La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », sur les conclusions du rapport Transformer l ’ essai de l ’ innovation : un impératif pour réindustrialiser la France.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information qui a demandé ce débat.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le mois de mars 2020, la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont mis en relief les fragilités de notre économie. Ainsi, l’incapacité de la France, patrie de Pasteur, à développer un vaccin contre le covid-19 nous a brutalement rappelé que nous ne faisions plus partie des États leaders dans l’innovation.
Sommes-nous pour autant condamnés à jouer le rôle de fournisseur d’innovations technologiques de qualité et bon marché, transformées par des entreprises étrangères en innovations industrielles, nous revenant sous forme d’importations néfastes à notre balance commerciale ? Ce n’est pas ce que nous souhaitons. La crise énergétique pourrait évidemment aggraver le phénomène, puisqu’elle rend plus difficile la réimpatriation des chaînes de production.
Pour sortir de cette impasse, le groupe Les Indépendants – République et Territoires a lancé une mission d’information sur le sujet, dont les conclusions ont été adoptées à l’unanimité le 8 juin dernier.
La formulation retenue pour l’intitulé de cette mission d’information – « Excellence de la recherche et innovation, pénurie de nouveaux champions industriels : cherchez l’erreur française » – était volontairement provocante. Reste que, parmi les cent vingt-cinq personnes auditionnées, rares ont été celles qui l’ont jugée impertinente. Je crois en effet que nous comprenons tous, chacun avec sa sensibilité politique, le drame industriel qui s’est joué dans notre pays.
J’en profite pour remercier chaleureusement tous les membres de la mission d’information qui m’ont accompagnée au cours de ce travail et qui l’ont enrichi de leur expérience propre et des exemples issus de leur territoire, singulièrement son président Christian Redon-Sarrazy, qui a su nous faire profiter de sa connaissance de ces sujets, notamment pour ce qui concerne la formation dans les territoires.
Nous avons tout d’abord constaté un paradoxe – en France, on adore les paradoxes !
Sourires.
Il s’agit de tenir compte des « erreurs françaises » qui ont jusqu’à présent empêché de transformer mieux l’essai de l’innovation industrielle, ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour que la France redevienne une nation industrielle innovante et souveraine.
Deux principes ont guidé l’élaboration de nos recommandations : l’efficacité de la dépense publique et le caractère opérationnel des mesures proposées.
Le soutien de la croissance et du développement des industries innovantes est l’affaire de tous, et seule une action coordonnée du Parlement, du Gouvernement et des acteurs privés permettra de relever les défis auxquels notre pays doit faire face.
Le Parlement a un rôle essentiel à jouer. Deux tiers des dépenses de soutien à l’innovation sont des incitations fiscales, notamment avec le crédit d’impôt recherche (CIR) qui représente une dépense annuelle de 6, 6 milliards d’euros. Pourtant, son efficacité est inversement proportionnelle à la taille des entreprises bénéficiaires : véritable incitation à l’innovation pour les petites et moyennes entreprises (PME), il est trop souvent, pour certains grands groupes, une forme d’aubaine fiscale. C’est ce que montre une étude de 2019 de la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi).
En effet, 1 euro de CIR versé aux PME entraîne 1, 40 euro de dépenses de recherche et développement (R&D), alors que le même euro versé aux grandes entreprises n’engendre que 40 centimes de dépenses en R&D.
Or le CIR est très majoritairement accaparé par les grandes entreprises : 10 % des bénéficiaires les plus importants perçoivent 77 % du montant total de l’aide. Pis encore, les cent plus gros bénéficiaires touchent 33 % de son volume !
Au moment de l’adoption du rapport d’information, l’ensemble des membres de la mission d’information, et ce quel que soit leur bord politique, ont reconnu que cette situation de rente n’était plus tenable. Après le « quoi qu’il en coûte » et le « combien ça coûte », il est temps d’opter pour le « mieux qu’il en coûte ».
C’est pourquoi nous proposons, sans remettre en cause la stabilité fiscale du dispositif ni alourdir la dépense fiscale liée au CIR, de renforcer son efficacité par plusieurs ajustements très à la marge, monsieur le ministre.
D’abord, nous souhaitons supprimer le taux de 5 % de CIR au-delà du plafond de 100 millions d’euros de dépenses de R&D, tout en augmentant à due concurrence le taux en deçà de ce plafond.
D’après les calculs de l’économiste Xavier Jaravel entendu par la mission d’information, cette mesure entraînerait une économie de 750 millions d’euros, ce qui permettrait de financer une augmentation du taux tout en ciblant plus les dépenses de R&D des PME, des petites et moyennes industries (PMI), ainsi que des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Dire que, sans cette mesure, nos grands groupes délocaliseront leurs activités de recherche ou que nous n’attirerons plus les investisseurs étrangers est un chantage à l’emploi contre lequel je m’insurge. Une telle allégation signifierait que les investisseurs et les grands groupes viendraient chez nous pour de très mauvaises raisons ; or je pense au contraire qu’ils ont de très bonnes raisons de venir en France !
Les grandes entreprises gardent leurs centres de R&D en France, parce qu’elles bénéficient d’un CIR de 30 % jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses et non d’un taux réduit au-delà. Elles s’implantent aussi chez nous parce qu’elles s’inscrivent dans des écosystèmes performants de recherche et d’innovation, qu’elles bénéficient d’une recherche publique d’excellente qualité et – faut-il s’en réjouir ? – très bon marché et qu’elles peuvent s’appuyer sur des infrastructures de bonne qualité ainsi que sur un vivier d’ingénieurs et de techniciens très bien formés.
Ensuite, nous proposons de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. Nombre d’entreprises consolident leurs résultats pour déterminer leur bénéfice global en compensant les pertes de certaines filiales avec les résultats positifs des autres afin de diminuer leur impôt sur les sociétés.
Or, même dans cette hypothèse, le CIR peut être calculé au niveau de chaque filiale. L’équité fiscale exige qu’en cas d’intégration fiscale le crédit d’impôt soit également calculé au niveau de la holding, et non dans chaque filiale. Selon les calculs du Comité Richelieu, une telle réforme pourrait engendrer une économie de plus de 500 millions d’euros par an ; cela profiterait aux PME-PMI innovantes.
Le CIR ne constitue pas à nos yeux l’alpha et l’oméga de notre politique de soutien à l’innovation, tant s’en faut. Force est toutefois de constater que, depuis que nous avons publié nos recommandations, ce sont bien les ajustements à la marge que nous proposons, au nom de l’efficacité de la dépense publique, qui focalisent l’attention, alors même que nous approuvons la sanctuarisation du CIR.
C’est pourquoi il m’a paru important de concentrer mon propos sur ce sujet afin de lever tout malentendu. Le président de la mission d’information aura tout loisir, en conclusion de ce débat, de revenir sur les autres mesures, nombreuses, que nous proposons.
Je tiens à évoquer, dans le temps qui me reste, quelques pistes d’action qui ne relèvent pas du Parlement, mais qui sont à la main du Gouvernement.
Un principe, d’abord : préférer le chiffre d’affaires aux subventions, en mobilisant la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes.
Une règle d’or, ensuite : faciliter les démarches administratives et raccourcir les délais. C’est avant tout une question de volonté politique. L’exemple du terminal méthanier flottant au Havre, dont la construction devrait commencer six mois à peine après que ce projet a été envisagé, montre que nous pouvons le faire ! Nous devons aligner temps administratif et temps économique.
Enfin, les acteurs privés doivent eux aussi s’impliquer pour soutenir le développement des entreprises industrielles innovantes.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d ’ information. En conclusion, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage avec vous un espoir : la crise actuelle constitue une opportunité pour réindustrialiser nos territoires et optimiser l’efficacité des dépenses publiques.
Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.
M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l ’ économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l ’ industrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être si vite de retour au Sénat pour discuter avec vous de ce rapport d’information extrêmement important – je me demande d’ailleurs si je ne vais pas demander mon rond de serviette, puisque j’étais présent hier soir à l’occasion du débat sur la souveraineté économique et ce matin pour répondre à un certain nombre de questions orales !
Sourires.
Monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, je vous remercie de ce travail exceptionnel et très complet.
Je partage avec vous le constat selon lequel il est encore difficile de relier la « paillasse » à l’entrepôt. La recherche française, pourtant de qualité internationale, comme en atteste le prix Nobel de physique 2022 attribué à un Français voilà quarante-huit heures, a du mal à se retrouver, de manière concrète, au sein de l’entreprise et des processus productifs. Vous avez procédé à une analyse d’ensemble systématique fort utile ; elle nous permettra de réfléchir à la manière de rendre tous ces processus plus efficaces.
Je vous trouve néanmoins un peu sévère – c’est de bonne guerre… – sur la position de notre pays. Il y a maintenant quelques jours, la France a été classée douzième pays le plus innovant au monde dans le Global Innovation Index. Pour rappel, elle était dix-neuvième en 2019.
Nous faisons déjà quelques progrès auxquels – j’ai la faiblesse de le penser – le gouvernement précédent et la majorité à laquelle j’appartenais ont contribué : je pense à la French Tech et à l’accélération du développement des start-up industrielles.
Néanmoins, vous avez raison : si les soutiens en faveur de l’innovation vers l’industrie et en son sein ont été massifs, les freins sont encore nombreux et il nous appartient de les lever. Nous convergeons sur un grand nombre de vos propositions et avons d’ores et déjà mis en œuvre des actions en ce sens.
J’aurai l’occasion d’y revenir dans le cadre de mon intervention finale. Puisque le rapport d’information est vraiment global, je n’ai en effet pas prévu de répondre après chaque intervention : je ferai plutôt une réponse générale. J’espère que les orateurs, qui seront par conséquent privés de leur droit de réplique, ne m’en tiendront pas rigueur !
Sachez tout de même que, sur le crédit d’impôt recherche, nous aurons quelques divergences que j’exposerai alors, même si je suis sûr que le président de la mission d’information ne manquera pas de m’expliquer à quel point j’ai tort…
Sourires.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ce débat, auquel je suis très heureux de participer.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, comme beaucoup d’entre vous le feront certainement, à remercier le rapporteur et le président de la mission d’information du travail rigoureux, exhaustif et expertisé qu’ils ont fourni.
Ce rapport d’information pointe les lacunes de notre industrie et présente des pistes pour permettre à la France de redevenir une nation industrielle, innovante et souveraine.
Notre pays subit en quelque sorte les conséquences de la croyance, à l’œuvre dans les années 1980-1990, selon laquelle il était possible de décloisonner les activités de production de celles de conception et d’innovation, et de créer en quelque sorte une entreprise sans usine.
Suivant cette croyance, l’industrie française a ainsi délocalisé une grande partie de ses moyens de production, détruisant dans le même temps des millions d’emplois industriels sur plusieurs décennies – près de 3 millions d’emplois entre 1975 et 2014.
L’inefficacité de ce décloisonnement est aussi mise en exergue par la faible corrélation, révélée par le rapport d’information, entre le soutien public massif à l’innovation et l’incapacité de la France à faire émerger, dans le même temps, de nouveaux champions industriels.
Sans l’industrie, nous ne serons pas en mesure de redevenir une grande nation d’innovation. Industrialisation et innovation sont deux combats qu’il nous faut mener de front, de manière simultanée. C’est une nécessité comprise au plus haut sommet de l’État, puisque différents plans ont été déployés à l’échelon national depuis 2017 afin d’engager la reconquête industrielle de la France.
Toutefois, des crises extérieures nous ont bousculés.
La crise sanitaire a révélé notre extrême dépendance et a mis en lumière les faiblesses de notre modèle industriel, notamment sa dépendance aux importations.
De la même façon, avec la crise ukrainienne, l’Union européenne a pris conscience qu’elle avait besoin de réduire sa dépendance énergétique, de conserver la maîtrise de ses décisions et de construire la « souveraineté européenne ».
Enfin, l’urgence climatique est là. L’été 2022 a vu se multiplier les catastrophes liées au réchauffement climatique. Il faut mettre notre dépendance aux énergies fossiles derrière nous. Pour atteindre 40 % d’électricité issue d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, nous devons diversifier notre mix énergétique. Biométhane, biomasse, hydrogène décarboné, éolien en mer, photovoltaïsme, exploitation de l’énergie des courants des marées : un énorme potentiel technologique et industriel s’offre à nous.
La crise sanitaire, le conflit ukrainien et l’urgence climatique agissent comme des accélérateurs d’innovations. Ces défis nous poussent à faire preuve de courage, d’audace et d’inventivité.
Nous devons nous donner l’ambition de construire nos rêves. C’est l’objectif de France 2030 : une ambition publique pour répondre aux défis écologique, démographique, économique, industriel et social d’un monde en perpétuelle évolution.
Ce sont ainsi 34 milliards d’euros qui ont été investis pour qu’en France les entreprises, les universités et les organismes de recherche réussissent pleinement leur transition vers les filières stratégiques.
En amont, nous devons mettre les bouchées doubles sur la formation et l’apprentissage, les nouvelles filières, nos écoles et nos organismes de recherche dans des segments de pointe.
En cours de processus, il faut permettre à une start-up qui débute ses recherches de monter rapidement ses prototypes.
Au bout de la chaîne, c’est la réindustrialisation de nos territoires : elle a commencé, elle doit être renforcée.
Je ne citerai qu’un exemple, celui de STMicroelectronics à Crolles. C’est, à mon sens, le symbole que la réindustrialisation est possible quand la volonté politique est là. Ce ne sont en effet pas moins de 6 milliards d’euros qui ont été investis sur ce site, où la France va installer la plus grande unité de production de semi-conducteurs en Europe et créer plus de 1 000 emplois supplémentaires. Cet exemple est le symbole de la France du savoir et de la recherche, ainsi que de notre reconquête industrielle.
Le groupe RDPI se tiendra au côté du Gouvernement et de tous ceux qui veulent que la France, soutenue par ses alliés européens, puisse retrouver sa pleine souveraineté économique.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à saluer le travail de qualité mené par la mission d’information, dont la technicité et la précision n’ont jamais fait défaut.
Madame la rapporteure, monsieur le président de la mission d’information, votre motivation au cours de ces travaux n’a eu d’égale que votre connaissance parfaite du milieu de la recherche. Merci à tous les deux ! Vous m’avez fait tomber, comme Obélix, dans la marmite, moi qui ne suis qu’un modeste membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission des affaires européennes : je me suis ouverte au monde de l’innovation et de la recherche, dont j’ai découvert la pertinence et dont il se trouve qu’elle est au carrefour des préoccupations qui sont les miennes au sein de ces deux commissions.
Le système français doit considérablement améliorer l’innovation et en faire l’une de ses priorités. Les propositions de la mission d’information vont dans ce sens et gagnent à être entendues par les pouvoirs publics.
Le problème ne se limite toutefois pas à la France. La dimension européenne ne doit pas être oubliée. L’Union européenne doit même reprendre le leadership sur l’innovation de rupture.
Face aux avances technologiques prises ou en passe de l’être par des puissances émergentes telles que la Chine, comment faire de l’Union européenne une puissance qui résiste ?
Prenons l’exemple de la 5G. La législation française est adaptée au contexte, mais il convient de rester attentif à l’évolution des risques sur l’ensemble du territoire européen. Tous les pays n’ont pas le même niveau d’expertise sur ces questions.
Il convient donc non seulement de soutenir la mise en œuvre de la boîte à outils de l’Union européenne susceptible de faciliter l’application de mesures nationales dans le domaine de la 5G et de veiller à l’évolution des risques, mais aussi de soutenir la réalisation du projet Hexa-X et d’autres initiatives et financements communautaires susceptibles de favoriser l’émergence d’acteurs européens de premier plan dans le domaine de la 6G.
Soutenir, mais comment ? La dimension est-elle seulement financière ? Eh bien non, ce n’est pas qu’une question d’argent !
Il s’agit, d’abord, de bien définir les thématiques sur lesquelles un facteur de compétitivité peut être créé, car c’est ce qui permettra aux géants d’émerger.
Il s’agit, ensuite, de soutenir les bons acteurs, en évitant si possible les grands équipementiers non européens. La capacité de la France et de l’Union européenne à soutenir l’émergence d’acteurs européens alternatifs est certainement l’une des conditions sine qua non pour garantir notre souveraineté.
Dans le domaine spatial, l’Union européenne doit se donner les moyens de rester un acteur majeur. Front de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS, l’espace est l’un des enjeux de la course pour la place de première puissance mondiale entre Washington et Pékin. La Chine est devenue une puissance spatiale majeure, qui mène de front des programmes d’exploration lunaire et martienne, des vols habités, des lancements de satellites à vocation scientifique, commerciale ou militaire, et même la construction d’une station spatiale chinoise. Et nous, que faisons-nous pendant ce temps-là ?
Le domaine spatial est l’illustration de quatre axes auxquels nous devons prêter attention.
Premièrement, il est nécessaire de faire preuve de la plus grande prudence en matière de transfert de technologies.
Deuxièmement, il faut définir une politique nationale et une politique communautaire qui prennent en compte les récents développements des ambitions chinoises.
Troisièmement, il convient d’augmenter les budgets publics nationaux des États membres. Pour reprendre l’exemple de l’espace, il est important de donner toute sa dimension au nouveau projet de constellation européenne pour la connectivité. Plus largement, il faut réaffirmer la nécessité d’une recherche publique forte, laquelle ne peut s’accommoder d’un enseignement supérieur en berne, comme c’est le cas aujourd’hui et depuis si longtemps.
Quatrièmement, l’Union européenne doit encourager le développement d’un secteur privé performant en mettant en place les conditions optimales à la croissance des start-up innovantes.
C’est l’application cumulative de ces quatre grands axes qui permettra de favoriser l’innovation et la compétitivité. Le rapport de la mission d’information va dans ce sens. La plupart de ses préconisations sont une déclinaison de ces quatre axes.
Faire de la commande publique un levier essentiel de croissance pour les entreprises industrielles innovantes ? C’est le deuxième axe.
Faire de la propriété industrielle et de la normalisation des sources de compétitivité ? C’est le premier axe.
Inciter les grands groupes à s’impliquer dans l’émergence et la croissance des entreprises innovantes ? C’est le quatrième axe.
Élaborer dès 2022 une loi pluriannuelle de programmation de l’innovation pour renforcer l’efficacité de la politique de valorisation ? C’est le troisième axe.
J’en viens à un point extrêmement important, qui a été mis en exergue.
Nous préconisons de systématiser les évaluations ex post des politiques de transfert et de valorisation menées par les organismes publics de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, et de confier cette nouvelle mission au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Oui, l’évaluation doit être une priorité majeure de nos politiques publiques. Elle est en même temps un enjeu essentiel et une culture que nous ne possédons pas, ce qui est bien dommage. Sans évaluation, l’attribution des financements sera naturellement fléchée vers les acteurs déjà installés, favorisant les consortiums qui bénéficient déjà d’un soutien européen. Ces derniers ne sont donc pas encouragés à se dépasser et à devenir les meilleurs, car les financements viennent malgré tout vers eux, comme le reconnaissent les industriels eux-mêmes.
Nous devons faire l’inverse de ce que l’on fait aujourd’hui. Je cite M. Loesekrug-Pietri : « On sécurise pour que le résultat en 2025 soit ce que l’on voulait en 2022, mais le monde aura changé trois fois entre-temps et on risque de tomber à côté. »
Si le rapport d’information indique que nous devons réorienter les aides fiscales pour mieux accompagner le passage à l’échelle des petites et moyennes entreprises innovantes, ce que je soutiens fortement, je tiens à préciser qu’il faut commencer par évaluer l’utilisation du crédit d’impôt recherche pour qu’un terme soit mis aux stratégies d’évasion et d’optimisation fiscales, si souvent dénoncées, et pour endiguer son détournement par des bénéficiaires insuffisamment contrôlés.
M. Gérard Lahellec applaudit.
Enfin, pour aller jusqu’au bout de l’évaluation, interrogeons-nous sur le rôle que nous devons donner au Parlement dans les transformations que nous préconisons de mettre en œuvre. N’oublions pas le Parlement, car il a toute sa place !
Sur le modèle de la Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence du département de la défense des États-Unis chargée de la recherche et du développement des nouvelles technologies qui rend des comptes au Sénat américain, nous devons jouer un rôle important dans ces transformations, dans le suivi aussi bien des crédits budgétaires que de la loi de programmation de l’innovation que nous appelons de nos vœux.
Je n’ai pas abordé tous les champs évoqués dans le rapport d’information, mais je souhaitais mettre en valeur le fait que la recherche était aujourd’hui à un carrefour. Nous devons garder notre souveraineté dans ce domaine, notamment dans la recherche de pointe. De nombreux rapports ont été produits, mais celui de notre rapporteure et de notre président va plus loin : son objectif est de permettre à l’innovation d’être au rendez-vous des ambitions de notre beau pays, à l’échelon tant national qu’européen. J’y insiste, car la valeur de l’innovation ne doit pas être galvaudée.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier en préambule la rapporteure et le président de la mission d’information, qui ont accompli tous deux un bon travail et réalisé un excellent rapport, dont mon groupe approuve la plupart des conclusions.
Merci à nos collègues qui ont entrepris cette démarche, nous permettant ainsi de débattre et, je l’espère, d’œuvrer à un sursaut bien nécessaire de la politique d’innovation de notre pays.
Monsieur le ministre, j’espère en effet que le Gouvernement se saisira de ce rapport d’information et mettra en œuvre ses préconisations tant l’enjeu est majeur et tant il est urgent de prendre les décisions qui s’imposent. Ce rapport d’information complète celui qui a été examiné hier soir sur la souveraineté économique et l’indispensable réindustrialisation.
Oui, relancer l’innovation est essentiel pour la souveraineté de la France et pour la capacité de notre pays à maîtriser son destin et son avenir.
Vous l’aurez constaté, monsieur le ministre, le rapport d’information met l’innovation au service de la réindustrialisation. Certes, j’ai bien noté votre satisfaction face à l’amélioration de la position de la France dans le classement global en matière d’innovation, mais l’essentiel des start-up de la French Tech sont dans le secteur des services : s’il n’y a pas à s’en plaindre, il faut relever que la part de l’industrie est extrêmement faible. Nos préconisations, qui sont tournées vers cette cible particulière qu’est la réindustrialisation, sont donc d’autant plus importantes.
Force est de constater que d’énormes retards ont été accumulés et qu’inverser les tendances négatives qui ont prévalu depuis près de trente ans exige un véritable sursaut collectif, une mobilisation générale et des interventions publiques non seulement bien supérieures à ce qu’elles sont actuellement, mais également – Mme la rapporteure a insisté sur ce point – mieux orientées.
Développer l’innovation suppose un terreau fertile. Or celui-ci est terriblement appauvri. Ce terreau, c’est une appétence pour la science, ainsi qu’un haut niveau scientifique et technique de nos concitoyens et de notre jeunesse. Comment ne pas être alarmé par la rapide détérioration de ces facteurs ?
Je suis persuadée qu’au-delà des effets sur notre compétitivité économique et industrielle cette situation concourt à la spirale dépressive qui mine notre pays et notre projet républicain. Cette question mériterait en soi un long débat, mais je n’évoquerai que quelques sujets majeurs expressément abordés dans le rapport d’information.
Le niveau en mathématiques des jeunes Français a chuté au point que nous sommes désormais dans les classements internationaux le dernier pays d’Europe et l’avant-dernier de ceux de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) derrière le Chili. L’affaire n’est pas nouvelle : le rapport Villani-Torossian le disait déjà, mais les dispositions prises en 2018 n’ont pas suffi à redresser la barre.
Sans compter que la réforme du lycée engagée par le désastreux M. Blanquer a abouti à ce qu’à peine plus de 58 % des élèves étudiaient encore les mathématiques en terminale et seulement 14 % en mathématiques expertes, la véritable filière scientifique : un désastre ! Si une heure trente de cours a été ajoutée cette année, nous n’avons aucune visibilité pour l’avenir. Il faut un plan complet et rapidement opérationnel, du primaire à l’université, pour retrouver un haut niveau de formation en mathématiques. C’est urgentissime !
Plus largement, la situation de l’enseignement supérieur est elle aussi alarmante. J’approuve la demande d’une loi de programmation pluriannuelle, à condition – mais je sais que telle n’est pas l’intention du président et de la rapporteure de la mission d’information – qu’elle ne soit pas une tartufferie, comme celle sur la recherche votée sous le précédent gouvernement.
Durant le débat qui a eu lieu lors de l’examen de ce projet de loi dans notre hémicycle, nous étions nombreux à estimer que les montants étaient insuffisants et qu’ils ne permettraient pas d’atteindre 3 % de PIB pour la recherche et 1 % pour la recherche publique.
Nous sommes actuellement tout juste dans la moyenne européenne, bien loin derrière l’Allemagne. C’est pourtant un point majeur pour la compétitivité de la France, sans doute bien plus important que l’obsédante course à la baisse du coût du travail – j’en profite pour dire que ce sont ceux qui défendent la valeur travail qui veulent en baisser le coût, ce qui est pour moi incompréhensible.
Le rapport d’information relatif à la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche de nos collègues Laure Darcos et Stéphane Piednoir montre que l’État ne la respecte pas. La trajectoire d’emplois est nettement inférieure, puisque seuls 376 emplois ont été créés contre les 700 prévus. Sans chercheurs, comment innover ?
Il faut insister sur la situation inacceptable des doctorants. La Fédération des associations générales étudiantes (Fage) vient de publier une étude montrant qu’un quart des doctorants ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins. Cette situation explique pour partie la perte de 10 000 doctorants en France en dix ans. Comment tolérer qu’aujourd’hui des doctorants, notamment ceux qui enseignent, soient payés en dessous du Smic ?
Au sein de la mission d’information, j’ai plaidé pour que nous demandions une révision de la loi de programmation de la recherche.
Au-delà du terreau à revivifier, il est essentiel de mettre en œuvre les propositions du rapport d’information. Le groupe CRCE sera notamment à vos côtés, madame la rapporteure, pour voter les mesures qui le permettront et pour exiger une révision radicale du crédit d’impôt recherche.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je souhaite adresser toutes mes félicitations à Alain Aspect, prix Nobel de physique depuis mardi dernier, nouvelle dont je me réjouis particulièrement, car il est natif de mon département !
M. Roland Lescure, ministre délégué. Nous tenons un sénateur nobélisable !
Nouveaux sourires.
Je remercie la rapporteure et le président de la mission d’information de l’excellent travail qu’ils ont réalisé. Le sujet dont nous débattons aujourd’hui est fondamental. C’est en effet de l’innovation que découlent les nouvelles sources de croissance de notre économie, la bonne santé de nos entreprises, la vitalité de nos territoires et le progrès humain.
Face au caractère inéluctable du changement climatique, il nous est imposé de changer nos modes de production afin de restreindre leurs effets néfastes sur l’environnement et d’atteindre les objectifs bas-carbone à horizon 2050.
Dans une politique visionnaire, nos prédécesseurs nous ont légué le fruit inestimable d’une innovation tout à fait remarquable, une production électrique quasiment décarbonée, nous plaçant de fait parmi les nations les plus avancées du monde en la matière.
La crise sanitaire a agi comme un puissant révélateur de notre manque de capacités d’innovation.
Notre pays a connu une saignée industrielle extrêmement douloureuse à partir des années 1980, dont nous payons toujours les conséquences en termes d’emploi, de cohésion territoriale et de prospérité.
La nécessaire réindustrialisation de notre pays et l’adaptation au climat ne peuvent passer que par un effort puissant en faveur de la recherche et de l’innovation.
Depuis le début des années 2000, la France a su accroître le volume du soutien public à l’innovation, qui est passé de 3, 5 à 8, 7 milliards d’euros par an en quinze ans. Au total, 110 milliards d’euros seront mobilisés de 2010 à 2030.
L’écosystème du soutien à l’innovation a été réaménagé à de nombreuses reprises : création du crédit d’impôt recherche, lancement du premier programme d’investissements d’avenir (PIA) et mise en œuvre des trois suivants, création de Bpifrance en 2012, etc.
La France compte désormais 20 000 start-up et 27 licornes. Une seule est une start-up industrielle. L’innovation bénéficie donc en majeure partie au secteur du numérique.
La mission d’information à laquelle j’ai eu la chance de participer propose plusieurs voies d’action, qui, je le crois, permettront à l’innovation et à la recherche de redevenir le centre de gravité de notre économie.
En la matière, notre vision est trop linéaire. Elle conduit les pouvoirs publics à soutenir l’innovation essentiellement au travers d’appels à projets qui ne permettent ni de construire des feuilles de route industrielle et technologique ni d’avoir une vision de long terme.
Avant toute mesure paramétrique et sectorielle, il convient de résoudre la problématique que représente l’enseignement scientifique dans notre pays. Les besoins de l’économie française en termes de nouveaux ingénieurs sont estimés entre 50 000 et 60 000 chaque année ; or nos écoles n’en forment que 33 000 par an. Ce différentiel contribue à un affaissement de notre compétitivité.
Pour rester une grande puissance innovante et industrielle, il faut dès maintenant s’attaquer à la question de l’enseignement des sciences dans notre pays. Si l’on en croit les statistiques du ministère de l’éducation nationale, « le niveau des élèves de 4e en 2019 en maths est équivalent à celui des élèves de 5e en 1995 ». Il nous faut inverser la tendance. Une hausse des rémunérations des enseignants et des chercheurs ainsi qu’une loi de programmation de l’enseignement supérieur sont indispensables pour relever le niveau de l’enseignement, susciter des vocations d’ingénieurs, de doctorants, de scientifiques, attirer et conserver nos talents.
Le lien entre innovation et industrie est fondamental.
Ainsi, 70 % de la recherche privée en France est réalisée par l’industrie manufacturière. Il est donc essentiel d’orienter l’innovation vers la réindustrialisation en favorisant les partenariats entre centres de recherche publics et privés et en permettant à un nombre accru d’entreprises, notamment les petites, de se saisir des dispositifs de soutien existants.
Il convient également d’organiser des transferts de technologie vers des entreprises françaises produisant sur le sol national.
Dans cet esprit d’encouragement de l’innovation, il est impossible de ne pas évoquer le crédit d’impôt recherche. Je serai cependant bref sur le sujet, car vous l’avez longuement évoqué, madame la rapporteure, et je partage vos propos.
L’impôt sur les sociétés ayant été abaissé substantiellement durant les dernières années, ce dont je me félicite, la situation actuelle offre l’opportunité d’un recalibrage du CIR vers les bénéficiaires en ayant le plus besoin. La mission d’information propose de doubler le plafond du crédit d’impôt innovation pour le porter à 800 000 euros et d’instituer un « coupon recherche-innovation » à destination des PME. Nous le constatons dans nos territoires, nous l’avons constaté dans le cadre de la mission d’information : celles-ci en ont vraiment besoin.
Il faut également lever certaines contraintes administratives que nous nous sommes imposées, année après année, rendant la vie de nos entreprises de plus en plus difficile. Il est anormal qu’un laboratoire de thérapie génique, secteur innovant par excellence, puisse démarrer ses activités dès la demande d’autorisation en Suisse, mais doive attendre près d’une année, voire davantage, en France.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est tout le pays qu’il nous faut remettre en état de marche, à commencer par notre jeunesse, pour lui donner le goût de la découverte et de l’expérimentation scientifique.
Il nous faut accompagner les entreprises innovantes financièrement, mais aussi engager la puissance publique dans un rôle de facilitation de l’innovation. Les leviers à activer sont nombreux : utiliser la commande publique pour favoriser l’innovation, simplifier les procédures administratives, affiner les dispositifs fiscaux existants et faciliter le financement privé de l’innovation.
Notre groupe sera résolument engagé en faveur de cet impératif. J’ai la sincère conviction que la France dispose de tous les atouts nécessaires pour relever ce challenge. Monsieur le ministre, replacer l’innovation industrielle au cœur de l’économie française est un défi qu’il est impératif de relever dans les plus brefs délais.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Gisèle Jourda et Colette Mélot applaudissent également.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, je tiens tout d’abord à saluer le travail réalisé par M. le président Redon-Sarrazy et Mme la rapporteure Paoli-Gagin dans le cadre de la mission d’information « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française ».
Lorsque le groupe Les Indépendants – République et Territoires a pris l’initiative de créer une mission d’information sur ce thème, nous avons été curieux et enthousiastes à l’idée de débusquer des réponses à ce qui pouvait s’apparenter à un paradoxe à la française. Force est de constater que des faits historiques, culturels, politiques, économiques et financiers sont venus enrichir nos interrogations initiales – il n’est qu’à parcourir le rapport d’information !
Nous avons très vite compris que notre pays n’avait pas traîné des pieds lorsqu’il avait fallu investir dans l’innovation et consacrer une politique publique à part entière à ce secteur.
Cette médaille a toutefois son revers : le soutien à l’innovation par l’accroissement des dépenses de recherche et de développement n’encourage pas les entreprises à se spécialiser en France dans des branches d’activité particulières. Ce phénomène amplifie au contraire notre fragilité dans une économie de marché dérégulée, libéralisée, privatisée et compétitive.
L’une des raisons avancées pour expliquer les obstacles à la constitution de grandes industries en France est la difficulté à recruter et à accéder aux compétences. Comme en atteste à juste titre le rapport d’information, le problème est que « l’État a tendance à considérer l’éducation et la recherche comme des coûts, ce qui conduit à un déficit structurel de leur financement ». Ce constat accablant est dressé chaque année par les acteurs du secteur, qui, dans des conditions dégradées, sont dans l’impossibilité de produire un travail suffisamment qualitatif. En outre, ce déficit structurel porte atteinte à des droits fondamentaux comme l’égal accès à l’éducation.
Par conséquent, il conviendrait de renoncer à cette conception mercantile de l’enseignement supérieur et de la recherche et de considérer qu’il s’agit d’un investissement pour l’avenir, afin de former celles et ceux qui intégreront les exécutifs de potentielles futures industries.
Par ailleurs, en Européens convaincus, nous plaidons nous aussi pour une meilleure coordination des politiques d’innovation à l’échelle nationale et européenne, ainsi que le suggère le rapport d’information.
La France doit être plus impliquée dans l’élaboration des orientations stratégiques en matière de recherche et d’innovation. Nos laboratoires doivent avoir voix au chapitre et pouvoir s’inscrire dans une logique de complémentarité, et non de concurrence avec nos voisins européens. Il y a là un enjeu d’efficacité et de souveraineté si nous voulons limiter notre dépendance aux autres grandes puissances, a minima la rendre bien moins asymétrique.
En somme, toutes les recommandations formulées dans le rapport d’information revêtent une grande importance, mais certaines nous paraissent particulièrement saillantes.
Je pense d’abord à l’augmentation du nombre de « sites industriels clés en main » par une meilleure planification de leur utilisation. Ceux-ci permettraient de valoriser les filières en s’appuyant sur les savoir-faire locaux. En outre, des sites industriels existants, inoccupés depuis longtemps, pourraient ainsi être recyclés.
Il faudrait toutefois veiller à mieux répartir ces investissements sur l’ensemble du territoire national – j’y insiste, en tant qu’élue de la ruralité. Le secteur de l’industrie constitue un gisement d’emploi et un facteur d’attractivité non négligeable pour nos régions qui connaissent un déclin démographique.
Je pense ensuite à l’adoption de critères économiques, écologiques, sociaux et de souveraineté pour évaluer l’objectif de promotion du transfert technologique et de l’innovation, qui est fondamentale. Il s’agit de permettre à ce secteur de relever les défis qui s’imposent à la société tout entière.
Je pense enfin à la volonté d’intégrer, au sein des critères de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), la collaboration des grands groupes avec les start-up et les PME innovantes. S’il s’agit là d’un premier pas intéressant qu’il faut expérimenter, il faudra peut-être mettre en œuvre des mesures coercitives, car il est permis de douter de la générosité spontanée de certaines grandes sociétés !
Telles sont certaines des observations que je tenais à formuler au nom de mon groupe. En son nom, j’adresse de nouveau tous nos remerciements à celles et ceux qui ont engagé ces discussions capitales. Madame la rapporteure, vous pouvez compter sur le soutien du groupe du RDSE pour faire avancer vos recommandations.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre travail, auquel j’ai eu le plaisir de participer.
Je me réjouis que soient évoqués à plusieurs reprises tout au long du rapport d’information la situation et le rôle singulier des PME et des ETI face à l’innovation.
Je reviendrai sur quatre points qui ont particulièrement retenu mon attention.
Premièrement, il faut renforcer la culture de l’innovation et de l’entrepreneuriat. L’innovation et l’entrepreneuriat devraient être encouragés dès l’école, les formations à l’entrepreneuriat généralisées dans l’enseignement supérieur. Il faut mettre fin à la culture de la peur de l’échec, de la honte, afin d’encourager la créativité et l’innovation. Relancer l’esprit d’entreprise est crucial, dans un pays qui glisse sur la pente dangereuse de l’assistanat.
Deuxièmement, il faut faire converger le temps administratif et le temps économique. Il faut intégrer le temps de l’entreprise dans les procédures administratives, mettre en place des procédures rapides pour agir et adopter des lois pluriannuelles pour sécuriser l’environnement juridique des entreprises.
En matière de commande publique, il faut former l’acheteur public à l’achat innovant. Par ailleurs, il est indispensable de le sensibiliser au monde de l’entreprise. Nous avons déjà abordé ces sujets hier soir avec vous, monsieur le ministre.
Quand allons-nous, enfin, copier les États-Unis et adopter un Small Business Act européen ? Les PME pourraient ainsi enfin accéder à la commande publique, qui représente des montants considérables. Le triplement du plafond de l’achat innovant irait également dans le bon sens.
Plus généralement, ce qui ressort du rapport d’information, c’est la nécessaire simplification des procédures administratives. Les entreprises ont besoin de pragmatisme, de lisibilité, de simplicité !
En 2010, selon l’OCDE, les charges administratives représentaient 3 % du PIB de la France, soit 60 milliards d’euros. Aujourd’hui, selon une étude de l’iFRAP, le montant de ces charges est compris entre 75 et 87 milliards d’euros. En 2017, dans son rapport d’information relatif aux moyens d’alléger le fardeau administratif des entreprises pour améliorer leur compétitivité, la délégation sénatoriale aux entreprises, alors présidée par Élisabeth Lamure, formulait vingt et une recommandations.
Une simplification ambitieuse des démarches des entreprises favoriserait la création et la croissance des entreprises, et par là même l’innovation !
Troisièmement, il faut réorienter les aides fiscales et financières. On ne peut en effet penser innovation sans mettre en place un environnement fiscal, financier et économique adapté.
Madame le rapporteur, je vous remercie d’avoir souligné l’iniquité du versement du crédit d’impôt recherche, dont 77 % reviennent aux 10 % des entreprises les plus importantes, la plupart des PME étant laissées de côté.
Quatrièmement, j’évoquerai le rôle des acteurs privés. Si la fiscalité et le soutien public ont évidemment leur rôle à jouer, l’investissement privé doit en être le complément.
La posture de nos grandes entreprises vis-à-vis de nos start-up et PME doit évoluer. Les grands groupes n’aident pas nos petites entreprises. L’inscription de ce critère dans la RSE serait une excellente chose, afin que ces grands groupes soient plus que des « grands frères bienveillants ».
Monsieur le ministre, j’insisterai enfin sur le caractère interministériel du sujet. §On ne peut penser innovation et recherche sans intégrer le développement économique. Sans débouchés pour nos chercheurs, pour nos innovations, le risque, comme on l’a malheureusement déjà constaté, c’est la fuite de nos cerveaux et le déclassement de nos entreprises en raison de l’obsolescence technologique.
N’oublions pas que la conquête de nouveaux marchés se fait sur les prestations de rupture, qui sont le résultat de l’innovation.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est-elle en train de décrocher définitivement en matière de recherche et d’innovation ? Ma question est évidemment provocante, mais il faut constater que la situation est inquiétante pour notre pays, qui n’investit pas suffisamment dans sa recherche.
Depuis vingt-cinq ans en effet, le financement de la recherche publique et de la recherche privée stagne autour de 2, 2 % du produit intérieur brut, à tel point que nous avons abandonné à d’autres pays européens le leadership en matière de R&D. Dans ces conditions, nos gains économiques sont nettement plus faibles que ceux de nos voisins ayant fait de la recherche et de l’innovation un enjeu majeur de dynamisme industriel.
La loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (LPR), dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure, était censée tenir la promesse d’un réinvestissement massif dans la recherche publique, l’objectif étant de parvenir à un effort national de recherche équivalent à 3 % du PIB.
Cette loi prévoyait également de renforcer l’attractivité des métiers scientifiques, de consolider les dispositifs d’évaluation, d’organisation et de financement de la recherche et de faciliter la diffusion de la recherche dans l’économie et la société.
Lors de l’examen de ce texte, j’avais affiché un optimisme très relatif tant la trajectoire budgétaire me semblait peu crédible et surtout peu efficace au regard de l’importance de l’écart de compétitivité à combler entre notre pays et les pays européens les plus avancés en matière de recherche et d’innovation. C’est d’ailleurs sur l’initiative du Sénat que l’intensité de l’effort budgétaire a été renforcée sur les premières années de la programmation.
J’avais en outre émis des doutes sur la capacité de cette loi à fixer un cadre réellement motivant pour nos chercheurs et enseignants-chercheurs, susceptible de favoriser leurs activités de recherche en France et non à l’étranger. L’absence de vision sur ce que doit être la politique publique de recherche à moyen et long termes y est sans doute pour beaucoup…
La commission de la culture du Sénat a récemment rendu public son rapport d’information sur la mise en œuvre de la LPR. Le bilan que nous avons dressé démontre que ce texte était nécessaire, mais que son application sur le terrain reste perfectible.
Si cette loi de programmation a permis un bon début de réinvestissement public dans la recherche, sa durée – dix ans – et l’intensité de l’effort budgétaire doivent néanmoins être reconsidérées, d’autant que cet effort est aujourd’hui très largement absorbé par l’inflation.
La mission d’information sur l’excellence de la recherche et de l’innovation, dont nous rendons compte des travaux aujourd’hui – je salue la qualité de ses auditions et de ses déplacements – juge pour sa part nécessaire de considérer la recherche comme un investissement de long terme dans l’innovation.
Trop longtemps, hélas, l’investissement public dans la recherche a été perçu comme un coût et celle-ci a, de ce fait, régulièrement fait fonction de variable d’ajustement pour réduire le déficit budgétaire de l’État. Or, tout démontre à quel point cette vision est néfaste pour la France.
Nous en avons la conviction : la recherche fondamentale se situe au cœur de l’innovation et doit bénéficier d’un puissant soutien financier sur le long terme.
Par ailleurs, la politique de rémunération des chercheurs doit être plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui si nous voulons retenir nos meilleurs chercheurs et attirer les talents étrangers à fort potentiel.
Le cas d’Emmanuelle Charpentier, jeune prix Nobel de chimie, partie mener ses recherches pionnières et majeures hors de France, n’est pas anecdotique : quand un chercheur de ce niveau fait le choix de poursuivre ses recherches à l’étranger, il emporte avec lui son aura, ses financements et ses compétences. En outre, il ne fera pas bénéficier de jeunes chercheurs français de l’étendue de ses connaissances.
Je suis pour ma part assez optimiste pour l’avenir, même s’il nous faudra persister dans notre effort budgétaire.
En effet, le réinvestissement dans la recherche est en marche. L’Agence nationale de la recherche a connu une année 2021 exceptionnelle, les financements alloués aux équipes de recherche et aux établissements ayant connu d’une augmentation très significative. Grâce à la LPR, l’Agence a vu son rôle renforcé dans l’écosystème de la recherche et de l’innovation et ses missions ont été confortées.
Les budgets en croissance offrent de nouvelles perspectives d’accompagnement des communautés scientifiques. Les premiers résultats sont là : le taux de succès aux appels à projets génériques atteint désormais plus de 23 % et le taux de préciput est passé de 19 % en 2020 à 25 % en 2021. En outre, le soutien à la recherche partenariale a été considérablement renforcé. Nous savons qu’il s’agit d’un puissant levier en faveur de l’innovation.
En conclusion, j’évoquerai trois enjeux majeurs auxquels nous devrons apporter une réponse singulière et courageuse.
Il nous faudra tout d’abord procéder à une clarification du paysage français de la recherche. Celui-ci est en effet constitué d’une pluralité d’acteurs – organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur, agences de financement, unités mixtes de recherche –, dont les missions ne sont pas forcément bien réparties et les relations pas toujours fluides.
Il nous faudra ensuite donner un cap à la recherche française. La programmation budgétaire de la LPR n’a pas été accompagnée d’une programmation stratégique et c’est incontestablement l’une des raisons pour lesquelles la communauté scientifique a modérément adhéré à la réforme promue par le Gouvernement.
Il nous faudra enfin favoriser une meilleure articulation entre recherche publique et secteur privé, et ce dès l’amorce des projets de recherche, car il n’y a pas d’innovation sans recherche fondamentale.
Si nous sommes capables de répondre à ces trois enjeux, la France redeviendra un grand pays innovant dans tous les secteurs d’avenir – systèmes numérisés, nanotechnologies, nouvelles énergies, biologie, santé – et nous pourrons ainsi renouer avec notre brillant destin collectif, ce que nous appelons tous de nos vœux.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui n’a rien de nouveau, et c’est là tout le drame. Voilà plusieurs décennies que la France s’est engagée sur la voie de la désindustrialisation. Nous avons laissé partir nos usines, ne gardant ici que les centres de décision. C’était le rêve de la mondialisation heureuse !
Résultat : nous n’avons plus guère d’usines, nous exportons nos cerveaux et nous importons les produits que ces mêmes cerveaux, formés sur deniers publics, fabriquent à l’étranger. Nous sommes perdants sur toute la chaîne de valeur.
Ce qui est heureux toutefois, c’est que nous en sommes désormais conscients. Il aura fallu plusieurs crises, singulièrement la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, pour nous en rendre compte : nous avons perdu notre souveraineté industrielle.
L’objectif fait maintenant consensus : il faut réindustrialiser le pays. C’est bon pour nos importations, bon pour nos emplois, bon pour la transition énergétique, bon pour la cohésion sociale. La bataille théorique a été gagnée. Nous devons désormais passer à la pratique.
Or, en la matière, les choses se compliquent : d’abord parce qu’il faut analyser précisément les causes de notre déclin industriel, ensuite, parce qu’il faut identifier des remèdes pour guérir le mal – et c’est souvent là que le bât blesse.
C’est pourquoi je me réjouis que le groupe Les Indépendants – République et Territoires, auquel j’appartiens, ait créé cette mission d’information, qui visait précisément à identifier les principaux blocages empêchant notre pays de convertir ses innovations scientifiques en innovations industrielles.
Je tiens à saluer l’engagement de Vanina Paoli-Gagin, qui est à l’origine de cette initiative et qui a accompli un travail de fond pour auditionner de très nombreux acteurs et proposer des solutions opérationnelles et concrètes pour relever cet immense défi. Ce travail a porté ses fruits : toutes les recommandations ont été adoptées à l’unanimité. C’est dire s’il y a consensus sur le sujet.
Je ne reviendrai pas en détail sur chacune d’elles. Le rapporteur a déjà rappelé les principales mesures, notamment fiscales, pour transformer l’essai de l’innovation. Je me contenterai de tirer deux leçons du rapport d’information.
La première leçon concerne la relation entre science et entreprise.
Transformer l’essai de l’innovation, c’est traduire les avancées scientifiques en solutions opérationnelles, c’est faire le lien entre la recherche fondamentale et les projets industriels, entre le monde académique et le monde de l’entreprise.
À cet égard, notre université recèle encore de très puissants éléments de conservatisme. Il n’est pas rare d’y croiser des enseignants et des chercheurs qui soutiennent mordicus que la recherche, pour rester pure, ne doit surtout pas trouver d’application concrète, que tout transfert de propriété intellectuelle ou tout brevet déposé avec une entreprise est une compromission terrible avec le Grand Capital. Ces réflexes corporatistes découragent encore trop souvent les vocations de ceux qui veulent valoriser autrement leurs savoirs.
Et pour cause : une incursion dans le monde de l’entreprise est parfois perçue par les chercheurs comme un égarement de carrière, qui peut pénaliser l’avancement au sein de l’université. Il faut donc repenser le modèle académique pour permettre de mieux appréhender ces trajectoires, qui sont enrichissantes, à la fois pour nos chercheurs et pour nos universités.
J’espère que la récente attribution du prix Nobel de physique à Alain Aspect, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris-Saclay, professeur à Polytechnique, mais aussi grand entrepreneur, puisse les convaincre que l’on peut à la fois entreprendre et réussir une carrière académique…
La seconde leçon que je tire du rapport d’information, c’est l’absolue nécessité de simplifier notre bureaucratie.
Nos entrepreneurs, mais aussi nos universités, nos chercheurs, nos laboratoires, tout l’écosystème l’affirme sans ambages : la France est un Absurdistan, où le formulaire est la norme et l’administration l’arbitre de tout. Nous avons laissé se développer tout un ensemble de règles qui nous étouffent.
Le rapport d’information l’illustre par un exemple éloquent : pour démarrer l’activité d’un laboratoire de thérapie génique, il faut attendre près de dix mois en France. En Suisse, on part du principe que tout est en règle et l’entreprise peut commencer à produire cependant que le dossier est instruit en bonne et due forme.
Voilà ce que nous devons faire en France : miser sur la confiance et remettre l’administration au service des usagers. C’est non pas aux Français, notamment aux entrepreneurs, qui prennent des risques pour faire bouger les choses, de s’adapter à l’administration, mais bien à l’administration de s’adapter à eux. Il est aberrant de financer par nos impôts des délais qui font perdre de l’argent à la collectivité.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place des instruments très efficaces, notamment parce qu’ils étaient immédiatement opérationnels. Bien sûr, il y a eu des erreurs et parfois des abus, mais y en a-t-il plus lorsque la défiance prévaut au sein de l’administration ? À mon avis, non, évidemment.
J’espère que nous saurons capitaliser sur ces réussites récentes pour stimuler l’innovation et réindustrialiser le pays.
Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au préalable, je souhaite vous remercier de ce débat très enthousiasmant et stimulant – le débat d’hier soir sur la souveraineté économique était plutôt long et autrement plus déprimant. Ces débats sont en quelque sorte les deux faces de la même médaille : nous regardons tous vers l’avant, industrie et innovation vont de pair pour que la France se développe. Je pense qu’ici tout le monde partage ce point de vue.
Depuis cinq ans, notre politique se fonde sur une triple accélération : celle, d’abord, de la recherche et développement, laquelle, je le reconnais, est plus ancienne que le quinquennat qui vient de s’achever, celle, ensuite, du transfert de la recherche vers l’industrie, celle, enfin, de l’innovation industrielle, qui est, je pense, une nouveauté. Mme Lienemann l’a rappelé : les trois composantes de cette accélération sont essentielles et sont le gage d’une véritable culture de la réindustrialisation.
Du « mythe funeste » du fabless – cette France « sans usine » que vous avez à raison dénoncée, madame Schillinger –, nous sommes bel et bien revenus ! Pourquoi ? Parce que nous savons tous que l’industrie, c’est l’innovation. Un pays qui se désindustrialise, c’est un pays moins innovant, et un pays moins innovant, c’est moins de croissance.
Le tandem innovation-industrie nous permet de réaliser l’indispensable transition écologique, voire d’accélérer en la matière, car nous avons déjà pris ce virage. Il nous permet aussi de redynamiser nos territoires et de créer partout des emplois pour tous les niveaux de qualification. Ce tandem nous permettra également de rester une grande nation sur tous les plans et dans tous les territoires.
La dimension territoriale de notre politique industrielle est essentielle – Mme la sénatrice Pantel a bien insisté sur ce point –, car, là où l’industrie recule, l’extrémisme et la colère progressent.
Si nous réindustrialisons de nouveau les territoires, je suis convaincu que l’extrémisme et la colère reculeront.
Rendons à Nicolas Sarkozy ce qui lui appartient : le réveil national en matière d’innovation date de 2010…
M. Roland Lescure, ministre délégué. … avec la mise en place des programmes d’investissements d’avenir, à la suite des travaux de la commission Juppé-Rocard – le dialogue était déjà transpartisan à l’époque !
Sourires.
En revanche, reconnaissons que c’est à notre gouvernement que nous devons le grand retour de la politique industrielle française
Sourires.
L’innovation et la technologie sont essentielles pour notre industrie, M. Malhuret l’a souligné.
Les efforts que nous avons réalisés en matière de financement des start-up sont payants : après avoir démontré leur résilience durant la crise sanitaire, les start-up tricolores ont levé, au cours des six premiers mois de l’année, 8 milliards d’euros, soit dix fois plus qu’en 2017.
Nous avons plus de 25 licornes en France – soyons-en fiers. Les champions sont en train d’émerger, de préférence en Europe, madame Jourda, vous avez raison de souligner ce point. À cet effet, le Président de la République a lancé en 2021 l’initiative Scale up Europe, qui vise à trouver des fonds à l’échelle de l’Union européenne afin de financer les start-up européennes.
Mme Lienemann a indiqué que l’on manquait de start-up industrielles, mais on en dénombre tout de même 1 500 aujourd’hui ! Certes, c’est encore insuffisant en comparaison des 20 000 start-up que compte notre pays, d’autant qu’une grande partie de celles-ci exercent leur activité dans le secteur des services. Cependant, n’oublions pas que le développement industriel prend du temps : il faut treize ans pour créer une véritable entreprise de biotech et dix ans pour créer une entreprise de technologie profonde, appelée aussi deep tech.
Le développement des projets industriels issus de la R&D s’inscrit dans le temps long, mais nous commençons à récolter certains fruits, ce qui va dans le bon sens. Ainsi, une première génération de sites industriels portés par des start-up est en train d’émerger. J’ai eu l’occasion de voir les robots fabriqués par la remarquable start-up Exotec, bien implantée dans le Nord, et utilisés dans les locaux d’une autre entreprise exceptionnelle Lacroix Electronics, située dans le Maine-et-Loire. Ces robots made in France révolutionnent la logistique partout dans le monde.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons encore accélérer grâce au déploiement de la stratégie « Start-ups industrielles et deep tech », annoncée au mois de janvier dernier. Nous nous sommes fixé l’objectif d’atteindre cent projets d’industrialisation par an et souhaitons que les start-up s’implantent partout dans le territoire. À cet effet, nous déployons plus de 2 milliards d’euros et nous renforçons notre accompagnement. Le plan d’investissement « France 2030 » amplifiera encore cette dynamique, puisque 50 % de ses financements seront à destination de PME innovantes – j’espère que M. Babary s’en réjouira.
Madame le rapporteur, nous partageons votre souhait de sanctuariser les financements et de donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs : nous lui donnerons corps avec le plan « France 2030 ».
Mme Darcos nous a reproché de ne pas avoir de cap en matière de recherche. Nous en avons un, qui est bien fixé : le plan « France 2030 ». C’est dans cette direction que nous devons aller.
Je conclurai sur notre point de désaccord : le crédit d’impôt recherche.
Mme Gisèle Jourda et M. Jean-Pierre Moga s ’ exclament.
J’entends ce que vous dites : on peut sans doute faire mieux ! Le Gouvernement, pour être franc, est prêt à examiner en détail la manière dont on pourrait optimiser ce crédit. Pour autant, de grâce, comme la Constitution, ne le touchons que d’une main tremblante ! Il est aujourd’hui extrêmement bien identifié par les investisseurs internationaux…
Mme Sophie Primas s ’ exclame.
Ce crédit d’impôt recherche permet aujourd’hui aux ingénieurs français de faire jeu égal avec les ingénieurs du monde entier.
Nombre d’entrepreneurs français qui réussissent en Amérique du Nord – je le sais, puisque, jusqu’à récemment, j’étais député des Français établis aux États-Unis et au Canada – viennent désormais installer leurs laboratoires de recherche en Europe, notamment en France grâce au crédit d’impôt recherche.
Alors, soyons prudents ! Vous avez mentionné l’abaissement du plafond du CIR à 100 millions d’euros de dépenses de R&D, mesure qui rapporterait à l’État 700 millions d’euros, mais qui diminuerait les dépenses au-delà de ce seuil de 1, 8 milliard d’euros. Nous avons besoin d’étudier en détail les effets de vos propositions – nous sommes prêts à vous aider dans ce chantier – avant de les inscrire dans la loi. Le CIR fait aujourd’hui partie de l’image de marque de la France dans le monde entier ; je le répète, n’y touchons que d’une main tremblante.
L’autre grand chantier devant nous est celui de la commande publique. Beaucoup l’ont souligné : celle-ci doit devenir un véritable levier d’innovation, d’industrialisation et d’achats français. J’ai eu l’occasion d’en parler hier soir lors du débat sur la souveraineté économique – tout se recoupe, en somme
Sourires.
Nous devons sécuriser nos acheteurs, notamment dans les collectivités territoriales, de manière qu’ils comprennent que l’on peut acheter des produits durables, issus des circuits courts, innovants et français, sans passer sous les fourches caudines du code de la commande publique.
Pour le dire de façon extrêmement claire : la protection, oui, le protectionnisme, non. Notre industrie doit avoir des fondements solides, mais elle doit également être en mesure de gagner des parts de marché. Nous devons attirer des capitaux en France, construire des entreprises qui seront capables de s’exporter et de conquérir le monde. Je suis intimement convaincu que nous sommes capables d’y parvenir et, mesdames, messieurs les sénateurs, que votre rapport d’information nous y aidera.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas la vision du seul ministre délégué chargé de l’industrie que je viens de vous exposer. La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Mme Sylvie Retailleau, ancienne présidente de l’université Paris-Saclay, dont est issu notre récent prix Nobel de physique, avec laquelle j’ai eu une longue conversation, partage cette volonté d’avoir une recherche et innovation de rang mondial, fortement connectée avec le monde de l’entreprise.
Nous travaillerons de concert à cet objectif, je vous le garantis.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et Les Républicains. – Mme Gisèle Jourda applaudit également.
Pour conclure ce débat, la parole est à M. le président de la mission d’information.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de conclure ce débat, je soulignerai que cette mission d’information s’est penchée sur une question qui nous préoccupe tous, peu importe notre couleur politique : comment et à quelles conditions l’innovation peut-elle nous aider à reconquérir notre souveraineté industrielle, à créer et maintenir des emplois pérennes dans nos territoires ?
Cet après-midi, le CIR a été au cœur des débats. Faut-il maintenir une rente de situation que nous avons dénoncée et qui fait l’objet de critiques régulières dans de nombreuses études économiques ?
Je rappelle que les modifications que nous proposons ne font que corriger à la marge certains abus, sans porter atteinte au cœur du dispositif. Le crédit d’impôt recherche français restera d’ailleurs le dispositif fiscal le plus généreux parmi l’ensemble des pays de l’OCDE pour favoriser la R&D. Il sera même encore plus généreux, puisque l’actuel taux de 30 % sera augmenté à due concurrence des économies réalisées, en supprimant le taux de 5 % au-delà des 100 millions d’euros de dépenses de R&D et en calculant le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes qui pratiquent l’intégration fiscale. En outre, le CIR sera plus efficace, puisqu’il bénéficiera davantage aux PME et aux ETI, c’est-à-dire aux entreprises pour lesquelles le levier qu’il représente pour favoriser les dépenses de R&D est le plus important.
Quant à l’argument de stabilité fiscale qui a été évoqué, il ne tient pas davantage selon moi. Comme Mme le rapporteur l’a souligné et comme certains collègues l’ont rappelé, le contexte fiscal des entreprises a changé. En outre, le dispositif du CIR n’a pas évolué depuis quatorze ans. Le temps d’une évolution est donc venu, d’autant que les études économétriques démontrent qu’une révision même marginale du CIR s’impose pour garantir l’efficacité de la dépense publique.
Mes chers collègues, à l’heure où le Parlement est souvent critiqué pour son impuissance, j’espère que nous vous avons convaincus de cosigner et de voter les amendements transpartisans que nous vous proposerons, Vanina Paoli-Gagin et moi-même, au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, afin de renforcer la compétitivité de nos PME et ETI par l’innovation.
Au-delà du CIR, je souhaite insister sur une autre mesure qui nous paraît importante pour promouvoir l’innovation dans les PME qui ne font pas encore appel aux dispositifs d’aide à la R&D. À l’instar de ce qui se fait en Belgique, nous proposons d’instituer un « coupon recherche-innovation » de 30 000 euros à destination des PME, dans la limite d’une enveloppe globale de 120 millions d’euros. Ce dispositif permettrait d’élargir le vivier des bénéficiaires des aides à l’innovation à des PME, lesquelles sont souvent rebutées par la bureaucratie associée au dispositif de soutien à l’innovation.
Dans nos circonscriptions, nous avons tous entendu des chefs d’entreprise se plaindre qu’ils n’avaient ni le temps ni les ressources humaines pour remplir les dossiers d’appels à projets. Par ailleurs, au cours de nos auditions, nous avons constaté que c’étaient souvent les mêmes entreprises qui bénéficiaient des aides publiques d’une année sur l’autre, notamment parce qu’elles pouvaient s’appuyer sur des services juridiques disposant d’une expertise pour remplir ce type de dossiers.
Nous avons également été choqués d’entendre que 15 % du montant des appels à projets servirait en réalité à rémunérer des cabinets de conseil chargés de monter les dossiers !
Le « coupon recherche-innovation » vise donc à rétablir une certaine égalité devant les aides publiques en permettant aux PME de se lancer dans un processus d’innovation indispensable pour leur compétitivité future, donc pour leur pérennité, tout en veillant à ce que le dispositif ne soit pas trop complexe, afin de simplifier sa mise en œuvre.
Tout ne doit toutefois pas venir du Parlement : le Gouvernement a également son rôle à jouer pour soutenir la réindustrialisation de notre pays par l’innovation.
D’une part, le Gouvernement doit mobiliser la commande publique au service des entreprises industrielles innovantes. Les chefs d’entreprise attendent moins des subventions que des opportunités pour faire croître leur chiffre d’affaires. Or la commande publique représente chaque année 111 milliards d’euros…
Il existe une idée fausse, malheureusement très répandue, selon laquelle les règles communautaires seraient à l’origine de notre incapacité à utiliser la commande publique pour soutenir nos entreprises. En réalité, nous nous mettons nous-mêmes des bâtons dans les roues à cause d’une conception rigide et peureuse des règles des marchés publics.
D’autre part, le Gouvernement doit renforcer toutes les initiatives de facilitation des démarches administratives et de raccourcissement des délais, afin d’aligner le temps administratif sur le temps économique.
En conclusion, si les défis sont grands, je suis, comme Mme le rapporteur, optimiste, car la France dispose des atouts nécessaires pour faire partie des grandes nations innovantes. Le débat d’aujourd’hui a montré une réelle prise de conscience, de la part aussi bien du Parlement que du Gouvernement.
Désormais, il nous faut agir collectivement pour améliorer l’efficacité des dépenses publiques consacrées à l’innovation et, surtout, pour les mettre au service de la réindustrialisation de nos territoires – de tous nos territoires.
Je tiens à remercier particulièrement Mme le rapporteur, à l’initiative de ce débat avec son groupe, dont je salue l’engagement et l’expertise sur ce sujet – nous avons pu le mesurer tout au long des auditions. Je ne doute pas qu’elle continuera de mener ce combat. Nous serons à ses côtés, comme nous l’avons été au cours des quelques mois de travail de la mission d’information.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.
Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Transformer l ’ essai de l ’ innovation : un impératif pour réindustrialiser la France.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinquante-trois.
L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe auteur de la demande.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a exacerbé les faiblesses de l’hôpital public, où le manque de lits ne constitue que la partie émergée de l’iceberg.
Nous en avons parlé longuement lors de notre débat mardi : les difficultés éprouvées par le secteur sanitaire, au plus fort de la crise, pour répondre à la demande de soins, témoignent de la défaillance plus large à laquelle fait face, comme dans tant d’autres pays voisins, notre système de santé.
La Nation a pu, à cette occasion, témoigner sa reconnaissance au personnel soignant et hospitalier, en première ligne face à la covid-19. Les personnels des établissements médico-sociaux se sont également mobilisés pour maintenir la continuité du lien et des accompagnements, que la situation menaçait de mettre gravement en péril. Ils ont été centraux pour tout notre système de soins – sanitaires et sociaux – si cher à nos valeurs et à notre histoire.
La crise sanitaire a suscité dans l’urgence des solidarités nouvelles et a encouragé la mise en œuvre de prises en charge innovantes. C’est dans les crises que nous sommes le plus créatifs, que les barrières s’abaissent et que les collaborations se lient. Une fois encore, la pandémie nous a démontré la véracité de cette idée. Au moment où il nous faut tirer les enseignements de la crise sanitaire et repenser l’organisation des soins pour la rendre plus efficace, le groupe RDPI a jugé pertinent que nous nous interrogions sur la place que pourraient occuper les acteurs du médico-social dans la nouvelle organisation des soins de demain.
Trop souvent, un regard inquiet se porte sur l’hôpital et sur la médecine de ville, considérés comme uniques garants de la continuité des soins. Ceux-ci sont essentiels, c’est certain, et notre groupe saura, dans les mois prochains, défendre avec vigueur leur rôle. Mais ils ne sont pas les seuls pour résoudre le problème grandissant des zones sous-dotées ; ils ne sont pas les uniques relais pour assurer la prévention. Le secteur du médico-social et tous les professionnels qu’il comprend sont au cœur de notre politique du soin dans toute sa pluralité et sa complexité.
Ses acteurs interviennent dans des domaines variés, tels que celui de l’enfance, du plus grand âge, du handicap, de la protection maternelle et infantile, auprès de personnes en grande difficulté sociale et de santé, ou encore dans le cadre de la protection des majeurs. Il joue un rôle déterminant dans notre société. Un rôle économique, d’abord, en libérant du temps pour les aidants salariés ou en prévenant la désinsertion professionnelle des personnels fragilisés par le handicap ou la maladie. Il assume aussi un rôle social de maintien du lien de solidarité, dont la nécessité a été exacerbée durant la crise.
Alors que les attentes vis-à-vis de ces personnels sont fortes, et que ceux-ci doivent assurer la prise en charge de la précarité, ils se sentent parfois eux-mêmes précaires. Aussi, comme l’hôpital, le secteur médico-social est-il en proie à des difficultés de recrutement.
Je tiens ici à souligner l’effort consenti par le Gouvernement pour un million de professionnels de ces secteurs dont les rémunérations ont été revalorisées, qu’il s’agisse des professions médicales, des professions du soin ou, pour certains secteurs, comme celui du grand âge, des professions de l’accompagnement. Cette reconnaissance, accordée dans le cadre du Ségur de la santé, a été élargie également aux professionnels du secteur socio-éducatif dans tous les établissements et services du handicap, de la protection de l’enfance, de l’insertion ou encore de l’hébergement.
S’adressant à un public de personnes par définition vulnérables et dépendantes, les acteurs du médico-social occupent une position stratégique dans l’organisation du soin et sont susceptibles d’intervenir à des étapes clés de la prise en charge médicale d’éventuels patients.
Face au vieillissement de la population et à l’accroissement du nombre de personnes âgées de plus en plus dépendantes, garantir à celles-ci une prise en charge adaptée à leur état, selon leur degré d’autonomie, permettrait de libérer du temps médical. Il s’agit de favoriser le maintien à domicile des personnes légèrement dépendantes, grâce au renforcement de l’aide à domicile et au financement de l’adaptation des logements.
Dans nos territoires, où nous manquons parfois de structures dédiées, comme mon collègue Dominique Théophile le rappellera, les professionnels du secteur médico-social peuvent aussi être des relais à domicile, pour que, en France, vieillir soit vécu non pas comme une fin, mais comme l’ouverture d’un nouveau chapitre.
Dans le même temps, pour accueillir des personnels de plus en plus dépendants, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) doivent être démédicalisés. Garantir une prise en charge adaptée à nos aînés, c’est permettre de mieux vieillir, et c’est encore du temps médical qu’on libère.
Je pense aussi à nos enfants, dont les problématiques de santé mentale se font de plus en plus inquiétantes. Les éducateurs spécialisés connaissent les jeunes, ils pourront être des garants d’un diagnostic précoce et ils sont utilement formés à ces enjeux. Je pense encore à nos concitoyens en situation de handicap, dont l’inclusion dépend aussi de la place donnée aux professionnels du médico-social dans toutes nos structures, qu’il s’agisse d’éducation ou d’emploi.
Aussi nous faut-il imaginer de nouvelles formes d’organisation des soins afin d’être, demain, en mesure de proposer, dans les territoires, une offre de soins adaptée aux besoins qui sont exprimés.
Organiser les soins de demain en collaboration avec les acteurs de nos territoires, c’est donner à chacun toute sa place. C’est laisser la possibilité aux élus locaux de trouver des solutions aux enjeux de terrain qu’ils connaissent si bien. C’est donner aux nouvelles générations de professionnels des possibilités novatrices pour collaborer vers un vivre ensemble inclusif et protecteur.
Mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd’hui est vaste, mais il existe toujours, dans les questions d’ampleur, des solutions concrètes et, dans les grands débats, de petites victoires.
Madame la ministre, je sais votre attachement à la question de l’organisation des soins et votre souhait d’assurer que notre modèle de soin et d’accompagnement, cher à notre culture française, perdure pour tous nos concitoyens. Je vous remercie d’être présente aujourd’hui parmi nous pour échanger avec nous. J’espère que chacun pourra contribuer à une vision nouvelle, enrichie par nos expériences variées, qui sera force de propositions pour l’avenir.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de votre assemblée.
Je profite de la tenue de ce débat pour saluer les quelque 11 millions de nos concitoyens engagés qui viennent en aide chaque jour aux personnes en perte d’autonomie dans notre pays. Le 6 octobre est, comme vous le savez, la journée nationale des aidants. Ceux-ci ont tout notre respect et méritent une attention constante.
Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? Je veux vous redire le plaisir qui est le mien d’intervenir devant vous sur ce sujet, qui soulève des enjeux cruciaux pour l’avenir de notre système de santé, tant en matière d’égalité d’accès à la santé sur le territoire que d’attractivité des métiers du médico-social.
Avant de parler de demain, ce débat mérite un mot sur hier, avec un constat : la crise sanitaire, qui a été une épreuve collective, a notamment montré combien notre système de soins a besoin de dépasser l’hospitalo-centrisme pour aller vers des coopérations territoriales entre acteurs du soin et du médico-social. Le Gouvernement tire toutes les leçons de ce constat. C’est pourquoi le sujet de l’organisation territoriale des soins est au cœur de mon ministère, en lien avec mes collègues François Braun, Jean-Christophe Combe et Geneviève Darrieussecq.
Au moment où le Parlement s’apprête à examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale, voici les chiffres. En 2023, l’objectif global de dépenses augmenterait respectivement de 5, 1 % et de 5, 2 % pour la prise en charge des personnes âgées et des personnes vivant avec un handicap, pour atteindre 30 milliards d’euros. Près de 1, 5 milliard d’euros supplémentaires seront ainsi consacrés au secteur médico-social l’année prochaine. C’est un signe fort de notre engagement dans ce domaine.
En particulier, le sujet du bien vieillir constituera un axe central de notre action gouvernementale. Il s’agit notamment d’assurer le « virage domiciliaire », en permettant à nos concitoyens de disposer de solutions de maintien à domicile ou de prise en charge dans des structures adaptées à la diversité de leurs situations. Cet objectif est au centre de notre stratégie de prévention de la perte d’autonomie et de la lutte contre la dépendance.
Ces sujets seront d’ailleurs au cœur du travail du Conseil national de la refondation (CNR), récemment installé par le Président de la République, et pour lequel les secteurs de la santé et des solidarités feront l’objet de déclinaisons thématiques particulières, afin d’organiser une large concertation avec l’ensemble des acteurs pour faire émerger des solutions concrètes, pragmatiques et adaptées aux besoins des territoires.
La crise a agi comme un révélateur de nos faiblesses, mais aussi comme un formidable catalyseur en matière d’innovation technologique et organisationnelle. Partout sur le territoire, des organisations nouvelles ont été déployées, des freins historiques ont été levés et des solutions locales ont été trouvées, en matière d’aller vers, d’accompagnement et de prise en charge. C’est cet état d’esprit que nous souhaitons conserver et promouvoir dans le cadre de ce CNR, pour construire la santé de demain avec l’ensemble des parties prenantes, locales et nationales, dans une logique de confiance, de coopération et de subsidiarité.
Pour revenir au cœur même du débat, je voudrais rappeler que le secteur médico-social a d’ores et déjà une place essentielle dans l’organisation actuelle des soins. Je suis convaincue que, dans un avenir proche, la coopération renforcée entre le sanitaire et le médico-social constituera un enjeu clé et pourra apporter des solutions concrètes aux besoins exprimés par nos concitoyens. Il nous faut donc réinventer la place des acteurs du secteur médico-social dans l’organisation territoriale du soin, au sens du care, avec des enjeux de sensibilisation, de formation, de coordination, d’accompagnement des professionnels de santé et de prévention, en ce qui concerne notamment l’autonomie.
Réinventer la place des acteurs du secteur du médico-social dans l’organisation territoriale des soins, c’est aussi, bien entendu, parler de l’avenir des métiers de ce secteur, qui est aujourd’hui le quatrième pourvoyeur d’emplois dans notre pays, et qui s’est fortement mobilisé pendant la crise sanitaire.
À ce titre, je tiens une nouvelle fois à saluer l’engagement de l’ensemble des personnels du secteur qui, partout sur le territoire, se sont mobilisés sans relâche pour combattre l’épidémie. Je remercie de même tous ceux qui ont accompagné nos personnes âgées pendant la canicule cet été.
Ces métiers essentiels de l’accompagnement et de la prise en charge du médico-social souffrent, comme tous les métiers du soin, de profondes difficultés. Je tiens à rappeler l’importance des efforts financiers réalisés en 2022 en faveur de l’attractivité des métiers de l’autonomie, sous l’effet notamment de l’extension des mesures de revalorisation salariale du Ségur de la santé au personnel des établissements accueillant des personnes en situation de handicap, avec les accords Laforcade, ainsi que des revalorisations issues de la conférence des métiers de l’accompagnement social et du médico-social, qui ont représenté un effort de 3, 2 milliards d’euros pour la branche autonomie.
Néanmoins, les tensions qui subsistent sur les métiers de l’accompagnement ne se résument pas aux enjeux, légitimes, de rémunération. Il nous faut aller toujours plus loin pour renforcer l’attractivité de ces métiers, améliorer les conditions de travail, accompagner la construction de parcours et de carrières ou encore rénover la formation. C’est aussi l’objet de notre débat ce jour.
Aussi l’action du Gouvernement en faveur de l’attractivité des métiers de l’autonomie est-elle guidée par deux grands principes, qui nous permettront de préparer cet avenir. D’abord, simplifier et fluidifier, parce qu’il faut faciliter les démarches à celles et ceux qui veulent s’engager dans ces filières. Puis, reconnaître et valoriser, parce que ces métiers doivent pouvoir susciter des vocations et trouver leur juste place au sein de notre société.
Ces principes sont traduits par des mesures concrètes dans le PLFSS. Je pense à l’instauration de deux heures hebdomadaires consacrées au lien social auprès de nos aînés, à la transformation des Ehpad, à la création de nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), ou encore aux mesures en faveur de l’amélioration de l’accès à la santé.
Mais je voudrais surtout mettre en avant le changement de méthode pour appréhender au mieux les changements de demain. Nous souhaitons poursuivre cet effort, à travers le CNR et l’ensemble de notre action.
Dans ce but, j’ai notamment engagé des discussions avec les fédérations représentatives du secteur, dans le cadre d’une réflexion plus globale intégrant les problématiques de formation initiale et continue en santé. Cette méthode, notre méthode, repose sur l’ouverture, le dialogue et la concertation.
En effet, les réponses doivent être issues des territoires et coconstruites avec l’ensemble des acteurs concernés : les parlementaires que vous êtes, les collectivités locales, les associations, les entreprises, les professionnels de santé, mais aussi les personnes accompagnées. Tous doivent être impliqués dans l’élaboration des politiques publiques de demain.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Colette Mélot applaudit également.
Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente, ainsi que d’une minute pour répondre à une éventuelle réplique ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Dominique Théophile.
Le 6 octobre est en France la journée nationale des aidants. Ceux-ci sont près de 10 millions à soutenir au quotidien un proche en perte d’autonomie. Cette journée des aidants m’importe tout particulièrement, car, en Guadeloupe, la tradition de solidarité familiale est ancrée dans les valeurs.
Cette tradition est malheureusement d’autant plus importante que notre taux d’équipement figure parmi les plus faibles au sein des départements français, ce qui nous impose d’élaborer une vision nouvelle de la prise en charge des personnes âgées de demain. Quel regard porter sur le vieillissement ? Quelle place donner aux professionnels du médico-social et aux proches ? Quel accompagnement offrir dans nos territoires ultramarins trop souvent sous-dotés ?
Je me félicite que des pierres successives viennent consolider notre politique du mieux vieillir dans toute sa complexité. Je pense notamment au projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, que nous examinerons prochainement et qui reconnaît la variété des compétences des proches aidants à travers le dispositif de validation des acquis de l’expérience.
Mais l’organisation des soins de demain nous impose de poursuivre nos efforts. Dans le dernier rapport de l’Insee, il est souligné que, entre 2020 et 2030, le nombre de seniors dépendants âgés de 60 à 74 ans augmenterait de 15 % en Guadeloupe. Au-delà de 75 ans, cette hausse sera de 45 %. Or, actuellement, seuls 5 % d’entre eux vivent en institution, et 6 695 emplois seraient nécessaires en 2030 pour prendre en charge, avec respect et dignité, nos concitoyens âgés.
Quelle collaboration mettre en œuvre demain entre citoyens et professionnels du domaine sanitaire et médico-social pour assurer une prise en charge adéquate sur tous nos territoires, notamment les moins dotés ?
Monsieur le sénateur, vous rappelez la tradition de solidarité familiale qui est ancrée dans les valeurs et l’organisation de l’accompagnement des personnes dans votre territoire de Guadeloupe.
Tout d’abord, et particulièrement en ce jeudi 6 octobre, il me semble important de rappeler et de souligner une nouvelle fois l’engagement des 11 millions d’aidants qui incarnent le lien social et la solidarité familiale dans notre pays. Leur rôle est précieux pour les personnes qu’ils soutiennent, que celles-ci vivent en établissement ou à domicile.
L’accompagnement à domicile des personnes en situation de handicap et âgées est un enjeu pour notre société, une ambition pour le Gouvernement, et ce pour l’ensemble du territoire. C’est pourquoi de nouvelles places seront créées dans les services de soins infirmiers à domicile et le modèle de tarification évoluera dans les mois à venir, pour mieux valoriser la prise en soin des personnes les plus dépendantes.
C’est aussi pour améliorer le soin à domicile qu’un tarif plancher de 22 euros a été mis en place pour les interventions des services d’aide à domicile qui interviennent dans le cadre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH).
Vous soulignez aussi le manque d’établissements sur votre territoire pour les personnes qui ne pourraient ou ne souhaiteraient plus vivre à domicile. Un plan d’aide à l’investissement, géré par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), est en cours : 17 millions d’euros seront ainsi destinés aux territoires d’outre-mer et à la Corse dans le cadre d’un plan de rattrapage visant à la réhabilitation du parc existant, mais également à l’installation de places nouvelles.
Je salue l’initiative de nos collègues du groupe RDPI et je saisis l’occasion d’orienter ces échanges vers un sujet majeur à mon sens : la nécessité de changer fondamentalement la perception des métiers du médico-social pour renforcer leur attractivité.
C’est historique et c’est culturel, les fonctions du soin souffrent d’avoir été longtemps, trop longtemps, naturellement exercées par des femmes : moins un métier qu’une occupation, une inclination personnelle, voire une vocation. Ces différentes appréciations rendent invisibles les compétences exercées, la technicité des gestes, la complexité des relations humaines construites avec les personnes vulnérables et leurs familles.
La valeur de ce travail est clairement sous-estimée. Si l’on compare les tâches professionnelles de prendre soin à d’autres métiers, qui mettent en jeu une technicité comparable, une aisance relationnelle similaire et l’exercice de responsabilités, l’écart de considération est flagrant, notamment quand on les compare avec des métiers à prédominance masculine.
Ce qui découle de cette sous-reconnaissance est évident : le cumul de faibles rémunérations et de temps de travail partiels, scindés, le plus souvent subis. Rien ne justifie la persistance d’une telle vision des choses.
Madame la ministre, comment le Gouvernement entend-il prendre ses responsabilités pour changer cette vision de ces métiers ?
Mme Victoire Jasmin applaudit.
Madame la sénatrice, je vous remercie très sincèrement de votre question. Ces dernières années, de nombreux travaux ont été menés dans le secteur du grand âge. Dans un rapport intitulé Vers un service public territorial de l ’ autonomie, le docteur Libault appelle à changer de regard, qu’il s’agisse du regard de notre société sur le vieillissement de la population ou de celui que nous portons collectivement sur ces métiers du care, qu’on appelle encore souvent les métiers du soin.
Chacun le sait, les métiers du secteur social et médico-social sont très féminins – je ne sais pas s’il faut dire qu’ils le sont trop.
Après la crise du covid-19, nous avons lancé une grande campagne de communication et de sensibilisation pour montrer l’intérêt et la beauté de ces métiers, dont nous aurons de plus en plus besoin dans les années à venir, car le nombre de personnes qui devront être accompagnées va nécessairement augmenter.
Après une période de ce que l’on pourrait qualifier d’Ehpad bashing, notre responsabilité collective est de montrer que ces métiers sont importants et attractifs : ils font appel à notre humanité ; qui plus est, ils ne sont pas délocalisables.
Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, annoncera prochainement l’organisation d’une journée de l’aide à domicile pour mettre l’accent sur ce sujet.
En tout état de cause, si nous voulons changer de regard, comme je le disais à l’instant, c’est ensemble que nous y arriverons !
M. François Patriat applaudit.
Madame la ministre, j’espère que nous aurons l’occasion de concrétiser vos propos par l’examen dans cet hémicycle d’un projet de loi sur le grand âge et l’autonomie…
Je souhaite tout d’abord remercier nos collègues du groupe RDPI d’avoir demandé l’organisation de ce débat.
Le secteur médico-social est composé d’une diversité de lieux d’exercice et de métiers, de la petite enfance à la gériatrie, mais toutes et tous vivent la même réalité : le manque de reconnaissance de leur métier.
Comment ne pas évoquer le réseau des centres médico-psychologiques (CMP), tellement affaibli par le manque de personnel que les délais pour obtenir un rendez-vous sont démentiels ?
La situation est identique dans les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), des structures conçues comme des lieux d’accueil et de soins centrés sur l’enfant. Actuellement, un quart à un tiers des actes de pédopsychiatrie en ambulatoire est effectué en CMPP. Or il n’en reste que 309 en France !
Quand on sait les conséquences de la pandémie sur les enfants et les adolescents, il y a de quoi s’inquiéter. Ce sera d’ailleurs l’objet d’un colloque, que j’organise lundi au Sénat.
Madame la ministre, nous sommes face à un abandon institutionnel de ces professionnels et, de fait, de leurs patients, d’autant qu’en excluant nombre de ces professions des revalorisations du Ségur de la santé, le sentiment de dévalorisation de leurs métiers s’est généralisé. Malgré les rattrapages de l’an dernier, les « oubliés » du Ségur existent toujours.
Quand allez-vous revaloriser tous ces métiers de la deuxième ligne, madame la ministre ?
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, ainsi qu’à ma collègue Cathy Apourceau-Poly : les aides à domicile. Il y aurait beaucoup à revendiquer, mais je vais centrer mon propos sur le prix de leurs déplacements en voiture qui s’envole depuis la crise en Ukraine et les conséquences sur le prix de l’essence.
Allez-vous enfin, madame la ministre, relever le barème kilométrique des aides à domicile de 0, 22 euro à 0, 35 euro pour permettre à ces personnes de faire face aux difficultés qu’elles rencontrent ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.
Madame la sénatrice, je ne peux pas partager votre idée selon laquelle les acteurs du secteur médico-social manquent de reconnaissance.
Oui, il faut changer le regard – je le disais en réponse à l’intervention de Mme Meunier – et il est de notre responsabilité à tous d’encourager ces acteurs pour assurer leur pleine reconnaissance.
C’était d’ailleurs l’un des axes du Ségur et vous savez très bien que nous avons rattrapé au fur et à mesure les situations des personnels qui avaient échappé aux premières conclusions et que l’on a appelés les « oubliés » du Ségur.
En ce qui concerne la prise en charge de la santé mentale, que vous avez évoquée en parlant des CMP et des CMPP, c’est certainement le secteur qui a connu le moins d’investissements ces dernières années et qui est donc le plus touché par les difficultés de notre système de santé.
C’est pour cette raison qu’Agnès Buzyn avait lancé dès décembre 2017 un plan de rattrapage en faveur du secteur de la santé mentale. Malheureusement, la crise sanitaire a aggravé l’état de certains de nos concitoyens, notamment parmi les jeunes.
Je le redis, les enjeux de la prise en charge de la santé mentale, notamment dans le cadre des CMP et des CMPP, et de la reconnaissance des métiers du médico-social sont très importants à nos yeux.
Concernant le secteur de l’aide à domicile, le dernier quinquennat a permis une première, à savoir la mise en place d’un tarif plancher de 22 euros – je l’ai évoqué – qui permet une meilleure prise en compte des spécificités du secteur.
Plus précisément, des discussions sont en cours avec les services d’aide à domicile en ce qui concerne la question de l’augmentation des prix des carburants. Nous devrons, le cas échéant, intégrer ce sujet dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) et prévoir des dotations complémentaires pour les aides à domicile particulièrement touchées.
Madame la ministre, je me réjouis que vous nous appeliez à changer de regard, mais nous n’avons pas les mêmes responsabilités : vous êtes ministre, vous êtes en poste, nous attendons donc des actes !
Vous nous dites que toutes les situations des « oubliés » du Ségur ont été rattrapées : nous ne devons pas rencontrer les mêmes personnes, parce que je vous confirme qu’il reste toujours des « oubliés » du Ségur !
J’ai évoqué la question du barème kilométrique pour les aides à domicile, mais la véritable question est celle d’une revalorisation salariale de ces métiers.
Madame la ministre, de grâce, arrêtez d’attendre et donnez au secteur les moyens humains et financiers dont il a besoin !
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.
Le secteur du grand âge se mobilise face à la transition démographique et la prise en charge médicale et paramédicale des résidents en Ehpad évolue. Ainsi, de nouvelles exigences, utiles et nécessaires, sont venues modifier la pratique des soignants : coordination des parcours de soins, concertation, pluridisciplinarité, démarche qualité, etc.
Alors que les établissements peinent à recruter des personnels soignants, le marché de l’emploi des secrétaires médicales, des enseignants en activité physique adaptée ou des référents qualité ne présente pas de fortes tensions.
L’apport de ces professionnels est désormais démontré ; leur présence permet notamment de dégager du temps qui pourra être consacré au suivi médical des résidents.
Il est donc temps de mettre en cohérence le financement des Ehpad avec les ambitions sociétales, de répondre aux nouveaux besoins des prochaines années et de donner une impulsion au secteur du grand âge de demain.
Ainsi, l’intégration de ces professions dans le champ du forfait soins des Ehpad permettrait une application durable et immédiate de mesures favorables aux résidents – contact avec les familles, coordination des soins, etc. – et aux équipes – soulagement des professions en tension ou encore accroissement du temps passé au chevet des résidents.
Madame la ministre, plusieurs agences régionales de santé (ARS), conscientes du rôle de ces professionnels dans la prise en charge, attribuent ponctuellement aux Ehpad des crédits pour financer certaines initiatives – par exemple, des postes de secrétaire médicale en Gironde ou des interventions d’enseignants en activité physique adaptée (APA) –, alors que ces crédits sont théoriquement destinés à des expérimentations ou à des besoins ponctuels.
Toutefois, ce mode de financement n’est pas satisfaisant, puisqu’il ne permet pas d’ancrer ces professionnels dans le fonctionnement de l’établissement de manière durable.
Le groupe Union Centriste souhaiterait connaître, madame la ministre, la position du Gouvernement sur l’idée d’intégrer ces professionnels à la section soins des Ehpad afin de soutenir les personnels médicaux et paramédicaux et de répondre à la pénurie de professionnels, en tenant compte de l’émergence de nouvelles professions au service du soin.
Madame la sénatrice, votre question pose finalement celle de la prévention de la perte d’autonomie, notamment dans les Ehpad.
De nombreux établissements du secteur médico-social ont intégré l’activité physique adaptée, que vous évoquez, en tant que nouvel outil pour développer la prévention et améliorer la qualité de vie.
L’activité physique est évidemment essentielle à tous les âges de la vie et le Gouvernement souhaite notamment l’intégrer, en tant qu’élément central d’une stratégie globale de prévention, dans les parcours de santé. Ainsi, le sport-santé inclut l’activité physique adaptée.
Je rappelle que la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France prévoit que chaque établissement social et médico-social désigne, parmi ses personnels, un référent pour l’activité physique et sportive.
Vous le voyez, nous prenons en compte ces questions et nous continuons d’y travailler.
Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais vous devez aussi prendre en compte le fait que les médecins et les infirmières, débordés par les tâches administratives, n’ont plus le temps de s’occuper de leurs patients. Un effort de simplification doit vraiment être fait !
Je souhaite à mon tour remercier nos collègues du groupe RDPI d’avoir demandé l’inscription de ce débat à notre ordre du jour.
Grâce aux avancées de la médecine et aux politiques de santé publique, nous vivons de plus en plus longtemps, ce dont nous devons évidemment nous réjouir. Il y a un siècle, seuls quatre Français sur dix atteignaient l’âge de 65 ans. Aujourd’hui, la France compte 1, 5 million de personnes âgées de 85 ans et plus. À l’horizon de 2060, elles seront 5 millions et le nombre de personnes âgées dépendantes pourrait atteindre 2, 3 millions.
Cette évolution démographique et épidémiologique constitue un défi majeur pour notre société et impose que nous allions plus loin par la mise en place d’un plan ambitieux pour accompagner le vieillissement de la population, domaine dans lequel les professionnels médico-sociaux jouent un rôle essentiel.
Or ces métiers souffrent aujourd’hui d’une pénurie croissante et ne parviennent pas à recruter à la hauteur des besoins.
Certes, il est indispensable d’améliorer les rémunérations et les conditions de travail, mais il faut aussi travailler sur la question des formations. Nous devons notamment fournir des efforts particuliers pour développer massivement la qualification d’infirmier en pratique avancée (IPA), car ces professionnels contribuent à améliorer la qualité des soins et à réduire la charge de travail des praticiens.
Actuellement, la gériatrie ne fait pas partie des domaines dans lesquels des infirmiers en pratique avancée peuvent pratiquer. Cette absence de reconnaissance freine le développement de la filière IPA, que ce soit en Ehpad ou à domicile, alors qu’il apporterait une véritable valeur ajoutée sur la qualité des prises en charge, l’organisation des soins et la valorisation des professionnels. Cette reconnaissance est d’ailleurs fortement attendue par le secteur du grand âge, comme le rappelle la Société française de gériatrie et de gérontologie.
Aussi, madame la ministre, j’aimerais connaître votre position sur la reconnaissance de la spécificité des infirmiers en pratique avancée en gérontologie.
Merci, monsieur le sénateur, de nous faire remarquer que nous vivons de plus en plus longtemps, et en plutôt bonne santé !
Je vous remercie également de rendre hommage, à travers votre question, aux infirmiers et aux infirmières.
Vous l’avez souligné, la pratique avancée constitue l’une des réponses aux problèmes de démographie médicale que nous connaissons. Ce dispositif, qui a en partie été créé pour cela, offre surtout une réponse adaptée aux besoins des patients.
Les infirmiers en pratique avancée disposent d’un champ d’exercice très large et le Gouvernement entend soutenir fermement cette spécialisation. Pour cela, nous travaillons avec les universités pour augmenter les capacités de formation et nous prévoyons d’enrichir le domaine d’activité de ces professionnels pour rendre ce métier encore plus attractif.
Pour autant, la création d’une mention gérontologie dans la formation des IPA nécessite une réflexion complémentaire et nous devons éviter deux écueils.
D’une part, les IPA avec la mention pathologies chroniques peuvent déjà répondre aux besoins de prise en charge en gérontologie, car la prévalence des pathologies ciblées par cette mention est particulièrement forte parmi les personnes âgées.
Dans ce cadre, certaines universités ont adapté leur programme pédagogique pour prendre en compte la prévalence de certaines de ces pathologies chez les personnes âgées. Il pourrait éventuellement être envisagé d’adapter et de compléter cette formation et l’intitulé de cette mention pour élargir cette démarche.
D’autre part, nous ne souhaitons pas multiplier les domaines d’intervention des IPA et les faire correspondre à chaque spécialité médicale, car nous devons conserver à la pratique avancée l’ambition d’une prise en charge populationnelle.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Le décloisonnement entre le médico-social et le médical est indispensable, si l’on veut penser la santé de manière globale.
Au-delà de l’offre binaire de prise en charge des personnes âgées – domicile ou Ehpad –, il existe maintenant des formes alternatives d’accompagnement.
Dans mon département, le maire d’une commune nouvelle a un projet très innovant : une collaboration entre deux Ehpad et un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad).
Des financements existaient pour ce type de projet, en particulier le dispositif innovant de vie à domicile (Divadom), et des appels à candidatures sont lancés par les agences régionales de santé pour mettre en place des centres de ressources territoriaux pour les personnes âgées.
Madame la ministre, quels financements sont prévus pour ces centres ? Comment ces financements vont-ils évoluer dans les années à venir ? Dans les Pays de la Loire, il était initialement prévu deux centres par département, soit dix centres, mais il semblerait que des financements ne soient possibles que pour cinq centres.
Madame la sénatrice, Divadom est un dispositif expérimental qui vise à renforcer l’accompagnement des personnes âgées à domicile comme alternative à l’Ehpad.
Quand l’accompagnement à domicile par une aide ou une infirmière ne suffit plus, il faut apporter un complément, par exemple un renforcement du temps passé avec la personne, l’intervention d’une diététicienne ou d’une psychologue, la sécurisation du domicile par un ergothérapeute ou encore le renforcement des interventions la nuit.
La mesure votée l’année dernière dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a créé le cadre juridique pérenne qui permettra de généraliser des dispositifs expérimentaux, tels que Divadom ou Drad (dispositif renforcé de soutien à domicile) – ce dernier étant expérimenté au niveau national depuis 2019.
Les centres de ressources territoriaux qui sont en cours de déploiement présenteront de manière pérenne une offre d’accompagnement renforcé à domicile en alternative à l’Ehpad.
Notre objectif est bien de donner corps à la promesse du virage domiciliaire : permettre aux personnes âgées de vieillir chez elles, même lorsque leur niveau de perte d’autonomie et leurs besoins de soins augmentent. Alors qu’on les orienterait aujourd’hui vers un Ehpad, l’accompagnement renforcé à domicile permettra à ces personnes de rester chez elles plus longtemps.
Chaque porteur de projet – un Ehpad ou un acteur du secteur du domicile – peut bénéficier d’une enveloppe forfaitaire de 400 000 euros.
Pour 2022, l’enveloppe globale est de 20 millions d’euros ; pour 2023, elle sera augmentée de 40 millions, soit 60 millions d’euros au total. Cette enveloppe continuera de croître de manière constante jusqu’en 2027 au moins.
Brigitte Bourguignon, alors ministre déléguée chargée de l’autonomie, avait fixé un objectif minimal de quatre centres de ressources territoriaux par territoire.
Alors que nous travaillons déjà sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et que nous sommes confrontés depuis des années à la difficulté d’accès aux soins dans nos territoires, je veux insister de nouveau sur l’importance des acteurs du médico-social partout en France.
La demande en personnel est croissante dans ce secteur, de nombreuses offres d’emploi restent vacantes et, chaque jour, des personnes vulnérables ne reçoivent pas les soins nécessaires.
Notre société et nos territoires évoluent très rapidement. Les besoins ont changé, la manière d’y répondre également. Il me semble essentiel d’avoir une vision d’ensemble pour répondre aux problématiques du secteur médico-social et repenser l’organisation spatiale des soins de demain. De manière globale, les secteurs médico-social, paramédical et médical doivent travailler main dans la main.
Dans ce cadre, la formation, qu’elle soit initiale, continue ou de reconversion, est la clé. Et cette formation doit être dispensée au plus près des territoires. J’en veux pour preuve l’implantation à Melun d’une antenne de l’université Paris-Est Créteil. C’est excellent pour notre territoire, surtout lorsque l’on sait que les étudiants s’installent généralement là où ils ont étudié. Cela doit être encouragé et développé.
De plus, la construction de pôles de santé sur nos territoires est un enjeu et il faut savoir qu’ils sont très souvent associés à des services médico-sociaux. Nous devons donc consolider ces pôles.
C’est pourquoi nous devons développer un panel de formations intégrées dans un système complet, équilibré et efficace, qui s’adapte autant aux spécificités de nos territoires qu’aux évolutions démographiques, sans oublier de valoriser ces métiers.
Madame la ministre, quelles sont vos pistes de réflexion pour faire évoluer les formations dans ce secteur ?
Madame la sénatrice, vous avez raison de rappeler l’importance des acteurs du secteur médico-social partout en France – nous ne le dirons jamais assez !
Leur engagement a été particulièrement remarquable lors de la crise du covid-19 et nous avons besoin de leur présence et de leur investissement – ce sera encore plus vrai demain, je l’ai déjà mentionné.
Le Président de la République a affiché des ambitions claires en la matière, à la hauteur des besoins qui se dessinent. Je pense notamment aux 50 000 recrutements programmés au cours du quinquennat pour renforcer les équipes dans les Ehpad.
Que les acteurs paramédicaux et médicaux travaillent main dans la main est une nécessité. Ce n’est pas un fait nouveau, mais cela demande du temps et de la méthode. Un exemple concret des avancées en la matière est la mise en place des dispositifs d’appui à la coordination (DAC) qui concernent à la fois le champ du sanitaire et celui du médico-social, y compris les professionnels libéraux : ils visent prioritairement à coordonner les interventions autour de situations complexes, quels que soient la pathologie et l’âge de la personne.
Nous partageons vos remarques sur la formation, madame la sénatrice. Il s’agit d’un axe essentiel pour améliorer, d’une part, les compétences et les connaissances de nos futurs professionnels, d’autre part, l’attractivité des métiers.
Nous devons travailler de manière interministérielle pour améliorer l’accès à la formation par un effort de simplification, mieux faire connaître nos métiers et favoriser les parcours professionnels, notamment avec la validation des acquis de l’expérience. Hier, l’Assemblée nationale a d’ailleurs voté en première lecture la création d’un véritable service public de la validation des acquis de l’expérience.
Enfin, nous devons mener une réflexion sur les maquettes des formations et sur la mise en cohérence de celles-ci.
Nous nous attelons activement à faire avancer l’ensemble de ces chantiers.
La prise en charge du grand âge et l’autonomie sont des enjeux majeurs pour notre société. La reconnaissance et la valorisation de tous les acteurs du secteur médico-social sont essentielles.
En Guadeloupe, comme ailleurs, il est urgent d’innover, de repenser les outils à la disposition du secteur médico-social de façon différenciée pour chacun des territoires et en corrélation avec le schéma départemental de l’autonomie.
Une attention toute particulière doit être portée sur la formation des personnels et sur la mise en œuvre d’outils de concertation entre l’État, les collectivités locales et tous les acteurs du soin et de l’accompagnement.
Il est particulièrement important sur mon territoire, la Guadeloupe, qui est un archipel, de coordonner la prise en charge des personnes âgées à travers les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) dans le cadre des méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (Maia) en application de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.
Il est également important de rétablir une équité salariale entre les différents personnels du secteur médico-social. Ces inégalités provoquent des tensions, mais aussi des difficultés de recrutement dans la plupart des établissements privés à but non lucratif, en particulier pour le secteur associatif, qui prennent en charge des personnes en situation de handicap, des personnes âgées ou des enfants.
Madame la ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour que nos différents territoires reçoivent des réponses concrètes ?
Mme Michelle Meunier applaudit.
J’ai indiqué tout à l’heure, madame la sénatrice, qu’une enveloppe de 17, 5 millions d’euros serait consacrée spécifiquement aux territoires d’outre-mer pour qu’ils rattrapent leur retard en termes de nombre de places en Ehpad ou en établissements accueillant des personnes en situation de handicap.
Vous avez insisté sur la nécessaire coordination entre tous les professionnels de santé et je suis pleinement d’accord avec vous. La crise sanitaire a d’ailleurs permis d’accélérer la prise de conscience de l’importance de tous travailler ensemble et de coordonner les parcours.
Votre intervention met le doigt sur un autre aspect important : la nécessité de ne pas empiler les dispositifs, mais de les coordonner étroitement afin de faciliter la vie des soignants.
Comme vous le savez, la revalorisation constituait l’un des enjeux du Ségur de la santé. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, la situation des « oubliés » du Ségur a été traitée et les différences entre les Ehpad publics et privés ont été prises en compte – ce différentiel n’existe plus.
Nous avons pleinement conscience des besoins de prise en charge outre-mer pour mieux accompagner les personnes en situation de handicap ou âgées. C’est pour cette raison que nous avons dégagé une enveloppe de rattrapage. J’ai d’ailleurs pu mesurer ces difficultés lors d’un récent déplacement à La Réunion.
Je ne suis pas tout à fait satisfaite de votre réponse, madame la ministre : il y a encore des « oubliés » du Ségur ! Le rattrapage dont vous parlez n’est pas exhaustif.
Le champ du médico-social est large : les personnes handicapées, les personnes âgées, l’enfance. Ces trois secteurs sont en manque de personnel, ce qui aboutit à des politiques publiques essayant de juguler le manque d’attractivité de ces métiers.
Pour répondre à ce déficit de vocations, les ajustements sont multiples. Je pense aux revendications salariales – le Ségur, l’avenant 43 ou la prime de 183 euros – ou encore aux actions pour la qualité de vie au travail, comme les deux heures de temps social pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) – cette mesure, prévue dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 est une bonne idée, mais qui va payer ? Les départements sont inquiets.
En ce qui concerne la tarification et la qualité, un tarif plancher pour les services d’aide à domicile et un bonus qualité sont mis en place.
Madame la ministre, avant d’imaginer la place des acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain, encore faudrait-il sécuriser le périmètre afin que les professionnels des Saad puissent exercer correctement leur métier qui est de prendre soin, tout en trouvant du sens à leur activité professionnelle.
Or le compte n’y est pas. Ainsi, dans le département du Nord, c’est de la survie même des Saad qu’il est question : leurs finances sont fragilisées et l’année est pourtant loin d’être terminée. C’est pourquoi nous appelons à des dispositions bordées et soutenables.
Sur le plan organisationnel, nous avons déjà voté la fusion prochaine des Saad et des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et nous aimerions avoir un point d’étape concernant les dispositifs d’appui et de coordination (DAC). Le rapport de Dominique Libault, qu’on a salué, est-il mis en œuvre ?
Voilà beaucoup de questions, madame la ministre, mais j’insiste sur l’urgence qui caractérise la situation des Saad du Nord.
En conclusion, je souhaite faire référence à la parole des proches aidants : pour eux, les soins médicaux sont à laisser aux soignants. Je renverse la question : quelle place pour les acteurs du soin dans le médico-social de demain ?
Monsieur le sénateur, les services d’aide et d’accompagnement à domicile et les services de soins infirmiers à domicile aujourd’hui, comme les futurs services d’autonomie à domicile, sont des briques essentielles à la vie à domicile des personnes en situation de handicap et âgées.
Vous le soulignez à juste titre, la proposition contenue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 de dégager deux heures de convivialité pour les bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la nouvelle grille des salaires permettront de mieux reconnaître les métiers et l’expérience acquise.
D’autres dispositions ont été mises en œuvre ou sont prévues pour améliorer la qualité de l’aide et des soins apportés aux personnes, ainsi que la qualité de vie au travail des professionnels. Cela passe notamment, pour les services à domicile, par la mise en place d’un tarif plancher par heure d’aide réalisée dans le cadre de l’APA ou de la prestation de compensation du handicap (PCH). Je vous rappelle que ce tarif est fixé à 22 euros pour les Ssiad.
Nous travaillons sur la réforme tarifaire prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ; son application en 2023 permettra de mieux valoriser les Ssiad qui prennent en charge des personnes très dépendantes.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoit aussi une augmentation des places en Ssiad – il faut le souligner.
Pour les futurs services d’autonomie à domicile, le forfait coordination déjà en place sera maintenu.
Créer les conditions d’un travail en équipe est un levier complémentaire des revalorisations salariales pour la qualité des interventions et la qualité de vie au travail des personnels.
La mise en place du service public territorial de l’autonomie (SPTA) permettra un parcours plus aisé pour les personnes en situation de handicap ou âgées comme pour leurs aidants – vous avez rappelé, monsieur le sénateur, l’importance de l’implication des aidants dans le cadre de la solidarité familiale. Les SPTA devront assurer un lien entre les structures, mais leur mise en place se fera en respectant et en s’appuyant, territoire par territoire, sur les organisations qui fonctionnent déjà.
En 2050, la France comptera 4 millions de personnes âgées de 85 ans et plus, contre 1, 4 million aujourd’hui.
En Normandie, par exemple, de 125 000 en 2022, leur nombre passera à 250 000 en 2050. Une grande partie de ces personnes seront en perte d’autonomie et la place des acteurs du médico-social dans l’organisation des soins sera donc de plus en plus importante.
Avec le Ségur de la santé, le Gouvernement a prévu d’investir autant dans le secteur médico-social que dans les établissements de santé. Pourtant, les structures qui gèrent les personnes dépendantes, âgées ou porteuses de handicap se trouvent souvent en difficulté, malgré le soutien financier très important des conseils départementaux.
Tout d’abord, elles sont confrontées à des problèmes de recrutement en raison d’un déficit d’attractivité des métiers de l’aide à la personne : faible rémunération, manque de reconnaissance de la profession et conditions de travail pénibles. C’est un engrenage, car cela ne permet pas d’assurer l’encadrement suffisant des résidents et entretient des conditions de travail dégradées pour le personnel.
Il y a aussi des difficultés face à l’augmentation des charges de fonctionnement liées à la hausse des prix de l’énergie, des denrées alimentaires, des fournitures, sans oublier les charges de personnel. Ces coûts supplémentaires ont un impact sur la capacité des établissements à investir dans la modernisation du bâti, souvent ancien, des Ehpad publics et contribuent à l’augmentation des tarifs d’hébergement.
Pour répondre à ces enjeux, l’État doit mener une politique volontariste.
J’ai deux questions à vous poser, madame la ministre.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre rapidement pour soutenir le secteur médico-social ?
Enfin, j’ai cru comprendre que la loi Grand âge et autonomie verra le jour. Pouvez-vous être plus précise sur le calendrier ? Il s’agit de supprimer enfin toutes ces disparités et de permettre à ces personnels de travailler correctement.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Madame la sénatrice, tout d’abord, je constate que les métiers du médico-social, notamment l’aide à domicile, sont perçus comme utiles par 96 % de nos concitoyens, mais aussi comme difficiles par 93 % d’entre eux. Le secteur de l’aide à domicile reste ainsi, en 2017, l’activité professionnelle la plus sinistrogène.
Pourtant, je le répète, la place de ces professionnels est essentielle pour prendre soin de nos aînés et des personnes en situation de handicap. Plusieurs leviers sont mobilisés par l’État pour mettre ces acteurs au cœur de notre cité, parce qu’ils sont indispensables, notamment pour réussir le virage domiciliaire.
Vous l’avez fait, et la conseillère départementale que je suis abonde dans ce sens : il faut aussi souligner l’engagement des départements aux côtés de l’État pour la prise en charge du secteur de l’aide à domicile.
Plusieurs mesures ont été prises pour renforcer l’attractivité de ces métiers de l’accompagnement et du soin à domicile. Il y a d’abord eu une amélioration des rémunérations du secteur, avec une augmentation de 183 euros nets mensuels pour l’ensemble des agents et salariés des Ehpad, puis la revalorisation de 15 % en moyenne des professionnels de l’aide à domicile. Une stratégie nationale de promotion de la qualité de vie au travail a aussi été lancée en 2018 et renforcée en 2020.
Nous visons par ailleurs une augmentation du nombre de personnes qualifiées dans les secteurs sanitaire et médico-social, avec des places de formation supplémentaires, des dispositifs de formation courte pour les demandeurs d’emploi. Il s’agit également de faciliter l’accès à la formation continue des professionnels en poste, en leur offrant plus de possibilités de bénéficier de la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Enfin, nous souhaitons favoriser le développement de viviers de recrutement en aidant des employeurs à recruter, notamment avec les vingt plateformes des métiers de l’autonomie, qui facilitent le recrutement et l’intermédiation au niveau départemental. Il s’agit aussi de faire découvrir les métiers du grand âge à de nouveaux publics, notamment les jeunes, en leur proposant des missions de service civique et des stages de troisième, et les demandeurs d’emploi, en travaillant avec Pôle emploi pour leur proposer des formations courtes, des contrats aidés, des périodes de mise en situation professionnelle. Nous visons également les personnes éloignées de l’emploi, les personnes réfugiées, avec des dispositifs pour leur faire découvrir ces métiers. C’est bien en travaillant sur l’image de ceux-ci que nous arriverons à recruter massivement les professionnels dont nous avons besoin.
Madame la ministre, j’entends bien vos explications, mais certains « oubliés » du Ségur de la santé n’ont pas reçu ces primes. Par ailleurs, l’État vient d’étendre le bouclier tarifaire énergétique aux Ehpad pour 2023, alors que les établissements hébergeant des personnes handicapées sont exclus de ce soutien financier.
La revalorisation issue du Ségur de la santé, déclinée ensuite dans le médico-social, a conduit au versement d’une prime par touches successives, après de multiples appels à considérer les « oubliés » du Ségur. Et pourtant, deux ans après la prime décidée pour l’hôpital, le Ségur est encore très inéquitablement appliqué dans le médico-social.
Là où il est censé s’appliquer, la réalité est assez confuse et, malheureusement, il subsiste encore des invisibles du Ségur. Tout l’été, des professionnels ont témoigné de ces injustices, notamment les agents affectés aux missions administratives ou logistiques dans les établissements.
Cette segmentation est injuste et délétère.
Injuste, car les personnels savent que, sur le terrain, ce cloisonnement n’a pas lieu d’être : un agent d’accueil en Ehpad est au contact des résidents et de leur famille ; un agent de ménage travaillant dans un établissement de l’aide sociale à l’enfance (ASE) participe à la mission éducative quand il s’assure du respect des règles de propreté.
Délétère aussi, car elle indique la porte de sortie à des personnels formés et compétents, rapidement employables dans le privé.
Certes, ces tensions ne dépendent pas que de l’État, certaines collectivités tardant aussi à financer leur part de cette revalorisation, mais il est de votre devoir, madame la ministre, d’orchestrer l’entrée en application de ce dispositif.
Ma question est simple : le Ségur pour toutes et tous, c’est pour quand ?
Madame la sénatrice, vous le savez, ce Ségur de la santé a été suivi de décisions historiques. Les revalorisations, tant à l’hôpital que dans les Ehpad, n’avaient jamais atteint ce niveau. Je crois qu’il est bon de le rappeler et de le souligner.
L’enjeu est bien de proposer un rattrapage, mais lorsque l’on propose un rattrapage à des « oubliés » du Ségur, on découvre en général de nouveaux oubliés. C’est un peu ce qui se passe depuis 2020. Cela nous a fait prendre conscience de la nécessité d’un véritable dispositif qui nous permettrait d’éviter cet écueil : je veux parler de la convention collective unique pour le secteur du médico-social et du social.
C’est un véritable enjeu, sur lequel l’État et les départements sont en train de travailler. Ils se sont engagés à soutenir financièrement ce rapprochement, afin d’éviter qu’il y ait encore des oubliés à l’avenir.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Les pouvoirs publics incitent depuis plusieurs années à la mise en place d’une médecine de « parcours » – de santé, de soins, de vie –, à même de renforcer la prise en charge des patients et des résidents sur tout le territoire et de décloisonner les secteurs.
L’objectif affiché est de prévenir, de soigner et d’accompagner de manière globale et continue les patients et les résidents, au plus près de chez eux.
Cet objectif suppose une bonne répartition des structures sanitaires, médico-sociales et ambulatoires sur le territoire national, mais aussi la complémentarité efficace des professionnels de ces structures.
Cet objectif doit aussi accompagner un virage domiciliaire, qui répond aux souhaits d’une part grandissante de la population.
Dans ce contexte, les acteurs du médico-social ont donc un rôle à jouer dans l’organisation de l’offre de soins, et notamment dans l’offre de soins de demain, qui va devoir prendre en compte le vieillissement de la population.
Compte tenu des difficultés de recrutement du secteur médico-social aujourd’hui, des médecins aux aides-soignants, cette participation à l’organisation des soins de demain suppose néanmoins de faire bouger les lignes pour renforcer l’attractivité du secteur.
Ma question, madame la ministre, portera sur l’architecture budgétaire, et donc, indirectement, sur les moyens.
Les dépenses relatives aux soins à domicile, à savoir celles du virage domiciliaire, relèvent de deux enveloppes différentes, répondant à des logiques de régulation différentes : dotation limitative pour les services de soins à domicile ; enveloppe ouverte pour les actes infirmiers, pour me limiter à ces exemples.
Comment faire, alors, pour que cette architecture institutionnelle ne soit pas un frein à la participation du médico-social à l’organisation des soins de demain ? Quelles sont, selon vous, les conditions à réunir pour qu’une telle réforme réussisse à atteindre les objectifs fixés ?
Monsieur le sénateur, vous l’avez souligné dans vos propos, prévoir et accompagner, c’est le véritable enjeu auquel l’État doit s’atteler, avec les partenaires que sont les conseils départementaux.
Cela doit se faire autour d’un parcours de prise en charge de la personne, qui nécessite une vision globale de tous les acteurs sur le territoire. C’est tout à fait le sujet de notre débat : acteurs du médico-social et organisation territoriale.
Le virage domiciliaire, c’est le souhait de 80 % de nos concitoyens, qui veulent pouvoir rester chez eux le plus longtemps possible. Ce souhait a été pris en compte lors du dernier quinquennat avec la restructuration des services d’aide à domicile, mais nous voyons bien que le virage domiciliaire ne peut pas être la seule réponse. Il s’agit bien de trouver un mix de solutions d’accompagnement du grand âge.
L’enjeu est avant tout celui du modèle économique.
Il y a d’abord l’heure de prise en charge. C’est pour cette raison que nous avons créé un tarif plancher de 22 euros, qui n’existait pas jusqu’alors, les tarifs étant très inégaux selon les départements. C’est un vrai progrès, voté dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Il y a également eu l’augmentation de 15 % du taux horaire, via l’avenant 43, pour les personnels des aides à domicile.
On voit bien que l’articulation entre les services à domicile et les actes infirmiers, deux domaines différents et complémentaires, est nécessaire. À nous d’inventer les modèles de financement qui permettent une prise en charge globale à domicile.
Madame la ministre, nous avons entendu votre constat, en gros le même que le nôtre, et vos objectifs, mais, concrètement, l’architecture administrative est un frein global à la mise en place d’un véritable service de qualité. Nous pourrons toujours ajouter des moyens supplémentaires, comme avec le Ségur de la santé, tant que nous ne réglerons pas ce problème d’architecture, nous aurons en permanence des difficultés. Ce point me paraît essentiel, au-delà même des budgets complémentaires, souvent aléatoires, à mettre en place.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Les acteurs du médico-social sont divers et variés. En plus des acteurs éducatifs, nous y retrouvons des soignants – aides-soignants, infirmiers, médecins généralistes, psychiatres –, et des paramédicaux – kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, psychologues.
Les dirigeants de ces structures ont depuis longtemps compris l’intérêt du maillage territorial et de la coordination du parcours des personnes accompagnées par leurs structures : parcours éducatif, parcours de soins, maillage et partenariat.
Les communautés professionnelles territoriales de santé et médico-sociales pourraient être l’une des réponses. Il s’agirait de s’appuyer sur ce secteur pour renforcer les soins de demain sur nos territoires, ce qui apporterait une valeur ajoutée exponentielle.
Nous pouvons citer l’exemple de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) d’Aulnay-sous-Bois, portée par une association médico-sociale, et qui, pourtant, répond aux missions socles des CPTS et à leur cadre réglementaire.
En revanche, dans un contexte de traitement inégalitaire entre le sanitaire et le médico-social au regard des revalorisations Ségur et Laforcade, comment comptons-nous donner envie à ce secteur de s’engager dans un nouveau défi portant sur le soin ? Quelle reconnaissance du médico-social et quels moyens pour demain allez-vous proposer ?
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, où vous avez présenté ces communautés professionnelles territoriales de santé du médico-social.
Je vais replacer votre intervention dans le contexte du CNR. Très clairement, ce genre d’expérimentation mérite d’être présenté, et peut-être d’être un peu plus accompagné. C’est la vocation du CNR de rendre pérennes les expérimentations qui fonctionnent et de les mettre à disposition d’autres territoires dans une sorte de boîte à outils. La création de communautés professionnelles territoriales de santé et du médico-social, dans un parcours de prise en charge globale, est à mon sens une bonne idée. Je viendrai donc volontiers observer comment fonctionne la structure que vous avez citée. On ne peut pas parler de décloisonnement et ignorer ce genre de dispositif, à partir du moment où ce sont les professionnels eux-mêmes qui se sont entendus pour le créer. Je suis intimement convaincue que ce dispositif ne peut fonctionner que s’il est créé par les professionnels, pour les professionnels, au seul bénéfice de l’accompagnement de nos concitoyens.
Madame la sénatrice, n’hésitez pas à mettre en valeur cette solution dans le cadre du CNR, à aller plus loin dans l’expérimentation d’un modèle de financement. Au croisement de la santé et du médico-social, on rencontre souvent des difficultés, car il y a plusieurs acteurs, mais si l’on trouve la maquette pour le financement, pourquoi ne pas l’intégrer dans le droit commun et la proposer à d’autres territoires ? C’est tout l’intérêt du CNR. En tout cas, je le répète, je viendrai me rendre compte sur place, car je crois que c’est l’une des réponses au problème de prise en charge globale de nos concitoyens.
Madame la ministre, en tant que médecin coordinateur de cette structure, je vous invite bien volontiers à venir nous rencontrer. Si ce type de projet peut faire l’objet d’une expérimentation généralisée, c’est parfait.
Rappelons tout de même qu’il est primordial de donner plus de moyens à tous les acteurs du secteur médico-social.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La crise sanitaire provoquée par le covid-19 et les nombreux décès en Ehpad ont renforcé la conviction d’une nécessaire amélioration de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.
Cette approche doit également permettre d’accroître l’efficience du soutien à l’autonomie. Elle est aussi la promesse d’une solidarité renforcée pour l’ensemble des citoyens nécessitant un soutien à l’autonomie.
Aussi, l’un des chantiers prioritaires permettant de parvenir à une réelle transformation de l’offre est, pour moi, le développement de maisons départementales de l’autonomie (MDA) ; dans la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, il s’agirait d’une maison territoriale de l’autonomie (MTA).
À la suite de la création, en 2007, des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, il n’y a pas été créé de maison territoriale des personnes handicapées, analogue des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) de métropole. Une convention pluriannuelle relative aux relations entre la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et la collectivité de Saint-Martin a été renouvelée en décembre 2020, pour la période 2021-2024, sans offrir aux instances locales – commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et équipe pluridisciplinaire d’évaluation (EPE) – le statut juridique de MDPH.
Ces instances fonctionnent à l’intention des personnes en situation de handicap ; la collectivité a recruté en interne des personnes dont les compétences permettent d’assurer pleinement les missions d’une MDPH au sein de la direction de l’autonomie. Cette direction est organisée de manière à assurer sa mission auprès des personnes en situation de handicap, mais aussi en perte d’autonomie.
À l’instar de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon, mon territoire doit pouvoir rapidement migrer vers le dispositif de MTA. Cela nécessite une modification du code de l’action sociale et des familles, comme l’ajout de l’article L. 531-8 a pu le faire pour Saint-Pierre-et-Miquelon.
Madame la ministre, ma question est la suivante : l’État est-il prêt à nous accompagner dans cette évolution que nous réclamons depuis trop longtemps ?
Madame la sénatrice, l’équité dans l’accès aux droits pour toutes les personnes âgées et en situation de handicap est une nécessité défendue fermement par le Gouvernement.
Cette équité demande de pouvoir décliner les organisations des maisons départementales des personnes handicapées et les services du département en fonction du territoire. Ainsi, on ne propose pas un accueil de proximité de la même façon dans les Hauts-de-Seine, en Haute-Loire, en Guyane, ou a fortiori à Saint-Martin.
La mise en place, dès 2006, d’une maison territoriale de l’autonomie à Saint-Pierre-et-Miquelon résulte d’un choix fort de cette collectivité. D’autres travaux sont conduits par les collectivités d’outre-mer, comme il est prévu dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.
Dès maintenant, pour garantir l’équité de traitement pour les personnes, les professionnels du pôle autonomie de Saint-Martin peuvent s’appuyer sur les outils mis à leur disposition par la CNSA : guides, webinaires d’information et échanges de bonnes pratiques. On peut saluer le suivi individualisé et personnalisé proposé aux habitants âgés ou en situation de handicap de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon par les équipes des collectivités, qu’il s’agisse d’une maison territoriale de l’autonomie ou d’un pôle social.
J’invite donc les acteurs du territoire à formuler une demande – c’est d’ailleurs un peu ce que vous avez fait avec votre question, madame la sénatrice – et nous verrons comment nous pourrons les accompagner.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Dix mille : c’est le nombre de médecins généralistes que la France a perdus en seulement douze ans !
Un tiers de la population française vit désormais dans un désert médical ; dans le Loiret comme dans plus des trois quarts de nos départements, la densité médicale a diminué en 2021. Sans surprise, la pyramide des âges des praticiens assombrit un peu plus encore ce paysage.
Parmi les propositions faites récemment, notamment par le Sénat, on trouve l’extension du champ des actes médicaux prodigués par des professionnels du paramédical. Cette proposition a trouvé un écho particulier en 2018 avec la création du métier d’infirmier en pratique avancée. Celui-ci, rappelons-le, peut désormais se voir confier par un médecin le suivi de patients, dans le strict respect du champ des compétences médicales pour lequel il a été formé et diplômé.
Le modèle de cette profession mérite notre attention : il peut nous inspirer si l’on veut atténuer les difficultés que rencontrent des acteurs du secteur médico-social.
Contraints de composer avec des moyens limités, des revenus souvent modestes et un système de formation inadapté, la majorité des professionnels du secteur regrettent de n’être ni considérés ni reconnus.
Dès lors, madame la ministre, votre éclairage est espéré sur plusieurs points.
En attendant de retrouver un nombre de professionnels de santé en cohérence avec les besoins de nos concitoyens, prévoyez-vous d’étendre la délégation de certaines compétences aux professionnels du médico-social ? Si oui, pouvez-vous préciser les actes concernés ?
Enfin, quelles mesures comptez-vous prendre pour accroître l’attractivité de ces métiers essentiels, notamment celui des aides-soignants ?
Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur l’attractivité des métiers dans le secteur médico-social ; vous avez commencé par rappeler le nombre de médecins que nous avons perdus en quelques années.
C’est bien parce que nous avons perdu 10 000 médecins que nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens. Mais la pyramide des âges n’est pas le seul facteur problématique pour le nombre de médecins, car il y a aussi, si je puis dire, un facteur sociétal : les médecins d’aujourd’hui ne souhaitent plus tout à fait travailler comme les médecins d’il y a quelques années. Quand un médecin prend sa retraite, il en faut trois pour le remplacer.
Nous partageons bien évidemment cette préoccupation, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois aujourd’hui ; nous avons bien conscience des fortes tensions de recrutement existant dans tous les secteurs du social et du médico-social.
Les métiers du lien social souffrent aussi de leur faible attractivité. Afin d’y répondre, je le redis, nous avons déjà mené un nombre important d’actions. Nous avons engagé un effort de 4 milliards d’euros en année pleine pour l’ensemble des professionnels du secteur social et médico-social. On compte près de 700 000 bénéficiaires d’une revalorisation équivalente à 183 euros nets mensuels, dont 500 000 au titre du Ségur de la santé et de la mission Laforcade et 200 000 à la suite des annonces de la conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social du 18 février 2022. Jamais pareil investissement n’avait été entrepris dans ce secteur ; je crois qu’il faut le dire et le redire.
Mon collègue Jean-Christophe Combe a par ailleurs annoncé, le 15 septembre dernier, l’élargissement aux salariés du secteur associatif, toutes professions confondues, des mesures de revalorisation du point d’indice prises dans la fonction publique. Cette mesure est sans conteste une avancée très significative.
En outre, dans la continuité de la conférence des métiers du 18 février 2022 et pour accompagner la mise en place des actions concrètes qui ont été annoncées, le comité des métiers socio-éducatifs lancé au printemps dernier devra notamment faire avancer les chantiers relatifs à la validation des acquis de l’expérience (VAE) et au plan d’amélioration de la qualité de vie au travail.
Nous attendons dans les jours à venir un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la profession des infirmiers et des infirmières. Ce rapport devra très vite nous aider à nous orienter, parce que nous avons bien conscience que nous avons beaucoup à faire pour les métiers d’infirmier et d’aide-soignant, dans le cadre des formations initiales et continues, afin de rendre ces métiers beaucoup plus attractifs ; nous en avons grand besoin et nous allons en avoir encore plus besoin dans les années à venir.
Madame la ministre, ce que l’on constate aujourd’hui, ce sont de grandes difficultés à recruter, de nombreux arrêts de travail, des démissions et des demandes de rupture conventionnelle, un sentiment de lassitude et de frustration, enfin une affirmation exacerbée des revendications d’ordre socio-économique autour de la vie chère et du bas niveau de pouvoir d’achat.
Je doute que votre réponse appelant à changer de regard ne parvienne à rassurer les acteurs du médico-social ! Pendant ce temps, l’hémorragie continue. Or, ne nous y trompons pas, l’avenir de notre système de soins dépend aussi de notre capacité à rendre attractifs ces métiers essentiels dont l’utilité sociale est reconnue.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
En conclusion du débat, la parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe auteur de la demande.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, en guise de conclusion, saluer la tenue de ce débat au sein de notre assemblée.
Les propositions concrètes qui en ressortent témoignent de l’intérêt que nous, législateurs, portons aux acteurs du secteur médico-social, dont le rôle – cela a été unanimement rappelé – est essentiel auprès de nos concitoyens les plus fragiles.
Le renforcement de l’attractivité de ces métiers, améliorer la coopération, notamment à travers des CPTS étendues aux professionnels du secteur médico-social, comme l’a proposé notre collègue Annie Delmont-Koropoulis, et la garantie de l’égal accès, sur tous nos territoires, à ces soins de demain sont autant d’enjeux que de solutions possibles.
Nous sommes au cœur de la semaine nationale des personnes retraitées et personnes âgées, à laquelle nous avons cette année donné comme thème « Changeons notre regard sur les aînés ». Un tel changement de regard est crucial pour nos personnes âgées, mais nous pouvons aussi souligner, comme cela a été fait pendant nos débats, qu’il convient également de changer de regard sur les métiers du médico-social.
Leur rôle est au cœur de la République, comme la crise sanitaire l’a encore une fois démontré. Aux côtés des soignants, ils ont été aux avant-postes, mobilisés 24 heures sur 24 pour maintenir la continuité du lien, offrir un accompagnement digne à nos concitoyens les plus vulnérables et gérer, bien souvent, des situations d’urgence.
Cela a été dit, ces femmes et ces hommes sont indispensables, parce qu’ils contribuent au maintien des liens de solidarité et au développement de la vie sociale du pays. Ils sont présents dans tous les territoires et dans tous les domaines de l’intervention sociale : ceux du grand âge et de la politique du handicap, celui des personnes rencontrant des difficultés sociales et, bien sûr, celui de la protection de l’enfance.
Nés de l’instauration de la sécurité sociale qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, les travailleurs sociaux sont intimement liés à notre histoire. Ils sont les fers de lance de notre système de solidarité nationale, au contact direct de nos concitoyens.
Ces métiers, que nous pourrions qualifier de vocations – éducateurs spécialisés, assistants maternels, aides-soignants, éducateurs de jeunes enfants –, sont au cœur de notre modèle social, puisqu’ils ont un impact sur la vie et sur l’avenir de celles et de ceux qu’ils assistent.
Le constat est clair et unanimement partagé, que l’on traite de la protection de l’enfance, du grand âge ou de la politique du handicap : le secteur médico-social souffre.
Il souffre d’un manque d’attractivité – vous l’avez rappelé, madame la ministre –, d’un manque de reconnaissance et, par conséquent, d’une pénurie alarmante.
Celle-ci a bien sûr des conséquences directes sur les travailleurs sociaux, puisque leur mission est entravée, mais aussi sur les publics fragiles.
Concrètement, je pense aux enfants placés sous protection qui n’ont même plus la possibilité de se rendre en visite médiatisée avec leurs parents, faute de professionnels pour les accompagner.
Je pense à diverses informations préoccupantes : la durée de traitement des demandes s’allonge parfois faute de personnel suffisant, ce qui peut entraîner des situations dramatiques pour l’enfant en danger.
Je pense à l’épuisement des travailleurs sociaux dans certains foyers de l’enfance, qui ont pour mission de gérer, parfois seuls, 40 enfants placés sous protection et devant donc faire l’objet d’une attention toute particulière. Nous, parents ou grands-parents, serions incapables de mener efficacement cette mission. Dès lors, comment un travailleur social, aussi dévoué soit-il, pourrait-il assumer correctement la mission que nous lui confions ?
À cet égard, je souhaite saluer l’action du Gouvernement qui, conscient de ces difficultés, décrétera un taux et des normes d’encadrement qui permettront de soulager les travailleurs sociaux et, par ricochet, de mieux protéger les enfants.
Mes chers collègues, dans tous les centres de loisirs des 36 000 communes de notre pays, un taux d’encadrement est fixé, qui protège les enfants et sécurise le personnel périscolaire. Il apparaît donc urgent d’établir des règles similaires dans les foyers de l’enfance, alors que nous savons qu’un enfant sur quatre pris en charge par l’aide sociale à l’enfance est en situation de handicap.
La revalorisation historique des métiers du secteur médico-social, dont le Gouvernement a pris la décision en février dernier et que nous avons tous soutenue, témoigne de la reconnaissance par l’État du rôle essentiel des travailleurs sociaux dans le soin et l’accompagnement de nos concitoyens les plus vulnérables.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, qui prévoit près de 1, 5 milliard d’euros supplémentaires pour le secteur médico-social, apporte également des solutions concrètes. Je pense notamment à l’effort important en faveur de l’attractivité des métiers de l’autonomie afin de renforcer la qualité et l’offre d’accompagnement sur l’ensemble du territoire.
Je pense également à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), qui continuera sa forte progression en 2023 : une hausse de 3, 7 % hors dépenses liées à la crise sanitaire.
Les mesures prévues dans ce PLFSS traduisent notre volonté partagée de bâtir une société plus inclusive pour nos concitoyens en situation de handicap, par la poursuite de l’investissement en faveur de la scolarisation des enfants en situation de handicap et les mesures spécifiques concernant l’autisme et les troubles du neurodéveloppement.
Nous le remarquons sur tous nos territoires, les professionnels du secteur médico-social ont toute leur part dans l’organisation des soins de demain, parce que le soin inclut non seulement le sanitaire, mais également le social, parce qu’accompagner est aussi une manière de soigner.
Pour conclure, je souhaite une nouvelle fois saluer la tenue de ce débat et remercier Mme la ministre et l’ensemble des orateurs des groupes pour la qualité de nos échanges.
Ces enjeux, nous le savons, sont d’une importance cruciale. Ils ont trait à notre modèle social, à l’égalité des chances, à notre conception de la solidarité nationale.
Nous devrons les traiter ensemble durant les mois et les années à venir et le Sénat, chambre des territoires, devra y prendre toute sa place aux côtés du Gouvernement, des acteurs locaux et du monde associatif.
Enfin, le Sénat se grandirait à créer une délégation aux droits de l’enfant, comme compte le faire aujourd’hui l’Assemblée nationale ; une telle délégation aurait aussi toute sa place dans notre chambre.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.
Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle place donner aux acteurs du médico-social dans l’organisation des soins de demain sur nos territoires ? »
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 11 octobre 2022 :
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (procédure accélérée ; texte de la commission, n° 19, 2022-2023).
En outre, de quatorze heures trente à quinze heures :
Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République ; ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, en salle des Conférences.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-sept heures quinze.