Intervention de Emmanuel Moulin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 5 octobre 2022 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2023 — Audition de M. Emmanuel Moulin directeur général du trésor

Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor :

Nous sommes heureux de vous présenter aujourd'hui l'action de la direction générale du Trésor (DGT) en matière d'aide publique au développement. Je suis accompagné de Christophe Bories, sous-directeur des affaires financières multilatérales et du développement.

Comme vous l'avez rappelé, le ministère de l'économie et des finances participe à l'élaboration de la stratégie d'aide publique au développement, avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les deux ministères assurent le co-secrétariat du comité interministériel de la coopération internationale et au développement (CICID), qui fixe les orientations relatives aux objectifs et aux modalités de la politique de coopération et d'aide publique au développement. Nous assurons également la cotutelle du groupe AFD et cette organisation a été confirmée par le Sénat lors de la loi de programmation du 4 août 2021.

La direction générale du Trésor a la charge du volet économique et financier de l'aide publique au développement. Cela regroupe les grands fonds multilatéraux, les prêts et les annulations de dette ainsi que les interventions en matière d'environnement et de climat. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pilote pour sa part principalement les actions sectorielles hors climat, en particulier les questions de santé, ainsi que les interventions en dons.

Le programme 110 « aide économique et financière au développement » et le programme 209 « solidarité avec les pays en développement » composent la mission aide publique au développement. Elle comprend également les programmes 851 et 852, le programme 365 « renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement », qui avait été introduit en PLF 2021 pour recapitaliser l'agence ainsi que le programme 370 « Restitution des biens mal acquis », un programme du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, créé suite à la loi de programmation du 4 août 2021.

Nous gérons aussi avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et la direction du budget le fonds de solidarité pour le développement, dont les crédits extrabudgétaires (notamment les taxes sur les billets d'avion) contribuent au financement de fonds multilatéraux sur la santé et le climat.

Je voudrais aborder quelques sujets d'actualité avant de répondre à vos questions. Je commencerai par l'action de la DGT sur les principales crises que nous traversons. S'agissant de l'annulation de dettes, la DGT y joue un rôle tout particulier puisque je suis président du Club de Paris, chargé de négocier les dettes des pays en voie de développement et émergents qui font face à des difficultés dans le cadre de programmes avec le Fonds monétaire international (FMI). Dans les années 2000, nous avions mis en place des initiatives très importantes de réduction de dettes, notamment l'initiative Pays pauvres très endettés. Depuis, le stock de dettes des pays d'Afrique subsaharienne a fortement augmenté, atteignant le triple du point bas consécutif aux annulations en 2006. Il y a eu un ré-endettement de ces pays, notamment par l'accès aux marchés mais aussi du fait de l'apparition de nouveaux créanciers, en particulier de la Chine qui est devenu un créancier très important des pays africains.

La crise du Covid-19 a révélé des vulnérabilités de ces pays. En réponse à cette crise, nous avons mis en place une initiative dite Suspension du service de la dette, qui a permis à ces pays de dégager de l'espace budgétaire pour faire face aux besoins générés par la crise, en particulier les dépenses de santé et les mesures de soutien à leurs économies. Sur la période de mise en oeuvre, achevée en décembre 2021, les créanciers du Club de Paris ont signé des accords de suspension portant sur 4,6 milliards de dollars sur 42 pays, dont 1,8 milliard de dollars en faveur des pays d'Afrique subsaharienne. La France a signé des accords de suspension pour un montant de 1,4 milliard de dollars en faveur de 37 pays, dont 17 des 19 pays prioritaires de l'aide et 1 milliard de dollars en faveur des pays africains.

Outre ces initiatives d'urgence pour faire face à la crise pandémique, nous avons également mis en place des mesures plus structurelles.

Avec le G20, nous avons mis en place le cadre commun, qui est une instance de concertation et de coopération entre les pays du Club de Paris et ceux du G20, donc y compris la Chine, l'Inde et l'Arabie Saoudite, pour traiter du problème du surendettement de certains pays. Trois pays ont sollicité une aide dans ce cadre : l'Éthiopie, le Tchad et la Zambie.

Les négociations avec le Tchad sont bien avancées et devraient aboutir à un accord dans les prochaines semaines. Avec l'augmentation du prix du pétrole, le besoin de financement du Tchad s'est beaucoup réduit ; il n'y a pas de besoin pour un traitement de dette immédiat. En revanche, le service de la dette sera très élevé en 2024 et il conviendra de prendre en compte cet élément. Les créanciers du cadre commun ont aussi voulu donner un signal aux créanciers privés (notamment le groupe de matières premières Glencore) afin de les inciter à faire un effort en faveur du Tchad, qui est un des pays les plus pauvres du monde.

Nous sommes également très actifs sur la Zambie, qui a sollicité un traitement de dette et signé un accord avec le FMI. Nous sommes en négociation avec la Chine pour avoir une restructuration de la dette de la Zambie.

Enfin, sur l'Éthiopie, nous avons des travaux techniques en cours mais la situation sur le terrain rend difficile la conclusion d'un accord avec le FMI.

Par ailleurs, nous travaillons aussi sur d'autres pays qui ne font pas partie du cadre commun. Nous avons traité le cas du Surinam, pays frontalier avec la France. Nous travaillons aussi beaucoup sur le Sri Lanka. Un accord avec les équipes du FMI a été conclu. Nous travaillons avec ce pays pour constituer un groupe de créanciers. Les pays du Club de Paris sont prêts à agir et nous avons sollicité l'Inde et la Chine pour qu'ils puissent également participer.

Le deuxième élément d'actualité concerne les droits de tirage spécial (DTS). Pendant la crise, nous avons décidé une allocation exceptionnelle de 650 milliards de dollars de DTS, qui a bénéficié à hauteur de 34 milliards au continent africain, dont près de 24 milliards pour l'Afrique subsaharienne. 5% seulement bénéficie donc au continent africain. Les actionnaires majeurs du FMI que sont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne ont bénéficié aussi des allocations de DTS alors qu'ils n'ont pas nécessairement besoin de renforcer leurs réserves de change.

C'est la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité en mai 2021, lors du sommet sur le financement des économies africaines à Paris, que les grands pays actionnaires du FMI s'engagent à recycler une partie de leurs DTS en faveur des pays africains. Nous avons obtenu un engagement des pays du G20 de recycler 100 milliards de dollars de DTS en faveur des pays les plus pauvres.

Deux voies sont utilisées. Nous renforçons d'abord le fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC), qui permet d'octroyer des prêts à taux 0 et à long terme aux 69 économies les plus pauvres membres du FMI, la majorité étant des États africains. Nous finançons à hauteur de 4 milliards de DTS cette facilité et nous nous sommes engagés à augmenter de 1 milliard notre financement en sa faveur. Cela n'est pas gratuit ; nous reprêtons nos DTS au FMI qui les utilise ensuite pour en faire des prêts à 0% aux pays les plus pauvres. Il faut que nous alimentions un compte de bonification pour réduire le taux d'intérêt du DTS, puisque celui-ci est aligné sur la moyenne des taux d'intérêt qui composent le panier du DTS (5 grandes monnaies, y compris le Renmimbi). Il est aujourd'hui aux environs de 1,50%. Pour faire des prêts à taux 0, il faut bien compenser ce montant, d'où le compte de bonification, que nous alimentons avec des crédits budgétaires (130 millions d'euros dans le PLF 2023, avec un premier décaissement à hauteur de 40 millions d'euros).

Sera également opérationnel d'ici la fin de l'année un fonds fiduciaire pour la résilience et la soutenabilité, aussi alimenté par des DTS, visant à financer les transformations structurelles de 143 pays éligibles (dont tous les pays africains), notamment la résilience au changement climatique et la préparation aux pandémies. Ce fonds, doté de 70 milliards de dollars, permettra également de faire des prêts aux pays les plus pauvres, sur une durée plus longue que pour le FRPC. Dans le cadre du PLF 2023, l'État devrait donner sa garantie pour un prêt de 3 milliards de DTS de la Banque de France au FMI pour ce fonds de résilience. Comme pour le FRPC, des crédits budgétaires sont nécessaires pour bonifier les intérêts. Nous avons donc prévu à cette fin 80 millions d'euros en AE et en CP dans le PLF 2023.

Le programme 110 finance les contributions de la France aux grands fonds multilatéraux. Le principal d'entre eux est l'association internationale de développement (AID), qui est le bras concessionnel de la Banque mondiale. Les négociations de reconstitution de l'AID 20, organisées sur un cycle de trois ans, ont été conclues du fait de l'urgence de la pandémie en décembre 2021, un an avant la date prévue. Nous avons mobilisé 93 milliards de dollars sur trois ans contre 82 milliards pour l'AID 19. La contribution de la France est majeure puisqu'elle s'élève à 1,457 milliard d'euros, entièrement composé de dons, s'inscrivant en hausse de 6% par rapport à l'AID 19. La France conserve son rang de 5ème donateur de l'AID. Cela représente environ 40% du programme 110.

Le programme 110 porte également des engagements en matière de finance pour le climat. Les pays avancés se sont engagés à financer à hauteur de 100 milliards de dollars par an l'atténuation et l'adaptation au changement climatique des pays en voie de développement, engagement pris à Copenhague en 2009 et renouvelé lors des accords de Paris de 2015. Le Président de la République a décidé d'augmenter la contribution de la France en la portant à 6 milliards de dollars par an sur la période 2021-2025. Cet engagement se traduit par des contributions à des fonds pour le climat, en particulier via le doublement de la contribution de la France au fonds vert pour le climat (1,548 milliard sur 2020-2023). Nous sommes 3ème contributeur du fonds vert. Par ailleurs, la France a assuré en 2021 la coprésidence du conseil d'administration du fonds vert. Les pays actionnaires du fonds ont demandé à la France de reconduire cette coprésidence.

Nous participons également à la reconstitution du fonds multilatéral de mise en oeuvre du protocole de Montréal. Cette négociation a été finalisée en juillet 2022, avec une contribution qui s'élève à 540 millions de dollars entre 2021 et 2022. Ce fonds est destiné à la lutte contre les gaz CFC (chlorofluorocarboné) et HCFC (hydrochlorofluorocarbonés), responsables des trous de la couche d'ozone.

La France participe aussi à la reconstitution du fonds pour l'environnement mondial, logé à la Banque mondiale, seul fonds à développer des activités en faveur de la biodiversité.

Enfin, le programme 110 finance également le fonds français pour l'environnement mondial, reconstitué en 2019.

Au-delà de ces contributions, la DGT, dans son rôle d'actionnaire des banques multilatérales de développement, s'assure que ces banques se conforment d'ici 2023 aux accords de Paris et que soit renforcée la prise en compte des problématiques climatiques. Les propos récents du président de la Banque mondiale ont fait polémique mais celui-ci a heureusement rectifié son discours.

Je terminerai sur l'AFD, qui a été mobilisé pour faire face à la crise pandémique. L'État a apporté, en 2021, 1,42 milliard d'euros de fonds propres supplémentaires à l'AFD pour qu'elle puisse mettre en oeuvre son plan d'affaires, avec un montant d'engagement de 12 milliards par an. Nous avons demandé à l'AFD de mettre en place, pour le compte de l'État, un prêt concessionnel de soutien à l'Ukraine de 300 millions d'euros, qui a été décaissé en avril, peu de temps après le début du conflit. Nous travaillons également avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur le futur contrat d'objectifs et de moyens (COM) de l'AFD, pour qu'il puisse décliner les objectifs et les principes de la loi du 4 août 2021.

S'agissant de la trajectoire de l'aide publique au développement (APD), nous avons respecté les engagements pris. En 2021, l'APD française s'est établie à 13,1 milliards d'euros, en augmentation de 6%, pour atteindre 0,51% du PIB. En 2022, le volume de l'APD française devrait continuer à croitre pour atteindre 14,8 milliards d'euros à la fin de l'année, soit 0,55% du PIB. En 2022, l'APD augmente de 4,6 milliards d'euros par rapport à 2018.

Au total, les crédits du programme 110 s'élèvent à 3 milliards 886,9 millions d'euros en AE et 2 milliards 337,9 millions en CP. La concentration se fait sur les crédits destinés aux institutions multilatérales, ainsi qu'au financement des annulations de dettes bilatérales et multilatérales, des engagements remontant parfois à plusieurs années. Le programme 110 comprend aussi des crédits d'aides bilatérales, en particulier des crédits de bonification visant à abaisser pour les pays emprunteurs le coût des prêts de l'AFD ainsi que, pour des montants beaucoup plus faibles, des aides budgétaires globales en faveur de l'Afrique subsaharienne de l'ordre de 60 millions d'euros en AE et en CP.

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