Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 4 octobre 2022 à 17h00
Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur — Examen du rapport pour avis

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda, rapporteure pour avis :

Comme mon collègue Philippe Paul, je ne peux d'abord que me féliciter de la sanctuarisation de 15 milliards d'euros sur les cinq prochaines années, au bénéfice de l'ensemble des missions du ministère de l'intérieur.

Au-delà des gendarmes et des policiers, ces moyens supplémentaires bénéficieront également à la sécurité civile et à l'administration territoriale. Au total, cet effort financier important ne constitue certes pas la garantie que l'État se rapprochera davantage de nos territoires et de nos concitoyens, mais c'est assurément une condition nécessaire de ce rapprochement.

S'agissant plus particulièrement de la gendarmerie nationale, on note aussi quelques aspects positifs, dont certains ont été évoqués par Philippe Paul.

Au-delà des moyens mobiles déjà mentionnés, je pense que la création d'une nouvelle agence du numérique va dans le bon sens. Je rappelle à ce sujet que nous avions alerté en 2019 sur la création d'une direction du numérique rattachée au secrétariat général du ministère. Nous craignions alors que ce nouveau service ne dévitalise le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (ST(SI)2) de la gendarmerie, à qui nous devons de nombreuses innovations comme NEO, qui ont d'ailleurs ensuite été étendues à la police.

Or, selon nos informations, la nouvelle agence du numérique sera précisément une extension du ST(SI)2 ; la qualité de son travail et de ses résultats, que nous avions soulignée, est ainsi récompensée. C'est là, me semble-t-il, un bon exemple de ce qu'il faut faire en matière de mutualisation : non pas supprimer la spécificité des deux forces de sécurité, mais prendre le meilleur dans chacune d'entre elles et construire sur cette base.

La problématique est un peu la même s'agissant de la compétence territoriale respective de la police et de la gendarmerie. Mais sur ce point, le texte qui nous est présenté est moins satisfaisant. J'avais alerté à plusieurs reprises sur ce sujet. Nous sommes nombreux à avoir en tête des situations où la répartition territoriale des deux forces n'est pas satisfaisante, au détriment de la sécurité du quotidien. Cela peut d'ailleurs concerner aussi bien les zones périurbaines que les zones rurales.

Sur ce sujet, la position du ministre de l'intérieur a évolué. En novembre 2020, le Livre blanc sur la sécurité intérieure consacrait de longs développements à cette question, en essayant de clarifier les critères de répartition territoriale. Mais finalement, le ministre a récemment déclaré que la police et la gendarmerie étaient capables de s'organiser efficacement, quel que soit le type de territoire.

Nous ne partageons pas cette analyse. Dans un rapport publié l'année dernière, intitulé Le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, la Cour des comptes indique que « le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur n'a pas été l'occasion d'une révision affirmée des limites géographiques des deux forces, ce qu'on peut regretter. La question doit être relancée et accompagnée d'une redéfinition des critères de délimitation des zones de compétence ».

Nous estimons que la position actuelle du ministère de l'intérieur tend ainsi à gommer la spécificité des deux forces, avec le risque d'aboutir à une situation où l'on ne voit même plus la nécessité de cette dualité entre la police et la gendarmerie. C'est pourquoi nous vous présenterons un amendement visant à réaffirmer l'utilité de ces ajustements territoriaux et à indiquer que ceux-ci doivent être précédés d'une large consultation locale. Rappelons à ce propos que, dans un rapport rendu public en janvier 2021 sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat avait recommandé d'« associer très étroitement les élus locaux à la conception et à la mise en oeuvre de la nouvelle répartition entre la police et la gendarmerie et [de] raisonner de manière pragmatique selon des bassins de délinquance ».

Je voulais également insister sur la nécessaire coordination des deux forces sur un même territoire lorsque cela est justifié par des situations urgentes et exceptionnelles, ou par des phénomènes de délinquance communs. Une circulaire de 2011 a en effet mis en place ce que l'on appelle la coordination opérationnelle renforcée dans les agglomérations et les territoires (Corat), qui permet aux deux forces de s'affranchir de leur zone de compétence en cas de besoin. C'est un instrument potentiellement très utile, mais ces dispositions sont peu et mal mises en oeuvre, comme la Cour des comptes l'a également souligné. Il s'agit donc de mettre en oeuvre plus systématiquement cette possibilité de coordination en généralisant les protocoles départementaux entre la police et la gendarmerie qui doivent les organiser, après consultation des élus. Nous vous proposerons un amendement en ce sens.

Sur la question de la création des 200 brigades, j'ai été un peu surprise d'apprendre que le choix des implantations semble en réalité déjà largement fait, y compris la mise en place de brigades « volantes » qui nous laissent quelque peu dubitatifs. Les consultations, notamment des élus, viendront peut-être ensuite, mais il est dommage que tout soit déjà engagé alors même que la loi qui prévoit cette création n'est pas encore votée ! Nos amendements nous permettront d'interpeller le ministre sur cette question.

Sur les autres points, j'aurai une appréciation plus nuancée. Comme l'a souligné mon collège, ce texte n'est pas véritablement un projet de loi de programmation : il manque beaucoup trop de détails et de précisions puisque nous en restons au niveau ministériel.

Ainsi sur le sujet de l'immobilier, comme sur d'autres, il est seulement prévu de mettre en place un nouveau service chargé de « déterminer et présenter un tendanciel de dépenses d'investissement sur les projets immobiliers structurants du ministère de l'intérieur ». Après les multiples alertes que nous avons lancées au fil des années, après le Livre blanc et le Beauvau de la sécurité, cela nous paraît un peu décevant. C'est précisément sur un tel tendanciel de dépenses que nous aurions aimé pouvoir nous prononcer à l'occasion de cette Lopmi ! D'où l'amendement que nous vous présenterons sur ce point.

Enfin, les quelques dispositions de procédure pénale contenues dans le texte, comme la création des assistants d'enquête, sont sans doute utiles pour certaines d'entre elles, mais elles constituent plus des remises à jour ponctuelles qu'une réforme de grande ampleur. Dans ce domaine, il est nécessaire de poursuivre les efforts et, notamment, d'assurer une meilleure coordination avec les services de la justice, qui sont eux aussi en pleine transformation numérique.

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