Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française, troisième pilier de notre économie, avec 81 milliards d’euros de chiffre d’affaires, reste, en valeur, la première puissance agricole de l’Union européenne, devant l’Allemagne et l’Italie.
Néanmoins, derrière cette comparaison flatteuse se cache une réalité bien plus inquiétante : l’excédent de notre balance agricole est assis essentiellement sur la production vitivinicole. La moitié des produits qui sont dans notre assiette sont importés ; la France reste par ailleurs dépendante à 45 % de l’étranger pour les protéines végétales.
Depuis plus de vingt ans, la production agricole française recule. Nous avons perdu 25 % de parts de marché, et les agriculteurs désertent les campagnes : 10 000 exploitations agricoles disparaissent tous les ans, et il faudrait chaque année 7 000 nouveaux agriculteurs pour compenser les départs à la retraite. Or le métier n’attire plus !
Cette crise de vocation est associée à la fracture territoriale, aux difficultés de la vie en zone rurale face au retrait des services publics, aux difficultés d’accès aux soins, aux transports et au numérique. Mais elle est aussi et surtout liée à la faiblesse des revenus de celles et ceux qui cultivent la terre.
Les aides de la Politique agricole commune (PAC) constituent désormais, pour bien des fermes, la majeure partie de leur revenu. Or la PAC est complètement décorrélée de la création de valeur ajoutée et ne parvient pas à relier les enjeux de l’agriculture et de l’alimentation.
Dans un contexte géopolitique mondial tendu, nous devrions redoubler de vigilance pour garantir la qualité et la transparence de l’origine des produits distribués sur le marché, ainsi que notre sécurité alimentaire.
De nombreux outils pourraient être activés, comme l’instauration de clauses miroirs dans les accords de libre-échange, ou encore une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Manifestement, on demande aujourd’hui aux producteurs français de réussir un exploit : adopter des pratiques toujours plus durables, mais coûteuses, tout en rivalisant avec les systèmes d’élevages intensifs étrangers, présents notamment sur le continent américain.
La France, qui a fait le choix d’un élevage durable et familial, ne peut continuer d’accepter une mise en concurrence de ses exploitations avec des fermes-usines américaines de 60 000 bovins engraissés aux antibiotiques, que l’on risque de retrouver dans nos assiettes grâce à ce superbe accord qu’est le Ceta !
Si nous voulons assurer la sécurité alimentaire des Français tout en maintenant notre rang de premier producteur agricole de l’Union européenne, de nouvelles politiques alimentaires et agricoles s’imposent. Il faut qu’elles soient en phase avec les enjeux du moment, sans obérer la stratégie européenne Farm to Fork.
Nous devons améliorer les conditions de travail de nos exploitants en garantissant leur revenu, en accompagnant leur transition agroécologique et en pérennisant des dispositifs permettant de répondre à la pénurie de main-d’œuvre, notamment l’exonération de charges patronales pour l’emploi des travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi agricoles (TO-DE).
Nous devons relocaliser l’ensemble de la chaîne de production, depuis les intrants jusqu’à la transformation et l’emballage, mais aussi reterritorialiser la consommation.
Il faut également en finir avec la surtransposition des règles et des normes par rapport aux autres pays européens, car à chaque nouvelle contrainte imposée aux seuls producteurs français succède une vague d’importations de produits étrangers.
Vous savez comme moi, monsieur le ministre, que la France exporte des animaux entiers et importe des morceaux découpés, qu’elle exporte des pommes de terre et importe des chips, qu’elle exporte du blé et importe de la farine et des pâtes. Cela n’est pas logique, cela n’est plus acceptable !
Une politique de patriotisme alimentaire doit être véritablement assumée, pour répondre au double enjeu de souveraineté alimentaire et de lutte contre le changement climatique. Mais prenons garde : à trop nous focaliser sur le soutien à la production, nous oublions de renforcer nos capacités de transformation, indispensables à la conquête de nouveaux débouchés et gages de création de valeur et de compétitivité.
Le risque est d’inciter les distributeurs à s’approvisionner ailleurs, voire de provoquer une désindustrialisation agroalimentaire accélérée. Si l’agriculture n’est pas délocalisable, l’industrie l’est, avec autant de conséquences pour notre souveraineté alimentaire.
Enfin, monsieur le ministre, n’oubliez pas qu’il est important d’être fort sur le marché domestique si l’on veut être compétitif à l’extérieur. Les réponses politiques devront donc cesser de n’être qu’agricoles pour devenir agricoles, agroalimentaires et alimentaires.
Le secteur agricole, un fleuron de notre économie et de notre souveraineté, est actuellement en grand danger !