Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je me réjouis de ce débat, et je tiens à remercier, comme l’a fait Mme Catherine Morin-Desailly, M. le président de la commission d’en avoir obtenu l’inscription.
Je souhaite également apporter mon soutien aux propos de ma collègue Catherine Morin-Desailly, avec laquelle j’ai présenté au printemps un rapport d’information proposant une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine.
Par ailleurs, nous avons présenté cet été un rapport ayant abouti à un avis politique destiné à la Commission européenne, ainsi qu’à une résolution du Sénat, afin de prendre en compte toutes les conséquences, pour les métiers et filières du patrimoine, de la révision en cours du règlement européen Reach sur les produits chimiques, eu égard à l’éventuelle inscription du plomb dans son annexe XIV.
Or l’usage du plomb, comme l’ont montré les nombreux professionnels que nous avons auditionnés, est indispensable à la conservation et à la restauration d’un précieux héritage.
En effet, la taille de pierre classique utilise du plomb. Sa malléabilité et sa durabilité concourent à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Certaines toitures historiques sont également constituées de plomb : c’est le cas de celles de nombreuses cathédrales, tout particulièrement Notre-Dame de Paris, mais aussi de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le musée du Louvre, ou les châteaux de la Loire.
C’est pourquoi nous avons entendu notamment le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, qui fédère 252 entreprises de douze métiers, employant en France 10 000 salariés, dont environ 1 000 apprentis. Pour ce qui est des tailleurs de pierre des monuments historiques, on dénombre 78 entreprises employant quelque 5 000 salariés, pour un chiffre d’affaires estimé à 600 millions d’euros. Les couvreurs des monuments historiques, quant à eux, comptent 39 entreprises employant 1 500 salariés, pour un chiffre d’affaires de 170 millions d’euros. Et je ne parle pas des entreprises qui interviennent dans le domaine des chéneaux ou dans celui des fontaines.
L’interdiction ou la restriction de l’utilisation du plomb pour de tels usages reviendrait donc à condamner un nombre important d’entreprises de petite taille au savoir-faire unique – cela a été dit.
De surcroît, les musées et les institutions patrimoniales de l’Union européenne et du monde entier conservent de très nombreux objets d’art et biens culturels contenant du plomb, dont vous retrouverez la liste dans notre rapport, des insignes et sceaux médiévaux aux voitures anciennes.
Nous ne négligeons nullement l’enjeu sanitaire, bien évidemment.
Nous avons constaté de visu, en nous rendant sur le chantier de restauration d’une église historique au cœur de Paris, l’ampleur des mesures de prévention prévues par la législation française, ainsi que la réalité et l’intensité des contraintes et des contrôles qui sont imposés aux entreprises et aux intervenants, pour la bonne protection de la santé des travailleurs concernés.
En matière de santé au travail, le code du travail français a prévu deux indicateurs permettant de vérifier l’efficacité des mesures de prévention mises en place pour parer au risque plomb : la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) au plomb, d’une part, et, d’autre part, la plombémie, mesure du taux de plomb présent dans le sang, avec des valeurs limites biologiques (VLB) à ne pas dépasser.
Le code du travail prévoit également que le médecin du travail assure un suivi individuel renforcé dès le dépassement de certains seuils. Ces valeurs limites sont susceptibles d’être abaissées et harmonisées au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive de 1998 sur les agents chimiques, ce qui renforce les exigences de prévention.
Nous sommes toutefois favorables à ce qu’un protocole national, voire européen, de prévention du risque plomb sur les chantiers des monuments historiques soit instauré, sur le fondement des protocoles récemment mis en œuvre sur les chantiers français, à Paris, Nantes, Rouen ou Clermont-Ferrand.
Cette voie nous semble bien préférable à une révision du règlement Reach.
Pour les filières du patrimoine qui constituent l’objet de la présente proposition de résolution, le moyen le plus sûr de garantir une telle exemption serait donc le statu quo.
Si la Commission européenne jugeait néanmoins nécessaire de durcir les règles d’usage du plomb dans le secteur industriel, elle pourrait aussi bien recourir à d’autres législations européennes existant par ailleurs dans le champ du travail ou de la santé, législations qui, elles, relèvent de la procédure de codécision – mais elle devrait alors veiller à bien exempter les filières patrimoniales de telles dispositions.
Il importe, madame la secrétaire d’État, que le gouvernement français s’engage en ce sens et mobilise son représentant au comité des États membres de l’Echa pour éviter une désastreuse inscription du plomb à l’annexe XIV du règlement Reach.
La France appartient à l’heure actuelle au groupe des pays européens les plus ambitieux en matière de gestion des risques liés aux substances chimiques, dénommé « Reach-up », déterminé à promouvoir des avancées majeures dans le domaine de la sécurité environnementale. Elle est d’autant plus légitime à plaider pour une telle « exception culturelle » qu’elle est dotée d’un patrimoine culturel exceptionnel.
L’Europe peut et doit concilier l’une et l’autre de ces orientations. Notre responsabilité de parlementaires est de le rappeler avec force et d’inciter le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, à faire valoir cette position auprès de toutes les institutions européennes.
J’en terminerai en soulignant que l’utilisation de plomb est à 84 % liée aux batteries.