Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet qui nous réunit aujourd’hui n’a rien de nouveau, et c’est là tout le drame. Voilà plusieurs décennies que la France s’est engagée sur la voie de la désindustrialisation. Nous avons laissé partir nos usines, ne gardant ici que les centres de décision. C’était le rêve de la mondialisation heureuse !
Résultat : nous n’avons plus guère d’usines, nous exportons nos cerveaux et nous importons les produits que ces mêmes cerveaux, formés sur deniers publics, fabriquent à l’étranger. Nous sommes perdants sur toute la chaîne de valeur.
Ce qui est heureux toutefois, c’est que nous en sommes désormais conscients. Il aura fallu plusieurs crises, singulièrement la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, pour nous en rendre compte : nous avons perdu notre souveraineté industrielle.
L’objectif fait maintenant consensus : il faut réindustrialiser le pays. C’est bon pour nos importations, bon pour nos emplois, bon pour la transition énergétique, bon pour la cohésion sociale. La bataille théorique a été gagnée. Nous devons désormais passer à la pratique.
Or, en la matière, les choses se compliquent : d’abord parce qu’il faut analyser précisément les causes de notre déclin industriel, ensuite, parce qu’il faut identifier des remèdes pour guérir le mal – et c’est souvent là que le bât blesse.
C’est pourquoi je me réjouis que le groupe Les Indépendants – République et Territoires, auquel j’appartiens, ait créé cette mission d’information, qui visait précisément à identifier les principaux blocages empêchant notre pays de convertir ses innovations scientifiques en innovations industrielles.
Je tiens à saluer l’engagement de Vanina Paoli-Gagin, qui est à l’origine de cette initiative et qui a accompli un travail de fond pour auditionner de très nombreux acteurs et proposer des solutions opérationnelles et concrètes pour relever cet immense défi. Ce travail a porté ses fruits : toutes les recommandations ont été adoptées à l’unanimité. C’est dire s’il y a consensus sur le sujet.
Je ne reviendrai pas en détail sur chacune d’elles. Le rapporteur a déjà rappelé les principales mesures, notamment fiscales, pour transformer l’essai de l’innovation. Je me contenterai de tirer deux leçons du rapport d’information.
La première leçon concerne la relation entre science et entreprise.
Transformer l’essai de l’innovation, c’est traduire les avancées scientifiques en solutions opérationnelles, c’est faire le lien entre la recherche fondamentale et les projets industriels, entre le monde académique et le monde de l’entreprise.
À cet égard, notre université recèle encore de très puissants éléments de conservatisme. Il n’est pas rare d’y croiser des enseignants et des chercheurs qui soutiennent mordicus que la recherche, pour rester pure, ne doit surtout pas trouver d’application concrète, que tout transfert de propriété intellectuelle ou tout brevet déposé avec une entreprise est une compromission terrible avec le Grand Capital. Ces réflexes corporatistes découragent encore trop souvent les vocations de ceux qui veulent valoriser autrement leurs savoirs.
Et pour cause : une incursion dans le monde de l’entreprise est parfois perçue par les chercheurs comme un égarement de carrière, qui peut pénaliser l’avancement au sein de l’université. Il faut donc repenser le modèle académique pour permettre de mieux appréhender ces trajectoires, qui sont enrichissantes, à la fois pour nos chercheurs et pour nos universités.
J’espère que la récente attribution du prix Nobel de physique à Alain Aspect, directeur de recherche émérite du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris-Saclay, professeur à Polytechnique, mais aussi grand entrepreneur, puisse les convaincre que l’on peut à la fois entreprendre et réussir une carrière académique…
La seconde leçon que je tire du rapport d’information, c’est l’absolue nécessité de simplifier notre bureaucratie.
Nos entrepreneurs, mais aussi nos universités, nos chercheurs, nos laboratoires, tout l’écosystème l’affirme sans ambages : la France est un Absurdistan, où le formulaire est la norme et l’administration l’arbitre de tout. Nous avons laissé se développer tout un ensemble de règles qui nous étouffent.
Le rapport d’information l’illustre par un exemple éloquent : pour démarrer l’activité d’un laboratoire de thérapie génique, il faut attendre près de dix mois en France. En Suisse, on part du principe que tout est en règle et l’entreprise peut commencer à produire cependant que le dossier est instruit en bonne et due forme.
Voilà ce que nous devons faire en France : miser sur la confiance et remettre l’administration au service des usagers. C’est non pas aux Français, notamment aux entrepreneurs, qui prennent des risques pour faire bouger les choses, de s’adapter à l’administration, mais bien à l’administration de s’adapter à eux. Il est aberrant de financer par nos impôts des délais qui font perdre de l’argent à la collectivité.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place des instruments très efficaces, notamment parce qu’ils étaient immédiatement opérationnels. Bien sûr, il y a eu des erreurs et parfois des abus, mais y en a-t-il plus lorsque la défiance prévaut au sein de l’administration ? À mon avis, non, évidemment.
J’espère que nous saurons capitaliser sur ces réussites récentes pour stimuler l’innovation et réindustrialiser le pays.