Comme vous le savez, ce projet de loi constitue une version raccourcie du texte déposé en mars dernier, puisque le nombre d'articles est passé de 32 à 16. C'est un texte que nous attendions depuis longtemps. Il devait être à la sécurité intérieure ce que la loi de programmation militaire (LPM) est à la défense : un effort de planification permettant de garantir que la police nationale et la gendarmerie nationale disposent de tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
De nombreux rapports parlementaires ont en effet souligné que ces moyens avaient souvent été insuffisants, avec des effets négatifs non seulement sur l'efficacité des forces de sécurité, mais aussi sur le moral des agents. Ainsi, une commission d'enquête du Sénat sur l'état des forces de sécurité avait identifié, il y a déjà quatre ans, une série de dysfonctionnements, dont beaucoup résultaient de cette insuffisance de moyens.
Il existe plusieurs précédents à cette loi de programmation : la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1995, celle de 2002 et, dans une moindre mesure, celle de 2011 s'efforçaient de planifier les moyens nécessaires aux forces de sécurité sur plusieurs années. Plus récemment, plusieurs plans ponctuels ont apporté des améliorations souvent significatives, avec, notamment, une augmentation importante des effectifs. Toutefois, aucun de ces textes n'a constitué une véritable programmation financière similaire à la LPM, reflétant les choix stratégiques en matière de sécurité et prévoyant les moyens de fonctionnement et d'investissement correspondant.
Le ministère de l'intérieur a donc entrepris en mai 2019 un travail de « revue stratégique » qui s'est traduit par la publication d'un Livre blanc de la sécurité intérieure en novembre 2020. Puis a eu lieu le Beauvau de la sécurité de février à septembre 2021, à l'issue duquel le Président de la République avait annoncé cette loi de programmation pour l'été 2022. Le calendrier électoral en a décidé autrement, d'autant qu'il aurait été étrange de voter une loi de programmation à la toute fin d'une mandature. En revanche, deux protocoles comportant d'importantes revalorisations indiciaires et des augmentations de primes pour les gendarmes et les policiers ont déjà été adoptés en mars dernier.
Nous examinons donc aujourd'hui un projet de loi d'orientation et de programmation « allégée ». Ce texte constitue-t-il l'avancée tant attendue ?
On observe indéniablement des aspects très positifs. En ce qui concerne la programmation, l'article 2 prévoit ainsi une hausse des moyens du ministère de l'intérieur, qui passeront de 21 milliards d'euros environ en 2022 à 25 milliards d'euros en 2027. Le rapport annexé annonce aussi la création de 200 brigades et de 7 escadrons de gendarmerie mobile, nous y reviendrons. Parallèlement à la présentation de la Lopmi, le ministre de l'intérieur a promis la création de 8 500 emplois sur les cinq années de programmation, ainsi qu'un doublement de la présence des forces de sécurité sur la voie publique. Le rapport annexé prévoit aussi une grande transformation numérique pour s'adapter aux nouvelles formes de délinquance.
Par ailleurs, le texte comporte diverses dispositions de procédure pénale comme une extension des amendes forfaitaires délictuelles, la possibilité de saisir des actifs numériques ou encore la création d'assistants d'enquête appelés à seconder les officiers de police judiciaire dans l'exercice de leurs missions.
Voilà pour les aspects positifs, qui marquent une volonté de poursuivre l'effort en faveur des moyens en personnel et en matériel de la gendarmerie et de la police nationales.
En revanche, le principal reproche que nous faisons à ce texte est qu'il ne s'agit finalement pas vraiment d'une loi de programmation.
D'abord, les seuls crédits présentés au sein de l'article 2 concernent tout le périmètre du ministère de l'intérieur. Le Conseil d'État s'est d'ailleurs étonné de cette présentation. Elle semble en effet ignorer le principe de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) selon lequel le budget de l'État est géré non pas à l'échelle du ministère, mais à celle de la politique publique, c'est-à-dire des missions et des programmes. Impossible donc de distinguer dans les nouveaux crédits ce qui relève de la sécurité, de l'administration générale et territoriale de l'État ou encore de la politique de l'immigration et de l'intégration. Encore moins, au sein de la sécurité, ce qui relève de la police nationale et de la gendarmerie nationale.
On veut nous rassurer, en disant que cela figurera dans la loi de finances et dans la loi de programmation des finances publiques. Mais lors, à quoi bon une loi de programmation ? Celle-ci devait justement servir à donner une visibilité au-delà de l'annualité budgétaire, pour résoudre enfin les problèmes structurels des deux forces. Ce n'est pas le cas ici.
Ainsi, nous sommes un peu dans le flou sur beaucoup de points qui concernent les gendarmes. Nous nous ne savons pas comment seront répartis les effectifs supplémentaires entre police et gendarmerie. Il y a certes quelques précisions sur les moyens mobiles, avec l'annonce de nouveaux hélicoptères et du renouvellement d'environ 10 % par an de la flotte de véhicules, police et gendarmerie confondus. En revanche, nous ne savons rien ou presque sur l'immobilier, alors même que les casernes sont un point noir pour la qualité de vie des gendarmes et de leurs familles. Nous vous présenterons par conséquent un amendement sur ce sujet essentiel.
Par ailleurs, nous n'avons aucune précision sur la création des fameuses 200 brigades de gendarmerie, et surtout sur le financement de leur implantation. On devine que les collectivités territoriales seront mises à contribution, mais avec quels moyens ? Investir dans de l'immobilier de la gendarmerie, c'est loin d'être une « opération blanche » pour une commune, contrairement à ce que disent certains responsables que nous avons entendus ! Dès lors, on risque de voir les critères objectifs d'implantation devenir moins importants que la capacité de la collectivité à payer pour avoir ses gendarmes : ce n'est pas satisfaisant ! Nous proposerons donc également un amendement sur ce sujet, en attendant un second que nous allons déposer pour la séance avec les rapporteurs de la commission des lois, qui ont la même analyse que nous sur cette question.
Enfin, la même imprécision règne sur la réserve opérationnelle : nous n'avons pas la garantie que l'augmentation des effectifs de 30 000 à 50 000 personnes soit accompagnée des crédits nécessaires. Nous vous présenterons également un amendement sur ce point.