La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? », sur les conclusions du rapport Abysses : la dernière frontière ?.
Je vous rappelle que dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
La parole est à M. Teva Rohfritsch, rapporteur de la mission d’information qui a demandé ce débat.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions débattre des conclusions du rapport que la mission d’information sur l’exploration, l’exploitation et la protection des grands fonds marins a adopté le 21 juin dernier. Le titre que nous avons choisi pour ce rapport Abysses : la dernière frontière ? comporte un point d’interrogation. Une interpellation bien à propos, tant sont nombreux les défis pour franchir avec intelligence et discernement cette barrière de la connaissance.
En effet, et bien que cela soit difficilement concevable en 2022, il ressort de nos travaux qu’il nous reste tout, ou presque, à découvrir des grands fonds marins. Ceux-ci s’apparentent à bien des égards à une véritable terra incognit a, et c’est un paradoxe : alors que douze hommes ont foulé le sol lunaire, seuls quatre ont plongé à plus de 10 000 mètres de profondeur.
En conséquence, nous ne connaîtrions, selon les plus optimistes estimations de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), que 5 % de la biodiversité de l’océan profond, et 2 % de la bathymétrie avec une résolution d’un mètre.
Cette méconnaissance n’est pas propre à la France, qui se situe dans la moyenne des principales puissances maritimes. Mais la France accuse bien quelques retards sur le plan industriel en dépit de ses performances reconnues sur le plan de la recherche et de l’innovation. Cette situation résulte à titre principal des difficultés liées aux grandes profondeurs, mais également, il faut le reconnaître, d’un désintérêt relatif et de longue date de la part des pouvoirs publics.
Pourtant, les enjeux sont nombreux, colossaux même, dans un monde qui va vite et dont la soif de connaissances et de ressources alternatives paraît insatiable au regard des enjeux de la transition énergétique. Souvent comparé à une nouvelle ruée vers l’or ou encore à la course aux étoiles, l’accès aux grands fonds marins, que l’on pense riches en ressources minérales, participe aux jeux et enjeux de puissances avec pour compétiteurs la Chine, la Russie, les États-Unis, la Norvège et de nombreux autres pays.
En parallèle, il a aussi été démontré que, contrairement à ce que nous pensions encore récemment, les abysses abritent une vie abondante, disposant de caractéristiques génétiques exceptionnelles pour survivre dans ces milieux hostiles. Ces écosystèmes doivent absolument être préservés. Nous n’en sommes qu’au stade de la description, et non de la compréhension de ces milieux, de leurs interactions et de leurs fonctions. Partant de ce constat et du fait que les procédés industriels d’extraction minière sous-marine n’ont pas atteint leur maturité, la mission d’information a estimé qu’il était prématuré d’envisager une exploitation.
Cela ne doit pas pour autant nous contraindre à l’immobilisme. Nous prônons au contraire un soutien accru à la recherche française, aux industriels et aux entreprises de services mobilisés sur l’exploration. Je suis en effet persuadé que la valorisation comme la protection de ces milieux fragiles passent par une première étape indispensable de recueil des connaissances. Connaître et comprendre pour protéger et préserver, tels doivent être nos maîtres-mots et je me réjouis, monsieur le secrétaire d’État, de l’appel à projets que le Gouvernement a lancé le 27 septembre dernier pour 25 millions d’euros dans le cadre du plan France 2030.
Cette première phase appelle déjà la suivante, car les opportunités de développement sont nombreuses. À titre d’exemple, il faudrait 3 500 ans à un robot autonome de type AUV (A utonomous Underwater V ehicle ), pour cartographier l’ensemble de la zone économique exclusive (ZEE) française. Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous annoncer la suite du calendrier pour France 2030 ?
Ces enjeux globaux ne doivent pas faire oublier la dimension locale et profondément humaine de notre rapport à la mer, qui s’apparente à l’intime dans certaines cultures, comme chez nous dans les outre-mer, comme chez moi en Polynésie française : la mer y est considérée comme le premier garde-manger, le trait d’union entre les îles et les peuples, le temple sacré, la voie de l’envol des âmes, tout simplement le lieu où l’on vit en bord de terre. Cette dimension locale est souvent oubliée, comme nous l’ont unanimement signalé les représentants des territoires ultramarins que nous avons auditionnés. Il est impératif d’associer nos populations, nos élus locaux, ou ce sera l’échec et le rejet.
Dans nos collectivités du Pacifique, l’impératif culturel, viscéral, se joint au respect des lois organiques et de la Constitution, qui consacrent de larges compétences aux collectivités, que l’usage local dénomme « pays » non par défiance à l’égard de la Nation, mais par fierté de l’identité particulière, fondée par l’histoire et la géographie, qu’elles portent en son sein. Nos territoires d’outre-mer sont bien aux premières loges de tous ces défis, la ZEE française est la deuxième mondiale en termes de superficie, 97 % de celle-ci est ultramarine et 47 % en Polynésie.
Je ne doute pas, monsieur le secrétaire d’État, que vous trouverez dans ces mots les ressources pour faire naître la concertation, mais aussi l’esprit d’initiative. Ia nui te aroha : que l’amour soit grand, dit-on chez nous.
Dans ce contexte d’enjeux multiples, nous sommes convaincus que la France a un rôle essentiel à jouer non seulement dans cette immense ZEE, mais également à l’échelle internationale. Elle fut l’une des toutes premières nations à s’intéresser aux grands fonds marins, dès les années 1960. Elle dispose d’un vivier de scientifiques et d’entreprises innovantes de renommée mondiale. La France est un membre historique et actif de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui lui a octroyé deux contrats d’exploration dans les eaux internationales. Sa marine est présente sur tous les océans.
Notre pays, avec toutes ses composantes ultramarines, est donc bien incontournable. C’est une chance pour lui, autant qu’une responsabilité que le Président de la République a fait sienne. Nous devons tous ensemble assumer cette responsabilité devant les Nations du monde, en particulier celles qui sont moins attentives aux impacts de l’immixtion de l’homme dans les milieux abyssaux. « Homme libre, toujours tu chériras la mer », nous disait Baudelaire : la France doit défendre au sein de l’AIFM une position exigeante quant aux garanties environnementales et aux moyens consacrés à leur respect.
Ces défis sont passionnants et nous obligent, mais ils appellent une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, en particulier l’État. C’est dans cet esprit de responsabilité que nous avons formulé vingt recommandations. Il faut notamment, monsieur le secrétaire d’État, associer davantage le Parlement, clarifier la gouvernance, aujourd’hui peu lisible, et soutenir aussi bien la recherche française que le tissu industriel par une commande publique forte et constante.
À ce stade, nos recommandations ne portent ni sur l’ouverture de crédits supplémentaires ni sur l’élaboration d’une énième stratégie interministérielle, mais sur la confirmation de ce qui a été conçu et annoncé autour de deux piliers : le pilier civil, avec la stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, issue de travaux collectifs menés par Jean-Louis Levet – ce pilier a été renforcé par le dixième objectif du plan France 2030, évoqué précédemment ; le pilier militaire, avec la stratégie de maîtrise des fonds marins du ministère des armées.
Pour le premier pilier, deux enveloppes, normalement distinctes, de 300 millions d’euros ont été annoncées et validées par l’ancien Premier ministre Jean Castex. Il ressort néanmoins de nos auditions que sa mise en œuvre souffrirait d’un portage politique diffus et trop faible. Si tel était le cas, ce serait un échec cuisant pour notre pays, celui de Jules Verne, du commandant Cousteau, mais aussi de Pasteur.
Pourriez-vous nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, sur la politique du Gouvernement en faveur de la connaissance de nos grands fonds marins ? Avec quels moyens et à quel rythme ? Les deux budgets de 300 millions d’euros sont-ils confirmés ? Quel regard portez-vous sur les vingt recommandations formulées par notre mission d’information ? Au regard des tensions géopolitiques en mer Baltique, pouvez-vous nous indiquer si la France dispose de moyens suffisants pour assurer la sécurité de ses infrastructures sous-marines de communication et d’énergie ? De nombreuses questions se posent, et ce débat permettra – je n’en doute pas – d’y répondre.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne pense pas me tromper en soutenant que nous partageons tous ici le souhait que la France confirme son rang de puissance maritime comme son excellence en matière de recherche et d’industrie sous-marine. Nous pouvons relever tous ensemble ce défi de la connaissance avec responsabilité.
Jules Verne ne s’y était pas trompé en nous invitant à aimer la mer, cet « immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés ». Ne cédons donc pas à l’immobilisme, mais faisons ensemble la démonstration qu’un modèle vertueux et performant est possible dans le respect des écosystèmes et des fonctions vitales de l’océan. Ce modèle doit être porté par la France, avec ses outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tenais à faire un court propos liminaire, d’abord pour vous remercier de la qualité de ce rapport, qui porte sur un domaine sur lequel nous connaissons pourtant très peu de choses.
Vous avez mené plus d’une soixantaine d’auditions – 69 pour être tout à fait précis ! –, et fait un certain nombre de déplacements, dont un en Norvège. On voit dans ce rapport la patte d’un connaisseur de la mer et de ses enjeux en termes tant de préservation de la biodiversité marine que de valorisation de ce patrimoine. Vous avez mis, monsieur le rapporteur, au cœur des enjeux pour la Polynésie, les territoires ultramarins et la France la nécessité de faire de la mer et des questions maritimes un moyen de lutte contre le changement climatique et un enjeu de souveraineté.
Le Gouvernement et tous ceux qui travaillent sur cette belle politique ont pris connaissance des recommandations. Avant de répondre à vos questions, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir sur trois points de clarification.
Premier point, il y a un pilote dans l’avion : c’est le Président de la République, qui affirme avec force une ambition dans ce domaine. Comme il a eu l’occasion de le rappeler lors de différents sommets, notamment la Conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne, mais aussi dans cette belle région de Bretagne que, comme lui, nombre d’entre vous connaissent bien ici – notamment le président de la mission d’information –, la connaissance des fonds marins et de l’océan est un enjeu crucial.
Le pilote dans l’avion, c’est aussi l’instance de décision qu’est le Comité interministériel de la mer (CIMer) au sein duquel a d’ailleurs été prise la décision de faire de l’exploration des fonds marins une priorité.
La deuxième clarification, que vous avez apportée – et je vous en remercie – avec un peu d’avance sur le Gouvernement, c’est que nous ne devons pas, et que nous n’allons pas, nous engager dans la voie de l’exploitation. La stratégie du Gouvernement et de tous les acteurs concernés est guidée par la volonté d’améliorer la connaissance, et de développer l’exploration et la recherche scientifique. Nous allons avancer dans cette voie, en incluant bien sûr tous les territoires – j’y reviendrai –, notamment ultramarins.
Troisième et dernier point de clarification, que je veux indiquer d’emblée, l’enveloppe consacrée à ce qui représente une aventure entrepreneuriale nationale, puisque nous allons devoir mobiliser nos industriels s’agissant notamment de la partie militaire, est dotée de 350 millions d’euros – 352 millions si l’on inclut quelques petits crédits dispensés dans différents ministères. Cette enveloppe importante est le signal politique que nous faisons de l’exploration des fonds marins un sujet prioritaire.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’être présents ce soir pour discuter de ce magnifique sujet qui a trait à la souveraineté, à l’urgence écologique et à notre capacité à répondre aux grands enjeux, pour nos concitoyens et pour les générations suivantes.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai laissé terminer votre propos, mais je vous demande de respecter le temps de parole qui vous est imparti dans la suite du débat.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les autres membres de cette mission d’information sur les fonds marins, j’ai participé à ses travaux avec beaucoup d’intérêt. J’ai lu attentivement le rapport et je partage l’essentiel de ses conclusions. En effet, si l’Amazonie est le poumon vert de notre planète et nécessite à ce titre l’attention du monde au moindre départ de feu, nos océans sont sûrement le poumon bleu indispensable à notre avenir. Le rôle des océans dans la régulation du réchauffement climatique est indéniable, et les abysses en sont peut-être la réserve naturellement préservée.
Au même titre que nous nous soucions de l’état de nos forêts et de nos sols afin de garantir la qualité de notre air, la bonne santé de nos océans doit demeurer l’une de nos préoccupations majeures dans l’intérêt de notre planète et des générations futures.
La France possède le deuxième espace maritime au monde, et a donc une responsabilité particulière de ce point de vue. Ne nous comparons pas à ceux qui, si vous me passez l’expression, sauteraient les étapes en confondant vitesse et précipitation et en espérant trouver une nouvelle manne énergétique, voire économique et financière. On sait que l’enjeu est trop important pour jouer à ce jeu-là.
Alors que le Président de la République souhaitait, comme il l’a dit en octobre 2021, le lancement d’une ère de conquête de « cette dernière frontière » que représentent les profondeurs maritimes, nous appelons, pour notre part, à la suite de cette mission d’information, à la prudence. Je tiens à souligner que les infléchissements intervenus depuis cette déclaration sont de nature à me permettre d’affirmer ici que le rapporteur a vraisemblablement d’ores et déjà été entendu.
Pour autant, la fascination pour ces fonds marins, que nous ne connaissons pas, n’empêche pas l’action. Notre méconnaissance nous éclaire au moins sur la nécessité d’améliorer notre connaissance. Paul Valéry, portant un regard sur le monde qui l’entourait, disait déjà en son temps que l’avenir serait cognitif…
Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, quatre personnes seulement ont observé les fonds marins au-delà de 10 000 mètres de profondeur, soit trois fois moins que les personnes ayant foulé la surface de la lune.
La recherche pour une meilleure connaissance des abysses est donc une impérieuse nécessité. Pour cela, il faudra des moyens techniques, mais aussi des moyens humains.
Les organismes existent, et nous avons d’ailleurs rencontré leurs représentants, tout comme vous, monsieur le secrétaire d’État. Je pense à l’Ifremer, dont je salue l’action, au passage, et au Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), dont la notoriété dépasse nos frontières.
Il sera également important d’associer pleinement nos collègues d’outre-mer au pilotage et au suivi de ce dossier, et même de le leur confier : la manière dont cette mission d’information s’est déroulée ne peut que nous y inviter. À tout le moins, c’est un souhait que j’exprime en toute liberté.
En tant que Breton, alors même que – j’en suis persuadé – d’autres Bretons nous regardent ce soir, et en tant qu’élu des Côtes-d’Armor, département auquel je tiens tant, monsieur le secrétaire d’État, je serai également ravi de participer à ces études, qui doivent être poursuivies, et d’en consulter les résultats. Elles sont indispensables car, s’il est vrai que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », « « science sans connaissance n’est que démagogie ». À bon entendeur…
Applaudissements.
M. Hervé Berville, secrétaire d ’ État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, j’indique tout d’abord que je partage votre amour des Côtes-d’Armor, et des citations !
Sourires.
Comme le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler notamment à Lisbonne, je le confirme et le redis devant vous ce soir au nom du Gouvernement : c’est dans la voie de l’exploration des fonds marins que nous voulons nous engager, et non dans celle de leur exploitation. De fait, je partage votre prudence.
De même, je partage aussi l’exigence que vous avez exprimée non pas en creux, mais très clairement, d’impliquer nos collègues d’outre-mer. C’est ce que nous ferons notamment dans le cadre du Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).
D’ici à un an, nous déploierons la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui comprend un volet consacré aux grands fonds marins ; à cette occasion, nous reviendrons vers vous pour vous soumettre un certain nombre de propositions. Si le pilotage doit être assuré par le Président de la République, la Première ministre et votre serviteur au secrétariat d’État à la mer, nous aurons l’exigence de vous impliquer dans l’élaboration de cette stratégie – on peut même parler de coconstruction –, non seulement parce que vous en êtes les premiers acteurs, mais également parce que, partout sur vos territoires, vous êtes confrontés de plein fouet au changement climatique.
Enfin, nous souscrivons à votre exigence d’un partage de la connaissance ; c’est d’ailleurs le dernier point qui a été évoqué lors du comité de pilotage France 2030. À cet effet seront financées des actions de vulgarisation des connaissances et de communication de tout ce qui est fait en la matière.
C’est également un moyen de susciter des vocations et de sensibiliser davantage nos concitoyens à la protection des océans et de la biodiversité marine.
Monsieur le secrétaire d’État, je salue tout d’abord le président de notre mission d’information, Michel Canévet, ainsi que son rapporteur, Teva Rohfritsch, et les félicite de la qualité du travail qu’ils ont mené à cette occasion.
Si plusieurs milliers d’êtres humains ont gravi l’Everest, point culminant de notre planète, si plus de trois cents personnes sont allées dans l’espace, si douze êtres humains ont marché sur la Lune, seuls quelques-uns ont exploré les profondeurs de la mer et les abysses. Cela démontre toute l’importance du mare incognit um et des enjeux qui y sont liés.
Si nous connaissons relativement bien la partie supérieure de nos océans – jusqu’à 3 800 mètres, leur profondeur moyenne –, leur partie la plus profonde nous reste inconnue.
Au-delà de la masse d’eau, il existe un autre enjeu tout aussi important, celui des fonds marins à proprement parler. À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, tout comme vous, nous proposons dans ce rapport une attitude de sagesse et de prudence. Cependant, prudence ne veut pas dire naïveté : le droit établit une distinction entre la res communis et la res nullius, c’est-à-dire entre les biens communs à l’humanité et les biens n’appartenant à personne, que, dans l’absolu, chacun peut s’approprier. C’est ainsi que, dans le cadre du programme Extraplac, nous avons obtenu la maîtrise d’1 million de kilomètres carrés supplémentaires de fonds marins et des ressources qu’ils contiennent. C’est là un point important.
Pour autant, nous devons avoir conscience que ces fonds marins représentent un enjeu économique : ainsi, 32 % du gaz et du pétrole sont exploités en offshore.
Je ne reviens ni sur les gazoducs – il en a été beaucoup question ces derniers jours – ni sur les câbles sous-marins, dont la sécurité est un enjeu majeur.
Pour conclure, je veux attirer votre attention sur un point, monsieur le secrétaire d’État : l’avenir du Nautile. Trop hâtivement à mon goût, il a été décidé de mettre fin à son exploitation à partir de 2028. Pour moi, plus qu’une erreur, c’est une faute. Pour plusieurs raisons : premièrement, ce que fait un sous-marin, un drone le fera différemment ; deuxièmement, après son recarénage, prévu pour 2028, le Nautile pourra continuer d’être opérationnel pendant encore dix à quinze ans.
Troisièmement – et je conclus, monsieur le président –, la France compte parmi les cinq pays qui disposent de la capacité d’envoyer à 6 000 mètres de profondeur des bâtiments habités. Il serait donc problématique de sortir de ce club fermé, et pas seulement au regard des enjeux que représente la recherche scientifique.
Une telle décision serait catastrophique, tout cela pour économiser 1 million d’euros !
Applaudissements.
M. le président. J’ai été très tolérant avec vous, mon cher collègue. Par conséquent, vous n’aurez pas droit à une réplique !
Sourires.
Monsieur le sénateur, je sais votre implication sur ce sujet. Je veux vous rassurer : prudence ne signifie pas naïveté de la part de la France. Le Gouvernement est bien conscient de l’enjeu stratégique que représentent les grands fonds marins. C’est la raison pour laquelle, outre une stratégie de recherche marine, nous développons, avec le ministère des armées, une stratégie de maîtrise de ces fonds marins, notamment pour être en capacité d’assurer la surveillance de notre espace maritime et de nos câbles sous-marins.
Le rapporteur, parfaitement au fait de ces enjeux, sait bien la nécessité d’accroître ces moyens de surveillance – en surface et en profondeur –, notamment dans le cadre de la loi de programmation militaire, et de développer nos capacités d’innovation.
Pour vous répondre concrètement sur le Nautile, je prends l’engagement devant vous d’étudier très précisément s’il est possible et souhaitable de poursuivre, grâce à un financement du plan France 2030, son exploitation, compte tenu de son caractère stratégique, comme vous l’avez très bien souligné.
Sans en revenir toujours à la Bretagne, je veux indiquer à votre collègue des Côtes-d’Armor que tous les résultats de la campagne qu’a menée cet été la mission Hermine 2 de l’Ifremer sont accessibles via son blog. C’est là un élément de partage et de connaissance de la science.
Monsieur le secrétaire d’État, poursuivre l’exploitation du Nautile, je le redis, coûterait 1 million d’euros. Cependant, la formation des opérateurs sous-mariniers nécessite plusieurs années ; par conséquent, une éventuelle décision doit intervenir rapidement, faute de quoi nous perdrons notre capacité opérationnelle. C’est un enjeu important.
Si nous voulons offrir du rêve à nos enfants, celui-ci doit être incarné. Et être opérateur sur le Nautile peut être un rêve.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.
Monsieur le secrétaire d’État, il y a près d’un an, lors de son discours sur le plan de relance France 2030, le Président de la République déclarait ceci : les fonds marins « sont un levier extraordinaire pour la compréhension du vivant ; il ne faut pas laisser dans l’inconnu une partie du globe ».
Si plus de 71 % de la surface de la Terre est couverte par des océans, les grands fonds marins restent très peu connus. Selon les scientifiques, 95 % des océans profonds restent encore inexplorés.
Je rappellerai trois chiffres pour qu’on se rende compte de l’ampleur de notre méconnaissance.
On recense actuellement environ 250 000 espèces vivantes sous-marines. Or, selon Jean-Marc Daniel, directeur du département chargé de l’exploration des grands fonds à l’Ifremer, on pourrait découvrir vraisemblablement entre 1 million et 10 millions de nouvelles espèces.
Au-delà de la découverte de nouvelles espèces, les fonds marins recèlent de nombreuses ressources minières, très convoitées, comme le cobalt, le manganèse ou le nickel. Ces métaux entrent notamment dans la composition des batteries électriques, éléments incontournables pour l’avenir de la décarbonation, de la production d’énergie et de son stockage.
Il est vrai qu’à l’heure où l’exploration des grands fonds marins s’accélère dans le monde, la France, l’un des pays pionniers de l’exploration des océans, doit aussi accroître ses efforts pour rester dans la course et maîtriser sa souveraineté dans son espace maritime.
Disposant du deuxième plus vaste domaine maritime au monde après les États-Unis, et ce grâce à nos outre-mer, notre pays a souvent été présenté comme un défenseur du monde marin. Or, dans un contexte où toutes les puissances maritimes renforcent leur développement technologique et leurs programmes d’exploration des eaux sous leur juridiction, comme avec les eaux internationales d’ailleurs, la problématique de l’exploitation des grands fonds marins refait surface.
Il faut noter que l’exploitation minière en haute mer constitue pour nombre d’entreprises privées une opportunité de développement, en particulier dans le secteur industriel, comme la production d’engins sous-marins d’avenir.
Cependant, cette exploitation inquiète de nombreux scientifiques et organisations non gouvernementales (ONG), car elle implique des dégradations irréversibles de notre écosystème et de la biodiversité, avec notamment un effet immédiat sur la chaîne alimentaire océanique.
Ces craintes sont plus que légitimes et on ne peut les écarter d’un revers de main. C’est pourquoi je les rejoins quant à la revendication de renforcer avant tout notre connaissance des profondeurs. Il s’agit d’un préalable indispensable à l’élaboration d’un cadre juridique d’exploitation minière le plus respectueux de l’environnement possible. Ces raisons ont justifié le moratoire qui a été adopté.
Monsieur le secrétaire d’État, je m’interroge donc naturellement sur la position du Gouvernement à cet égard. Vous avez défloré le sujet précédemment, mais quelle politique souhaitez-vous mettre en œuvre pour l’exploration et l’exploitation des fonds marins ?
Vous comprendrez que nous soyons parfois un peu perdus entre la déclaration, en juillet dernier, du Président de la République lors de la conférence des Nations unies sur l’océan, dans laquelle il en appelait à « l’élaboration d’un cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer », et ses déclarations précédentes soutenant la quête d’une extraction minière en eaux profondes.
La publication des excellents travaux de la mission d’information sur l’exploration et la protection des fonds marins, dont nous débattons aujourd’hui, tombe donc à pic.
Ainsi, je souscris à la recommandation de nos collègues visant à temporiser sur une prospection et une exploitation prématurée des ressources minières dans l’attente d’acquérir une connaissance scientifique suffisante sur la question. Néanmoins, comme cela a été souligné dans le rapport, cette prudence ne doit pas être synonyme d’immobilisme et nous extraire de la compétition mondiale.
À ce titre, comme l’a rappelé le rapporteur, l’État doit s’impliquer pleinement dans la structuration d’une base industrielle et technologique souveraine et compétitive au niveau international, car nous devons garder à l’esprit que d’autres puissances mondiales, comme les États-Unis ou la Chine, sont moins timorées en la matière.
Dans tous les cas, le pilotage de la politique à mener sur les abysses, au regard du caractère transversal des enjeux, mérite de gagner en visibilité. On ne peut donc que soutenir la création d’un ministère de la mer de plein exercice, compétent pour établir une stratégie maritime centralisée pour les fonds marins, comme le propose la mission d’information.
Enfin, en tant qu’élu ultramarin, j’insiste sur cette recommandation, ainsi que sur celle de renforcer en particulier les moyens humains et financiers de l’Ifremer.
Quelle que soit la position du Gouvernement, cette politique doit absolument y associer le Parlement et les outre-mer, aux différents stades : élaboration, pilotage et suivi. En effet, la question des grands fonds marins ne doit pas être uniquement abordée sous le prisme des avis des instances étatiques et des experts. L’opposition ferme des habitants de Wallis-et-Futuna en 2010 et 2012 doit nous servir de leçon.
Cette décision doit être prise de manière transparente et démocratique, car elle concerne directement l’ensemble des personnes qui résident dans des régions où les modes de vie, l’économie et la culture sont influencés par l’environnement maritime. Dès lors, nous devons établir, tous ensemble, une stratégie maritime respectueuse de la biodiversité et des écosystèmes, sans quoi elle pourrait susciter la méfiance des territoires et engendrer des blocages.
J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous saurez nous éclairer et nous offrir une meilleure visibilité.
Applaudissements.
Monsieur le sénateur, je commencerai par vous répondre sur la déclaration qu’a faite le Président de la République à Lisbonne, déclaration centrale puisqu’elle va déterminer ce que sera notre stratégie, le fléchage de nos financements et la manière dont nous allons travailler ensemble.
En effet, il convient de créer un cadre juridique afin de mettre fin aux activités minières en haute mer et d’interdire tout nouveau projet en la matière qui mettrait en danger les écosystèmes, comme nous l’avons fait en France pour les hydrocarbures.
Très clairement, depuis cette déclaration du Président de la République, la France s’est engagée, dans sa stratégie d’investissements, uniquement sur la voie de l’exploration. D’ailleurs, c’est ce à quoi seront consacrés les 350 millions d’euros qu’il est prévu de débloquer.
Dans le même temps, la protection de la haute mer, c’est la bataille que nous devons mener à l’international, en particulier dans le cadre de la conférence intergouvernementale Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ) – comme on dit en grand-breton. §Même si la France ne s’engage pas dans la voie de l’exploitation, nous avons bien conscience, car nous ne sommes pas naïfs, que d’autres que nous peuvent s’y engager et qu’il nous faut donc, comme dans bien d’autres domaines, convaincre nos partenaires ou d’autres États de renoncer à ces initiatives. C’est pour cette raison que nous souhaitons codifier les règles.
La France, me semble-t-il, est en avance dans ce domaine. Je vous renvoie aux décisions qui ont été prises concernant l’exploitation de gisements d’hydrocarbures ou le projet Montagne d’Or, en Guyane. C’est pour cela que notre pays doit s’impliquer dans les instances internationales pour convaincre que la protection de la biodiversité marine et des océans nécessite la mise en place d’un cadre strict.
On ne peut naturellement aborder un sujet maritime sans parler des outre-mer, puisque c’est autour de la France ultramarine que se situent 97 % de sa ZEE, équivalant à 17 fois sa surface terrestre, comme de nombreux collègues n’ont pas manqué de le rappeler. Notre pays est donc bien un pays maritime.
À la lumière de ces chiffres, on peine donc à croire que la stratégie maritime française ne soit pas davantage affirmée. Le rapport de nos collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch, d’une grande richesse, est à mon sens un plaidoyer particulièrement nourri en faveur d’une politique maritime ambitieuse, qui doit aller au-delà des eaux surjacentes pour partir à la conquête des profondeurs marines.
Avec ce débat et celui qui se tiendra demain sur la stratégie maritime, à la demande de la délégation aux outre-mer, on ne peut que se réjouir de la séquence maritime qui s’ouvre, preuve s’il en fallait de la vigilance particulière du Sénat sur ces questions.
La mission d’information formule ainsi de nombreuses préconisations en vue de dessiner l’architecture du pilotage de la stratégie d’exploration des grands fonds marins. Elle ne peut en effet se concevoir sans identifier les acteurs qui l’incarneront et la déploieront.
À cet égard, il va sans dire que j’approuve la nomination au sein du Gouvernement d’un secrétaire d’État chargé de la mer. Mais l’exhortation à une politique ambitieuse est aussi le signe que la volonté politique de l’État, dans sa continuité d’ailleurs, n’est pas à la mesure du potentiel que recèle la mer française. C’est pourquoi je pense que ce n’est pas tant le rang protocolaire qui compte que la volonté au sommet de l’État, et au sein du Gouvernement tout entier.
Le Parlement devra en outre être pleinement associé en vue de la sécurisation juridique des grands fonds marins, que le « vide juridique » qui les entoure fragilise.
Dans le code minier, l’imprécision quant à leur exploitation fait encourir un risque et il s’agit de sécuriser ce patrimoine pour ne pas laisser se développer les initiatives d’autres pays, qui pourraient se faire d’ailleurs au détriment des outre-mer.
Légiférer c’est protéger le patrimoine marin, son intégrité et, partant, notre souveraineté, la mer étant une partie de notre territoire.
Par ailleurs, au moment où la délégation aux outre-mer rouvre ses travaux sur la différenciation territoriale, je suis sensible à la place que la mission accorde aux collectivités d’outre-mer dans la coordination de la stratégie pour les fonds marins.
Si elle juge leur exploitation prématurée à ce stade de leur connaissance, elle invite à se placer dans une logique d’anticipation. La recherche et l’exploration ouvrent là aussi des perspectives économiques et scientifiques qui devraient placer les territoires ultramarins au cœur de la politique des grands fonds marins. C’est depuis la terre que l’on conquiert la mer et, de ce point de vue, les outre-mer constituent des bases avancées géostratégiques, et des bases arrière notamment pour la recherche scientifique.
Pour autant, les représentants des collectivités ultramarines auditionnées ont unanimement déploré l’absence d’information et d’association à l’élaboration de la stratégie 2021. Elle constitue pourtant un enjeu économique, social, éducatif et d’intégration régionale qui mérite d’être pensé avec les outre-mer, et pas seulement pour eux. Enfin, qu’ils s’emparent pleinement de ce défi !
Une vision maritime ambitieuse, c’est aussi la possibilité pour les territoires ultramarins de renforcer leurs compétences locales, de tourner leur jeunesse vers de nouveaux métiers. La cartographie et la bathymétrie doivent offrir une connaissance précise des grands fonds, partagée avec les collectivités.
En outre, l’approche globale des travaux de nos collègues tient compte de la place des populations, de leur nécessaire adhésion et de l’indispensable respect de leurs représentations pour assurer le succès d’une stratégie.
Plus généralement, les profondeurs marines de nos ZEE sont dotées d’une richesse minérale exceptionnelle. Que ce soit par les minéralisations hydrothermales, les encroûtements cobaltifères ou grâce à la présence de nodules, les scientifiques recensent pas moins de 27 métaux différents.
Un déplacement à Brest avec la mission a été l’occasion de découvrir le travail remarquable de l’Ifremer, dont le rôle central aux côtés des autres instituts – le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Shom, pour ne citer que les principaux – mérite d’être souligné. Ce travail vaut à notre pays de figurer dans le « top 10 » des grands pays océaniques.
Oui, la recherche doit être soutenue ; elle est la clé de la maîtrise des profondeurs et, malgré la période troublée qui impose des arbitrages, la recherche stratégique ne devrait pas faire l’objet de compromis.
Nous devons également placer l’industrie au cœur de l’ambition pour les grands fonds marins. Dans cette politique, les outre-mer devront trouver une place de premier plan et bénéficier des fruits du développement des activités autour des profondeurs maritimes qui les entourent.
J’en terminerai par un mot sur la coopération. En matière maritime, elle est incontournable et doit se situer au niveau international, mais aussi, pour une bonne intégration des outre-mer, au niveau régional.
Applaudissements.
Madame la sénatrice, je vous remercie de votre implication sur ce sujet. Comme je l’ai indiqué, nous porterons une attention toute particulière aux territoires ultramarins dans la mise en œuvre des recommandations de ce rapport, et je veux indiquer concrètement comment.
D’abord, notre stratégie maritime, qui intègre la stratégie des grands fonds, est portée au plus haut niveau de l’État par le CIMer, en association avec le ministère chargé des outre-mer et, bien évidemment, l’ensemble des collectivités.
Ensuite, le Conseil national de la mer et des littoraux, qui est chargé de sa déclinaison, comprend en son sein des élus des outre-mer et des représentants de ces magnifiques territoires.
Et, puisqu’il est parfois nécessaire de disposer d’un peu plus de temps et de pouvoir échanger dans un cadre informel, je vous propose d’intégrer dans le groupe de concertation piloté par le secrétariat général de la mer (SGMer), chargé de la coordination administrative, l’ensemble des élus des outre-mer qui le souhaiteront pour travailler avec les ONG et les scientifiques et pour faire entendre la voix des territoires ultramarins. Tout cela nourrira la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui sera mise en œuvre en 2023.
Enfin, le déploiement de notre planification stratégique des grands fonds marins nécessitera que nous intégrions les stratégies des territoires à la stratégie nationale décidée au niveau ministériel, et ce par souci de coordination – les stratégies locales peuvent varier en fonction des résultats aux élections.
D’ici à 2023, cette planification stratégique des grands fonds marins se fera donc territoire par territoire, avec une véritable ambition nationale.
Monsieur le secrétaire d’État, « les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal », disait Jacques Chirac. La surface maritime de la France est, en effet, 17 fois supérieure à sa surface terrestre. C’est dire à quel point il est difficile d’appréhender la présence française sur tous les océans.
Ces vastes espaces contiennent un grand potentiel de ressources maritimes. Parmi celles-ci se trouvent les ressources de nos fonds marins. Nous ne connaissons que très peu ces fonds. Il est en effet relativement difficile et coûteux d’explorer les abysses, surtout lorsque les profondeurs se comptent en milliers de mètres. De précieuses ressources minières sont néanmoins susceptibles de s’y trouver.
Nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser à ces ressources. En Europe, l’Allemagne et la Norvège sont en train de creuser l’écart. Elles restent pourtant encore très loin derrière les deux superpuissances que sont les États-Unis et la Chine.
Certains pays s’intéressent de près à nos territoires, notamment dans le Pacifique, pour les ressources qu’ils pourraient contenir, mais aussi parce que nos fonds abritent des infrastructures stratégiques : câbles de communication, pipelines. De récents sabotages soulignent ce caractère stratégique, ainsi que la volonté de certains acteurs de les instrumentaliser.
L’une de nos premières priorités doit être l’exploration. Dresser l’état des lieux de nos fonds marins est indispensable pour préserver efficacement notre biodiversité. Cela l’est tout autant pour déterminer l’existence de ressources minières.
Il nous semble à cet égard que la France doit investir suffisamment dans la technologie pour mieux contrôler ses espaces maritimes. Les drones sont une technologie particulièrement utile à l’exploration sous-marine ; il est essentiel que nous puissions la maîtriser.
Les recommandations du rapport d’information traduisent la nécessité d’investir le sujet. Notre groupe est bien sûr favorable au renforcement du rôle du Parlement dans le développement de ces projets ; il est nécessaire de parvenir à des solutions équilibrées pour permettre à la France d’avancer.
Nous sommes également très favorables au retour d’un ministère de la mer de plein exercice. Cela contribuerait à redonner toute sa place à cette dimension majeure. L’Histoire démontre amplement que la maîtrise des mers est un important facteur de puissance.
Et maintenant, un paragraphe sur la Bretagne !
Exclamations amusées.
Mon cher Michel Canévet, le jeudi 30 octobre 2014 reste gravé dans ma mémoire avec amertume. Nous débattions de la loi relative à la délimitation des régions. Nous défendions ensemble une Bretagne à cinq départements. Nous voulions créer un pôle mondial de compétitivité mer conciliant tous les domaines de l’innovation, de la recherche jusqu’à la construction navale.
Économiquement, la Bretagne à cinq départements, c’était la constitution d’une vraie région maritime, avec en façade deux grands ports : Brest et Nantes-Saint-Nazaire.
La Bretagne, berceau d’activités liées à la mer, est une porte maritime naturelle. Elle permettrait de déployer, en la matière, une grande politique utile à l’ensemble de la France, à l’heure où l’essentiel du trafic mondial de marchandises s’effectue par voie maritime. Nous n’avons pas été entendus et, aujourd’hui, nous constatons une perte de compétitivité des ports français, qui réclament d’importants investissements.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu qu’une coordination nationale serait mise en œuvre ; mais, si les régions françaises étaient un peu moins nombreuses et les régions littorales mieux tournées vers la mer, ce serait plus simple.
Il n’est pas réaliste de croire qu’avec des moyens limités la France est en mesure de rivaliser avec les capacités américaines ou chinoises. Bien entendu, il reste indispensable que notre pays soit à même de garantir sa souveraineté sur l’ensemble de ses espaces.
Pour être crédible tout en tenant compte de ses capacités, la France peut compter sur la conclusion de partenariats avec des puissances ayant, avec elle, des intérêts communs. Ainsi, en juin dernier, le ministre des armées a signé un accord de soutien logistique avec Singapour. Nous nous en réjouissons, puisque les armées de nos deux pays en tireront bénéfice.
Nous ne disposons pas de moyens militaires nous permettant de contrôler intégralement les vastes étendues placées sous notre juridiction. À l’inverse, Singapour détient d’importants moyens, mais n’a pas l’espace suffisant pour les déployer. Cet accord pourrait servir de base à d’autres partenariats, plus globaux, destinés à protéger notre patrimoine marin.
J’espère que la construction d’un nouveau porte-avions – quelques bruits se font entendre à ce propos – aura bien lieu comme prévu. En parallèle, nous devons renforcer nos coopérations et alliances face à des superpuissances qui ne cessent d’envahir les espaces marins.
Nos partenaires européens disposent en effet de capacités significatives : la Suède est ainsi en train de construire la coque d’une frégate de 7 000 tonnes. La France ne possède pas de capacités comparables. En revanche, nombre de systèmes embarqués destinés à ce navire sont français.
Les fonds marins seront l’un des prochains enjeux de rivalité entre les États et – j’y insiste – nous devrons être en capacité de défendre nos intérêts. Étant donné l’importance des sources de développement économique dont il s’agit, c’est un rendez-vous à ne pas manquer !
Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi qu ’ au banc des commissions.
M. Hervé Berville, secrétaire d ’ État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Monsieur le sénateur, un grand Breton, Éric Tabarly, insistait lui aussi sur la nécessité de renforcer les connaissances maritimes de nos concitoyens. Il disait en son temps : « La mer, c’est ce que les Français ont dans le dos quand ils sont à la plage. »
Sourires.
Depuis, nous avons fait beaucoup de progrès et, au sein de mon secrétariat d’État, nous nous efforçons d’avancer en ce sens car, dans tous les territoires, on mesure l’importance de la sensibilisation.
Peut-être parviendrai-je à vous convaincre que le secrétariat d’État placé auprès de la Première ministre permet déjà de répondre aux différents enjeux que vous avez évoqués.
Étant rattaché à la Première ministre, j’ai la légitimité pour agir au niveau interministériel. §On le voit bien : le maritime, c’est à la fois le littoral, donc la terre, la haute mer et les fonds marins ; c’est à la fois l’économie, l’écologie, la défense et l’aménagement du territoire.
Je le constate tous les jours : mon rattachement à Matignon m’épargne de nombreuses réunions interministérielles. Il me permet d’avancer beaucoup plus rapidement et de mobiliser tous les services de l’État pour faire de l’océan un objectif prioritaire.
Avec l’appui du SGMer et, surtout, de la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA), créée il y a six mois et forte de plus de 300 agents, je déploie de mon mieux cette action interministérielle. J’y insiste, car j’en suis persuadé : ce secrétariat d’État me permet de travailler avec beaucoup plus d’efficacité, de cohérence et de convergence, notamment pour la maîtrise des fonds marins.
La mer est un enjeu de compétition stratégique : notre rattachement à la Première ministre nous permet de plaider en ce sens de manière beaucoup plus efficace. Avec le ministère de la défense et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), nous parvenons à déployer une stratégie coordonnée, qu’il s’agisse de l’exploration, donc de la connaissance, ou de la sécurité, autrement dit de la surveillance et du contrôle de nos espaces maritimes.
Voilà pourquoi l’échelon interministériel me semble tout à fait adapté aux enjeux maritimes.
Mme Nassimah Dindar applaudit.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
M. Jacques Fernique. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis le troisième orateur à citer cette phrase ce soir, si bien que nous allons finir par la connaître par cœur
Sourires.
Voilà les termes exacts par lesquels le Président de la République, le « pilote de l’avion », a défini la ligne française à Lisbonne, en juin dernier. Il faut le dire : cette clarté a tranché avec les ambiguïtés, pour ne pas dire la confusion, qui jusqu’ici caractérisaient la politique française au sujet des ressources minérales des fonds marins.
C’est de ce « défaut de lisibilité » que le rapport de notre mission d’information a dressé le juste constat. Notre mission a ainsi pointé un « éclatement de la gouvernance entre divers ministères dont aucun ne paraît jouer de véritable rôle fédérateur ».
La stratégie française se brouillait dans trois démarches différentes.
La première est celle du rapport Levet : elle vient de revoir la stratégie de 2015 sur l’exploration et l’exploitation minières, qui, comme le rapport de notre mission l’indique, s’est soldée par un échec.
La deuxième est la stratégie militaire, qui travaille à maîtriser tout ce qui se joue de sensible dans les profondeurs.
La troisième et dernière démarche est la stratégie financière France 2030, qui affecte 310 millions d’euros au spatial et à la mer. Lors de l’annonce de cette stratégie, les déclarations présidentielles avaient des accents extrêmement enthousiastes pour l’eldorado recelant « 84 % des réserves de nos minerais ».
On comprend que la déclaration de Lisbonne, que je citais en préambule, contre l’exploitation minière des océans et en faveur d’un cadre légal international contraignant, ait surpris ceux qui avaient jusqu’ici cru comprendre que l’exploitation industrielle des grands fonds était, à terme, le cap fixé.
Notre débat d’aujourd’hui est donc particulièrement bienvenu. Parmi les questions qu’il soulève figure cette interrogation centrale : la déclaration du Président de la République à Lisbonne se traduira-t-elle concrètement en actes, pour changer une donne jusqu’à présent on ne peut plus inquiétante ?
Je pense notamment à la perspective de l’extraction minière ; et, à ce sujet, je tire trois conclusions principales des auditions menées par notre mission d’information.
Tout d’abord, le fonctionnement des écosystèmes des fonds marins et des équilibres fragiles d’absorption du carbone par les océans reste très largement méconnu. Sa déstabilisation pourrait avoir de très graves effets.
Ensuite, on constate la grande vulnérabilité des écosystèmes profonds : les impacts ravageurs des expérimentations menées dans les années 1970 ont montré que la restauration de la biodiversité des abysses était terriblement lente.
Enfin, la rentabilité économique d’une telle exploitation est tout sauf avérée, face à l’extraction terrestre et surtout au potentiel de l’économie circulaire. L’énergie qu’il faudrait déployer pour remonter des matériaux des abysses est, à elle seule, particulièrement rédhibitoire.
La déclaration de Lisbonne a été mise à l’épreuve une première fois en juillet dernier, lors du conseil de l’AIFM sur la perspective d’un code minier.
On peut regretter que la France n’ait pas saisi ce moment pour se montrer aussi ferme que le Président de la République à Lisbonne. Certains s’attendaient à ce qu’elle renforce les tenants du moratoire. L’échéance de la règle des deux ans posée par l’État de Nauru approche et, déjà, de nombreux pays s’opposent à l’adoption d’un règlement à l’horizon de juillet 2023. Ils préconisent plutôt une pause dans les négociations, afin de pouvoir entamer un travail approfondi menant vers un cadre juridique solide et protecteur de la biodiversité marine.
Il semble que notre pays souhaite gagner du temps dans les négociations qui vont conduire à l’adoption d’un code minier. Le Président de la République a fait savoir que la Conférence des Nations unies sur les océans de 2025 lui semblait un cadre approprié. Il serait raisonnable de continuer à pousser en ce sens.
De plus, la fameuse règle des deux ans reste entourée d’un flou juridique et, de ce fait, mériterait une analyse claire. Certes – je le sais –, la France n’interprète pas cette règle comme une obligation pour le Conseil d’approuver provisoirement, de manière automatique, toute demande déposée à partir de juillet 2023 ; mais, à ce jour, une telle disposition n’en constitue pas moins une menace, dans la mesure où elle pourrait conduire à l’approbation de licences.
Monsieur le secrétaire d’État, ces ambiguïtés persistantes doivent impérativement être clarifiées. C’est indispensable pour engager les négociations cruciales qui nous attendent.
La France, c’est-à-dire tous les services et personnes chargés de ce dossier, s’oppose-t-elle fermement à cette exploitation minière ? S’engage-t-elle, pour commencer, à l’interdire dans les eaux territoriales françaises ?
La France confirme-t-elle de façon claire son opposition à l’adoption du code minier d’ici à juillet 2023 ? S’assure-t-elle, à ce titre, qu’un travail collectif et robuste sera entrepris ?
À l’issue du délai de deux ans, dès juillet 2023, la France soutient-elle le principe que toutes les demandes de délivrance de licences provisoires d’exploitation soient fermement rejetées en attendant qu’un cadre réglementaire solide et protecteur des abysses soit adopté ?
Ces questions sont d’autant plus graves à l’heure où, au sein de l’AIFM, divers problèmes de gouvernance et de transparence sont mis en lumière. Est-il tolérable que son opaque commission « LTC »
Legal and Technical Commission
autorise, au terme d’une procédure très peu démocratique, peu transparente et absolument pas inclusive, la société canadienne TMC à effectuer – excusez du peu ! – des tests d’extraction de 3 600 tonnes de nodules dans l’océan Pacifique ? De quelle manière et par quels moyens la France œuvre-t-elle en faveur d’une réforme de l’AIFM ?
Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi qu ’ au banc des commissions. – M. Joël Bigot et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.
En effet, aux différentes questions que vous posez, je réponds oui, oui et oui !
Depuis plus d’un an, nous menons au sein de l’AIFM un important travail pour convaincre les autres États d’adopter le nouveau code minier, eu égard à son importance pour la préservation de la biodiversité en haute mer.
À cet égard, il n’y a aucune ambiguïté, bien au contraire. Nous sommes parfaitement clairs : la France ne s’engage pas dans la voie de l’exploitation, mais dans celle de l’exploration, de la connaissance et de la recherche scientifique marine.
Dans le même temps, nous constatons la nécessité de ne pas livrer la haute mer aux entreprises de privatisation, qui conduiraient à telle ou telle monopolisation et au développement d’activités incontrôlées. Partout, dans toutes les instances multilatérales, nous nous battons donc en faveur d’un cadre contraignant.
J’en viens aux actes.
Premièrement, le plan France 2030 ne soutient que des appels à projet destinés à l’exploration. Aucun – c’est explicite – n’est dédié à l’exploitation.
Deuxièmement – vous l’avez vous-même évoqué –, la France a modifié en 2022 son code minier pour limiter les activités dont il s’agit aux entreprises d’exploration.
Je le répète, nous nous battons à l’international, que ce soit auprès de la BBNJ ou de l’AIFM, pour construire le nouveau cadre légal. Fruit de la convention de Montego Bay, l’AIFM est, du moins pour l’heure, le cadre de ces discussions.
J’aurais aimé entendre la même clarté lors de nos auditions des derniers mois ; cela étant, je me réjouis de votre réponse.
Il serait tout de même bon de nous faire savoir dans quel sens le Gouvernement souhaite réformer l’AIFM. De même, pour ce qui concerne la fameuse règle des deux ans, il serait bon qu’il nous fasse part de son analyse juridique, car elle serait susceptible de nous rassurer.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’évocation de cette mission d’information, qui a fourni un travail remarquable, j’ai pensé au film de Louis Malle, Le monde du silence.
En 1956, date de sortie de ce film – le deuxième dans l’histoire des prises de vues sous-marines en couleur –, nous vivions dans un autre contexte. Le grand public, encore naïf, découvrait une corne d’abondance qu’il croyait inépuisable. C’est dans cet état d’euphorie que nous avons déversé, pendant des décennies, des déchets dans les océans : des boues d’épuration, des déchets chimiques, industriels, radioactifs et plastiques.
Aujourd’hui, la place de l’océan doit être à la mesure de son rôle dans les équilibres climatiques, environnementaux et sociaux planétaires. Le Président de la République l’a répété en février dernier lors du sommet de Brest : « L’océan est la première victime de ce que nous n’avons pas su faire, ou mal fait : surexploitation, pollution, acidification qui l’ont mis en danger. »
Il est temps de préserver notre biodiversité, et notamment la haute mer, qui commence là où s’arrêtent les ZEE des États. Cet espace nous appartient à tous. Il ne doit pas être une zone de non-droit.
Nous ne le nions pas, les discussions pour élaborer un texte contraignant visant à sauvegarder cette vaste zone qui couvre près de la moitié de la planète sont difficiles. La ligne d’arrivée est visible, elle est à portée de signature, mais elle s’est encore évanouie le 26 août dernier à l’issue de quinze jours d’âpres tractations aux Nations unies.
Parmi les sujets les plus débattus figure la répartition des bénéfices possibles issus de l’exploitation des ressources de haute mer, où industries pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques espèrent découvrir des molécules miraculeuses.
Dans le même temps, nous apprenons qu’une société canadienne testera dans la zone de Clipperton, espace si cher à notre collègue Philippe Folliot, un système composé d’un prototype de collecteur de nodules au fond de la mer. Les risques sont multiples : faire remonter des sédiments, entraîner une perte de biodiversité, menacer des puits de carbone essentiels tout en remettant en cause les pêcheries internationales de thon et d’autres espèces.
Le temps presse. Aussi, le Président de la République souhaite « mettre en place un cadre légal pour arrêter l’exploitation minière des grands fonds marins en haute mer ». On doit donc continuer à s’activer pour faire entendre cette voix : celle de la protection de la biodiversité marine, de la protection des océans, de la lutte contre le dérèglement climatique et de la capture du carbone.
Nous savons que cette ligne ne fait pas l’unanimité : outre certaines grandes puissances économiques, c’est toute une sphère privée qui s’est engagée dans la course aux fonds marins. Mais il n’y a aucune honte à défendre la sobriété énergétique, seul moyen d’éviter l’épuisement de nos ressources.
Le réchauffement climatique, à commencer par le phénomène El Niño, a entraîné le blanchissement massif des coraux, particulièrement dans l’océan Indien, au Japon et dans les Caraïbes. En tout, la planète a perdu 14 % de ses coraux entre 2009 et 2018.
Le rapport de mission de Jean-Louis Levet nous le rappelle : l’océan constitue la principale source de protéines pour 3 milliards d’êtres humains, fournit la moitié de l’oxygène que nous respirons et représente l’un des principaux réservoirs de biodiversité dans le monde. Notre devoir est donc de le préserver.
Cette mise en garde ne doit pas occulter notre besoin de connaissance. La mission d’information le souligne d’ailleurs très bien : « Si 100 % des fonds marins ont été cartographiés par satellite, la résolution obtenue par ce moyen inadapté aux fonds marins est de l’ordre du kilomètre, voire de la dizaine de kilomètres, ce qui est évidemment insuffisant pour de l’exploration fine. »
Dit autrement, il n’est pas logique de faire des projets pour atteindre Mars et la Lune, ou de mener des missions spatiales prometteuses, tout en négligeant nos fonds marins.
Dans la lignée des missions réalisées par Cousteau, qui nous a permis de découvrir la féerie de l’or bleu, nous devons poursuivre nos recherches en direction de cet horizon sans lumière, encore si nébuleux.
Le Gouvernement a constitué à cette fin un comité de pilotage interministériel. Cette instance s’est réunie à plusieurs reprises : sa première session s’est tenue sous la présidence des ministres chargés de la mer, de l’industrie et de la recherche en février 2022.
Le fil directeur de ce comité est la mobilisation de crédits publics pour des appels d’offres encourageant l’exploration des fonds marins, en étroite association avec la communauté scientifique. La dynamique est enclenchée : nous devons la poursuivre.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous expliquer le but de ce comité ? Va-t-il être réuni à nouveau ? Participe-t-il de la volonté de la France d’accroître ses connaissances scientifiques sur les grands fonds marins ?
Mme Nassimah Dindar et M. Michel Canévet applaudissent.
Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement rappelé la nécessité de renouer le fil de l’aventure maritime pour susciter des vocations. Dans tous nos territoires, notamment à La Réunion, nous devons faire naître de futurs scientifiques, de futurs chercheurs, de futurs explorateurs qui nous aideront à mieux connaître nos océans.
Votre question m’invite à clarifier la gouvernance relative aux enjeux des grands fonds marins. Comme vous l’indiquiez, j’ai réuni avec mes collègues chargés de l’industrie, de la recherche et de l’enseignement supérieur un comité de pilotage des grands fonds marins.
Ce comité avait pour objectif de faire le point sur la mission n° 1, menée à Mayotte, et surtout de lancer l’appel à projet de 25 millions d’euros sur les grands fonds marins. Ce dispositif est destiné à financer des projets de recherche et de développement, à construire des équipements, par exemple des drones et des navires, en portant une attention toute particulière à leur autonomie. Il s’agit par exemple de développer des sous-systèmes, des capteurs et des composantes adaptés au milieu marin, ainsi que des logiciels et des systèmes de traitement de données.
Lors de la réunion du comité de pilotage des grands fonds marins, nous avons aussi annoncé un programme d’équipements prioritaires de recherche, comme des drones. À ce titre, quatre missions exploratoires scientifiques sont prévues : cartographie, analyse de l’activité sismique du volcan de Mayotte, développement d’un drone scientifique et mise au point d’un robot d’intervention.
Ce comité de pilotage, répondant au dixième objectif du plan France 2030, a pour sa part une triple mission.
Tout d’abord, il réunit toutes les parties prenantes, à commencer par les ministères compétents et les six ambassadeurs concernés.
Ensuite, il est chargé de dresser le bilan du travail accompli depuis quelques années déjà, en en tirant les leçons qui s’imposent.
Enfin, il doit défendre la nécessité de donner aux scientifiques français, à tous nos organismes de recherche, notamment le CNRS et l’Ifremer, les moyens de faire de la France une grande puissance scientifique en la matière.
Le prochain comité de pilotage, qui se réunira au début de l’année prochaine, permettra d’entretenir cette dynamique.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « l’humanité a dépassé les limites de la capacité de charge de la planète et s’aventure toujours plus loin en territoire non durable ». Voilà ce qu’affirme aujourd’hui dans le journal Libération Jørgen Randers, professeur émérite de stratégie climatique à Oslo, l’un des auteurs du fameux rapport Meadows.
Intitulé Les Limites de la croissance et publié en 1972 – il y a cinquante ans déjà, alors que nous commençons tout juste à réagir –, ce rapport dressait un constat alarmant : celui d’une croissance physique exponentielle dans un monde fini.
La quantité de ressources naturelles utilisées par personne et par an dans le monde ne cesse d’augmenter : c’est ce que j’appelle la croissance physique.
De fait, six des neuf limites planétaires ont déjà été dépassées. Nous habitons un monde qui se dégrade sans cesse. Allons-nous répéter dans les abysses les erreurs que nous avons commises sur terre ? Une extraction ne peut être menée sans dommage collatéral. Elle altère forcément l’environnement et présente des risques non négligeables pour les êtres vivants habitant les profondeurs.
Coraux d’eau froide, crabes yétis, vers tubicoles, anémones transparentes : c’est dans des écosystèmes uniques, plongés dans l’obscurité, que l’on trouve ces espèces endémiques. Les abysses abritent une grande diversité biologique que nous ne faisons qu’entrevoir et qui promet de superbes découvertes.
Or notre mode de vie implique une consommation de plus en plus forte de métaux et de terres rares. Il induit une utilisation importante d’appareils numériques et de véhicules électriques. Le développement indispensable des énergies renouvelables face aux défis énergétiques va nécessiter une consommation accrue de ces ressources.
Face à ces deux enjeux contradictoires – préserver et produire –, la sensibilisation du grand public devient une nécessité afin d’atténuer la pression qui s’exerce pour la recherche de nouveaux gisements.
Les grands fonds océaniques, précisément, sont riches en ressources minérales. De plus, l’état actuel du monde nous montre la nécessité d’être plus indépendants – la majorité des métaux viennent aujourd’hui de Chine.
À ce jour, trois types de minéralisations sont connus : les nodules polymétalliques, les encroûtements cobaltifères et les amas sulfurés. Toutes ces richesses suscitent de plus en plus de convoitises. C’est pourquoi l’AIFM doit être confortée. En parallèle, elle doit faire preuve d’une plus grande transparence, non seulement dans sa gouvernance, mais surtout dans son rôle de contrôle, pour la préservation des écosystèmes.
Actuellement – les précédents orateurs l’ont rappelé –, seulement 1 % de la haute mer fait l’objet d’une protection juridique. Il faudra aller plus loin, car il s’agit là d’un bien commun.
Sur notre continent, des pays comme la Norvège, où s’est rendue notre mission d’information, ont légiféré pour autoriser, dans un avenir proche, l’exploitation des grands fonds marins.
Cette exploitation industrielle, qui implique des extractions de minerais, se traduira par de nouvelles atteintes au vivant. Destruction du milieu, qu’il s’agisse des habitats ou de la faune ; mise en suspension de sédiments et de particules métalliques ; vibrations provoquant des impacts acoustiques ; perturbations lumineuses dans des zones plongées dans l’obscurité : tel sera, au minimum, l’impact des extractions minières.
L’océan produit plus de la moitié du dioxygène de l’air et fixe le carbone. Il constitue d’ailleurs un prodigieux puits de carbone, ce uniquement grâce au vivant qui s’y trouve. Or – vous le savez – le vivant est menacé par le réchauffement, les pollutions diverses et variées, qu’elles soient chimiques, plastiques ou sonores, lesquelles sont toutes provoquées par l’homme.
À titre d’exemple, lorsqu’un prélèvement scientifique est effectué en milieu marin, on peut en voir les traces des années plus tard. Ce qui est détruit ne se reconstituera pas avant des décennies, car les écosystèmes s’y régénèrent bien moins vite que sur terre.
Pour autant, la recherche doit être soutenue et encouragée. Comme le souligne le rapport, la France doit se doter d’une filière scientifique marine de premier plan, puisque nous disposons du deuxième domaine maritime mondial. Ce constat vaut pour l’Ifremer, dont il faut accroître les moyens, mais aussi pour le CNRS, où 2 000 scientifiques travaillent sur le monde marin et, bien sûr, pour le Shom.
En effet, nous devons avoir les moyens de garantir notre souveraineté et la sûreté de nos données numériques qui transitent par les câbles sous-marins. N’oublions pas non plus que nos territoires d’outre-mer ne sont parfois reliés à l’Europe que par un câble.
Face aux risques géopolitiques, nous devons maintenir, voire renforcer, les capacités françaises d’intervention dans les grands fonds.
La découverte des abysses nous laisse deviner un univers fabuleux, emblématique de la beauté du monde ; une nature foisonnante, inattendue et, plus que tout, magnifique.
On nous assure que chaque prélèvement révèle des dizaines d’espèces nouvelles. Ce seul constat est, d’une certaine manière, réconfortant. Toutefois, la France se montrera-t-elle active à l’international pour œuvrer à la préservation de la haute mer ?
Je remercie M. le rapporteur et M. le président de cette mission d’information pour le formidable travail accompli.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi qu ’ au banc des commissions et sur des travées du groupe CRCE. – M. Marc Laménie applaudit également.
M. Hervé Berville, secrétaire d ’ État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. Madame la sénatrice, vous avez évoqué de nombreux points. J’ai déjà abordé certains d’entre eux et je vais tenter d’éviter les répétitions, étant donné l’heure tardive – même si, pour les débats parlementaires, il est presque tôt.
Sourires.
Parmi les sujets que vous avez mentionnés et qui n’avaient encore été que peu traités ce soir, la sensibilisation de nos concitoyens me semble tout à fait essentielle. En effet, il faut s’efforcer d’entretenir un élan collectif en faveur d’une plus grande protection de nos océans et de la biodiversité marine.
Ce travail de sensibilisation doit permettre d’attirer de nouveaux jeunes vers les métiers de la mer, qui sont parfois méconnus ou font l’objet de visions dépassées. En particulier, il faut insister sur la pluridisciplinarité qu’ils présentent, au carrefour de la géologie, de l’océanographie et de l’économie.
Entre autres enjeux figurent : les liens entre le littoral et la mer ; le déploiement et la gestion des câbles sous-marins ; la surveillance, la protection et l’autonomie stratégique.
Voilà pourquoi il faut sensibiliser les publics les plus jeunes tout en s’adaptant à la réalité des territoires : on ne parle pas de la mer de la même manière dans une région littorale, où ces questions sont très bien connues, et dans des lieux plus éloignés des côtes.
Dans le cadre du plan France 2030, nous avons notamment financé la réalisation d’un documentaire de vulgarisation tourné dans l’océan Atlantique.
Ce travail met l’accent sur l’enjeu environnemental. Chacun doit mesurer les conséquences de sa consommation quotidienne et, à cet égard, il faut insister sur l’impact du numérique : entre autres appareils, les téléphones portables nous permettent, en deux clics ou en deux swipes, de contempler de magnifiques images de l’océan, mais leur usage a un impact sur lesdits océans et sur la biodiversité.
Il faut avoir conscience de l’exploitation minière que ces équipements impliquent et se montrer particulièrement vigilants : c’est la sobriété énergétique qui permettra de limiter l’impact du numérique sur la biodiversité marine.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les grands fonds marins, en France et pour la France, restent ce soir une grande question, alors même qu’une bonne politique de protection et d’exploitation de notre potentiel maritime pourrait être une solution pour notre Nation.
Mes collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch ne s’y trompent pas, dans leur rapport d’information, quand ils déplorent le faux départ constaté depuis de nombreuses années.
Il ne s’agit pas de vous, monsieur le secrétaire d’État ! Au contraire, plus je vous écoute, plus je pense que vous prenez un très bon départ.
Sourires.
C’est une gouvernance éclatée qui entrave la dynamique nécessaire à une vision politique des fonds marins en France.
Il est toujours utile de préciser les points suivants : la France est la deuxième puissance maritime mondiale après les États-Unis ; 97, 5 % de sa ZEE sont liés aux outre-mer et restent pourtant dans l’ombre des collectivités de La Réunion, de Mayotte, de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Guyane ; le potentiel économique et géopolitique de nos îles Éparses, dans l’Indianocéanie, est important, grâce à la ZEE dont la France dispose dans le canal du Mozambique.
Les vingt recommandations émises par mes collègues donnent un nouvel élan à la stratégie nationale telle que la souhaitent les nombreuses autorités auditionnées. Ces propositions vont dans le bon sens.
Je me permettrai simplement de souligner les deux principales.
Premier point, sur le volet des écosystèmes à préserver, que mon collègue a évoqué, nous avons beaucoup avancé dans nos îles Éparses. Nous les avons même sanctuarisées, jusqu’à abattre 16 000 vaches sur les îles Saint-Paul et Amsterdam. Et il est question aujourd’hui d’abattre les rennes qui peuplent les îles Kerguelen…
Nous pouvons donc continuer à gérer de façon durable la faune et la flore de ces régions, sans devenir des ayatollahs de l’écologie. Cela vaut également pour les fonds marins.
Il nous faut allier la présence humaine et la préservation de l’environnement dans nos îles vierges de l’océan Indien, les îles Éparses, lesquelles restent des territoires d’expérimentation particulièrement pertinents. C’est une autre région maritime de France, après la Bretagne !
L’information de la population environnante, des élus, des collectivités territoriales, reste primordiale au cœur d’une mobilisation intelligente et partagée qui faciliterait l’acceptabilité sociale des mesures prises pour les populations impactées.
Ainsi, nombreux sont les élus qui demandent une coordination entre La Réunion et Mayotte sur une vision partagée des fonds marins, en matière environnementale comme en matière économique, et, au-delà, avec la Commission de l’océan Indien (COI). Pour ce qui concerne cette dernière, il me semble que nous devons aborder la question de la coopération régionale avec les pays qui en sont membres, et notamment la grande île de Madagascar.
S’agissant des énergies marines, un centre de recherche existe aujourd’hui à La Réunion, des travaux y sont menés par l’lfremer et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Quel partage serait-il possible de mettre en place pour assurer l’implication des pouvoirs publics, des collectivités territoriales, et particulièrement des communes littorales, nombreuses sur nos îles ?
Les décisions relatives aux ressources de l’océan profond et à leur utilisation durable au service d’une prospérité commune, ainsi qu’à l’implication de toutes les parties prenantes dans les choix éventuels en matière d’exploration ou d’exploitation des grands fonds marins, ne doivent pas être prises en vase clos, mais de manière concertée et élargie. La France prend à ce titre le bon chemin ; j’ai ainsi à l’esprit les recherches conduites en lien avec les outre-mer français ainsi qu’avec les pays limitrophes, comme l’Australie, dans le domaine des géosciences marines.
Le deuxième point sur lequel je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, concerne l’état de la flotte d’outre-mer et la dotation en drones sous-marins. Le rapport fait état de la nécessité d’acquérir des patrouilleurs « grands fonds », en lien avec l’industrie française. Six de ces navires seront livrés d’ici à 2025, dont deux à La Réunion. Je m’en réjouis.
Il me semble que nous pouvons compter sur votre implication au secrétariat d’État à la mer. Les outre-mer attendent beaucoup du travail que vous mènerez, en lien avec nous.
Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Madame la sénatrice, vous avez abordé les sujets de la stratégie et de la nécessité d’impliquer les acteurs, c’est-à-dire à la fois la vision et la méthode.
Tout d’abord, le Gouvernement reconnaît qu’il faut aller beaucoup plus loin en termes de stratégie pour l’Indianocéanie. Depuis cinq ans, nous avons mené un travail approfondi, en lien avec les différentes collectivités locales, sur la stratégie indopacifique ; nous devons maintenant entamer le même effort concernant la stratégie indianocéanique, également avec les territoires concernés. Je vous invite donc à travailler avec nous, en vue de développer une stratégie et une vision.
Ensuite, vous avez évoqué l’importance des territoires dans le cadre de la réflexion portant sur les enjeux de valorisation et de souveraineté. Ainsi, à La Réunion, l’océan joue un rôle fondamental pour l’autonomie alimentaire.
Enfin, vous avez fait état de la nécessité de moderniser la flotte. Le ministre des outre-mer et moi-même poursuivrons nos efforts en ce sens.
Je vous propose donc, conformément à ce que j’ai indiqué à propos de la planification des grands fonds marins, de puiser dans la force de ces territoires, dans leurs spécificités et dans votre connaissance de cet espace pour travailler sur les sujets de la valorisation, de la protection, voire de la sanctuarisation, ainsi que de la déclinaison d’une coopération régionale.
Vous évoquiez le Mozambique et les États de la COI. Nous allons engager ce travail dans le cadre, également, du CNML. Il devrait aboutir, raisonnablement, d’ici à l’été 2023 à une stratégie basée sur la force de territoires comme celui de La Réunion.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront à Teva Rohfritsch, rapporteur de ce travail sur une meilleure maîtrise des fonds marins, dont l’importance n’est plus à démontrer.
Les événements récents concernant les gazoducs Nord Stream nous rappellent que les fonds marins sont le lieu du transport des hydrocarbures, mais aussi du transit de 98 % des échanges et des informations numériques, ainsi que de ressources, minerais et métaux dont notre industrie a besoin aujourd’hui.
À cet égard, notre rapport a révélé plusieurs obstacles auxquels se heurte l’appréhension de cette question particulière.
Le premier est celui de la connaissance : la biodiversité des fonds marins n’est connue qu’à hauteur de 5 %. Cela ne saurait constituer un obstacle total à leur exploitation, mais nous devons être vigilants. Nous ne pouvons pas les exploiter sans mieux connaître cette biodiversité, et ces fonds eux-mêmes.
Les connaissances bathymétriques portent sur 2 % à 5 % du plancher océanique ; à la vitesse à laquelle nous allons, il nous faudrait 3 500 ans pour le connaître entièrement… Il est donc nécessaire que nous nous dotions de moyens suffisants, dont certains ont été précisés par les précédents orateurs.
Il s’agit, bien sûr, de moyens destinés à nos organismes publics – Ifremer, CNRS, Shom, BRGM, IRD –, mais également à nos entreprises privées, lesquelles sont nombreuses et ont un rôle à jouer, mais manquent un peu de leadership et, surtout, de visibilité politique.
Je vous ai bien entendu, monsieur le secrétaire d’État, indiquer à quel point le Président de la République était impliqué. Notre rapport a révélé que pas moins de huit ministères étaient en charge de ces stratégies, dont aucun n’exerce de véritable leadership. Le secrétariat d’État chargé de la mer n’a malheureusement pas cette prérogative ; nous aurions souhaité qu’il en dispose.
S’y ajoute le SGMer. Vous nous expliquerez en quoi la nomination de Didier Lallement est un signe positif pour cette stratégie maritime – ou plutôt pour ces stratégies, tant plusieurs d’entre elles cohabitent, ainsi que l’indique le rapport. Plan d’investissement France 2030, réunions du CIMer, stratégie des fonds marins relevant du ministère des armées : nous avons rencontré quelques difficultés pour comprendre comment ces démarches s’interpénétraient, ainsi que pour déterminer si les financements se cumulaient ou non. Vous nous avez cependant livré un chiffre sur le dernier point au cours du débat.
Au-delà de cette volonté politique, il a été rappelé que 97 % de notre ZEE se situaient dans les territoires ultramarins. Les auditions des élus concernés auxquelles nous avons procédé ont établi que ceux-ci avaient le sentiment de n’avoir pas été associés à ce qui se passait sur leur territoire. Et ce n’était pas seulement un sentiment ! Pourtant, cela a été dit, la mer confine parfois au sacré dans la culture de certaines de ces zones. Il ne paraît donc pas envisageable de travailler sans ces élus ; il me semble que vous l’avez parfaitement compris, monsieur le secrétaire d’État.
Tels sont les obstacles et les enjeux. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de trouver au fond de la mer des minerais dont nous manquerions sur terre. Le rapport a ainsi démontré que plus nous avions besoin de minerais, plus nous en trouvions sur terre. L’enjeu, c’est véritablement la souveraineté sur des territoires et dans des domaines où nos compétiteurs sont nombreux et agressifs.
Il ne suffit pas de détenir une zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés ; encore faut-il avoir la volonté de refaire de la France une grande puissance maritime. Nous avons tous les atouts pour cela.
Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu ’ au banc des commissions.
Madame la sénatrice, votre intervention me permet de clarifier certains aspects de la gouvernance.
Je souscris pleinement à vos propos sur la nécessité de continuer à faire de la France une puissance maritime. Il s’agit non pas seulement d’une question de délimitation de l’espace, mais d’un enjeu de puissance économique, militaire et scientifique.
Le cadre de la gouvernance est très clair.
La mer est un espace dans lequel prennent place des activités relevant de plusieurs secteurs, et donc de plusieurs ministères. Nous avons considéré que la meilleure manière de prendre en compte cette interministérialité et de traiter les enjeux maritimes sous les angles écologique, stratégique et de souveraineté, était de les placer auprès de la Première ministre.
Il y a, tout d’abord, le CIMer, le cadre politique, présidé par la Première ministre, où se décident les grandes orientations de la politique de la mer.
La déclinaison politique, ensuite, revient au secrétaire d’État chargé de la mer, qui coordonne politiquement tout ce qui se passe sur la mer. C’est ce que nous faisons, ainsi, en matière de planification maritime pour les énergies marines renouvelables, en lien avec le ministère des armées comme avec le monde de la pêche.
Quant aux questions stratégiques que vous évoquiez, elles relèvent du CNML, qui est, au fond, le parlement de la mer. Il regroupe des parlementaires, des usagers, des associations, sous l’autorité du secrétaire d’État chargé de la mer, qui opère cette coordination.
Enfin, le SGMer assure la coordination administrative, et non l’animation ou l’impulsion politique.
Vous le voyez, le dispositif est clair : d’un côté, le CIMer et le secrétariat d’État chargé de la mer ; de l’autre, le SGMer, qui assure la partie administrative et la déclinaison partout sur les territoires, en lien avec les préfets et les préfets maritimes.
Je ne suis pas certaine que vos explications aient apporté beaucoup de clarté ! Elles ont démontré, en revanche, la multiplicité des acteurs, et l’on peine encore à comprendre comment ceux-ci sont réellement articulés.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme de nombreux orateurs précédents l’ont mentionné, les océans présentent des potentiels inégalés dans les domaines nutritionnel, pharmacologique, énergétique, minier. Certains s’emploient à dire que la vie serait issue des océans et que, aujourd’hui, notre survie en dépendrait, pourvu que nous sachions exploiter leurs ressources de façon raisonnée.
Les océans font aussi l’objet d’enjeux stratégiques et géopolitiques, et les conflits terrestres trouvent désormais leur prolongation dans les fonds marins.
Le rapport qui sert de base au débat de ce soir insiste sur la nécessité d’une cohérence dans la stratégie et d’une coordination des actions. Mais, au-delà de la gouvernance, se pose la question de l’ambition de la France de devenir une grande nation maritime. Notre pays devra, comme le mentionne Christian Buchet, s’affranchir de son passé, et de sa tendance à vouloir desserrer la mâchoire de fer de Charles Quint et à se tourner vers l’Est, et donc vers la terre.
L’exposition « Miroir du Monde », que l’on peut admirer au musée du Luxembourg, témoigne que la connaissance et la puissance ont dépendu de la maîtrise des mers et de l’organisation des circuits logistiques, apanage successif des Portugais, des Hollandais, des Anglais, et aujourd’hui des Chinois.
Affirmer une vocation maritime, c’est impulser une identité qui passe par la sensibilisation, l’éducation, la vulgarisation scientifique et technique, la constitution d’un réseau de formation et de recherche, la création d’un pôle d’excellence permettant de structurer une filière industrielle dont l’amorçage ne pourra être effectué, comme le souligne le rapport, que par la commande publique.
Je voudrais souligner les efforts des villes et des régions de France, lesquelles ont lancé de nombreuses initiatives. Ainsi, à Cherbourg, de l’autre côté du Couesnon – en Normandie, une région comptant, elle, cinq départements
Sourires.
Monsieur le secrétaire d’État, au moment où la récente nomination du nouveau secrétaire général de la mer nous interroge, quelle est votre feuille de route ? Quelles seront les prochaines actions que vous impulserez pour structurer une véritable filière océanique ?
Sur le plan international, l’exploration et l’exploitation des fonds marins prennent l’allure d’une ruée vers l’or bleu, au détriment de la préservation de l’environnement.
Aussi, au-delà des recommandations du rapport, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat insiste sur la nécessité de soutenir une initiative diplomatique visant à promouvoir, au niveau international, un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins n’excluant pas la possibilité d’interventions pour l’exploration, qui devront être néanmoins codifiées afin de ne pas détruire des écosystèmes.
De même, il importe de mettre en place des sanctuaires des profondeurs en délimitant des zones qui seraient totalement protégées et qui pourraient être reliées entre elles par des corridors biologiques sous-marins. Cette proposition figure dans l’étude intitulée « Les grands fonds marins : quels choix stratégiques pour l’avenir de l’humanité ? », réalisée par la Fondation de la mer en 2022.
Enfin, il est impératif de refondre complètement l’AIFM et notamment de réviser son mode de financement, actuellement basé sur une taxe perçue sur l’exploitation, qui la place donc dans une situation ambiguë. Cette refonte doit aussi lui permettre de contrôler et de sanctionner les pays et les acteurs qui contreviendraient aux obligations de protection de la biodiversité.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement partage-t-il cette analyse visant à refonder l’AIFM et son financement, et à lui conférer un pouvoir de contrôle et de sanction ?
Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Nassimah Dindar et M. Michel Canévet applaudissent également.
Monsieur le sénateur, la feuille de route qui a été assignée à ce secrétariat d’État comprend trois objectifs.
Le premier est la protection des océans et de la biodiversité marine, à la fois sur le territoire et au niveau international. Cela fait l’objet de ce que nous portons dans le cadre du processus BBNJ.
Le deuxième est le développement de l’économie maritime partout sur nos territoires. Il s’agit de lancer la décarbonation de ce secteur, notamment des ports et des navires, et de soutenir notre modèle de pêche très divers, qui va de la Méditerranée à la Manche.
Le troisième objectif est de lancer un grand exercice de planification de l’espace maritime, nécessaire, car la mer est un objet aux usages multiples et denses : énergies marines renouvelables, pêcheurs, activités touristiques, etc.
Cet exercice de planification va précisément nous permettre de répondre à l’objectif de sanctuarisation proposé par la Fondation de la mer. Dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, nous pouvons aller vers une telle issue ; j’y suis favorable. Pour ce faire, nous aurons besoin de ce cadre de planification, en lien avec les territoires.
S’agissant de l’AIFM, nous sommes favorables à une réforme de son financement, à l’adaptation de son organisation aux nouveaux enjeux et aux nouvelles demandes, à la protection des fonds marins et à la mise en place d’un cadre international à cette fin. Nous allons avancer en ce sens, grâce aux débats parlementaires ; je sais que vous y êtes prêt, monsieur le sénateur, comme le rapporteur et les orateurs qui vous ont précédé.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de l’initiative du groupe RDPI et de l’organisation de ce débat, qui nous permet de mettre en exergue la situation de la France du point de vue maritime.
L’espace maritime français est, dans le domaine économique, mais aussi militaire, un élément constitutif fort de la capacité d’influence de notre pays et, plus largement, de sa puissance.
Cette mission d’information vient nous rappeler fort à propos que notre ZEE est source d’immenses richesses qu’il nous faut protéger, d’abord pour une raison économique : la quasi-totalité de nos échanges transite par des voies maritimes et l’intégralité ou presque de nos données internet passe dans des câbles sous-marins – notre sécurité en dépend étroitement, nous en prenons conscience depuis quelque temps. Si l’on interrompt ces flux, notre vie individuelle et collective sera complètement bouleversée et désorganisée.
Cet impératif met en exergue le rôle premier de protection et de sécurisation de notre marine nationale, que je tiens à saluer ici.
De manière plus générale, l’approche maritime de notre puissance est essentielle pour de multiples raisons. C’est pourquoi les orientations stratégiques et les capacités de les respecter sont particulièrement importantes, pour peu que nous voulions conserver une capacité de puissance à l’échelle de la planète ou, tout au moins, conforter notre position de puissance régionale de premier plan.
Ces dernières années, certains signes nous ont laissé penser que notre zone d’influence avait tendance à se réduire au regard de celle d’autres grandes puissances maritimes. C’est d’autant plus dommageable que nous disposons de ressources considérables.
J’ai particulièrement à l’esprit les grands fonds marins. Ceux-ci ont certes leur place dans le plan d’investissement France 2030, mais cette mission d’information sénatoriale nous a rappelé combien les enjeux liés à ces fonds ont été insuffisamment partagés. Pourquoi se limiter à quelques experts sous la houlette de l’État pour fixer les grandes orientations et les moyens adéquats ?
Nos rapporteurs ont souligné combien nous avions besoin d’un pilotage clair et élargi. C’est pourquoi la désignation d’un délégué interministériel aux fonds marins, chargé d’animer la politique des fonds marins et de coordonner l’action des différents ministères et des acteurs scientifiques, est nécessaire.
De même, le rapporteur appelle de ses vœux, à juste titre, la création d’un ministère de la mer de plein exercice afin de mettre en œuvre la politique maritime française relative aux grands fonds marins, mais aussi à la pêche et à l’aquaculture.
Pourquoi, en outre, ne pas impliquer le Parlement en désignant un représentant de chaque assemblée au sein du comité de pilotage de la stratégie, et y associer les délégations parlementaires aux outre-mer ainsi que les exécutifs ultramarins ?
Enfin, nous comptons sur vous pour que nous disposions de l’ensemble des connaissances préalables avant que ne soit prise toute décision de prospection et d’exploitation des ressources minières des fonds marins. Celles-ci constituent sans nul doute une option stratégique. Mais les rapporteurs ont indiqué à bon droit combien nous avions besoin de connaissances scientifiques approfondies, lesquelles font aujourd’hui parfois défaut, sur les grands fonds et leurs écosystèmes.
Monsieur le secrétaire d’État, pour éviter toute procrastination, faites en sorte d’écouter le Sénat, au moment où tant d’autres puissances maritimes convoitent de manière de moins en moins voilée ces espaces. Les échos de ce qui se passe dans le Pacifique ne manquent pas de nous inquiéter à cet égard : l’implication des États-Unis et les manœuvres de la Chine sont de moins en moins feutrées.
Il est temps de réagir. Ce travail d’approfondissement de nos connaissances et d’élargissement des partenariats avec les parties prenantes – chercheurs, élus, associations, entreprises – est une étape préalable avant de considérer l’opportunité de chercher ou non à atteindre l’objectif d’une exploration en vue d’une exploitation industrielle des fonds marins.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, les conditions indispensables pour donner un nouveau départ, que nous appelons de nos vœux, à la stratégie nationale pour les grands fonds marins.
Monsieur le sénateur, ma présence ici et notre riche débat montrent à quel point le Gouvernement écoute et va faire siennes certaines propositions concernant, notamment, l’implication des élus des territoires ultramarins, la nécessité d’une planification stratégique, avec des objectifs de sanctuarisation, ou encore le renforcement de l’interministérialité et de la cohérence des différentes stratégies.
Nous allons donc vous écouter et mieux prendre en compte ce qui est dit par les parlementaires. C’est pourquoi j’ai relancé, dès la semaine dernière, le Conseil national de la mer et des littoraux. J’y insiste, parce qu’il s’agit du parlement où se réunissent tous les acteurs, où l’on définit la stratégie, où l’on mène l’évaluation, où la concertation trouve sa place.
Peut-être le CNML n’est-il pas assez connu, mais il est très utile. Il me semble, en outre, qu’il a été défendu par tous les acteurs concernés lors du Grenelle de la mer. Je souhaite donc en faire le lieu où ceux-ci se rassemblent, discutent, avancent et coconstruisent.
Je suis à la disposition du Parlement, et singulièrement du Sénat, pour poursuivre ce débat et la réflexion sur les investissements, sur leur déclinaison territoire par territoire ainsi que sur les moyens que nous devons consacrer, dans le cadre du projet de loi de finances, au CNRS, à l’Ifremer, à l’IRD ou encore à la flotte océanographique française.
Autre point sur lequel nous allons vous écouter : nous devons disposer d’un responsable qui ne se contente pas de coordonner, mais qui décline cette politique territoire par territoire. À cette fin, j’ai proposé la création au sein de mon secrétariat d’État d’un poste de coordinateur de la planification des grands fonds marins. Son titulaire mènera ce travail avec l’ensemble des ministères, et l’une de ses missions principales sera d’entendre ce que dit le Parlement, notamment le Sénat, et de le traduire en actions concrètes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la possibilité que vous nous avez offerte d’échanger, de discuter et d’avancer sur ce sujet passionnant qu’est celui des abysses et des grands fonds marins. Comme vous l’avez dit, les mers et les océans couvrent 71 % de la surface de la planète et constituent dans leur plus grande partie ce que l’on nomme « les grands fonds », à savoir des eaux d’une profondeur entre 200 et 6 000 mètres qui couvrent 65 % de la surface du globe.
Vous le savez, la France de par son histoire, sa géographie et ses territoires ultramarins est une grande puissance maritime. Le Président de la République et la Première ministre, dans la feuille de route qu’elle m’a confiée, ont pour objectif de tout faire pour protéger nos océans, pour valoriser nos espaces maritimes et pour que la France devienne une puissance maritime du XXIe siècle, capable de porter des actions exemplaires non seulement sur son territoire, mais aussi à l’international.
Car la puissance maritime, mesdames, messieurs les sénateurs, ne se résume pas à la puissance militaire ou économique ; elle implique aussi – je le crois profondément et votre rapport l’a parfaitement montré – une puissance scientifique, de sorte qu’il faut se donner les moyens d’avoir une stratégie pour la recherche marine. En effet, comme vous l’avez parfaitement décrit au cours de vos travaux, la connaissance des grands fonds marins est la condition indispensable pour mesurer tous les effets qu’ils recouvrent, pour les valoriser, pour tenir compte de leur fragilité et in fine pour les protéger.
Nous disposons d’un comité interministériel de la mer, le CIMer, qui en janvier 2021 a défini l’exploration scientifique des grands fonds marins comme sa priorité. Vous l’avez très bien dit, nous ne connaissons qu’une infime partie de ces territoires, qui restent à nos yeux sans doute encore plus étrangers que l’espace.
Il s’agissait donc de poser un premier cadre, grâce au comité interministériel de la mer, qui s’inscrit dans une architecture de gouvernance très claire pour nous, même si je sais qu’elle a pu susciter un certain nombre d’interrogations. Elle s’organise autour de la Première ministre, du secrétaire d’État chargé de la mer et d’une coordination assurée en lien avec le secrétaire général de la mer.
Le même dispositif existe dans d’autres domaines, comme celui de la défense, avec un ministre de la défense et un secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, ou bien celui de l’Europe, avec un ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe et un secrétaire général des affaires européennes. Il permet d’assurer une coordination qui prend en compte l’aspect interministériel des enjeux.
Je souhaite que la priorité définie par le CIMer soit mise en œuvre dans le cadre du parlement de la mer, c’est-à-dire du Conseil national de la mer et des littoraux, instance de concertation principale qui réunit les usagers de la mer, les ONG, les élus de tous les territoires et les services de l’État. C’est en son sein que sera discutée la stratégie nationale pour la mer et le littoral que nous aurons à construire d’ici à 2023. C’est également là que nous défendrons les priorités pour les grands fonds marins, que nous déclinerons les investissements et que nous prendrons en compte les spécificités des territoires.
Pour satisfaire votre deuxième recommandation, monsieur le rapporteur, je nommerai une personne qui s’occupera du pilotage des grands fonds marins et qui fera le lien entre l’aspect financier, défini dans le plan France 2030, et la planification que nous aurons à établir partout dans les territoires.
Grâce à cette gouvernance, je suis convaincu que nous pourrons mieux concerter, décider et financer les priorités sur les grands fonds marins, qui nous permettront de répondre à tous les objectifs que vous avez définis.
Conformément à une autre recommandation de votre rapport, nous augmenterons le soutien à la recherche pour développer nos capacités en la matière, dans le cadre du CNRS, de l’Ifremer et de l’IRD. Nous mobiliserons toutes les forces de la recherche française pour atteindre un double objectif, celui de la préservation des océans et de l’exploration des grands fonds.
Vous l’aurez compris, ce sujet est porté au plus haut niveau par le Président de la République, dans le cadre de France 2030, et par la Première ministre grâce au CIMer et à la coordination qui se fera au niveau de mon secrétariat d’État. Comme plusieurs d’entre vous l’ont dit, nous devons concentrer tous les financements sur l’exploration. Celle-ci servira à la recherche scientifique pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et le rôle des grands fonds marins dans le système océanique et climatique.
Nous investirons par exemple dans un projet de planeurs sous-marins français pour étudier le volcan sous-marin de Mayotte ou encore dans des campagnes en mer conduites grâce à l’utilisation d’un drone, développé par une entreprise française et mis en œuvre par l’Ifremer, au milieu de l’Atlantique.
Nous mènerons en parallèle une action forte à l’international, avec pour objectif de développer une stratégie multilatérale sur les grands fonds marins. La France n’exploite pas dans ses eaux territoriales et nous nous mobilisons pour convaincre les autres pays de s’engager dans cette voie, sous l’égide de l’AIFM, qu’il faudra transformer, notamment en ce qui concerne les financements. Il s’agit de faire en sorte que les pays soient suffisamment nombreux à défendre cette position pour qu’elle l’emporte.
Les sujets de recherche sont nombreux pour la France. Il faudra les traiter en tenant compte des enjeux stratégiques de maîtrise des grands fonds marins, de défense et de surveillance de nos territoires. C’est là toute l’ambition du ministère des armées qui accompagne cette stratégie d’exploration des fonds marins.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition scientifique est bien là et je sais qu’elle est collective et partagée par le Sénat. Je formule le vœu – et je suis convaincu qu’il se concrétisera – que nous pourrons atteindre nos deux objectifs : d’une part, faire de la France un leader dans l’exploration des fonds marins et relever le défi de la connaissance scientifique pour que le dernier espace inexploré de la planète soit mieux connu ; d’autre part, nous doter des moyens pour accroître cette connaissance. Les missions que nous avons lancées permettent aussi de tester le matériel français de manière que notre pays soit toujours à la pointe en matière scientifique.
Permettez-moi de conclure par ces vers de José-Maria de Heredia que je trouve très beaux :
« Ils regardaient monter en un ciel ignoré
« Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. »
Continuons à porter l’ambition maritime de notre pays, et longue vie à la mer et à la France !
Applaudissements.
La parole est à M. Michel Canévet, président de la mission d’information.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier les différents orateurs des groupes qui ont relayé la vingtaine de recommandations que la mission a élaborées, tout en apportant des éclairages sur certains aspects particuliers.
Je remercie tout particulièrement le rapporteur Teva Rohfritsch pour l’excellent travail accompli. Notre mission d’information a entendu en audition plus de soixante experts. Il en ressort que la dimension politique est essentielle sur le sujet des fonds marins. Nous devons donc continuer d’investir très largement dans ce domaine.
Les connaissances manquent sur les grands fonds, de sorte qu’il faut poursuivre l’exploration. La science pourra ainsi nous informer et nous faire connaître toutes les richesses qu’ils recèlent.
Soyons clairs, il faut des moyens pour soutenir la recherche et pour renouveler la flotte océanique. C’est en partie grâce à elle que l’Ifremer est reconnu sur la scène internationale, en matière de connaissance maritime. L’Institut doit pouvoir se doter des outils qui lui permettront de continuer ses recherches.
J’ai bien noté la préoccupation de Philippe Folliot quant à l’avenir du Nautile, qui est effectivement un outil très important.
La France, c’est une ambition maritime et je suis heureux que Joël Guerriau ait réaffirmé celle, nécessaire, de la Bretagne à cinq départements, comme l’est actuellement la Normandie si je me réfère à Jean-Michel Houllegatte…
Sourires.
Monsieur le secrétaire d’État, 322 millions d’euros de crédits ont été prévus dans le plan France 2030, qui doivent servir à soutenir un certain nombre d’actions, non pas seulement en subventionnant quelques projets, mais aussi en accentuant la commande publique.
En effet, lorsque nous avons rencontré les industriels, il est apparu que nous devions nous montrer plus actifs dans ce domaine. Nous avons pu observer, notamment en Norvège, que le soutien à la commande publique était opérant, de sorte qu’un certain nombre d’industriels se montraient extrêmement efficaces. Il faut que la France suive ce modèle qui s’affiche désormais de manière bien réelle et non plus sous des dehors de science-fiction. Ainsi, des autorisations ont été délivrées à Nauru Ocean Resources, une filiale du groupe canadien TMC, pour l’exploitation de nodules polymétalliques dans la zone de Clarion-Clipperton.
Par conséquent – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État –, il faut consolider l’AIFM pour qu’elle veille à rendre efficace l’application du code minier, à renforcer les moyens de contrôle et à modifier son mode de financement.
Enfin, Joël Guerriau l’a rappelé, la guerre des fonds marins s’est particulièrement développée. On l’a constaté en mer Baltique, mais elle peut survenir dans l’Atlantique, en Méditerranée, dans la zone indopacifique ou indianocéanique. Il est donc nécessaire de mettre en place une protection très forte, car les enjeux énergétiques, de télécommunication ou de maintien de la biodiversité sont essentiels dans ces régions. Il importe que nous puissions préparer l’avenir.
Je conclurai en rappelant que le sujet des grands fonds marins est d’une importance absolue dans notre pays, car il y va de notre souveraineté économique, militaire, industrielle et écologique. L’enjeu est immense pour le XXIe siècle, et la France doit s’en emparer.
Je vous remercie tous pour votre participation et vos propositions.
Applaudissements.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Abysses : la dernière frontière ? ».
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 5 octobre 2022 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Débat d’actualité sur le thème « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran » ;
Débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale ;
Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (texte de la commission n° 902, 2021-2022).
Le soir :
Débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.