Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on le voit, les propositions d’harmonisation des normes émises par la Commission européenne peuvent s’avérer hors-sol.
Ainsi – cela a été dit et répété – la révision du règlement Reach, entièrement élaborée à Bruxelles, manque-t-elle un peu de prise en compte des réalités spécifiques à certains territoires ou filières. Le président de notre commission des affaires européennes évoquait voilà quelques instants les dangers d’une harmonisation aveugle des réglementations du marché intérieur ; avec le règlement Reach, c’est manifestement le cas. Ce texte concerne les substances chimiques, mais aussi les huiles essentielles, l’huile essentielle de lavande notamment, élément particulièrement important de notre patrimoine culturel.
La révision des règlements Reach et CLP va encore accroître les exigences en vigueur. La filière des huiles essentielles dans sa diversité – lavande, eucalyptus, etc. – ne pourra qu’échouer à s’adapter face à des méthodes d’évaluation conçues – insistons-y – pour la chimie de synthèse. Ne laissons pas des règlements mettre à mal ces filières alors même qu’ils n’apportent, en l’espèce, aucun gain de sécurité pour les consommateurs.
En somme, nous plaidons, et le bon sens plaide, en faveur d’une harmonisation européenne des normes lorsque celle-ci a pour objectifs des plus-values sociales, environnementales, sanitaires, économiques, et sait tenir compte de la clairvoyance des acteurs locaux. Or, dans ce cas précis, la démarche adoptée par l’Union européenne témoigne d’une vision technocrate s’agissant de produits traditionnels élevés au même rang que des produits chimiques classiques. Cette démarche est hors-sol !
On l’a dit, l’interdiction européenne du plomb et la lourde procédure d’autorisation prévue seraient catastrophiques pour les métiers du patrimoine français des vitraux. Nous avons donné l’alerte via une résolution de notre commission des affaires européennes qui a déjà été évoquée – notre collègue Catherine Morin-Desailly vient de le rappeler très clairement.
Cela dit, critiquer les défauts des propositions de loi européennes n’exclut pas, à l’inverse, de dénoncer également les retards français en matière de transposition et d’application de certaines directives – je pense à la qualité de l’air, à la directive-cadre sur l’eau ou à la gestion des déchets.
Je donne un exemple précis, très actuel, de non-respect par la France de normes européennes : celui du chanvre, et plus spécifiquement du cannabidiol (CBD). Dans ce domaine, nous observons d’importants blocages gouvernementaux limitant la possibilité de développement d’une filière alors même que nous disposons des savoir-faire, des conditions et du cadre juridique européen nécessaires !
La demande de CBD, produit non psychotrope et non toxique – il faut le dire –, est forte ; l’opinion publique y est favorable. Bien que cette filière ait en France un potentiel économique important, nos autorités prohibent l’usage de la fleur, donc l’extraction de CBD, pourtant non psychotrope. La France a par conséquent été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne, sa réglementation étant contraire au droit européen. Je vous renvoie sur ce sujet à la proposition de résolution transpartisane cosignée par plus d’une cinquantaine de sénatrices et sénateurs ; en novembre, nous aurons l’occasion d’en débattre dans notre hémicycle.
L’harmonisation au niveau européen des législations fiscales, sociales et environnementales, loin d’être une orientation idéologique réservée à quelques proeuropéens convaincus et autres forcenés du fédéralisme, est aujourd’hui une nécessité si nous ne voulons pas que l’Union européenne s’effondre, et nos écosystèmes avec elle.
À considérer par exemple la dimension écologique, la nécessité d’une harmonisation des normes européennes tombe sous le sens : on ne lutte pas contre le réchauffement climatique en agissant seul dans son coin, c’est évident, et certaines règles – je pense aux pesticides – vont devoir être harmonisées au niveau européen.
La subsidiarité ne doit pas servir de prétexte à l’immobilisme. Par exemple, élever des poules ou des lapins dans des cages de la taille d’une feuille de format A4 n’est en aucun cas une tradition : c’est une mauvaise pratique qui perdure. Quel bénéfice, par ailleurs – et je ne parle pas uniquement de bénéfice économique –, tirons-nous de traditions comme la corrida ?
Il me paraît nécessaire de rappeler, pour conclure, que nous ne saurions nous contenter de normes écologiques, sociales et sanitaires à usage interne : il s’agit d’étendre ces exigences à nos importations. Cela vaut pour le devoir de vigilance sociale et environnementale qu’ont nos entreprises à l’égard de toutes leur chaîne de valeur, par-delà les frontières ; cela vaut également, madame la secrétaire d’État, pour nos accords commerciaux.
On nous a promis que nous allions entrer dans une nouvelle ère du commerce européen ; nous attendons toujours ! À quand des accords contenant des clauses miroir réellement appliquées de respect de nos normes européennes ? L’accord de libre-échange signé récemment entre la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne en est loin, très loin ! C’est pourtant aussi par ce biais que nous préserverons la vitalité et la riche diversité de nos territoires, de leurs savoir-faire et de leurs cultures.