Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’évocation de cette mission d’information, qui a fourni un travail remarquable, j’ai pensé au film de Louis Malle, Le monde du silence.
En 1956, date de sortie de ce film – le deuxième dans l’histoire des prises de vues sous-marines en couleur –, nous vivions dans un autre contexte. Le grand public, encore naïf, découvrait une corne d’abondance qu’il croyait inépuisable. C’est dans cet état d’euphorie que nous avons déversé, pendant des décennies, des déchets dans les océans : des boues d’épuration, des déchets chimiques, industriels, radioactifs et plastiques.
Aujourd’hui, la place de l’océan doit être à la mesure de son rôle dans les équilibres climatiques, environnementaux et sociaux planétaires. Le Président de la République l’a répété en février dernier lors du sommet de Brest : « L’océan est la première victime de ce que nous n’avons pas su faire, ou mal fait : surexploitation, pollution, acidification qui l’ont mis en danger. »
Il est temps de préserver notre biodiversité, et notamment la haute mer, qui commence là où s’arrêtent les ZEE des États. Cet espace nous appartient à tous. Il ne doit pas être une zone de non-droit.
Nous ne le nions pas, les discussions pour élaborer un texte contraignant visant à sauvegarder cette vaste zone qui couvre près de la moitié de la planète sont difficiles. La ligne d’arrivée est visible, elle est à portée de signature, mais elle s’est encore évanouie le 26 août dernier à l’issue de quinze jours d’âpres tractations aux Nations unies.
Parmi les sujets les plus débattus figure la répartition des bénéfices possibles issus de l’exploitation des ressources de haute mer, où industries pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques espèrent découvrir des molécules miraculeuses.
Dans le même temps, nous apprenons qu’une société canadienne testera dans la zone de Clipperton, espace si cher à notre collègue Philippe Folliot, un système composé d’un prototype de collecteur de nodules au fond de la mer. Les risques sont multiples : faire remonter des sédiments, entraîner une perte de biodiversité, menacer des puits de carbone essentiels tout en remettant en cause les pêcheries internationales de thon et d’autres espèces.
Le temps presse. Aussi, le Président de la République souhaite « mettre en place un cadre légal pour arrêter l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer ». On doit donc continuer à s’activer pour faire entendre cette voix : celle de la protection de la biodiversité marine, de la protection des océans, de la lutte contre le dérèglement climatique et de la capture du carbone.
Nous savons que cette ligne ne fait pas l’unanimité : outre certaines grandes puissances économiques, c’est toute une sphère privée qui s’est engagée dans la course aux fonds marins. Mais il n’y a aucune honte à défendre la sobriété énergétique, seul moyen d’éviter l’épuisement de nos ressources.
Le réchauffement climatique, à commencer par le phénomène El Niño, a entraîné le blanchissement massif des coraux, particulièrement dans l’océan Indien, au Japon et dans les Caraïbes. En tout, la planète a perdu 14 % de ses coraux entre 2009 et 2018.
Le rapport de mission de Jean-Louis Levet nous le rappelle : l’océan constitue la principale source de protéines pour 3 milliards d’êtres humains, fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons et représente l’un des principaux réservoirs de biodiversité dans le monde. Notre devoir est donc de le préserver.
Cette mise en garde ne doit pas occulter notre besoin de connaissance. La mission d’information le souligne d’ailleurs très bien : « Si 100 % des fonds marins ont été cartographiés par satellite, la résolution obtenue par ce moyen inadapté aux fonds marins est de l’ordre du kilomètre, voire de la dizaine de kilomètres, ce qui est évidemment insuffisant pour de l’exploration fine. »
Dit autrement, il n’est pas logique de faire des projets pour atteindre Mars et la Lune, ou de mener des missions spatiales prometteuses, tout en négligeant nos fonds marins.
Dans la lignée des missions réalisées par Cousteau, qui nous a permis de découvrir la féerie de l’or bleu, nous devons poursuivre nos recherches en direction de cet horizon sans lumière, encore si nébuleux.
Le Gouvernement a constitué à cette fin un comité de pilotage interministériel. Cette instance s’est réunie à plusieurs reprises : sa première session s’est tenue sous la présidence des ministres chargés de la mer, de l’industrie et de la recherche en février 2022.
Le fil directeur de ce comité est la mobilisation de crédits publics pour des appels d’offres encourageant l’exploration des fonds marins, en étroite association avec la communauté scientifique. La dynamique est enclenchée : nous devons la poursuivre.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous expliquer le but de ce comité ? Va-t-il être réuni à nouveau ? Participe-t-il de la volonté de la France d’accroître ses connaissances scientifiques sur les grands fonds marins ?