Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est-elle en train de décrocher définitivement en matière de recherche et d’innovation ? Ma question est évidemment provocante, mais il faut constater que la situation est inquiétante pour notre pays, qui n’investit pas suffisamment dans sa recherche.
Depuis vingt-cinq ans en effet, le financement de la recherche publique et de la recherche privée stagne autour de 2, 2 % du produit intérieur brut, à tel point que nous avons abandonné à d’autres pays européens le leadership en matière de R&D. Dans ces conditions, nos gains économiques sont nettement plus faibles que ceux de nos voisins ayant fait de la recherche et de l’innovation un enjeu majeur de dynamisme industriel.
La loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur (LPR), dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteure, était censée tenir la promesse d’un réinvestissement massif dans la recherche publique, l’objectif étant de parvenir à un effort national de recherche équivalent à 3 % du PIB.
Cette loi prévoyait également de renforcer l’attractivité des métiers scientifiques, de consolider les dispositifs d’évaluation, d’organisation et de financement de la recherche et de faciliter la diffusion de la recherche dans l’économie et la société.
Lors de l’examen de ce texte, j’avais affiché un optimisme très relatif tant la trajectoire budgétaire me semblait peu crédible et surtout peu efficace au regard de l’importance de l’écart de compétitivité à combler entre notre pays et les pays européens les plus avancés en matière de recherche et d’innovation. C’est d’ailleurs sur l’initiative du Sénat que l’intensité de l’effort budgétaire a été renforcée sur les premières années de la programmation.
J’avais en outre émis des doutes sur la capacité de cette loi à fixer un cadre réellement motivant pour nos chercheurs et enseignants-chercheurs, susceptible de favoriser leurs activités de recherche en France et non à l’étranger. L’absence de vision sur ce que doit être la politique publique de recherche à moyen et long termes y est sans doute pour beaucoup…
La commission de la culture du Sénat a récemment rendu public son rapport d’information sur la mise en œuvre de la LPR. Le bilan que nous avons dressé démontre que ce texte était nécessaire, mais que son application sur le terrain reste perfectible.
Si cette loi de programmation a permis un bon début de réinvestissement public dans la recherche, sa durée – dix ans – et l’intensité de l’effort budgétaire doivent néanmoins être reconsidérées, d’autant que cet effort est aujourd’hui très largement absorbé par l’inflation.
La mission d’information sur l’excellence de la recherche et de l’innovation, dont nous rendons compte des travaux aujourd’hui – je salue la qualité de ses auditions et de ses déplacements – juge pour sa part nécessaire de considérer la recherche comme un investissement de long terme dans l’innovation.
Trop longtemps, hélas, l’investissement public dans la recherche a été perçu comme un coût et celle-ci a, de ce fait, régulièrement fait fonction de variable d’ajustement pour réduire le déficit budgétaire de l’État. Or, tout démontre à quel point cette vision est néfaste pour la France.
Nous en avons la conviction : la recherche fondamentale se situe au cœur de l’innovation et doit bénéficier d’un puissant soutien financier sur le long terme.
Par ailleurs, la politique de rémunération des chercheurs doit être plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui si nous voulons retenir nos meilleurs chercheurs et attirer les talents étrangers à fort potentiel.
Le cas d’Emmanuelle Charpentier, jeune prix Nobel de chimie, partie mener ses recherches pionnières et majeures hors de France, n’est pas anecdotique : quand un chercheur de ce niveau fait le choix de poursuivre ses recherches à l’étranger, il emporte avec lui son aura, ses financements et ses compétences. En outre, il ne fera pas bénéficier de jeunes chercheurs français de l’étendue de ses connaissances.
Je suis pour ma part assez optimiste pour l’avenir, même s’il nous faudra persister dans notre effort budgétaire.
En effet, le réinvestissement dans la recherche est en marche. L’Agence nationale de la recherche a connu une année 2021 exceptionnelle, les financements alloués aux équipes de recherche et aux établissements ayant connu d’une augmentation très significative. Grâce à la LPR, l’Agence a vu son rôle renforcé dans l’écosystème de la recherche et de l’innovation et ses missions ont été confortées.
Les budgets en croissance offrent de nouvelles perspectives d’accompagnement des communautés scientifiques. Les premiers résultats sont là : le taux de succès aux appels à projets génériques atteint désormais plus de 23 % et le taux de préciput est passé de 19 % en 2020 à 25 % en 2021. En outre, le soutien à la recherche partenariale a été considérablement renforcé. Nous savons qu’il s’agit d’un puissant levier en faveur de l’innovation.
En conclusion, j’évoquerai trois enjeux majeurs auxquels nous devrons apporter une réponse singulière et courageuse.
Il nous faudra tout d’abord procéder à une clarification du paysage français de la recherche. Celui-ci est en effet constitué d’une pluralité d’acteurs – organismes nationaux de recherche, établissements d’enseignement supérieur, agences de financement, unités mixtes de recherche –, dont les missions ne sont pas forcément bien réparties et les relations pas toujours fluides.
Il nous faudra ensuite donner un cap à la recherche française. La programmation budgétaire de la LPR n’a pas été accompagnée d’une programmation stratégique et c’est incontestablement l’une des raisons pour lesquelles la communauté scientifique a modérément adhéré à la réforme promue par le Gouvernement.
Il nous faudra enfin favoriser une meilleure articulation entre recherche publique et secteur privé, et ce dès l’amorce des projets de recherche, car il n’y a pas d’innovation sans recherche fondamentale.
Si nous sommes capables de répondre à ces trois enjeux, la France redeviendra un grand pays innovant dans tous les secteurs d’avenir – systèmes numérisés, nanotechnologies, nouvelles énergies, biologie, santé – et nous pourrons ainsi renouer avec notre brillant destin collectif, ce que nous appelons tous de nos vœux.