Intervention de Philippe Folliot

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 octobre 2022 à 17h00
Projet de loi adopté par l'assemblée nationale autorisant la ratification de la convention portant création de l'organisation internationale pour les aides à la navigation maritime — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe FolliotPhilippe Folliot, rapporteur :

Cette convention, qui a été signée à Paris le 27 janvier 2021, consiste à transformer un organisme de droit français à vocation internationale, l'Association internationale de signalisation maritime (AISM), en une organisation de droit international.

C'est le naufrage du Titanic en 1912 qui a provoqué l'émergence d'une première réglementation pour la sauvegarde de la vie humaine en mer : la première convention Solas (« sauvegarde de la vie humaine en mer ») en1914. Puis, en 1948, est créée l'Organisation maritime consultative internationale, qui deviendra, en 1982, l'actuelle Organisation maritime internationale (OMI), dont le siège est à Londres.

Rapidement, l'importance d'une coopération en matière de signalisation maritime - phares, balises, etc. - s'est fait ressentir, afin d'uniformiser les différents codes - il y en avait quasiment un par pays. Le chef du service des phares et balises français, André Gervais de Rouville a été à l'initiative de la mobilisation dans les années 1950 d'une vingtaine d'administrations maritimes nationales dans une association de droit privé, qui allait prendre son nom actuel en 1998.

L'AISM comprend aujourd'hui 305 membres, se divisant en trois catégories : 87 administrations maritimes - agences gouvernementales et autorités nationales -, 66 membres associés - autres agences gouvernementales et organisations - et 152 membres industriels - fabricants d'équipements et sociétés de services ; 89 États y sont représentés. La représentation des industriels au sein de l'AISM, même s'ils ne participent qu'aux travaux des comités techniques, constitue l'une de ses principales spécificités.

Depuis sa création, l'AISM a largement démontré son utilité. Elle est ainsi à l'origine du système de balisage maritime, dit « MBS », utilisé à l'échelle mondiale depuis le début des années 1980. Ce système a rationalisé les trente systèmes de balisage différents qui préexistaient en un ensemble unique de règles divisé en deux régions : A et B.

Elle est à l'origine d'autres avancées, telles que l'intégration de la nouvelle « marque d'urgence de nouvelle épave » ou le « système d'identification automatique », qui permet d'identifier les navires en l'absence de reconnaissance visuelle ou radar.

L'AISM a progressivement étendu son action à l'ensemble des aides à la navigation, y compris l'e-navigation. Elle publie, à cette fin, des normes, recommandations, guides et manuels, qui, s'ils n'ont pas de valeur contraignante, permettent de renforcer les échanges de bonnes pratiques au sein de la communauté maritime mondiale.

L'AISM est ainsi l'interlocuteur privilégié des deux organisations internationales compétentes en matière maritime : l'Organisation maritime internationale et l'Organisation hydrographique internationale (OHI), qui a son siège à Monaco. En parallèle, l'AISM a créé en son sein l' « Académie mondiale », dédiée à l'audit des administrations maritimes et à la formation des agents depuis 2012.

L'AISM dispose d'un budget de 2,7 millions d'euros pour mener à bien ses missions. Ce budget repose essentiellement sur les cotisations des membres, celles-ci étant fixées selon la catégorie de membres. L'Académie est, quant à elle, financée par des donateurs et des sponsors, à hauteur de 1 million d'euros.

L'AISM a depuis son origine son siège en France, à Saint-Germain-en-Laye. Elle emploie 12 personnes de 7 nationalités différentes, recrutées sur la base de contrats de droit privé. Ce statut de droit privé la pénalise dans l'exercice de ses missions. En effet, certains États n'autorisent pas le financement d'organisations non gouvernementales (ONG) et ne peuvent y adhérer. L'offre d'audit technique et opérationnel en souffre également. L'absence de privilège diplomatique handicape les déplacements de ses personnels et la venue d'experts.

Dès 2012, en lien avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et la direction du ministère chargé de la mer, l'AISM a engagé une procédure de changement de ses statuts afin de les mettre en cohérence avec la réalité de son activité. Après trois conférences diplomatiques préparatoires, la conférence de Kuala Lumpur de février 2020 a permis d'aboutir à l'adoption du projet de convention visant à la transformer en organisation internationale.

La France, désignée comme État dépositaire de la convention, a été chargée de finaliser le texte et d'organiser la cérémonie de signature, qui s'est tenue le 27 janvier 2021 à Paris. C'est Mme Annick Girardin, ministre de la mer, qui l'a signée au nom de l'État français. La convention a été ouverte à la signature de tous les États membres des Nations unies pour une période d'une année, sachant que, à l'issue de cette période, elle reste ouverte à l'adhésion des États qui ne l'auraient pas signée. À ce jour, 50 États l'ont signée - il faut y ajouter l'adhésion du Royaume-Uni le 5 mai 2022 - et 10 d'entre eux l'ont ratifiée.

La nouvelle organisation conservera les missions dévolues à l'AISM, mais ses nouveaux statuts devraient lui permettre de renforcer la coopération internationale, de faciliter ses relations avec les autres organisations internationales et d'institutionnaliser son expertise.

L'utilité de la présence des industriels aux comités techniques ayant été largement démontrée, les trois catégories de membres sont maintenues, à la réserve près que la première catégorie ne pourra être constituée que d'États. Les cotisations des membres resteront fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent. Il est prévu qu'elles augmentent raisonnablement dans les années à venir, afin de tenir compte de la montée en puissance des compétences techniques et juridiques de l'organisation.

Sur le plan de la gouvernance, les organes prévus sont assez classiques : une assemblée générale et un conseil, composés exclusivement des États membres, et des comités et organes subsidiaires, ayant pour mission de préparer et de passer en revue les normes et recommandations en matière d'aide à la navigation maritime.

Enfin, la convention prévoit que la nouvelle organisation aura son siège en France, ce qui constitue pour notre pays un gain en termes de rayonnement international et d'attractivité.

Toutes les personnes que j'ai pu auditionner - ambassadrice représentant la France au sein de l'OMI, groupement des industries de construction et activités navales (Gican), le Cluster maritime français - ont salué l'excellent travail de l'AISM et se sont dites favorables à cette transformation, qui mettra la future organisation sur un pied d'égalité avec les deux autres organisations internationales à vocation maritime : l'OMI et l'OHI. C'est également mon avis.

Toutefois, je tiens à souligner trois points qui me semblent importants.

D'abord, il faut noter que la France ne bénéficiera plus d'un siège de droit au sein du conseil d'administration, contrairement à la situation actuelle. Il s'agit là d'une conséquence logique du nouveau statut d'organisation internationale. Cependant, M. Francis Zachariae, le secrétaire général de l'AISM, m'a écrit que, si « tous les membres éligibles au Conseil participeront en effet au vote pour élire les 24 membres du Conseil, il semble très peu probable, compte tenu du rôle de la France au sein de l'organisation et de son statut d'État hôte, qu'elle ne soit pas réélue ».

Ensuite, concernant les langues de travail, je me suis inquiété de l'adoption d'une résolution adoptée à l'unanimité lors de la conférence de Kuala Lumpur visant à ne retenir que l'anglais comme langue de travail. Certes, la convention prévoit que les langues officielles de l'Organisation sont l'anglais, l'arabe, le chinois, l'espagnol, le français et le russe, mais est-ce normal qu'une organisation dont le siège est en France ne prévoie pas la traduction systématique de l'ensemble de ses travaux en français ?

Je donne pour exemple le cas de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, dont les effectifs, avec moins d'une vingtaine de personnels salariés, sont comparables à ceux de l'AISM et dont l'ensemble des documents de travail sont disponibles en anglais et en français. L'argument financier peut-il à lui seul justifier que comités et organes subsidiaires ne travaillent qu'en anglais ? En tout état de cause, la décision finale reviendra à la future Assemblée générale, qui adoptera le règlement de la nouvelle entité. Je veillerai à ce que la France défende l'usage du français comme deuxième langue de travail.

Le dernier point que je tenais à souligner concerne le siège de la nouvelle organisation. À ce stade, il est prévu que celui-ci reste à Saint-Germain-en-Laye. Ne serait-il pas opportun qu'il soit plutôt installé au sein d'un territoire à forte tradition maritime, comme en outre-mer, dans le cadre de notre stratégie indo-pacifique, à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie ? Ou encore au Havre, à Marseille, Nice ou Dunkerque ? Notre pays est en capacité de proposer d'autres solutions. Ce point devra être étudié à l'occasion de la conclusion du futur accord de siège.

L'entrée en vigueur de la convention est prévue le quatre-vingt-dixième jour après la date du dépôt du trentième instrument de ratification. À ce jour, elle a été ratifiée par dix États. On peut penser que le seuil de trente ratifications pourrait être atteint d'ici un an.

Des dispositions transitoires sont prévues et annexées à la présente convention afin de faciliter la transition de l'AISM à partir de l'entrée en vigueur de la convention et jusqu'à la tenue de la première Assemblée générale de l'Organisation.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi après l'Assemblée nationale. Son examen en séance publique est prévu le jeudi 27 octobre 2022, selon la procédure d'examen simplifiée - je souscris à cette décision prise par la Conférence des présidents.

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