Intervention de Michelle Gréaume

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 octobre 2022 à 17h00
Projet de loi adopté par l'assemblée nationale autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république de singapour — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michelle GréaumeMichelle Gréaume, rapporteure :

Singapour est un point d'appui pour la stratégie française en Indopacifique compte tenu, d'une part, de son engagement en faveur du multilatéralisme et, d'autre part, de son statut de plaque tournante économique et commerciale en Asie du Sud-Est. À ce titre, notre partenariat se décline dans plusieurs domaines importants, tels que la défense et la sécurité, l'innovation numérique ou encore la cybersécurité. En revanche, aucune convention d'entraide judiciaire pénale ne lie aujourd'hui nos deux pays ; l'entraide s'effectue donc au cas par cas, au titre de la courtoisie internationale et selon le principe de réciprocité.

Les flux de demandes sont très déséquilibrés et largement à l'initiative de la France. En effet, depuis 2010, Singapour n'a délivré que 3 demandes aux autorités françaises, alors que la France en a délivré 103, dont la plupart sont toujours en cours d'exécution. Les demandes françaises ont notamment concerné des dossiers économiques et financiers très sensibles. À titre d'exemple, une information judiciaire a été ouverte en France sur l'activité d'un réseau organisé spécialisé dans l'escroquerie aux quotas carbone ; les investigations conduites par les autorités singapouriennes, à la suite d'une demande d'entraide pénale internationale, ont permis de saisir plus de 10 millions de dollars. Ces fonds ont fait l'objet d'une décision de confiscation par le tribunal correctionnel de Paris, rendue en février 2019.

D'après les services de la Chancellerie et du Quai d'Orsay que j'ai auditionnés, les autorités de Singapour sont très coopératives, mais les demandes françaises se heurtent aux exigences procédurales et au formalisme très strict de la partie singapourienne. Chaque demande doit être précisément motivée et faire l'objet d'un exposé des faits très complet ; dès lors, une perquisition, qui est un acte d'enquête coercitif, est difficile à obtenir, dans la mesure où elle nécessite un contrôle strict de nécessité et de proportionnalité.

La coopération judiciaire bilatérale pâtit des différences de nos systèmes juridiques. En effet, la France est un pays de tradition de droit civil, tandis que Singapour est un pays de common law, tradition héritée de son passé colonial britannique.

Eu égard aux difficultés rencontrées par la justice française et à la sensibilité des affaires concernées, la France a proposé à la cité-État d'entamer des négociations sur deux conventions : l'une en matière d'entraide - elle constitue la toute première convention signée par Singapour avec un pays de tradition de droit civil -, et l'autre en matière d'extradition - l'ambassadrice de Singapour et le ministère singapourien de la justice m'ont informée tout à l'heure que des négociations officielles devraient démarrer sur le sujet d'ici à la fin de l'année et qu'aucun obstacle n'avait été identifié lors des discussions préliminaires.

Le principal objectif du texte soumis à notre examen est d'établir une coopération plus efficace entre la France et Singapour dans la lutte contre la délinquance transnationale, en particulier dans le domaine économique et financier. En conséquence, les deux parties s'engagent à s'accorder mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible, y compris en matière d'infractions fiscales et de communication d'informations bancaires. Je précise, à cet égard, que Singapour ne figure pas sur la liste de l'Union européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales ; en revanche, elle est considérée par le réseau Tax Justice Network (TJN) comme l'un des principaux paradis fiscaux pour les entreprises.

L'entraide inclut la localisation ou l'identification de personnes, la perquisition ou encore la saisie. Afin de permettre une exécution rapide des demandes françaises, la convention détaille leur contenu de manière à satisfaire aux exigences de recueil de la preuve en droit singapourien ; elle autorise même des modalités de communication simplifiées en cas d'urgence.

Le texte prévoit, en outre, des formes modernes de coopération, telles que l'audition de témoins ou d'experts par visioconférence, mais exclut le recours aux techniques spéciales d'enquête comme les infiltrations et les livraisons surveillées, le droit singapourien s'opposant à leur mise en oeuvre dans le cadre de l'entraide judiciaire. Enfin, la convention énonce des règles en matière de saisie, de confiscation, de partage et de restitution des avoirs criminels.

Pour conclure, cette convention permettra de resserrer les liens franco-singapouriens dans un nouveau domaine : celui de l'entraide judiciaire pénale. Cet instrument répond à une attente forte des juridictions françaises, qui aspirent à plus de fluidité dans le traitement de leurs demandes adressées aux autorités de Singapour. La création, au 1er septembre dernier, d'un poste de magistrat de liaison régional permettra également d'assurer une meilleure exécution de ces demandes.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 17 février dernier. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le 17 novembre prochain, selon la procédure d'examen simplifié.

Pour information, j'ai auditionné l'ambassadrice de Singapour, le ministère singapourien de la justice, le bureau de la négociation pénale européenne et internationale du ministère de la justice, ainsi que le service des conventions, des affaires civiles et de l'entraide judiciaire et la sous-direction de l'Asie du Sud-Est du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous avons abordé tous les sujets, y compris les paradis fiscaux et la peine de mort.

Suivant l'avis de la rapporteure, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

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