– Les demandes pourraient s’appuyer sur quatre leviers différents et le concours du Parlement.
Premièrement, nous avons su développer nos start-up avec le programme French Tech. Pourquoi ne pas réfléchir à une solution aussi ambitieuse pour le jeu vidéo ? On sait que la croissance de cette industrie dans le monde est forte, et que l’Allemagne a investi 100 millions d’euros dans un plan dédié il y a deux ans. En définitive, il faut appréhender le jeu vidéo comme un enjeu tech et stratégique.
Deuxièmement, le CIJV n’est pas une niche fiscale ; il s’agit d’un levier d’emploi et de création de richesse. Il y va de la production du jeu vidéo en France et de son exportation dans le monde entier. Nous appelons de nos vœux un rapport objectivant les résultats du crédit d’impôt : 1 300 entreprises en France ; plus de 20 000 emplois contre 3 000 en 2010. Nous attendons de l’administration ou du Parlement une action en ce sens.
Troisièmement, nous misons beaucoup sur le plan France 2030, qu’il faut ouvrir au jeu vidéo. Le SNJV effectue un travail important pour que les studios y aient accès. Je signale qu’au départ, le jeu vidéo n’avait même pas été évoqué ! C’est pourtant, dans le monde entier et en France, la première industrie culturelle.
Quatrièmement, il faut développer la formation. Avec le Parlement et le Gouvernement, nous voulons développer des formations publiques, accessibles, de troisième cycle, pour former notamment aux métiers du game design.
Ces quatre leviers nous permettraient de connaître un vrai essor d’ici à cinq ans.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. – Je tiens à remercier le Président Lafon pour l’organisation de cette table ronde autour d’une industrie culturelle si méconnue. Un tel échange ne peut que contribuer au développement du jeu vidéo en France. Mais pour ce faire, il faut réfléchir aux moyens à mettre en œuvre. Vous avez dit que la France comptait une cinquantaine de formations. Or, avant de vous entendre, je déplorais qu’il n’y ait qu’une seule école à Angoulême. Vous m’avez donc rassurée.
Sur les perspectives de croissance, j’ai compris votre volonté de devenir leaders en Europe en cinq ans, mais j’attends plus de développements sur le secteur de la production et sa féminisation.
Concernant le système du free-to-play, les jeux vidéo freemium n’entraînent-ils pas une addiction financière chez la jeunesse d’aujourd’hui ?
Enfin, quelle est la relation entre jeu vidéo et consommation culturelle ? Les parents ont besoin d’être rassurés.
M. Thomas Dossus. – Selon vous, l’industrie serait mature. Elle fait rêver beaucoup de jeunes, mais ses coulisses le sont un peu moins, notamment dans la période du crunch durant laquelle les salariés sont pressurisés. L’un disait que, pour travailler dans ce secteur, il fallait être trentenaire, en bonne santé et célibataire... D’ailleurs, cette culture des 80 heures est aussi présente dans les écoles de formation. Les pratiques ont-elles évolué ? Des chartes ont-elles été adoptées ? Ne pourrait-on combattre cette pression qui pèse notamment sur les développeurs ? Les révélations de violences sexistes et sexuelles ont-elles été suivies d’effets ?
Mme Annick Billon. – Je n’ai jamais joué aux jeux vidéo, mais je ne suis pas la seule ici… Quelles ont été les conséquences des confinements en termes de consommation et de demande ? Votre activité s’est-elle développée dans ces moments ? Sur la création, je souscris aux propos de Thomas Dossus. S’agissant de la violence en général, et plus précisément des violences sexistes et sexuelles, quelles limites vous imposez-vous pour lutter contre les stéréotypes ? Avec Alexandra Borchio Fontimp, nous venons de publier un rapport sur l’industrie de la pornographie. Certains ont déclaré qu’ils répondaient à la demande. Jusqu’où va cette réponse ? Enfin, les secteurs en pleine expansion concerneraient plutôt les garçons. Disposez-vous de statistiques sur la consommation de jeux vidéo et sur le public concerné ?
M. Michel Savin. – Dans votre présentation sur l’économie de l’industrie du jeu vidéo, monsieur Vignolles, vous avez ciblé les quatre leviers qui seraient nécessaires pour développer cette activité. Comment appréhendez-vous son évolution ? Des aménagements législatifs et réglementaires doivent-ils être réalisés ? Faut-il encadrer ou réguler le secteur sans menacer sa viabilité ? Lors de l’examen de la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, le Sénat a mis en place un contrôle d’honorabilité sur les encadrants de e-sport. Comment fonctionne ce dispositif ? Quel est votre avis en la matière ?
M. David Assouline. – Merci de vos exposés. D’abord, vous insistez à juste titre sur le rôle majeur de cette industrie culturelle. Ensuite, une grande partie de la jeunesse consomme ces jeux. Enfin, la créativité et l’excellence française sont reconnues dans le monde. Le crédit d’impôt est central dans le développement de cette industrie ; mais c’est l’État qui donne.
Sur le fond, des problématiques doivent être discutées. Derrière le jeu, on trouve les principaux réseaux sociaux de la jeunesse. Des messages, des stratégies de communication, y compris politiques, sont pensés pour pénétrer ces communautés. Les services dédiés savent qu’il faut y être présents pour lutter contre la criminalité et le terrorisme.
Toutes les problématiques que nous abordons concernant les réseaux sociaux et l’éducation aux médias sont concernées. Il faut de la régulation et de la formation, sans forcément chercher à limiter ou réprimer.
Quelles valeurs sont véhiculées par les jeux vidéo, concernant en particulier la dignité des femmes, ainsi que la violence ? Sur les sites de jeux de cartes en ligne que je consulte, certaines publicités pour des jeux vidéo sont d’une violence incroyable, et provoqueraient immédiatement des réactions sur d’autres réseaux sociaux.
Cette industrie pionnière et créative doit être considérée par les législateurs, mais faisons attention : les parents et les professeurs ne sont pas là, et nous devons éviter que des enfants ne soient livrés à eux-mêmes. Il faut réguler.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je suis heureux de commencer la journée avec des gens qui ont de l’ambition et qui réussissent. Vous faites part d’un manque de considération à l’égard du secteur, mais il est sûrement plus facile aujourd’hui d’obtenir un article favorable dans les médias qu’un crédit d’impôt ! Comme par hasard, on remarque que lorsque les impôts des entreprises baissent, les choses fonctionnent…
Que pensez-vous du divorce de l’année entre Electronic Arts et la Fédération internationale de football association (Fifa) ? Cette dernière est-elle un acteur périphérique de l’industrie ? En 2024, qui va gagner dans le secteur ?
Mme Marie-Pierre Monier. – En dehors des outils mis en place par la loi, à l’instar du système de classification Pan European Game Information (PEGI) se fondant sur l’âge du joueur, quels sont les leviers pour protéger les mineurs des contenus inappropriés ?
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît depuis 2017 l’existence d’un trouble lié aux jeux vidéo pour les joueurs et joueuses dont la pratique intensive se fait au détriment des activités quotidiennes. Les studios prennent-ils suffisamment en compte cette problématique dans la création et la promotion de leurs produits ?
Une enquête publiée en 2021 s’est penchée sur les problèmes liés aux violences sexistes et sexuelles dans l’industrie : culture d’école misogyne, harcèlement, agressions. Qu’en est-il aujourd’hui ? En 2020, les femmes représentaient seulement 22 % des salariés de l’industrie. En 2017, ce chiffre était de 15 %, et il y a certes des progrès, mais l’écart reste très significatif. Peut-être que s’il y avait davantage de femmes dans ce secteur, les jeux seraient différents. Les syndicats défendent-ils des initiatives pour la féminisation du secteur ? Quels exemples de bonnes pratiques dans les écoles ou dans les entreprises pouvez-vous partager avec nous ?
Mme Sonia de La Provôté. – Le secteur a des aspects négatifs : le danger, les comportements à risque, certaines images dégradées ou violentes de la femme. Mais il a également un côté positif : ces jeux jouent un rôle pédagogique et culturel, et constituent de formidables outils de transmission de valeurs et de contenus culturels. Pour preuve, le pass Culture concerne le jeu : les instances publiques considèrent qu’il participe de l’éducation artistique et culturelle auprès des enfants et des jeunes.
Un véritable pacte peut-il être passé, et une lettre d’intention rédigée, afin qu’on insiste systématiquement sur les valeurs contenues dans les jeux ? Il faut une charte éthique pour construire le jeu vidéo de l’avenir, surtout devant les risques du métavers : le jeu doit devenir un des outils des politiques publiques, pour transmettre les valeurs républicaines. Il n’est peut-être pas nécessaire de passer par la violence ou des mots provocateurs.
Des métiers communs, autour du dessin notamment, se retrouvent dans tous les arts ludiques, comme la bande dessinée, les films d’animation et les jeux vidéo. Avez-vous développé les passerelles entre les filières, notamment pour la formation ? C’est ce qui a été fait à Angoulême : il faut jouer collectif, car nous excellons dans ces métiers.
M. Bernard Fialaire. – Quels engagements sont pris pour lutter contre l’addiction, mais également contre l’obésité que cette addiction peut entraîner ?