Intervention de Stéphane Bouillon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 octobre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition de Mm. Stéphane Bouillon secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale sgdsn et de guillaume poupard directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information anssi

Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale :

Durant les douze derniers mois, le SGDSN a dû s'occuper d'événements de nature très différente.

Les élections présidentielle et législatives nous ont amenés à travailler très étroitement avec les autorités chargées du contrôle de la campagne et du bon déroulement du processus électoral, notamment le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle ou encore l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), pour tenter de déceler les attaques informatiques contre les institutions ou les candidats, ainsi que les tentatives de manipulation de l'information.

Nous avons aussi suivi les effets de la reprise économique à la suite de la phase aiguë de la pandémie de covid-19 : inflation, tensions sur les microprocesseurs ou sur certains produits alimentaires, etc. Cela pèse naturellement sur la construction du budget de l'État.

C'est bien sûr la guerre en Ukraine qui nous occupe beaucoup. Elle fait vaciller les cadres conceptuels, remet en cause notre travail sur la non-prolifération, interroge sur la mise en oeuvre du droit international. L'ensemble des équilibres géostratégiques sont remis en cause du fait de la désinhibition totale du chef d'un pays doté de l'arme nucléaire. De surcroît, ce pays utilise à grande échelle ce que l'on appelle les « menaces hybrides », c'est-à-dire des actions menées sous le seuil de conflictualité, sans que l'on puisse les attribuer, et ayant pour objectif de déstabiliser l'adversaire, voire de le neutraliser sans avoir à combattre directement. Je fais référence aux attaques cyber et aux manipulations de l'information, mais on peut aussi s'interroger sur les conditions dans lesquelles les gazoducs Nord Stream ont été coupés ces jours derniers. Une bonne part du travail du SGDSN a été consacrée au suivi de cette guerre.

Nous avons également travaillé sur la question de l'Indo-Pacifique. La montée en puissance de la Chine se traduit notamment par une activité cyber extrêmement importante, peut-être plus importante ces derniers mois que celle de la Russie. La Chine a ainsi essayé de pénétrer des réseaux pour faire de l'espionnage industriel à grande échelle.

Enfin, au Sahel, la pression de compétiteurs voulant attaquer la politique de la France et s'installer en Afrique a beaucoup occupé les différents services concernés.

Toutes ces questions ont évidemment été abordées au sein du Conseil de défense et de sécurité nationale. Je rappelle que l'organisation de ce Conseil est prévue par les textes et qu'il permet aux directeurs d'administration et aux chefs de service de donner la vision administrative des dossiers pour que le Président de la République puisse prendre les décisions qui relèvent de son pouvoir exécutif.

En 2023, notre action restera concentrée sur l'ensemble de ces enjeux majeurs.

Nous avons commencé à travailler sur la prochaine loi de programmation militaire (LPM) ; elle vous sera soumise au premier semestre 2023 et vous aurez un rôle éminent à jouer en la matière, y compris en amont de la présentation du texte. Nous devrons prendre en compte le nouveau cadre d'action, dont j'ai évoqué certains éléments - c'est ce que certains appellent « la fin des dividendes de la paix ». Le Président de la République nous a fixé deux orientations : il souhaite articuler notre stratégie nationale autour de priorités simples, lisibles et adaptées à nos théâtres d'intérêts et à nos alliances ; il souhaite ensuite comprendre la déclinaison physico-financière des choix qui seront arrêtés.

Nous serons donc amenés à discuter des choix stratégiques avant d'aborder les questions de programmation, mais aussi à travailler sur ce que le Président de la République a appelé « l'économie de guerre ». Il s'agira notamment de regarder dans quelles conditions l'industrie de défense et toutes les entreprises qui travaillent pour ce secteur peuvent modifier leur façon de travailler afin d'être plus rapides et capables de reconstituer les stocks. Un exemple : les séries devront peut-être être un peu moins sophistiquées, mais plus régulières afin de répondre rapidement à nos besoins.

Nous sommes dans un processus de réflexion et de maturation et nous aurons besoin de votre appréciation et de votre avis dans cette phase.

Le PLF pour 2023 subit les conséquences de cette nouvelle donne.

Depuis plusieurs années, le SGDSN est de plus en plus sollicité et a pris en charge de nouvelles missions. Des services à compétence nationale ont été créés pour assurer le portage juridique de ces missions. Je ne citerai que quelques exemples : l'Anssi ; le groupement interministériel de contrôle (GIC), qui s'occupe des interceptions de sécurité, sur lequel je n'ai pas autorité, mais que nous gérons ; un opérateur de services informatiques destiné à regrouper l'ensemble des moyens de façon à répondre aux attentes techniques de l'État ; le nouveau service Viginum, service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères.

Le budget opérationnel de programme (BOP) du SGDSN représente plus de 50 % des crédits totaux du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » : 37 % de ses crédits du titre 2 et 58 % des crédits hors titre 2. Le PLF pour 2023 prévoit de doter le SGDSN de 346,8 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 324,5 millions en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 15,8 % en AE et de 6,5 % en CP par rapport à 2022. Près du tiers de ce budget est porté par des dépenses de masse salariale - 101,6 millions en CP -, les deux tiers restants constituant pour l'essentiel des dépenses de fonctionnement et d'investissement, à hauteur de 222,9 millions en CP.

La trajectoire financière pour 2023-2027 est déterminée par plusieurs éléments.

Elle est d'abord déterminée par les missions répondant à une demande particulière du Président de la République ou du Premier ministre.

Je pense notamment au plan « cyber » pour la France, à l'animation et au pilotage de la stratégie nationale de résilience - ce sont des sujets qui ont été inscrits dans le programme présidentiel - et au développement des dispositifs de communication sécurisée au profit des hautes autorités et des services territoriaux de l'État, en particulier le téléphone Osiris. Nous devrons ainsi travailler, en lien avec l'affaire Pegasus, sur la question des téléphones sécurisés : ce seront des téléphones plus sécurisés, mais moins ergonomiques - ils ne permettront pas de naviguer sur internet, mais nous serons sûrs qu'il n'y aura pas d'oreilles indiscrètes...

Parmi ces missions, je citerai également la prise en compte des enjeux spatiaux tant sur le plan industriel qu'au niveau européen : nous devons nous adapter aux évolutions géostratégiques - dans ce secteur, beaucoup d'équipements étaient produits en Ukraine, parfois en connexion avec la Russie. Nous avons ainsi créé un bureau en charge des affaires spatiales au sein du SGDSN. Je citerai enfin la lutte contre les agences numériques étrangères et la mise en oeuvre de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement - le GIC disposera d'un nouveau bâtiment à Montrouge, que nous devrons protéger.

Ensuite, la trajectoire financière est déterminée par la consolidation de la montée en puissance organique du SGDSN. Nous avons un important programme d'opérations immobilières, par exemple pour l'Anssi, qui disposera d'un nouveau bâtiment à Rennes - 25 millions d'euros sont consacrés à ce projet.

À la suite de la réforme de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), nous avons obtenu une hausse de 750 000 euros de la subvention qui lui est versée. L'Institut réduira ses frais de fonctionnement, mais accueillera davantage de stagiaires et augmentera son rayonnement.

Par ailleurs, un certain nombre de postes de dépenses du SGDSN se rigidifient, en particulier les crédits de transfert au bénéfice de capacités techniques interministérielles (CTIM). Et il faut prendre en compte des dépenses nouvelles comme Viginum ou le campus cyber, inauguré l'an passé et pour lequel 14,2 millions d'euros sont prévus sur six ans. Je veux aussi évoquer dans ce cadre l'importance du volume des restes à payer - 104,3 millions d'euros au début de 2022 - induits par les indispensables opérations d'investissement et immobilières conduites ces dernières années.

Ce phénomène de rigidification sera accentué en 2023 sous l'effet de la hausse significative des coûts de l'énergie, plus particulièrement ceux de l'électricité, hausse qui se traduira par une multiplication par 3,5 de ce poste de dépenses - 5 millions d'euros contre 1,5 million.

Pour en revenir à nos missions, je veux dire que l'évolution chaotique du cadre géopolitique, le retour de la violence à grande échelle et haute intensité en Europe ou encore la multiplication des crises donnent une acuité particulière aux travaux que nous avons engagés au printemps sur la question de la résilience. Jean Castex, alors Premier ministre, avait confié au SGDSN une mission de réflexion et de rédaction d'une stratégie nationale de résilience. Un projet, issu d'un travail mené avec les ministères, lui a été remis au mois de mai. L'idée générale est de mieux identifier nos faiblesses et de mettre en oeuvre des actions correctives, faisant l'objet d'indicateurs de suivi. L'idée est de réformer la planification et les outils de gestion de la crise dans le sens d'une plus grande polyvalence des plans et d'une simplification des outils de réponse à la crise, en nous attachant notamment à la question des stocks - nous avons appris que nous devions compter sur nos propres efforts en la matière.

Encore plus loin, l'objectif final est d'« embarquer » la population, grâce au concours de ceux que nous n'avons pas assez associés jusque-là : collectivités territoriales, associations ou encore comités communaux - ces comités sont, par exemple, essentiels pour prévenir et gérer les feux de forêts et leurs conséquences. Le but ultime est de parvenir à préparer l'ensemble de la population à faire face à une situation de crise. Il s'agit de faire de nos concitoyens des « consom' acteurs », pour reprendre l'expression d'une parlementaire.

La guerre en Ukraine donne une nouvelle perspective à nos réflexions. La destruction d'éléments des gazoducs Nord Stream I et II démontre que les infrastructures civiles - satellites, câbles... - sont des cibles pour des États sans scrupules. Parallèlement, le prix des hydrocarbures et les risques de pénurie d'énergie sont des moyens de pression utilisés par la Russie sur les populations européennes. Nous travaillons donc à organiser les choses de façon que, par exemple, d'éventuels délestages, que nous faisons tout pour éviter, n'aient pas d'effets mal maîtrisés.

Les ministères dialoguent avec les opérateurs, y compris dans le domaine des télécoms. En complément, nous avons organisé et nous continuerons à organiser plusieurs exercices de gestion de crise afin de mettre à jour d'éventuelles faiblesses, de corriger nos plans et de veiller à ce que l'ensemble de nos concitoyens puissent faire face à la situation.

Nous devons faire face à une menace forte d'États comme la Chine ou les États-Unis, qui peuvent être tentés d'imposer leur mainmise et dominer les autres États sur un plan technique, réglementaire ou judiciaire. Il nous faut donc nous organiser aux niveaux national et européen.

Viginum a été créé en 2021 pour lutter contre les attaques informationnelles de l'étranger. La lutte informationnelle est devenue l'un des principaux enjeux de notre temps et la principale mission de Viginum. Il y a actuellement 42 agents dédiés, et ils seront 65 à terme pour détecter les attaques informationnelles venant de l'étranger. Le service a été mis à l'épreuve lors des élections et lors du référendum en Nouvelle-Calédonie. Nous avons rendu compte au Conseil constitutionnel de tout ce que nous avons pu observer.

Dans le cadre de cette mission, je préside également deux comités interministériels pour coordonner l'action de tous les services de l'État. Nous avons vocation à être des boucliers. Notre rôle n'est pas de dire ce qu'est la vérité, mais de mettre au jour des phénomènes potentiellement « inauthentiques » ayant cours sur des plateformes en ligne et susceptibles de révéler une ingérence numérique étrangère. Pour ce faire, Viginum recherche des marqueurs d'inauthenticité dans le débat public numérique : comptes atypiques, contenus susceptibles d'être inexacts ou trompeurs, comportements aberrants, anormaux ou coordonnés. Viginum s'appuie notamment sur des indicateurs mathématiques ou des outils informatiques conçus par ses spécialistes en analyse de la donnée.

À partir de là, on observe la menace et on essaie de la caractériser pour vérifier si les phénomènes répondent ou non aux critères établis dans le décret pour définir une ingérence numérique étrangère et, partant, s'ils sont susceptibles d'entraîner une réponse des autorités, qui peut être politique, par un contre-discours, diplomatique ou judiciaire, au moyen de la loi de 2018 sur les manipulations de l'information ou de la loi de 1884 sur la liberté de la presse.

Sur une année d'existence, le service a identifié 84 phénomènes qualifiés d'inauthentiques. Le principal enseignement de cette année d'existence est donc l'omniprésence de tels phénomènes, même s'ils ne sont pas tous massifs ni dangereux. Néanmoins, ils ont tendance à augmenter, notamment lors des échéances électorales. Il s'agit principalement d'essayer de discréditer nos institutions démocratiques. Pour contrer ce phénomène, nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires étrangers, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis.

Je termine par la cybermenace, sur laquelle Guillaume Poupard sera évidemment beaucoup plus complet que moi. Je peux simplement dire que celle-ci augmente d'année en année. Nous avons, l'année dernière, mis au point avec le Premier ministre toute une série d'actions pour vérifier que nos administrations, nos ministères, nos établissements publics n'étaient pas susceptibles d'être attaqués, ou en tout cas que nous pouvions être en capacité de répondre à ces événements. L'Anssi a donc beaucoup travaillé et continue à travailler avec toutes ces administrations pour renforcer la résistance de leurs systèmes informatiques aux attaques qui pourraient se produire, et elle fait évidemment de même, à travers le plan de relance, avec les établissements publics. Nous essayons de décentraliser cette action. Ainsi des centres de réponse aux alertes et aux attaques ont été créés dans toutes les régions, à l'exception d'une, pour faire face aux attaques.

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