Intervention de Laurence Boone

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 octobre 2022 à 8h35
Institutions européennes — Conseil européen des 20 et 21 octobre 2022 - Audition de Mme Laurence Boone secrétaire d'état auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée de l'europe

Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe :

Je me plie pour la première fois avec plaisir à l'exercice du débat préalable au Conseil européen.

Au cours du mois d'octobre, la présidence tchèque a réuni les chefs d'État ou de gouvernement en raison de trois chocs majeurs : la guerre en Ukraine, la crise énergétique et la situation économique de l'UE. Je serai prudente, car la situation évolue tous les jours : nos positions sont susceptibles d'être adaptées en conséquence.

L'agression russe contre l'Ukraine figurera encore au coeur des échanges du prochain Conseil européen. À la suite de son entretien avec Volodymyr Zelensky, le Président de la République a indiqué hier que notre soutien politique, humanitaire, économique et militaire à l'Ukraine serait conforté. À la fin du mois de septembre, l'UE avait renforcé les sanctions à l'encontre de la Russie après les simulacres de référendum dans les provinces orientales de l'Ukraine. Les bombardements d'hier marquent une nouvelle escalade : ces frappes visant des infrastructures civiles - et donc la population - sont constitutives de crimes de guerre, comme l'a déclaré la ministre Catherine Colonna hier.

Dans ce contexte, l'UE souhaite affaiblir durablement la Russie afin d'asphyxier l'effort de guerre. Le nouveau paquet de sanctions qui vient d'être adopté resserre l'étau : c'est notamment l'objet du mécanisme visant à plafonner le prix d'achat du pétrole russe pour les pays tiers. Cela contribuera à réduire les revenus de la Russie, tout en maintenant la stabilité des marchés internationaux.

Outre de nouvelles mesures sectorielles et la désignation de 29 personnes et sept entités, ce paquet prévoit l'ajout d'un critère permettant de sanctionner les individus. L'arsenal législatif est très complet et provoque des conséquences très importantes sur l'économie russe. La production automobile y a ainsi chuté de 70 % depuis le mois d'août 2021. Ces sanctions pourront être renforcées à tout moment non seulement contre la Russie, mais aussi contre la Biélorussie, si celle-ci s'engage dans la guerre.

J'en viens à l'aide que nous apportons à l'Ukraine. Sur le plan militaire, nous soutenons la création d'une mission européenne d'assistance militaire. Sur le plan financier, la France plaide pour un décaissement rapide de la deuxième tranche d'aide à l'Ukraine. Nous souhaitons entamer les négociations en vue d'aboutir à un accord avant la fin de l'année sur la troisième tranche d'aide, d'un montant de 3 milliards d'euros. Sur le plan politique, une perspective européenne est offerte à l'Ukraine. Le premier sommet de la CPE a également été très utile. La deuxième réunion de cette instance, qui vise à nouer des liens forts entre tous les pays européens, qu'ils soient ou non membres de l'UE, se tiendra en Moldavie et permettra d'avancer sur des coopérations concrètes. Sur le plan humanitaire, la protection temporaire autorisant les réfugiés ukrainiens à vivre et à travailler sur le territoire de l'UE sera prolongée jusqu'en 2024.

La conférence de Berlin, prévue le 25 octobre prochain, abordera la question de la reconstruction. Elle vise à coordonner les différents types d'aide apportée à l'Ukraine, en lien avec les organisations internationales notamment.

Le Conseil européen se penchera également sur la question de l'insécurité alimentaire mondiale. L'UE a créé des corridors de solidarité, qui ont permis à l'Ukraine d'exporter plus de 10 millions de tonnes de céréales. Nous avons aussi consenti une aide directe aux pays vulnérables, via l'initiative Food & Agriculture Resilience Mission (Farm), dont le déploiement se poursuit, en lien avec l'Union africaine (UA).

Le Conseil européen abordera la question des réfugiés russes ayant fui leur pays depuis l'ordre de mobilisation, ce qui témoigne de la force de l'opposition interne. Le statut accordé à ces ressortissants, notamment l'octroi éventuel d'un visa, fait débat ; nous souhaitons que les États membres adoptent une approche commune sur cette question.

J'en viens à la crise énergétique, deuxième point à l'agenda. Le Conseil européen reviendra sur les grandes thématiques abordées lors du Conseil des ministres de l'énergie extraordinaire du 30 septembre dernier. Celles-ci portent sur la réduction de la demande d'électricité, la contribution de solidarité temporaire des entreprises fossiles, la captation de la rente des producteurs d'électricité et le soutien apporté aux ménages et aux entreprises. Ces derniers ne peuvent supporter seuls le coût de la crise actuelle. L'ensemble de ces mesures seront déclinées en France dans le projet de loi de finances pour 2023. Nous devons toutefois aller plus loin et prendre de nouvelles décisions européennes en vue de réduire le coût de la facture énergétique, notamment le plafonnement des prix du gaz -importé de Russie et sur les marchés de gros- et la création d'une plateforme d'achats en commun. Nous souhaitons également diminuer le prix de l'électricité.

Vendredi dernier, la présidente de la Commission européenne a entendu ces messages et plusieurs États membres ont plaidé en faveur d'une accélération des discussions à ce sujet et d'une réponse forte et coordonnée à l'échelle européenne, susceptible de s'inspirer du modèle ibérique.

La Russie poursuit l'instrumentalisation de l'approvisionnement énergétique de l'UE en réduisant ses livraisons de gaz. Elle n'est plus un partenaire fiable. La France soutient une réforme structurelle des marchés de l'énergie en vue de parvenir à un marché plus cohérent et moins volatile ; des propositions seront formulées sur ce point par la Commission d'ici à la fin de l'année.

Le Conseil européen abordera également la situation économique : l'inflation pèse sur les perspectives de croissance et suscite de l'inquiétude chez nos concitoyens. La croissance a toutefois continué de progresser au deuxième trimestre de l'année 2022 dans la plupart des pays européens ; celle de la zone euro s'établit à 0,6 % ce trimestre. Cela dit, l'inflation a parallèlement progressé de plus de 10 % en septembre, contre 9,1 % au mois d'août. La France se distingue avec une inflation limitée à 6,2 %, grâce aux décisions prises par le Gouvernement. De nouvelles mesures sont cependant nécessaires. Un nouveau chèque énergie sera créé pour les plus modestes et le bouclier tarifaire sera prolongé. Veillons toutefois à ce que les mesures nationales ne créent pas de trop grandes divergences au sein de la zone euro, en vertu de l'encadrement temporaire des aides d'Etat que la Commission vient de présenter. Une nouvelle action économique commune de solidarité sera peut-être décidée au niveau européen, car tous les États membres ne disposent pas des mêmes marges de manoeuvre. Tel est le sens du plan REPowerEU.

Ces différentes crises témoignent de la nécessité de réviser notre modèle de gouvernance économique. D'ici à la fin du mois, la Commission proposera une réforme du pacte de stabilité et de croissance. Le Président de la République rappellera la position française : un cadre commun solide s'impose pour assurer la viabilité de nos finances publiques, mais aussi pour soutenir la croissance en vue de renforcer l'autonomie européenne. Ces règles doivent tenir compte de la spécificité de chaque État membre. Chaque pays doit se les approprier via un dialogue fructueux avec la Commission pour rendre le cadre commun plus efficace.

En matière de relations extérieures, les relations entre l'UE et la Chine figureront au programme des discussions. Depuis 2019, celles-ci se définissent selon le triptyque partenariat, coopération et rivalité systémique. Certes, celui-ci reste pertinent, mais les rapports avec la Chine sont aujourd'hui davantage marqués par la rivalité. Je pense à la position chinoise sur la guerre en Ukraine ou à la montée des tensions dans le détroit de Taïwan. Notre relation économique avec la Chine doit être rééquilibrée et nous devons poursuivre la diversification de nos chaînes d'approvisionnement. Cela dit, la Chine reste un partenaire de coopération indispensable pour certains sujets, tels que la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité ou encore la santé mondiale.

Nous maintiendrons une approche ferme sur la défense des droits de l'homme. La proposition de règlement relatif à l'interdiction de la vente des produits issus du travail forcé sur le territoire de l'UE en témoigne.

Le Conseil européen abordera la préparation de plusieurs échéances internationales, telles que la COP 27, accueillie cette année par l'Égypte. Les émissions de gaz à effet de serre augmentent et les tensions sur les marchés énergétiques menacent l'intégrité des engagements internationaux.

La préparation du sommet entre l'UE et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), qui aura lieu au mois de décembre, figurera également au programme des discussions. L'Asean occupe une place centrale dans la région indo-pacifique. La Birmanie ne devra être en aucun cas présente à ce sommet : la France estime nécessaire de maintenir l'exclusion de la junte au pouvoir.

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