Il s’agit de tenir compte des « erreurs françaises » qui ont jusqu’à présent empêché de transformer mieux l’essai de l’innovation industrielle, ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour que la France redevienne une nation industrielle innovante et souveraine.
Deux principes ont guidé l’élaboration de nos recommandations : l’efficacité de la dépense publique et le caractère opérationnel des mesures proposées.
Le soutien de la croissance et du développement des industries innovantes est l’affaire de tous, et seule une action coordonnée du Parlement, du Gouvernement et des acteurs privés permettra de relever les défis auxquels notre pays doit faire face.
Le Parlement a un rôle essentiel à jouer. Deux tiers des dépenses de soutien à l’innovation sont des incitations fiscales, notamment avec le crédit d’impôt recherche (CIR) qui représente une dépense annuelle de 6, 6 milliards d’euros. Pourtant, son efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises bénéficiaires : véritable incitation à l’innovation pour les petites et moyennes entreprises (PME), il est trop souvent, pour certains grands groupes, une forme d’aubaine fiscale. C’est ce que montre une étude de 2019 de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi).
En effet, 1 euro de CIR versé aux PME entraîne 1, 40 euro de dépenses de recherche et développement (R&D), alors que le même euro versé aux grandes entreprises n’engendre que 40 centimes de dépenses en R&D.
Or le CIR est très majoritairement accaparé par les grandes entreprises : 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total de l’aide. Pis encore, les cent plus gros bénéficiaires touchent 33 % de son volume !
Au moment de l’adoption du rapport d’information, l’ensemble des membres de la mission d’information, et ce quel que soit leur bord politique, ont reconnu que cette situation de rente n’était plus tenable. Après le « quoi qu’il en coûte » et le « combien ça coûte », il est temps d’opter pour le « mieux qu’il en coûte ».
C’est pourquoi nous proposons, sans remettre en cause la stabilité fiscale du dispositif ni alourdir la dépense fiscale liée au CIR, de renforcer son efficacité par plusieurs ajustements très à la marge, monsieur le ministre.
D’abord, nous souhaitons supprimer le taux de 5 % de CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D, tout en augmentant à due concurrence le taux en deçà de ce plafond.
D’après les calculs de l’économiste Xavier Jaravel entendu par la mission d’information, cette mesure entraînerait une économie de 750 millions d’euros, ce qui permettrait de financer une augmentation du taux tout en ciblant plus les dépenses de R&D des PME, des petites et moyennes industries (PMI), ainsi que des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Dire que, sans cette mesure, nos grands groupes délocaliseront leurs activités de recherche ou que nous n’attirerons plus les investisseurs étrangers est un chantage à l’emploi contre lequel je m’insurge. Une telle allégation signifierait que les investisseurs et les grands groupes viendraient chez nous pour de très mauvaises raisons ; or je pense au contraire qu’ils ont de très bonnes raisons de venir en France !
Les grandes entreprises gardent leurs centres de R&D en France, parce qu’elles bénéficient d’un CIR de 30 % jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses et non d’un taux réduit au-delà. Elles s’implantent aussi chez nous parce qu’elles s’inscrivent dans des écosystèmes performants de recherche et d’innovation, qu’elles bénéficient d’une recherche publique d’excellente qualité et – faut-il s’en réjouir ? – très bon marché et qu’elles peuvent s’appuyer sur des infrastructures de bonne qualité ainsi que sur un vivier d’ingénieurs et de techniciens très bien formés.
Ensuite, nous proposons de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. Nombre d’entreprises consolident leurs résultats pour déterminer leur bénéfice global en compensant les pertes de certaines filiales avec les résultats positifs des autres afin de diminuer leur impôt sur les sociétés.
Or, même dans cette hypothèse, le CIR peut être calculé au niveau de chaque filiale. L’équité fiscale exige qu’en cas d’intégration fiscale le crédit d’impôt soit également calculé au niveau de la holding, et non dans chaque filiale. Selon les calculs du Comité Richelieu, une telle réforme pourrait engendrer une économie de plus de 500 millions d’euros par an ; cela profiterait aux PME-PMI innovantes.
Le CIR ne constitue pas à nos yeux l’alpha et l’oméga de notre politique de soutien à l’innovation, tant s’en faut. Force est toutefois de constater que, depuis que nous avons publié nos recommandations, ce sont bien les ajustements à la marge que nous proposons, au nom de l’efficacité de la dépense publique, qui focalisent l’attention, alors même que nous approuvons la sanctuarisation du CIR.
C’est pourquoi il m’a paru important de concentrer mon propos sur ce sujet afin de lever tout malentendu. Le président de la mission d’information aura tout loisir, en conclusion de ce débat, de revenir sur les autres mesures, nombreuses, que nous proposons.
Je tiens à évoquer, dans le temps qui me reste, quelques pistes d’action qui ne relèvent pas du Parlement, mais qui sont à la main du Gouvernement.
Un principe, d’abord : préférer le chiffre d’affaires aux subventions, en mobilisant la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes.
Une règle d’or, ensuite : faciliter les démarches administratives et raccourcir les délais. C’est avant tout une question de volonté politique. L’exemple du terminal méthanier flottant au Havre, dont la construction devrait commencer six mois à peine après que ce projet a été envisagé, montre que nous pouvons le faire ! Nous devons aligner temps administratif et temps économique.
Enfin, les acteurs privés doivent eux aussi s’impliquer pour soutenir le développement des entreprises industrielles innovantes.