Intervention de Colette Mélot

Réunion du 4 octobre 2022 à 14h30
Prise en compte des territoires des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation — Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

Photo de Colette MélotColette Mélot :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’élaboration des réglementations européennes ne se fait pas sans certaines précautions, ce que nous savons bien, ici, au Sénat, où nous prenons à cœur le rôle qui est le nôtre en matière de contrôle de subsidiarité. L’idée d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », pour reprendre les termes de l’article 1er du traité sur l’Union européenne, ne signifie pas une harmonisation qui irait à l’encontre de certains principes.

L’article 3 dudit traité dispose en effet que l’Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».

Chacun sait, dans cet hémicycle, la chance que représente l’Union pour nos territoires, nos savoir-faire et nos cultures. Elle les préserve, les promeut et les accompagne dans leurs évolutions.

Un système harmonisé au niveau européen dans bien des domaines permet à nos concitoyens de mieux vivre et d’être mieux protégés. Dernier exemple en date : le marché intérieur de l’énergie, bien que perfectible – son perfectionnement est en bonne voie –, nous montre toute l’importance de l’Union européenne et de nos interconnexions. Cependant, cette harmonisation ne doit pas se faire au détriment de nos particularités.

Le processus législatif européen, très complexe, nous laisse parfois perplexes. Nombre d’entre nous se souviennent encore du règlement encadrant la forme et la courbure du concombre, abrogé depuis 2009 – je tiens à le préciser.

Ce processus est toutefois ouvert et transparent. La Commission européenne procède à de nombreuses consultations, qu’il s’agisse d’élaborer de nouvelles législations ou d’évaluer des législations déjà en vigueur.

De notre côté, en tant que parlementaires nationaux, nous avons le devoir de nous assurer du respect du principe de subsidiarité dans les législations proposées.

Or, malgré tous les encadrements existants, il arrive que certains sujets ne soient pas suffisamment pris en compte dans l’élaboration des règles et dans leur harmonisation. Cela peut mener à des situations difficiles sur nos territoires et pour nos concitoyens.

Deux exemples sont à cet égard particulièrement éclairants.

Le premier concerne notre savoir-faire et notre patrimoine et a été porté à notre attention par l’une de mes collègues du groupe Les Indépendants, Vanina Paoli-Gagin. Actuellement, la Commission européenne réfléchit à une révision du règlement que l’on appelle communément Reach et, dans ce cadre, envisage d’interdire l’utilisation du plomb.

Dans la proposition de résolution européenne adoptée le 26 août dernier est expliqué tout l’enjeu qu’il y aurait à nuancer cette interdiction, notamment pour le secteur du vitrail. Nous avons la chance, en France, de détenir la plus grande surface au monde de vitraux. Les rapporteurs du texte faisaient remarquer qu’environ 60 % des vitraux européens se trouvaient dans notre pays ; notre savoir-faire est en la matière quasi unique. Or il est impossible, pour nos artisans, de se passer du plomb. D’ailleurs, cette filière a mis en place toute une série de mesures pour protéger des risques liés à la manipulation du plomb, mais aussi pour prévenir ces risques.

Ce patrimoine est un savoir-faire, certes, mais il représente aussi des milliers d’emplois sur nos territoires, et même au-delà. En mars 2001, le président Jacques Chirac, s’exprimant lors de la remise du titre de meilleur ouvrier de France, rappelait justement que « ce sont ses savoir-faire reconnus qui assurent pour une très large part la renommée de notre pays dans le monde entier » ; j’ajouterai : la renommée de l’Europe. Il est important que les territoires, les savoir-faire et les cultures soient mieux pris en considération dans la construction des règles européennes. À défaut, nous risquerions de perdre rien de moins que nos identités.

Le second exemple se trouve sur mon territoire. Il concerne les appellations d’origine protégée Brie de Meaux et Brie de Melun. L’obtention de ces AOP s’est avérée complexe, ce qui est normal lorsqu’un cahier des charges doit être défini pour un produit d’exception. Grâce à de nombreux acteurs du département, notamment les confréries, nous avons pu mettre en valeur ces fromages. Les confréries sont précieuses sur les territoires : elles jouent un rôle de garant de nos savoir-faire, de notre culture et de notre patrimoine. Elles connaissent les besoins et, souvent, soulèvent des problèmes. Il en existe plus d’un millier en France, regroupées dans les ambassades régionales des confréries, des produits du terroir, du goût et de la gastronomie.

Ma conviction est qu’il existe un besoin d’ingénierie territoriale, qui pourrait être satisfait sur le modèle d’une des propositions que j’avais formulées dans mon rapport d’information intitulé Pour une mobilisation plus ambitieuse des fonds européens au service des territoires. Le développement d’une telle ingénierie permettrait de faire remonter certains besoins et problèmes des territoires, comme ceux que je viens d’évoquer, et d’accompagner ces derniers.

Il me semble qu’à cet égard l’échelon départemental serait tout indiqué ; qu’en pensez-vous, madame la secrétaire d’État ? Je pense aux centres Europe Direct, dont c’est le rôle, qui ont commencé à voir le jour au sein de certains départements ou de certaines villes, ainsi qu’au réseau des maisons de l’Europe.

Ainsi le lien serait-il renforcé entre l’élaboration des réglementations et les besoins des citoyens et des territoires européens, et donc, in fine – nous en avons plus que jamais besoin –, entre l’Union européenne et les Européens.

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