Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 5 octobre 2022 à 21h30
Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique — Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des affaires économiques

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de l’organisation de cet échange de réflexions sur un sujet tout à fait essentiel, qui est aujourd’hui au cœur des débats. Je m’en réjouis d’autant plus que j’ai été – je le dis en toute humilité –, l’une des premières à avoir alerté sur la perte de souveraineté qui menaçait l’Europe dès 2013, dans un rapport intitulé L ’ Union européenne, colonie du monde numérique ?.

Le numérique est non pas une industrie, mais toutes les industries. Toute l’activité humaine étant amenée à se numériser, notre groupe ne cesse de dire qu’il y a là un défi stratégique pour le devenir de nos sociétés. Internet est désormais un terrain d’affrontement mondial, dont l’enjeu est la domination du monde par l’économie et la connaissance.

Or, jusque-là, les gouvernants ont laissé des acteurs extra-européens s’imposer sur le marché et constituer des menaces, à terme systémiques, pour notre économie, ainsi que des risques pour les États dans leurs fonctions régaliennes : risques d’ingérence et de manipulation de la part de pays étrangers, cyberattaques en tout genre, désinformation gangrenant les réseaux sociaux.

Il aura fallu l’accélération de la numérisation de notre économie avec la crise sanitaire et le confinement pour prendre conscience du besoin de développer nos infrastructures, en particulier celles qui sont liées au cloud.

Le cloud, ce sont des câbles, des data center, mais aussi des briques de logiciels : tout cela représente un énorme marché et des milliers d’emplois. Or tout ce segment à très forte valeur ajoutée est aujourd’hui cannibalisé par des entreprises étrangères, que nous encourageons même, nous privant de faire émerger un écosystème européen indépendant.

Du sursis au sursaut ? En effet, il est plus qu’urgent de prendre en main notre destin numérique, pour reprendre le titre d’un autre de mes rapports portant sur l’urgence de la formation, et de pousser tous les curseurs.

L’Union européenne a adopté le Digital Markets Act et le Digital Services Act, textes de règlement sur les marchés et services numériques permettant enfin une régulation, donc le développement d’un marché aux conditions plus équitables et loyales. C’est très bien, mais il faut aussi et surtout mener une politique industrielle du multi-cloud pour rééquilibrer les rapports de force, protéger la donnée, devenue un actif stratégique majeur, et sécuriser le patrimoine économique et industriel dans le cloud. C’est absolument vital !

Cela apparaît peu, hélas, dans le plan d’action horizon 2030, appelé « boussole numérique », dont on ne sait comment il sera financé. Par ailleurs, quelles seront les modalités permettant d’atteindre les objectifs de reconquête d’autonomie ?

Il y a aussi les plans de relance. Comme les Américains, les Russes et les Chinois ont su le faire pour eux-mêmes, il faut faire de la commande publique le premier levier pour doper la compétitivité du cloud français et européen et cesser d’acheter des technologies étrangères, surtout quand les marchés de ces pays nous sont fermés !

Depuis 2013, je plaide pour un Small Business Act à la française et pour un Buy European Act, afin de soutenir et développer un tissu d’entreprises à l’origine de technologies innovantes, de solutions de cloud sécurisées et responsables en matière environnementale.

Monsieur le ministre, cela suppose une doctrine de responsabilité, inexistante aujourd’hui au sein de la direction interministérielle du numérique (Dinum), et un rôle proactif de la part de l’État actionnaire. Pour cela, il faut structurer le dialogue entre ces services et l’écosystème français des PMI et ETI du cloud. Est-ce en train de se faire ?

Nous avons noté le récent changement de discours de la part de Bruno Le Maire. En aurait-on enfin fini avec le dénigrement de nos propres entreprises, cultivé par l’ancien secrétaire d’État au numérique, Cédric O, dont la stratégie à contretemps du cloud dit « de confiance » a consisté à confier la gestion des données les plus sensibles de la Nation aux géants américains, et cela en l’absence d’accord européen de transfert de nos données vers les États-Unis ? Ce fut le cas, par exemple, de la plateforme des données de santé, confiée à Microsoft, alors que, derrière les questions de recherche, ce sont toute l’économie de la santé et le secteur assurantiel et prudentiel qui sont en jeu.

Le récit selon lequel nous aurions trois décennies de retard est insupportable et inexact. Dans quel autre secteur industriel entretient-on ainsi l’image que les Français sont mauvais ? Aujourd’hui, nos entreprises se rebiffent et se mobilisent. Elles ont bien raison !

Récemment, Hexatrust a remis à Jean-Noël Barrot un manifeste, que j’ai soutenu, plaidant pour ces mesures. Euclidia, regroupement des entreprises européennes de cloud récemment réunies à Bruxelles, porte les mêmes revendications.

Du sursis au sursaut, monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu’il est vraiment temps de passer du slogan de la start-up nation au plan d’action de l’infrastructure nation ?

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