moment donné, parce que trop de dette tue la dépense publique utile. On ne pourra pas investir dans la transition écologique, la transition numérique, l'innovation, la recherche, l'éducation, la justice sociale et la protection sociale si notre dette est trop élevée. Sommes-nous au point de rupture ? Je l'ignore. En tout cas, je pense qu'il faut être au point d'inflexion, raison pour laquelle nous insistons sur le manque de crédibilité des textes qui vous sont soumis.
Nous partageons votre avis sur le caractère inefficient du système partagé entre assurance maladie et complémentaire. Des évolutions évidentes sont nécessaires. Nous avons proposé plusieurs scénarios dans un rapport que nous avons transmis récemment à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Madame Meunier, j'ai rendu hommage à votre rapport, que je trouve très utile et tout à fait complémentaire et convergent avec les travaux de la Cour sur le sujet.
À mon sens, il faut une double extension des compétences des juridictions financières : une extension horizontale, pour pouvoir élargir notre pouvoir de contrôle à la section hébergement ; une extension verticale, pour pouvoir contrôler l'ensemble des flux financiers entre les établissements gestionnaires et leur maison mère.
Il faut aussi que nous puissions mener des contrôles plus inopinés qu'aujourd'hui afin de mettre au jour certaines situations. Nous y tenons. Nous avons vraiment envie de nous investir davantage dans ce secteur. En outre, nous pensons que c'est attendu : il y a là une cause nationale fondamentale. Nous sommes à votre disposition pour vous communiquer un projet d'amendement en ce sens et pour travailler ensemble sur une amélioration de sa rédaction, si cela vous paraît nécessaire.