Nous entendons cet après-midi M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, et Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour et dont c'est la première audition en cette qualité devant notre commission, pour la présentation du rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss).
Ils sont accompagnés de Stéphane Seiller, rapporteur général, Thibault Perrin, rapporteur général adjoint du Ralfss, Guillaume de La Batut, chargé de mission, et Roma Beaufret, chargée de mission auprès du Premier président.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission en direct sur le site du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande.
Chaque année, à pareille époque, la présentation du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, qui constitue l'une des traductions de la mission d'assistance de la Cour au Parlement prévue par l'article 47-2 de la Constitution, ouvre pour notre commission les travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année à venir (PLFSS).
En application de la loi organique du 14 mars 2022, cet exercice est désormais postérieur à la présentation du PLFSS en conseil des ministres et en modifie quelque peu la nature. En application de ce même texte, nous aurons d'ailleurs à examiner une loi d'approbation des comptes sociaux à l'été, qui nous conduira à avancer le regard rétrospectif porté sur l'exercice clos et à solliciter une nouvelle fois la Cour à l'automne, pour un regard plus prospectif.
Je note que, cette année, les insertions au rapport sont nombreuses à pouvoir être reliées à un article du texte, comme celui sur les négociations conventionnelles. J'y vois matière à inspiration pour le Sénat...
C'est avec grand plaisir que je retrouve votre commission pour cet exercice annuel important.
J'ai à mes côtés Véronique Hamayon, nouvelle présidente de la sixième chambre, et Stéphane Seiller, conseiller maître, qui est le rapporteur général de ce rapport. Je salue également la présence dans la salle du rapporteur général adjoint, Thibault Perrin. Je souhaite aussi mentionner le rôle majeur de Denis Morin, président, jusqu'à récemment, de la sixième chambre, dans la conception de ce rapport important. Je souhaite les remercier chaleureusement de leur implication, de même que la vingtaine d'autres rapporteurs qui ont contribué à ce travail lourd, approfondi et, je crois, utile.
Le rapport que je vais vous présenter est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Le calendrier doit en effet changer, vous l'avez rappelé, madame la présidente ; nous vous présentons donc un rapport tout en étant déjà en train d'élaborer le prochain...
J'ai présenté ce travail très attendu des citoyens comme des parlementaires à la presse hier et à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ce matin. Éclairer les parlementaires avant le vote d'un texte financier majeur pour notre pays est, avec l'information des citoyens, une des vocations de la Cour. J'y tiens énormément, non seulement parce que je conserve ma sensibilité d'ancien parlementaire, mais aussi parce que c'est ainsi que je conçois mon rôle et mon devoir de Premier président de la Cour.
La parution de ce rapport intervient dans un contexte particulier, que vous connaissez : les tensions économiques, influant sur l'inflation et sur la croissance, la nécessité d'adapter notre société aux conséquences du dérèglement climatique et la lutte contre la pandémie de covid-19, qui a continué de peser sur les dépenses de l'assurance maladie en 2021 et 2022. Tout cela laisse une empreinte durable sur la dette et sur les déficits publics.
Comme chacun le sait, les transferts sociaux jouent dans notre pays un rôle essentiel. Ils viennent de le prouver en amortissant efficacement les conséquences de la crise sanitaire. La protection sociale est un pilier de la République. Néanmoins, pour être efficace demain comme elle l'a été hier, elle doit être solide ; elle ne peut s'installer durablement dans l'accumulation non maîtrisée de déficits. La dette d'aujourd'hui est un poids pour les générations futures ; notre devoir est de les en préserver et de conserver notre capacité à investir dans des politiques publiques intelligentes.
Le rapport qui vous est présenté montre qu'il n'est pas possible de différer plus longtemps l'engagement des réformes dont la sécurité sociale a besoin. C'est un travail de longue haleine, qui devra être conduit avec courage et constance dans les années qui viennent, en suivant une trajectoire de redressement, explicite et solide. J'évoquerai dans quelques instants les éléments de prévision figurant en annexe au PLFSS pour 2023.
La Cour est consciente des difficultés que présente le redressement des comptes de la sécurité sociale. Par ses travaux, elle identifie des marges d'efficience, dans les domaines de l'assurance maladie ou de la retraite. Le rapport qu'elle consacre à l'application des lois de financement de la sécurité sociale présente un ensemble d'évolutions nécessaires. Je note d'ailleurs avec intérêt que, cette année, le PLFSS comporte de nombreuses propositions qui prennent acte de nos propres avis.
Au travers de ce rapport, la Cour dresse le bilan tiré de l'application de quelques réformes récentes, dans une démarche d'évaluation. Elle souligne aussi la nécessité d'améliorer la qualité de l'action publique et des services rendus aux assurés sociaux, tout en contribuant à l'effort de maîtrise des dépenses.
Au préalable, je souhaite présenter la situation financière actuelle de la sécurité sociale et ses perspectives pour les prochaines années, au regard des dernières données communiquées par la commission des comptes de la sécurité sociale et de la trajectoire financière quadriennale présentée par le Gouvernement en annexe du PLFSS pour 2023.
Commençons par 2021. Le déficit de la sécurité sociale de l'année dernière - 24,3 milliards d'euros - garde un niveau très élevé, d'autant que la Cour a signifié, par son refus d'approuver les comptes de 2021 de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et des Urssaf, que 5 milliards d'euros de recettes de prélèvements sociaux ont été indûment rattachés à l'exercice 2021. Ainsi, si ces recettes avaient été rattachées à l'exercice 2020, comme la Cour le demandait, le déficit tous régimes 2021 aurait été de 29,3 et non de 24,3 milliards d'euros, comme affiché.
En 2022, je note la persistance d'un déficit structurel, c'est-à-dire hors dépenses liées à la crise sanitaire, équivalent à celui de 2021, aux alentours de 6 milliards d'euros. Ce niveau de déficit structurel est préoccupant. À nouveau, la Cour souligne la nécessité d'un programme pluriannuel de réformes dans les domaines de l'assurance maladie et des retraites, qui permette à la sécurité sociale de revenir à un équilibre financier pérenne.
Or une telle orientation n'apparaît pas clairement dans le PLFSS pour 2023. Ce texte prévoit certes une réduction du déficit de la sécurité sociale, qui passerait de près de 18 milliards d'euros en 2022 à moins de 7 milliards d'euros en 2023, mais cette évolution repose sur une hypothèse optimiste : la division par 10 des dépenses exceptionnelles d'assurance maladie dues à la crise sanitaire. Dans son avis sur le PLFSS pour 2023, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a considéré que cette estimation, qui repose notamment sur une division par 20 des dépenses de tests par rapport à 2021, risquait de se révéler excessivement optimiste. Quand on enregistre des provisions, il faut tenir compte des risques, non des espoirs...
La croissance des dépenses d'assurance maladie hors crise sanitaire serait, d'après le PLFSS, inférieure à la hausse des prix, ce qui suppose d'importants effets d'ajustements des professionnels et des établissements de santé. C'est un objectif très volontariste, dont les exercices passés nous ont montré qu'il est très difficile à atteindre. Le déficit pourrait donc atteindre un niveau plus élevé que celui qui est prévu, indépendamment même des incertitudes qui entourent l'environnement macroéconomique.
À cela s'ajoute le fait que le montant de 123 milliards d'euros de déficits sociaux que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a été autorisée à reprendre sera atteint en 2023. Pour continuer d'absorber des déficits sociaux, à structure de recettes inchangée, il faudra donc prolonger la durée de vie de cet organisme au-delà du terme prévu de 2033. Nous ne devons pas nous voiler la face : il existe un risque réel de croissance continue de l'endettement social, au détriment des générations futures. Fin 2022, cet endettement atteindra 160 milliards d'euros.
Pour 2024 et 2025, les annexes au PLFSS prévoient un déficit de la sécurité sociale repartant à la hausse, avant de se tasser quelque peu par la suite. En 2026, il s'élèverait à près de 12 milliards d'euros. Encore faut-il souligner que ce niveau de déficit supposerait une stabilisation en termes réels des dépenses de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Les efforts correspondants d'économies restent à définir et à mettre en oeuvre. Le déficit de la branche vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) atteindrait quant à lui près de 14 milliards d'euros, contre moins de 2 milliards d'euros en 2021, en raison de la dégradation de la situation financière des régimes de retraite de base des salariés du secteur privé et des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
La dégradation du déficit prévisionnel de la sécurité sociale est d'autant plus préoccupante qu'elle repose sur des prévisions de croissance économique considérées comme optimistes par le HCFP, dans son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Cela me conduit à dire que la trajectoire prévue de retour à l'équilibre puis de désendettement semble peu crédible ; il est prioritaire de la revoir et de documenter précisément les mesures de redressement nécessaires.
Par ailleurs, le rapport souligne combien la multiplicité et les fréquentes modifications des sources de financement et des flux financiers affectent la compréhension des soldes des branches et du FSV. La Cour propose donc que les sources de financement des différentes branches soient clarifiées, simplifiées et stabilisées. Ce n'est pas un sujet théorique ; il s'agit, au contraire, des modalités pratiques du redressement de la sécurité sociale dans la durée. Si les exigences de clarté, de rigueur et de stabilité ne sont pas prises en compte, le respect des trajectoires prévues pour les différentes branches ne pourra être garanti.
Enfin, de 2010 à 2021, les dépenses de soins de ville ont augmenté trois fois plus vite que l'inflation. La Cour considère donc que les professionnels libéraux de santé doivent contribuer davantage aux priorités nationales de santé tout en respectant les objectifs de dépenses liés à la trajectoire pluriannuelle du risque maladie. Cette orientation devrait être au centre des prochaines négociations entre l'assurance maladie et les syndicats des professions libérales de santé.
Voilà pour le diagnostic financier.
J'en viens à mon deuxième point : l'étude de trois réformes récentes destinée à évaluer si les objectifs avaient été atteints.
La première porte sur la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). Nous nous sommes intéressés aux deux principaux dispositifs versés sous condition de ressources : la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE), créée en 2014, qui indemnise les périodes de cessation d'activité durant les trois premières années de l'enfant, et le complément de libre choix du mode de garde (CMG), créé dix ans plus tôt, en 2004, qui aide les familles à financer la garde des enfants de moins de 6 ans par des tiers, tous deux réaménagés au milieu de la dernière décennie.
Nous constatons que ces aides sous condition de ressource ont échoué à atteindre leurs objectifs. La PreParE gagnerait à être recentrée sur les arrêts d'activité des parents durant la seule première année de l'enfant et accompagnée d'une indemnisation plus élevée. Les barèmes du CMG sont quant à eux défavorables aux familles les moins aisées, qui ne sont pas réellement libres du choix du mode de garde de leurs enfants. Les barèmes devraient être réaménagés pour permettre aux familles les plus modestes de recourir davantage à l'ensemble des modes de garde possibles.
J'ai noté que le PLFSS prévoit une mesure qui modifie le CMG dans le sens que nous recommandons, sans toutefois toucher à la PreParE. Nous pensons aussi qu'il serait opportun de faire évoluer les deux dispositifs de manière cohérente et concomitante, pour en garantir une meilleure efficacité tout en évitant un coût supplémentaire estimé à 600 millions d'euros pour la branche famille.
La deuxième réforme examinée est celle de l'automatisation du calcul des aides personnalisées au logement (APL). Calculer automatiquement les prestations à partir des données les plus récentes, dites « contemporaines », relatives aux revenus perçus par les bénéficiaires est une bonne idée, mais l'expérience des APL montre les effets délétères des erreurs informatiques lorsqu'elles touchent les revenus des plus précaires. Nous invitons l'administration à anticiper ces risques techniques dans le cadre des expérimentations prévues du principe de « solidarité à la source », souhaité par le Président de la République.
La priorité, pour le versement des prestations financées par la solidarité nationale, reste le paiement exact, à qui de droit, et en temps et en heure. En outre, l'automatisation du versement oblige à conduire le chantier de simplification des bases de calcul des prestations sociales.
Le dernier exemple porte sur le transfert au régime général de la gestion de la sécurité sociale des travailleurs indépendants, du fait de la suppression du régime social des indépendants (RSI). Cette opération est, pour nous, globalement réussie. L'administration doit maintenant s'attacher à pousser les réformes au-delà des sujets d'organisation de la gestion pour traiter les problèmes de fond qui subsistent en matière de protection sociale de ces catégories professionnelles importantes pour l'économie de notre pays. Il s'agit notamment de l'équité du prélèvement social à la charge des travailleurs indépendants par rapport à celui des salariés, de l'équité de ce prélèvement entre les différentes catégories d'indépendants et de la complétude de la protection sociale de ces derniers.
J'en arrive à mon troisième et dernier point : l'amélioration de la qualité et la maîtrise de la dépense dans le champ de la protection sociale. Cela nous semble indispensable ; on ne peut pas réduire les déficits et la dette sans maîtriser la dépense, sans agir sur son volume et sa composition : il faut savoir prioriser, déterminer les dépenses qu'il faut augmenter - j'ai moi-même proposé à votre commission une augmentation significative, de l'ordre de 1,3 à 1,9 milliard d'euros, des dépenses pour les Ehpad, par exemple -, mais également celles qu'il faut réduire, sans dégrader la qualité des prestations. À notre sens, cela nécessite une approche méthodique, ferme, domaine par domaine, si l'on veut que chaque euro d'impôt ou de cotisation soit utilement dépensé dans l'intérêt de nos concitoyens. Nous avons examiné quatre domaines, qui font apparaître de très nettes marges d'amélioration.
Les deux premiers concernent le champ de la santé et de l'assurance maladie, dont j'ai déjà souligné qu'il doit constituer un terrain de réforme prioritaire.
Nous savons tous combien la situation de l'hôpital public appelle des efforts particuliers. Les agents attendent les mesures, notamment d'organisation, de gestion et de répartition plus juste des moyens. De meilleures conditions de travail sont nécessaires pour que leur engagement, qui peut être, on l'a constaté, sans limites, puisse s'exprimer librement. On peut faire des économies, mais il y a aussi des investissements à faire.
Notre conviction est qu'une autre clé se trouve du côté de la médecine libérale, dont les activités interagissent avec le secteur hospitalier. Nous avons choisi pour illustrer cela deux activités distinctes : la radiologie et la radiothérapie. Ces activités présentent des caractéristiques similaires : une répartition territoriale insatisfaisante, des procédures d'évaluation et de prise en charge de l'innovation limitées, des actions insuffisantes d'amélioration de la pertinence des actes, une connaissance sommaire des activités réalisées et de leur coût, et une inadéquation de la tarification des activités, avec un impact sur la rémunération des professionnels, qui entraîne une perte d'attractivité préoccupante pour l'hôpital. Des réponses doivent être apportées rapidement à ces problèmes.
Un autre exemple concerne un aspect majeur pour la qualité de la prise en charge ou de l'accompagnement de nos concitoyens âgés ou handicapés : il s'agit des conditions de travail du personnel du secteur médico-social. Nous les avons analysées de manière inédite à travers le prisme des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP).
La fréquence des accidents et des maladies auxquels sont exposés les salariés de certaines catégories d'établissements, notamment des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), est trois fois supérieure à celle qui est constatée dans l'ensemble de l'économie. Nous avons montré que l'amélioration progressive du taux d'encadrement, c'est-à-dire le nombre des salariés disponibles pour prendre en charge et accompagner les personnes, permettrait non seulement d'améliorer la qualité des services rendus à ces personnes, mais encore de réduire fortement le nombre des accidents et des maladies professionnelles. En d'autres termes, nous avons détecté le cercle vicieux de l'économie aveugle, qui enclenche des dépenses supplémentaires. En outre, des dépenses vertueuses peuvent entraîner des économies fortes : mieux vaut dépenser au bon endroit pour renforcer le taux d'encadrement et minimiser les conséquences des absences.
Je me permets d'ajouter, en vue des débats sur le PLFSS pour 2023, que la Cour est au service de votre commission pour renforcer la transparence et la régulation financière des Ehpad. Vous le savez, son indépendance fait la force de ses analyses et de ses recommandations. Lors de la présentation de l'enquête de la Cour des comptes sur la médicalisation des Ehpad, réalisée à la demande de votre commission, j'ai regretté publiquement les limites actuelles de la compétence des juridictions financières en la matière. L'amélioration du contrôle passe aussi par l'extension des compétences des autorités constitutionnelles de contrôle.
Aujourd'hui, l'utilisation des recettes d'hébergement échappe au contrôle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Je forme le voeu devant vous que le législateur fasse évoluer notre champ de compétence dès le PLFSS pour 2023. Il y va de l'information du citoyen et de notre possibilité de contrôler, au sein de l'établissement et du groupe, les produits d'hébergement et les postes de charge qu'ils financent ; je pense notamment à l'immobilier et aux achats. Après les scandales que nous avons connus, il est indispensable de renforcer les contrôles sur les Ehpad et la Cour est - j'ai la faiblesse de le penser - loin d'être la plus mal placée pour ce faire. Je suis à votre disposition pour discuter d'un projet d'amendement si vous le souhaitez. Les scandales que nous avons connus montrent que ce secteur a besoin d'être mieux contrôlé, au service du Parlement et des citoyens. La Cour est volontaire pour accompagner cette évolution, qui dépend d'une disposition législative, avec l'accord du Gouvernement et de l'Assemblée nationale.
Le dernier exemple d'amélioration de la qualité et de l'efficience concerne un aspect mal connu de notre système de retraite : il s'agit des droits familiaux attribués aux parents au titre de leurs enfants. Ces droits représentent près de 20 milliards d'euros de dépenses annuelles. Ils ont été institués il y a cinquante ans ou plus, à une époque où les familles étaient plus nombreuses et où les mères travaillaient considérablement moins. Ces dispositifs complexes accordent des trimestres mais sans compenser suffisamment les pertes de salaires subies par les mères. Nous recommandons une remise à plat de ce système pour corriger cette injustice, sans dépenses nouvelles.
Pour conclure, je veux revenir sur le message principal du rapport : il est impératif de mettre fin à l'accroissement continu de la dette sociale, en remettant rapidement la sécurité sociale sur un chemin effectif d'équilibre financier. Pour cela, il convient de ne pas s'en tenir aux perspectives aléatoires de croissance de l'activité économique dont dépendent les recettes sociales, mais d'entreprendre les réformes nécessaires de notre protection sociale qu'il s'agisse des retraites - ce sujet n'est pas au coeur de notre rapport - mais aussi de l'organisation de notre système de santé, en en rendant ainsi les dépenses plus efficientes. Dans ce domaine, comme dans d'autres, c'est maintenant la qualité de la dépense qui est impérative, non pas l'austérité aveugle mais la dépense bien calibrée, au bon endroit.
Ces réformes sont nécessaires pour garantir la pérennité de notre système de retraite et l'accès de tous à des soins de qualité sans réduire les niveaux de prise en charge par l'assurance maladie. C'est ce qu'attendent nos citoyens.
Je vous remercie par avance de votre appui futur sur le texte qui nous attend, notamment pour le secteur médico-social et les personnes âgées. Après notre audition sur la médicalisation des Ehpad, Michelle Meunier et Bernard Bonne ont produit un rapport d'information en réaction à l'affaire Orpea, pour résumer de façon sans doute trop rapide.
Monsieur le Premier président, le PLFSS pour 2023 me semble, comme à vous, peu réaliste. Vos observations sur l'inexactitude des comptes de 2021 sont éclairantes et relativisent la forte amélioration des comptes de la sécurité sociale de l'année dernière.
La trajectoire financière 2023-2026 vous semble-t-elle crédible, en particulier au regard de l'évolution des recettes et des dépenses de la branche maladie, qui paraissent très optimistes ?
Une réforme des retraites bien calibrée permettrait-elle à la sécurité sociale de revenir à un équilibre financier global, voire d'envisager une extinction de la Cades en 2033 ?
Sur la crédibilité de la trajectoire financière de la branche maladie, j'ai abordé le sujet mais je puis détailler. Le PLFSS prévoit une diminution forte du déficit de la sécurité sociale - 7 milliards d'euros, contre 18 milliards d'euros en 2022 - en se fondant sur une croissance économique très optimiste : 1 % en France et 3 % dans le monde, là où les instituts prévoient, respectivement, 0,6 % et moins de 2 %. Indépendamment de cette incertitude, le risque que le déficit soit sensiblement plus important est très élevé. Par exemple, les dépenses de test de covid doivent, pour garantir cette amélioration, être divisées par 20 par rapport à 2021 ; nous le souhaitons tous, mais c'est très volontariste. Par ailleurs, le PLFSS prévoit une croissance des dépenses structurelles, hors covid, inférieure à l'inflation, ce qui suppose des dépenses d'ajustement significatives de la part des professionnels de santé. Cela est loin d'être acquis, au vu des comportements observés.
Les perspectives 2023-2026 figurant dans le PLFSS sont très incertaines et peu étayées à ce stade, puisqu'on ne détaille ni les moyens de redresser la branche maladie ni ceux permettant de contenir la dégradation du déficit de la branche vieillesse. En outre, même si cela se produisait, les perspectives présentées dans le PLFSS font état d'un déficit global de la sécurité sociale durablement dégradé, avec près de 12 milliards d'euros en 2026.
L'absence durable de redressement est en soi très préoccupante. La sécurité sociale ne peut pas rester durablement déficitaire sans faire peser sur les générations futures le financement des prestations qui sont versées aujourd'hui. Je rappelle en outre l'exigence constitutionnelle d'équilibre financier de la sécurité sociale, dont le respect est contrôlé par le Conseil constitutionnel.
Vous m'interrogez sur l'impact qu'aurait une réforme des retraites sur la situation financière de la sécurité sociale, en vous demandant si une réforme suffirait à résorber le déficit de la sécurité sociale. D'abord, l'étendue de la réforme des retraites envisagée par le gouvernement n'est pas connue dans le détail. Ensuite, en toute hypothèse, cette réforme ne produirait ses effets que progressivement ; même la fixation de l'âge de départ à la retraite à 65 ans ne permettra pas d'éviter l'accroissement de la dette sociale dans les quatre années qui viennent ni de faire l'économie d'un nouveau transfert de dette à la Cades, dont la durée de vie devra être prolongée, par voie organique, au cours des années à venir. Par ailleurs, il n'est pas certain que la réforme envisagée soit suffisante pour ramener durablement la branche retraite à l'équilibre financier.
Quoi qu'il en soit, cela laisse entières les questions d'efficience et de qualité des dépenses d'assurance maladie, car on ne peut pas considérer que cette réforme constitue une « carte magique », permettant de tout régler, en renflouant les caisses de l'État et de la sécurité sociale sans mener les autres réformes. Non, il faut bien aller vers plus d'efficience et de qualité des dépenses. C'est pour cette raison que nous en appelons à un traitement réformiste, secteur par secteur.
Vous évoquez le rôle insuffisant du Parlement dans l'encadrement des négociations conventionnelles. Comment renforcer notre implication dans le pilotage financier de l'assurance maladie, qui passe souvent par la voie réglementaire ?
Le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 prévoit une mise en réserve de 0,3 % de l'Ondam. Cette mise en réserve vous semble-t-elle crédible et pertinente et comment la rendre effective pour les sous-Ondam ?
Dans le chapitre sur la radiothérapie, vous plaidez pour une procédure d'autorisation temporaire des techniques et pratiques innovantes, conditionnée à un suivi des situations cliniques. Quel mode de financement conviendrait-il à un tel fonctionnement ?
Vous indiquez que les dépenses de médecine de ville hors médicament ont progressé trois fois plus vite que l'inflation ; quel lien faites-vous avec le raccourcissement des séjours à l'hôpital ?
La réforme de retraites doit viser non à combler le trou de la sécurité sociale mais à garantir un niveau de prestations dans les années qui viennent. Les effets d'une réforme sont toujours longs à se matérialiser, c'est pourquoi il faut prendre les mesures le plus tôt possible.
Vous évoquez l'hypothèse de l'harmonisation des majorations de pension entre régimes. Avez-vous pu en estimer le coût ?
En ce qui concerne les APL, on observe un taux d'erreur de 2 % dans le calcul de ces aides par rapport à la déclaration sociale nominative (DSN). Dans ce contexte, le versement à la source des prestations sociales voulu par le Gouvernement pourra-t-il s'appliquer prochainement ou la fiabilisation du processus prendra-t-elle beaucoup de temps ?
Nous ne sommes pas favorables au transfert de l'ensemble des recouvrements aux Urssaf, y compris des cotisations de retraite des professions libérales et de la Mutualité sociale agricole (MSA). Ces régimes sont intégrés : ils sont chargés du recouvrement et de la prestation. Un tel mouvement ne conduirait-il pas à fragiliser un système qui fonctionne ?
Ce rapport est excellent, j'en partage nombre des constats. Je suis notamment d'accord avec vous pour dire que la réforme de la branche maladie est au moins aussi urgente que celle des retraites.
Sur la branche famille, je déplore comme vous la confusion des aides publiques entre les crédits d'impôt et la prestation de la Paje, confusion qui rend difficile l'estimation de l'incidence de ces dispositifs sur le coût des modes de garde. Ces dispositifs coûtent cher, les parents n'y voient pas clair et, en outre, ils sont mal calibrés. Le barème du CMG et les restes à charge qui en découlent pour les familles font que les foyers les plus modestes ont plus d'avantages financiers à choisir le mode collectif et les familles les plus aisées ont plutôt intérêt à choisir les assistantes maternelles. Le PLFSS prévoit une réforme du calcul du CMG « emploi direct » mais peut-on encore, par petites touches, modifier ces prestations, pour aboutir à quelque chose de plus efficace, de plus juste, de plus lisible, de plus incitatif ? Votre rapport évoque même la question de la régulation des salaires des assistantes maternelles.
La branche AT-MP est, de façon pérenne, en excédent. L'écart entre les recettes et les dépenses se creuse d'ailleurs, passant de 2 milliards d'euros en 2022 à 3,3 milliards d'euros en 2026. Ces excédents ne sont-ils pas de nature à engager la branche vers des dépenses nouvelles en faveur de la prévention des AT-MP ou vers une baisse des cotisations ?
Le Ralfss propose de regrouper dans une seule branche l'ensemble des prestations en espèces de l'assurance maladie au titre du risque arrêt de travail, qu'il s'agisse des maladies ordinaires, des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Cela permettrait en effet de mettre fin au transfert annuel, fixé à 1,2 milliard d'euros pour 2023, de la branche AT-MP vers la branche maladie, au titre de la sous-déclaration, selon un calcul très opaque. En quoi un tel regroupement serait-il plus cohérent et plus efficace ? Serait-il plus efficace d'étendre le principe de la modulation en fonction de la sinistralité aux cotisations finançant les indemnités journalières pour maladie ? Les cotisations sociales seraient-elles suffisantes pour financer cette branche élargie ?
Par ailleurs, un chapitre de votre rapport est consacré à la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour les personnes âgées ou handicapées, dans lesquels la sinistralité est en effet élevée. La Cour se prononce en faveur d'incitations financières individualisées selon la sinistralité de chaque structure, car, actuellement, le taux de cotisation AT-MP est fixé de manière globale. Avez-vous connaissance de précédents changements de régime de cette nature dans d'autres secteurs et quels enseignements a-t-on pu en tirer ? Comment procéder à un tel changement sans mettre en péril les structures ni augmenter le reste à charge des usagers ? L'efficacité de cette tarification ne serait-elle pas compromise par l'impossibilité de l'appliquer au secteur public ?
Vous avez décrit une situation inquiétante des comptes de la sécurité sociale et nous pensons, nous aussi, que les projections sont peu crédibles. Les dépenses liées à l'autonomie sont-elles intégrées dans le déficit de 12 milliards d'euros prévus en 2026 ? Comment, au-delà de la CSG, financer l'évolution de la branche autonomie, au regard du vieillissement de la population ?
Vous avez évoqué le taux d'accident du travail trois fois plus important dans le secteur médico-social par rapport à la moyenne nationale. Cette situation a-t-elle un impact direct sur l'attractivité du métier ? Quelles pistes la Cour propose-t-elle, en particulier pour les services à domicile, afin de pouvoir répondre aux enjeux et aux ambitions du Gouvernement ?
Sur le contrôle des Ehpad, nous avons noté la volonté commune d'exercer un contrôle plus strict. Les propositions adoptées l'été dernier et celle du PLFSS auront-elles suffisamment de poids pour contrôler les flux financiers des groupes de gestion d'Ehpad ? Au-delà de l'extension du contrôle à la section d'hébergement, nous pensons que le débat plus général sur la fongibilité des sections doit être mené.
Les soins inutiles redondants sont estimés entre 20 % 30 % des dépenses d'assurance maladie. Le Gouvernement envisage de réduire les dépenses de radiologie et de biologie, mais cela semble insuffisant au regard des enjeux. Or 20 % d'une dépense de 230 milliards d'euros, c'est 46 milliards d'euros. Les efforts sont à faire de ce côté-là, pour améliorer l'équilibre de l'assurance maladie.
Autre sujet à traiter : la fraude sociale. Sur le fondement de vos recommandations, le Gouvernement avait conçu une feuille de route, mais les choses avancent encore trop lentement au sein de l'assurance maladie. Ne faut-il pas donner un coup d'accélérateur dans ce domaine ?
Le débat va s'engager sur l'âge de départ à la retraite. L'économiste Jean-Hervé Lorenzi affirme qu'il faut travailler plus et encourager le travail des seniors. C'est donc vers cela qu'il faut s'engager. Je n'ai rien vu dans votre rapport sur ce point.
Je partage vos constats, monsieur le Premier président, mais je demande encore à être convaincu par certaines de vos propositions.
Je m'interroge sur la durabilité du système actuel. Le système peut-il encore tenir longtemps eu égard à ses déficits constants, de plus en plus dangereux, d'autant que la Cades prend en charge la dette en empruntant à un taux d'intérêt de plus en plus élevé ? Par ailleurs, l'assurance maladie et les organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) sont amenés à étudier les mêmes dossiers successivement, ce qui suppose que des frais de gestion sont engagés deux fois. Est-il normal que chaque dossier soit étudié deux fois, alors que l'on pourrait imaginer qu'il le soit une fois pour toutes ? En outre, si les recettes de l'assurance maladie fluctuent en permanence, les OCAM ont, en ce qui les concerne, la capacité d'augmenter régulièrement leurs cotisations, sans d'ailleurs que quiconque y trouve à redire... Quelle est la solution ? Devons-nous continuer à faire coexister l'assurance maladie et les OCAM ou faut-il faire en sorte que chaque organisme ait un domaine de compétence précis, avec des recettes et des dépenses transparentes ?
Vous indiquez, monsieur le Premier président, que les arrêts de travail sont, dans le secteur de l'autonomie, trois fois supérieurs à la moyenne nationale et vous suggérez le regroupement de l'offre. Or Bernard Bonne et moi avons montré, dans notre rapport d'information, que ce mouvement pouvait également être source d'opacité et rendre les contrôles plus difficiles. Nous proposions d'étendre les compétences de la Cour et des CRTC au contrôle de la section d'hébergement des Ehpad, qui, dans les établissements privés à but lucratif, ne sont pas contrôlés du tout. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, vous recommandez de viser un ratio d'un professionnel pour un résident, en estimant que cela peut engendrer une économie de presque 33 %. Cela corrobore les recommandations de plusieurs commissaires des affaires sociales, qui permettraient d'améliorer la qualité tant de l'accueil des résidents que du travail des professionnels.
Madame Imbert, je vous assure que je partage votre préoccupation à l'endroit de l'évolution des dépenses de soins de ville. Je répète que, sur les dix dernières années, ces dépenses ont évolué trois fois plus vite que l'inflation - hors dépenses de médicaments et dépenses de biologie, qui, elles, ont été strictement encadrées, du moins jusqu'à la crise sanitaire.
Nous serons d'accord sur le fait que chaque euro que la collectivité consacre à la santé de la population doit être dépensé à bon escient. Ce que l'on appelle les soins de ville représente plus de la moitié des dépenses de l'Ondam et les honoraires des professions libérales de santé représentent près de 40 % des dépenses de soins de ville. Il faut donc se pencher sur la façon dont ces dépenses évoluent, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif. Votre question porte sur l'encadrement quantitatif, mais vous conviendrez que l'enjeu est aussi qualitatif : comment mieux dépenser.
Sur le plan qualitatif, j'observe que l'annexe B au PLFSS fixe la trajectoire des dépenses d'assurance maladie globalement, sans distinguer la ville ou l'hôpital, ce qui n'est pas la solution. J'observe aussi que le projet de loi de programmation des finances publiques fixe la trajectoire des soins de ville, mais cette enveloppe est plus large que celle des dépenses fixées par les conventions signées par l'assurance maladie. C'est pourquoi nous proposons, dans le Ralfss, que les objectifs pluriannuels de dépenses par convention soient rendus publics à l'issue des négociations et qu'un suivi régulier du coût détaillé et complet de chaque convention soit mis en place pour permettre notamment au Parlement d'en assurer le contrôle.
Nous proposons également que les dispositifs juridiques qui existent soient effectivement mis en oeuvre. Lorsque les dépassements sont prévisibles, les mesures de revalorisation tarifaires doivent être reportées jusqu'à un an, comme la loi le prévoit.
Vous m'avez aussi interrogé sur la radiothérapie et le financement des actes innovants. Je crois qu'il faut les financer par des dotations d'investissement ad hoc qui soient contrôlables.
J'ai déjà en partie répondu sur les dépenses de médecine de ville. Il est clair qu'il y a un lien entre le développement de la politique ambulatoire et l'accélération des dépenses de soins de ville, mais pas dans les proportions observées. En tout état de cause, les dépenses des cliniques privées augmentent rapidement. Il faut donc envisager une régulation pour les soins de ville et pour les soins en établissement.
Monsieur Savary, s'agissant de l'extension des majorations de pension pour enfants aux retraités des professions libérales et du coût de cette mesure, je souhaite d'abord souligner que les règles d'attribution de ces majorations sont différentes selon les régimes qui les versent. Pour les retraités qui ont relevé de plusieurs régimes durant leur carrière, cela entraîne des différences de situation peu compréhensibles, source d'un sentiment d'iniquité - peut-être justifié, du reste. Nous pensons qu'il est nécessaire, d'abord, d'aligner ces majorations de pension sur la base d'un même taux de 10 % ; ensuite, de supprimer les surmajorations existantes dans les régimes spéciaux, dont celui de la fonction publique ; enfin, de plafonner le montant total perçu par retraité de ces différentes caisses selon le principe déjà appliqué par l'Agirc-Arrco. C'est dans ce nouveau cadre qu'il serait possible d'envisager l'extension de ces majorations aux caisses de retraite des professions libérales. De la sorte, notre système gagnerait en simplicité et en efficacité, tout en permettant la maîtrise des dépenses.
Avez-vous estimé le coût qu'engendrerait cette extension aux professions libérales ?
Nous ne disposons pas d'estimation précise, mais nous reviendrons vers vous dès que nous l'aurons.
Sur les conséquences qui doivent être tirées du versement à la source de prestations sociales voulu par le Président de la République, je veux d'abord souligner l'intérêt de la réforme des APL.
En premier lieu, elle a permis de rapprocher le montant des prestations versées de celui des ressources des foyers, puisque le versement des APL est désormais calculé sur les ressources du trimestre précédant le versement, et non sur les bases fiscales de l'année n-2, comme c'était le cas jusqu'en 2020.
En second lieu, cette réforme a fait faire des économies pour la branche famille, à hauteur de 1,1 milliard d'euros en 2021. Cependant, 200 000 familles ont subi des ruptures de versement. D'innombrables erreurs ont été commises. Les caisses d'allocations familiales ont dû recruter plus de 2 000 agents pour corriger manuellement certains des versements. Ces dysfonctionnements montrent qu'un calcul intégralement automatique réalisé à partir des données de salaires de la DSN et des prestations sociales ne peut s'envisager sans que toutes les précautions aient été prises au préalable, ce qui, à l'évidence, n'a pas été le cas pour la réforme des APL.
Il faut tirer les enseignements de cette réforme. À cet égard, la voie de l'expérimentation retenue par le Gouvernement pour ajuster le versement du RSA et de la prime d'activité aux dernières ressources connues est une approche qui me semble plutôt raisonnable. Cela devrait sans doute inspirer les réformes futures dans le champ des prestations sociales.
Quant au transfert aux Urssaf de la gestion du recouvrement des cotisations versées par les professionnels libéraux à leur caisse de retraite, nous pensons que l'exemple réussi de la transformation du RSI est une source d'inspiration pour la gestion de la sécurité sociale des autres indépendants libéraux ou exploitants agricoles. Cela s'est accompagné du maintien d'une gouvernance spécifique qui permet aux artisans et aux commerçants de continuer à gérer les équilibres financiers de leur régime complémentaire et de verser des aides et secours à leurs ressortissants dans le besoin, selon leurs propres règles.
Notre enquête montre qu'il n'y a pas de difficulté particulière. D'ailleurs, la gestion des cotisations et des droits à la retraite des micro-entrepreneurs libéraux est d'ores et déjà confiée aux Urssaf et aux caisses de retraite du régime général. Les représentants des professions sont attachés au système historique qu'ils ont créé. C'est bien normal, mais il faut savoir aussi prendre en compte les gains d'efficience attendus d'une gestion plus rationnelle. Par ailleurs, ce qui compte pour l'assuré de base, c'est la simplicité et l'efficacité. Il préfère n'avoir qu'un interlocuteur, que ce soit pour le paiement des cotisations ou pour le suivi des prestations. Bien évidemment, des réformes qui regroupent ou suppriment des systèmes historiques doivent être préparées, expliquées, exécutées avec prudence et méthode, mais, quand elles sont réalisées, elles emportent la satisfaction des assurés ; nous l'avons constaté pour les anciens assurés du RSI.
Monsieur Henno, je partage largement vos considérations générales sur les retraites, même si la Cour ne revient pas dans le détail sur la réforme des retraites dans ce rapport. Cependant, elle s'est déjà prononcée sur le sujet : nous sommes de ceux qui estiment qu'il y a bien un problème de soutenabilité à long terme de notre système de retraite et qu'il faut le réformer pour assurer son financement durable.
Il y a des tas de façons de le faire, mais elles reviennent toutes à une alternative : soit les actifs partent plus tard en retraite, soit on baisse les pensions. Il me paraît tout de même largement préférable, dans le contexte actuel d'allongement de la durée de vie et de la dégradation du rapport actifs-inactifs, de procéder par la première voie plutôt que par la seconde.
En tout état de cause, on ne peut pas attendre d'une réforme des retraites qu'elle soit une sorte de couteau suisse. Elle ne peut pas viser dix objectifs. Elle ne peut pas à la fois participer au redressement des finances publiques, augmenter la croissance et l'emploi, réduire les déficits et, en même temps, nous dispenser de toute autre réforme, d'autant que ses effets sont forcément très progressifs dans le temps. Il ne faut pas bercer quiconque d'illusions : la réforme des retraites doit se faire, dans l'équation que nous avons rappelée - nous entourer d'expertise, procéder à des concertations et prévoir une application suffisamment étalée dans le temps pour permettre une bonne acceptation des mesures prises par la société. Dans ce contexte, la question des dépenses maladie doit elle aussi être traitée. Je ne crois vraiment pas que tout se réduise à la réforme des retraites...
Vous m'avez interrogé, en votre qualité de rapporteur, sur la question de la garde des enfants. Je partage votre avis : l'accueil des enfants est l'un des enjeux centraux de la politique familiale. Il faut y apporter une très grande attention compte tenu de son impact pour les familles et pour les finances publiques. Je rappelle que près de 15 milliards d'euros sont dépensés chaque année au titre des politiques publiques d'accueil du jeune enfant. Nous voyons que des progrès sont faits, ne serait-ce que du point de vue de la simplification et de la facilitation pour les familles. Simplifier devrait toujours être la priorité pour nos citoyens. Ainsi, nous recommandons que le crédit d'impôt pour garde d'enfant bénéficie directement aux familles, en même temps que le CMG. Dans sa réponse, le directeur de l'Acoss nous a confirmé que ce service sera ouvert dans moins de deux ans.
Vous m'interrogez ensuite sur la disposition du PLFSS qui prévoit des mécanismes pour atténuer les effets de seuil des barèmes du CMG. Cette disposition va clairement dans le bon sens : il est souhaitable d'éviter une forme de ségrégation sociale de l'accueil des jeunes enfants.
Je fais cependant deux observations complémentaires. Premièrement, je note que la disposition du PLFSS va plus loin que ce que nous proposions pour les familles monoparentales, en allongeant jusqu'aux 12 ans de l'enfant, au lieu de 6, le bénéfice du CMG et en majorant la prestation pour ces familles. S'il y a une logique forte à cibler les familles monoparentales, cette évolution est, pour le coup, assez large. Deuxièmement, l'ensemble des dispositions prévues par le PLFSS sont coûteuses, avec 600 millions d'euros en année pleine en 2026. Nous regrettons, à cet égard, que les évolutions nécessaires ne soient pas accompagnées d'une réforme concomitante du régime de la PreParE, versée en cas de congé parental, réforme que nous recommandions pour rendre les dispositifs plus cohérents et pour atténuer les coûts.
Enfin, vous m'interrogez sur l'opportunité de réguler davantage le salaire des assistantes maternelles. Je note que le versement du CMG est déjà conditionné au fait que ce salaire soit inférieur à 5 Smic horaires par jour et par enfant, ce qui constitue une première limitation significative, mais, dans le système actuel, le montant du CMG est de plus en plus plafonné de façon différenciée selon les revenus des parents et selon le nombre de leurs enfants. Dans le nouveau système envisagé, l'assistante maternelle pourrait être tentée de se rapprocher davantage du plafond de 5 Smic. Aussi, nous avons préconisé un système de régulation plus ajusté, sans pour autant prendre position sur ses modalités détaillées, qui relèveront de textes réglementaires de l'administration.
Madame Gruny, je répondrai à vos deux premières questions en quatre points.
Premièrement, le projet du Gouvernement montre effectivement une poursuite de la croissance des excédents de la branche AT-MP, qui passerait de 1,3 milliard en 2021 à 3,3 milliards en 2026.
Deuxièmement, il existe des liens financiers entre les branches maladie et AT-MP. Nous savons que certaines dépenses de la première relèvent, en réalité, de la seconde. Cela représentait, en 2021, entre 1,2 et 2,1 milliards d'euros. Un transfert financier compense en partie cette charge indue pour la branche maladie ; il sera porté à 1,2 milliard d'euros en 2023 dans le PLFSS.
Troisièmement, la durée moyenne des arrêts de travail pour AT-MP est très dépendante du secteur d'activité des salariés, ce qui est compréhensible, mais la durée moyenne des arrêts maladie l'est aussi, ce qui est plus surprenant. Il est donc logique d'envisager, comme nous le recommandons, une approche de la gestion du risque commune aux arrêts de travail pour maladie et pour AT-MP.
Quatrièmement, l'évolution des indemnités journalières est extrêmement préoccupante, puisque, hors covid, en dix ans, entre 2012 et 2021, les dépenses liées aux arrêts de travail sont passées de 8,8 à 13 milliards d'euros, soit près de 50 % d'augmentation, contre seulement 30 % pour l'Ondam total. Autant dire que la gestion du risque n'a pas été efficace dans le domaine des arrêts de travail. La priorité serait de prévenir les arrêts longs, qui tirent les dépenses vers le haut, et qui sont les plus pénalisants pour les salariés : ils les éloignent du travail, réduisent leurs chances de reprendre une activité professionnelle et pèsent sur la retraite. Cela s'appelle la prévention de la désinsertion professionnelle.
Voilà l'ensemble des raisons qui ont poussé la Cour à proposer de rassembler dans une même branche de gestion les prestations maladie et AT-MP, proposition qui figure d'ailleurs dans un rapport sur les arrêts de travail établi en 2019 par trois experts à la demande du Premier ministre.
Vous m'interrogez sur notre recommandation de soumettre les établissements médico-sociaux à un taux de cotisation du risque AT-MP qui tienne compte du risque réel de chaque gestionnaire d'établissement. Il faut rappeler que les salariés du secteur médico-social ont trois fois plus de risques d'être victimes d'un accident du travail et d'une maladie professionnelle que les salariés de l'ensemble des secteurs économiques. C'est 30 % de plus que dans les entreprises du BTP (bâtiments et travaux publics), secteur pourtant connu pour sa pénibilité et sa dangerosité. Il faut faire évoluer le système avec progressivité et prudence, pour éviter d'éventuels surcoûts à la charge des résidents. Nous avons, à ce titre, préconisé des investissements.
Monsieur Mouiller, vous vous interrogez également sur le caractère hors norme, révélé par notre enquête, du risque d'arrêt de travail auquel sont exposés les salariés des établissements médico-sociaux. Trois fois plus, c'est considérable et c'est vraiment catastrophique. Cette situation est au coeur du défaut d'attractivité du secteur - ce n'est pas qu'un enjeu de niveau de salaire. Elle doit appeler des mesures vigoureuses sur deux plans : la prévention, qui doit mobiliser les employeurs et les administrations, dont, bien sûr les agences régionales de santé (ARS) ; le recrutement de personnels supplémentaires dans les Ehpad. Il est sans doute inhabituel que la Cour appelle à des recrutements supplémentaires, mais, ce faisant, elle est dans son rôle : lorsqu'elle appelle sans relâche à chercher les marges d'efficience de la dépense publique, c'est aussi pour contribuer au financement des dépenses supplémentaires là où elles sont nécessaires.
Vous avez évoqué le sujet du virage domiciliaire : nos concitoyens souhaitent vieillir chez eux le plus longtemps possible. En janvier dernier, nous avons remis à votre commission une communication sur les services de soins à domicile qui montre l'utilité et la pertinence de ces derniers, mais il faut aussi prendre en compte les risques particuliers auxquels sont exposés les salariés qui interviennent au domicile des personnes âgées ou handicapées, risques liés aux transports, à l'état du domicile de la personne - sur lequel l'employeur n'a pas la capacité d'agir -, au fait que le salarié intervient seul. Il faut agir sur tous ces plans.
Vos deux dernières questions constituent pour moi un point de grande attention. Le contrôle des Ehpad, notamment privés lucratifs, est un enjeu de premier plan, d'abord pour la qualité et la sécurité de nos citoyens âgés, mais aussi pour le bon usage des fonds publics. Nous avons expertisé le projet d'article 32 du PLFSS sur le renforcement du pouvoir des ARS et des conseils départementaux. Cela rejoint les analyses du rapport que nous vous avons soumis. Celui que vous avez rédigé, madame Meunier, avec M. Bonne, est d'excellente qualité et très inspirant en la matière. Ces dispositions sont indispensables.
Je me borne à deux remarques. Premièrement, il faut s'assurer que la rédaction proposée couvre bien tous les montages possibles par lesquels des établissements et services du secteur médico-social sont contrôlés par des personnes tierces, et l'expérience montre que le diable est dans les détails. Par exemple, est-on certain que la rédaction couvre bien le cas où une superposition de structures associatives et privées commerciales dispose du contrôle direct ou indirect ? Deuxièmement, je répète qu'il faut compléter le code des juridictions financières pour garantir à la Cour et aux chambres régionales la possibilité de contrôler la totalité des ressources des établissements gestionnaires et des groupes auxquels ils appartiennent. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, notamment pour tout ce qui résulte des tarifs d'hébergement ou les suppléments pratiqués à l'endroit des usagers.
Les scandales qui ont éclaté montrent à quel point ce secteur doit davantage être contrôlé. À mon sens, l'institution que je préside et les chambres régionales des comptes sont, à l'évidence, les mieux placées et les plus légitimes pour le faire, d'où le travail que je vous propose d'effectuer ensemble pour parvenir à améliorer la législation. Je suis persuadé que nous pouvons parvenir, sur ce point, à un consensus entre le Gouvernement et les deux assemblées. Ce sera un progrès.
Monsieur Vanlerenberghe, en matière de pertinence des soins, plusieurs outils sont à la disposition de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) ou des pouvoirs publics, mais ils sont sous-utilisés : la rémunération au forfait des médecins ; la régulation prix-volume, qui fonctionne plutôt bien pour la biologie médicale ; la prévention, qui est le parent pauvre de la politique de santé ; la maîtrise médicalisée, c'est-à-dire le juste soin dispensé à bon escient au plus juste coût. Il y a là des sources d'économies considérables.
Pour ce qui concerne la fraude, la Cour va revenir dès le Ralfss 2023, qui sera produit en juin prochain, sur le suivi des recommandations sur la fraude aux prestations sociales qu'elle a formulées dans le rapport que vous lui aviez demandé lorsque vous étiez rapporteur général de la commission.
Oui, le travail des seniors est un sujet central. J'ai lu comme vous l'excellente interview que Jean-Hervé Lorenzi a donnée ce matin dans un quotidien bien informé. Le taux d'emploi des seniors est encore en net décalage par rapport à celui des autres pays. C'est un enjeu tout à fait essentiel, même si l'on en parle peu dans la réflexion sur la réforme des retraites. Il est assez complexe pour les entreprises. Agir sur ce dernier ne sera pas une solution magique, mais cela ne doit pas pour autant être esquivé.
M. Milon m'a posé des questions fondamentales sur la durabilité de la protection sociale. Je vais lui faire une réponse de conviction : cette durabilité est possible, à une condition, qui est d'éviter la spirale de la dette, à rebours des pratiques actuelles. La question de la dette est vitale et souvent mal posée. On ne s'interroge que sur le niveau de la dette. Celui-ci est très élevé : il est supérieur à la moyenne de la zone euro et plus élevé que dans la plupart de nos pays compétiteurs. Cependant, il n'y a pas de problème de soutenabilité de notre dette, qui est finançable, la France ayant plutôt une bonne signature et étant accrochée à l'Allemagne.
Le problème de la dette est que, plus elle grossit, plus se renforce le service de la dette, et moins nous aurons la capacité à déployer des dépenses utiles. Je dis à ceux qui rêvent d'une augmentation constante de la dette que cela n'a pas de sens ! La dépense publique doit s'arrêter à un moment donné, parce que trop de dette tue la dépense publique utile. On ne pourra pas investir dans la transition écologique, la transition numérique, l'innovation, la recherche, l'éducation, la justice sociale et la protection sociale si notre dette est trop élevée. Sommes-nous au point de rupture ? Je l'ignore. En tout cas, je pense qu'il faut être au point d'inflexion, raison pour laquelle nous insistons sur le manque de crédibilité des textes qui vous sont soumis.
Nous partageons votre avis sur le caractère inefficient du système partagé entre assurance maladie et complémentaire. Des évolutions évidentes sont nécessaires. Nous avons proposé plusieurs scénarios dans un rapport que nous avons transmis récemment à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Madame Meunier, j'ai rendu hommage à votre rapport, que je trouve très utile et tout à fait complémentaire et convergent avec les travaux de la Cour sur le sujet.
À mon sens, il faut une double extension des compétences des juridictions financières : une extension horizontale, pour pouvoir élargir notre pouvoir de contrôle à la section hébergement ; une extension verticale, pour pouvoir contrôler l'ensemble des flux financiers entre les établissements gestionnaires et leur maison mère.
Il faut aussi que nous puissions mener des contrôles plus inopinés qu'aujourd'hui afin de mettre au jour certaines situations. Nous y tenons. Nous avons vraiment envie de nous investir davantage dans ce secteur. En outre, nous pensons que c'est attendu : il y a là une cause nationale fondamentale. Nous sommes à votre disposition pour vous communiquer un projet d'amendement en ce sens et pour travailler ensemble sur une amélioration de sa rédaction, si cela vous paraît nécessaire.
Merci beaucoup, monsieur le Premier président. Nous aurons l'occasion de nous revoir prochainement, puisque nous attendons un rapport sur Santé publique France d'ici à la fin de l'année.
Ce rapport est délibéré aujourd'hui.
La réunion est close à 17 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat