Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous remercier de ces échanges très riches. Les problématiques abordées au cours de ce débat ne concernent pas seulement l’outre-mer ; il s’agit en réalité de la place de la France dans le monde.
Je salue l’engagement remarquable de nos trois rapporteurs, Annick Petrus, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth, qui ont fait un travail à la fois d’évaluation et de proposition, résumé dans leurs quarante recommandations.
L’ambition de la délégation que j’ai l’honneur de présider est de replacer l’outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale, ce qui, nous semble-t-il, a fait défaut en 2017.
Monsieur le ministre, nous appelions un tel débat de nos vœux, afin de donner un élan commun et coordonné à la légitime ambition maritime de notre pays. Nous espérons que vous ne vous arrêterez pas là, que le Parlement sera pleinement associé à l’élaboration de la prochaine stratégie maritime et que nos territoires ultramarins pourront y apporter leurs contributions, indispensables.
Hier, lors du débat sur les fonds marins, le secrétaire d’État chargé de la mer a qualifié le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) de « Parlement de la mer ». Toutefois, comme l’a rappelé Annick Petrus, cette instance ne saurait se substituer aux assemblées parlementaires. Le Sénat et l’Assemblée nationale sont seuls légitimes à se prononcer sur les orientations d’une telle politique, déterminante pour notre avenir.
Notre conviction est aussi qu’il faut, sans tarder, engager une révolution culturelle autour de l’océan. L’espace maritime ultramarin est en effet au confluent de tous les grands enjeux actuels.
Je pense tout d’abord aux enjeux géopolitiques, sécuritaires et diplomatiques. La France est bordée de 23 000 kilomètres de frontières maritimes avec près de trente États, ce qui la place – faut-il le rappeler ? – dans une situation unique au monde. C’est aussi le seul pays présent sur les quatre océans : l’Atlantique, avec la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, et Saint-Pierre-et-Miquelon ; l’océan Indien, avec La Réunion et Mayotte ; l’océan Austral, avec les TAAF ; et l’océan Pacifique, avec la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, sans oublier l’île de La Passion-Clipperton, chère à notre collègue Philippe Folliot.
Il faut aussi prendre en compte les enjeux relatifs aux communications. Au total, 90 % du commerce mondial est assuré par voie maritime. Les câbles sous-marins voient même transiter 95 % du trafic mondial de données ; c’est colossal.
S’y ajoutent les enjeux énergétiques, avec l’objectif de développement des énergies marines renouvelables, sur lequel M. le ministre a insisté, les enjeux scientifiques et de recherche, avec notamment l’exploration des grands fonds, qui sont encore largement méconnus – je vous renvoie à cet égard à notre débat d’hier sur les abysses et à l’excellent rapport de nos collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch –, et les enjeux climatiques et environnementaux, qui ne sont pas les moindres, les outre-mer représentant 80 % de la biodiversité française.
Il est plus que jamais nécessaire d’encourager massivement l’acculturation au fait maritime, dans l’Hexagone comme dans nos outre-mer. C’est important de le souligner.
Pour y parvenir, deux leviers sont indispensables : l’éducation et la formation. Ils ont été insuffisamment mobilisés jusqu’à présent. Notre collègue Vivette Lopez, que je salue, a insisté à juste titre sur les classes Enjeux maritimes.
Notre rapport avance toute une série de propositions de bon sens sur le sujet. Nous suggérons ainsi de promouvoir le brevet d’initiation à la mer dans tous les collèges et lycées, en particulier dans les régions maritimes, de réaliser des études de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), territoire par territoire, pour mieux orienter les jeunes vers les métiers de la mer ou encore de généraliser les plateformes des métiers du maritime dans les territoires ultramarins.
À cet égard, l’année 2022 offrait a priori un contexte exceptionnellement favorable pour promouvoir une ambition maritime plus conforme aux réalités géographiques de notre pays. La conjonction inédite de la double présidence du Conseil de l’Union européenne et la conférence des RUP par la Martinique devait permettre de mettre en avant les atouts que représentent nos outre-mer pour l’Europe et de défendre des orientations tenant compte de leurs besoins et de leurs réalités.
La présidence des RUP courant jusqu’en novembre 2022, le bilan est encore prématuré. Mais nous ne manquerons pas de le dresser en fin d’année.
En attendant, comme vous le savez, les collectivités ultramarines souhaitent notamment être mieux associées aux visites et réunions de haut niveau organisées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères lorsqu’elles concernent le bassin océanique. Ce serait déjà un grand pas pour l’efficacité de notre diplomatie si nous parvenions à cette approche coordonnée.
J’insiste à mon tour sur l’opportunité de faire des outre-mer un levier pour la stratégie indo-pacifique. On en a beaucoup parlé au cours du dernier quinquennat. Selon nous, cette stratégie ne doit pas se limiter à la dimension militaire.
Le secrétaire d’État chargé de la mer a utilisé hier le terme d’Indo-Océanie, qui traduit peut-être une approche plus française des réalités géostratégiques de cette région : on peut s’en féliciter. Cette région est présentée comme le nouveau centre de gravité du monde. Beaucoup d’indicateurs vont effectivement dans ce sens. Elle concentre 60 % de la population mondiale, un tiers du commerce international et, d’ici à 2030, représentera 60 % du PIB mondial.
Malheureusement, comme nous l’ont indiqué les responsables territoriaux lors de nos auditions, cette stratégie nationale reste aujourd’hui très étato-centrée, sans réelle association des collectivités ultramarines. Plusieurs de nos collègues ont insisté sur la nécessité de mettre un terme à une telle situation.
Ce qui est vrai pour l’Indo-Pacifique l’est pour la stratégie maritime dans son ensemble.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre message est clair : il faut changer d’optique. Les outre-mer sont la clé de la réussite de la stratégie maritime française.