Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 4 octobre 2022 à 14h30
Prise en compte des territoires des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation — Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie M. le président de la commission des affaires européennes d’avoir permis ce débat important.

Le rapport Europe et Patrimoine, que j’ai rédigé au printemps avec Louis-Jean de Nicolaÿ, proposait une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine.

Il semble que nos espoirs puissent aboutir sous la présente présidence tchèque, dans le cadre du nouveau programme d’action quadriennal 2023-2026 pour la culture, qui aura, nous l’espérons, un axe important consacré au patrimoine.

Or cette Europe du patrimoine, des cathédrales, des châteaux, des monuments historiques et des savoir-faire est aujourd’hui menacée en son sein par une tentative vertueuse dans son principe de réglementation de l’usage des produits chimiques.

Alertés par les professionnels du vitrail, nous avons écrit à notre ministre de la culture, tandis que notre collègue Vanina Paoli-Gagin déposait une proposition de résolution européenne, dont mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ et moi-même avons été rapporteurs.

Nous avons établi les graves dommages qu’entraînerait la révision envisagée par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), du règlement Reach, règlement sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des substances chimiques.

L’inclusion du plomb à l’annexe XIV de ce règlement, concernant les substances dites « particulièrement préoccupantes », implique une procédure d’autorisation et un coût prohibitif pour les utilisateurs : plusieurs mois de montage de dossier d’expertise et le versement d’une redevance à l’Echa de plusieurs dizaines de milliers d’euros, selon la taille de l’entreprise. C’est, à court terme, la survie même des TPE et PME françaises du secteur du patrimoine qui est mise en jeu par une telle procédure, cette dernière devant, de toute façon, selon Reach, céder la place à une interdiction pure et simple.

Les parlements nationaux doivent jouer leur rôle de « lanceurs d’alerte » auprès de leur gouvernement, représenté dans le comité d’experts de l’agence. Tel est bien le sens de la résolution européenne du Sénat, madame la secrétaire d’État.

Nous avons également adressé un avis politique à la Commission européenne. Il lui reviendra en effet de suivre, ou non, la recommandation de l’Echa, puis de proposer, en principe dans un délai de douze mois, un projet de règlement, qui devrait donc intervenir d’ici à la fin de l’année 2023. Madame la secrétaire d’État, confirmez-vous ce calendrier ?

Tout comme les maîtres verriers, nous sommes inquiets, car la France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens, la plus grande surface au monde. De nombreux joyaux de nos régions sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Bien d’autres secteurs et métiers du patrimoine sont concernés, nous en avons dressé la liste dans notre rapport et la proposition européenne de résolution, adoptés en commission.

Je mentionnerai ici les facteurs d’orgues : sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1 600 sont classés. Les manufactures d’orgues représentent environ 65 entreprises en France, toutes petites par le nombre de leurs employés, mais grandes, ô combien, par leur savoir-faire !

L’interdiction du recours au plomb ou la lourde procédure d’autorisation entraînerait la perte de cet immense patrimoine et, à terme, de la musique d’orgue elle-même !

Certes, le plomb est un polluant bien identifié. Nous sommes bien conscients des risques, ceux-ci sont connus et pris en charge de manière générale.

Dans le secteur du patrimoine, des procédures et des guides de bonnes pratiques ont été depuis un certain temps élaborés, notamment par le ministère de la culture et les organismes professionnels. Nous pensons qu’ils devraient être plus largement diffusés, y compris au niveau européen.

Nous notons malgré tout qu’à ce jour il n’existe aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans ce domaine.

Nous appelons donc à la réalisation d’études spécifiques dans le cadre des programmes de recherche européens. Nous avons récemment attiré l’attention de la commissaire Mariya Gabriel sur ce point.

Il existe donc bien d’autres voies et moyens d’agir pour la santé que celle d’une révision quasi automatique de Reach. Sinon, c’est toute une culture européenne, toute une économie touristique patrimoniale, âme et vitrine de nos territoires, qui disparaîtront.

L’harmonisation européenne ne saurait faire passer toute cette richesse par pertes et profits, au nom d’objectifs certes louables, mais au moyen de procédures contestables et manquant de transparence. Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur la mobilisation du Gouvernement.

Ma dernière remarque concerne l’alerte lancée par nos luthiers et archetiers quant à l’usage du pernambouc, bois précieux d’Amazonie, réglementé par la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, dont l’Union européenne et la France sont parties.

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