Intervention de Laurence Boone

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 octobre 2022 à 8h35
Institutions européennes — Conseil européen des 20 et 21 octobre 2022 - Audition de Mme Laurence Boone secrétaire d'état auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée de l'europe

Laurence Boone, secrétaire d'État :

Nous sommes en train de travailler sur la Facilité européenne pour la paix, ou plutôt sur les efforts de défense. L'Union européenne a mobilisé 2,5 milliards d'euros pour la livraison d'armes à l'Ukraine via cette facilité. Nous allons poursuivre ce soutien dans la durée. Le Haut Représentant a appelé à augmenter cette facilité d'une sixième tranche de 500 millions d'euros, pour la porter à 3 milliards d'euros. Ce sujet sera à l'ordre du jour du Conseil des affaires étrangères du 17 octobre.

Les effets des sanctions sont durables. L'objectif est d'asphyxier la capacité de la Russie à mener ces agressions, en touchant son industrie et les personnes qui sont en responsabilité de guerre - généraux, organisateurs des simulacres de référendum, propagandistes... Nous voulons affecter la Russie sur le plan militaire, mais aussi narratif.

Les effets sur l'énergie ne sont pas dus aux sanctions européennes, mais à la Russie qui fait le yoyo avec notre approvisionnement en énergie pour faire monter les prix et déstabiliser nos sociétés. Nous devons assurer l'approvisionnement en gérant les stocks, en diversifiant les capacités d'approvisionnement, et en accélérant sur les énergies renouvelables. Nous devons aussi créer des boucliers en interne et agir pour faire effectivement baisser les prix. Les négociations sur un accord de solidarité dans le règlement sur l'énergie sont encore en cours. La France a besoin de moins de gaz, dans son mix énergétique, que l'Allemagne et que les pays de l'Est et du sud-est de l'Europe. Nous devons avoir une grille énergétique très opérationnelle et disposer rapidement d'un mécanisme de solidarité. À moyen terme, notre objectif commun est de sortir des énergies fossiles pour assurer notre sécurité énergétique.

Monsieur Leconte, notre soutien à l'Ukraine prend plusieurs formes. L'accueil des réfugiés est important, et risque d'augmenter avec la nouvelle vague de frappes. Le ministère des affaires étrangères agit au travers de son centre de crise et de soutien. Les collectivités territoriales et le secteur privé acheminent 1 000 tonnes d'aide humanitaire et de réhabilitation d'urgence, via l'opération « Un bateau pour l'Ukraine ». Nous sommes engagés pour répondre à l'urgence alors que des infrastructures critiques ont été frappées par les missiles russes. Nous participons à la reconstruction de l'Ukraine par un soutien militaire, mais aussi humanitaire.

En matière d'énergie, je répète qu'à moyen terme, nous devons sortir des énergies fossiles ; mais à court terme, nous devons nous assurer que l'ensemble de l'Union puisse être approvisionné à des prix raisonnables. Nous avons fabriqué rapidement des méthaniers, signé des accords à différents niveaux, et multiplié les conseils extraordinaires des ministres de l'énergie. Nous devons assurer un approvisionnement à la fois national et européen, pour l'hiver prochain et à moyen terme.

Le Ministre Bruno Le Maire a rappelé, il y a neuf mois, qu'une réforme du marché de l'électricité à terme est prévue, différente du découplage de court terme.

Nous demandons d'accélérer la sortie des hydrocarbures. L'Europe a un objectif de baisse de ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990.

Nous voulons que la France soit le leader de l'hydrogène décarboné ; pour cela, nous devons investir massivement. La France a mobilisé dans ce but 7 milliards d'euros entre 2020 et 2030. Ces investissements sont soutenus par l'Europe, puisque le plan de relance européen va en couvrir 2 milliards d'euros. Au niveau européen, plus de 5 milliards d'euros seront mobilisés via le projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) sur l'hydrogène. La Stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné a été annoncée en septembre 2020. Elle vise le développement des filières de l'électrolyse et de la mobilité lourde pour la décarbonation de l'industrie et des transports.

Concernant les taux d'intérêt, il est incontestable qu'ils remontent, mais ils étaient exceptionnellement bas depuis la crise souveraine de la zone euro. Ils se rapprochent de leur moyenne historique. La France bénéficie d'un système de taux fixes dans l'immobilier, ce qui protège les Français, plus que les citoyens des pays où les taux sont variables. Depuis la crise financière de 2008, la réglementation bancaire a été considérablement renforcée. Nos banques sont beaucoup plus solides.

S'agissant de la Communauté politique européenne, je vous rappelle les sept pistes de coopération concrète qui seront examinées d'ici la deuxième réunion qui se tiendra en Moldavie dans six mois : la protection de nos infrastructures essentielles - gazoducs, câbles et satellites ; la stratégie de lutte contre la cybercriminalité, la propagande et la désinformation ; la stratégie intégrée en matière énergétique pour réduire la dépendance et faire baisser les prix ; la politique commune de la jeunesse pour renforcer le sentiment d'appartenance et renforcer les coopérations universitaires et les politiques éducatives, pour une culture européenne transnationale ; une politique intégrée de gestion des flux migratoires et de lutte contre les réseaux de passeurs ; la reconstruction de l'Ukraine ; et enfin des approches coordonnées sur les grands sujets régionaux comme la mer Noire, la mer Baltique, la mer du Nord ou le Caucase. Les pays de la CPE sont très enthousiastes ; plusieurs d'entre eux ont proposé d'accueillir la deuxième réunion, qui se tiendra en Moldavie, avant l'Espagne et le Royaume-Uni. Cela témoigne d'un réel intérêt à travailler ensemble sur des sujets communs, au-delà du politique.

La répression iranienne est inhumaine. Avec mes homologues européens, nous avons signé un appel au tout début de ces violences. Le 19 septembre, la France a condamné ces dernières. Depuis 26 jours, elle continue d'être très active au Conseil des droits de l'homme à Genève, dans toutes les enceintes internationales et dans ses échanges bilatéraux, à tous niveaux. L'Iran a souscrit à des principes fondamentaux comme ceux du pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations unies et nous lui demandons de les respecter. Certes, ce n'est pas suffisant. À l'échelle européenne, nous sommes en train de finaliser des sanctions pour les responsables de cette répression, via des gels d'avoirs et des interdictions de voyager. Nous devrions obtenir un accord le 17 octobre lors du Conseil des affaires étrangères.

Nous continuons d'oeuvrer pour le respect de l'État de droit en Pologne et en Hongrie. Lors du prochain Conseil des affaires générales, nous entendrons la Pologne sur l'indépendance de la justice. Nous avons donné davantage de temps à la Hongrie pour la mise en oeuvre de l'État de droit et des mesures anticorruption. Elle s'est engagée à agir, et nous lui avons donné jusqu'au mois de novembre pour l'application.

Monsieur Louault, la Communauté politique européenne n'a pas vocation à prendre, en permanence, des décisions à 44. Son utilité est de favoriser le dialogue, comme entre Grèce et Turquie, et les projets d'intérêt commun, afin d'ancrer ses membres dans l'État de droit promu par l'UE. Pour preuve, les échanges ainsi favorisés entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont conduit à la signature d'un accord permettant l'envoi d'une mission européenne en lien avec le comité stratégique sur l'immigration, les frontières et l'asile.

Un financement sera nécessaire si des projets sont amenés à être mis en place dans ce cadre ; plusieurs pistes sont à l'étude, dont une contribution des organisations internationales, à l'image de ce qui est pratiqué pour le G7, ou l'appui à des programmes existants, tels que le partenariat oriental.

Parmi les avancées de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, la boussole stratégique, le premier Livre blanc européen en matière de sécurité, fournit un cadre pour l'Europe de la défense. L'UE est parvenue, à court terme, à mobiliser 2,5 milliards d'euros pour la livraison d'armes à l'Ukraine ; à moyen terme, la boussole stratégique et les autres actions européennes permettront d'encourager les investissements de défense et de rationaliser les engagements des États membres. Les capacités seront ainsi reconstituées pour continuer à soutenir l'Ukraine, tout en étant plus efficaces. Il ne faut pas voir cela comme une concurrence faite à l'Otan, mais comme une articulation.

L'objectif du Conseil européen est de faire baisser les prix de l'énergie, en particulier ceux de marché immédiat, les plus élevés. La présidence tchèque a précisé qu'elle convoquerait « autant de conseils Énergie extraordinaires que nécessaire pour trouver une solution » d'ici au 21 octobre 2022. Parmi les mesures envisagées figurent la réduction de la demande, des mesures de solidarité ou la diversification des approvisionnements. Toutes les options sont à l'étude - des plafonds peuvent être imposés sur le prix du gaz importé de Russie, à l'image de ce que nous avons fait pour le pétrole - ; en matière de plafonds, des « corridors », plutôt qu'un chiffre fixe, permettraient une certaine souplesse, y compris à l'égard de nos fournisseurs : les prix demeureraient suffisants pour continuer à attirer en Europe les fournisseurs. Le mécanisme ibérique est une autre piste, consistant à baisser le prix du gaz par rapport au prix de marché grâce à une subvention d'État, faisant ainsi diminuer le prix de l'électricité produite à partir de ce gaz.

Au sujet de l'Iran, des mesures seront prises lors du conseil des affaires étrangères du 17 octobre 2022.

Monsieur Gattolin, je vous remercie d'avoir souligné le réveil géopolitique de l'UE ; tel est notamment le sens de la Communauté politique européenne : se réunir d'égal à égal pour mieux attacher à la sphère d'influence européenne, fondée sur l'État de droit. L'image est forte, mais la politique doit s'appuyer sur des coopérations concrètes. Ce réveil géopolitique se perçoit également dans l'évolution de la stratégie envers la Chine.

Pour que l'Europe soit forte, il lui faut une pensée géopolitique, mais aussi une stratégie, tant dans la défense que dans l'industrie, autour du concept d'autonomie. Certains pays de l'Est achètent du matériel de défense américain : nous souhaitons favoriser les achats de matériel européen, afin de localiser la recherche technologique sur notre territoire commun. Les pays européens doivent davantage investir dans la défense : la période bénite des dividendes de la paix est derrière nous.

L'autonomie énergétique est essentielle pour assurer notre sécurité et pour décarboner nos économies. À ce titre, le paquet européen « Ajustement à l'objectif 55 » et la stratégie française sont excellents.

Monsieur Guerriau, la plateforme d'achat en commun d'énergie soulève une question de concurrence. Des États peuvent donner charge à des entreprises d'acheter pour le compte de l'UE : nous disposerions ainsi d'un pouvoir de marché. Se pose également une question de réallocation. Il reste donc du travail ; la semaine qui nous sépare du Conseil européen n'y suffira sans doute pas. Les ministres Agnès Pannier-Runacher et Bruno Le Maire poussent depuis février 2022 la réforme du marché de l'électricité ; désormais, le mandat figure clairement dans une lettre de la présidente de la Commission européenne adressée aux chefs d'État ou de gouvernement. Le sujet de court terme est celui du mécanisme ibérique ; à moyen terme, une réforme pérenne du marché de l'électricité verra le jour. Notre système a fonctionné pendant vingt ans, mais ce n'est plus le cas.

Certes, l'Allemagne a annoncé des aides de 200 milliards d'euros ; les aides françaises, sur la même période, s'élèvent à 100 milliards. Le mécanisme ibérique serait à adapter autour de l'idée un mécanisme de solidarité accompagné de transferts. Il sera important de trouver le prix d'équilibre, qui prendra en compte la protection des consommateurs et des entreprises sans inciter pour autant à la consommation. Même si tout le monde, au sein du marché commun, bénéficiera de la baisse des coûts de l'énergie, certains pays profiteront plus que d'autres d'une telle mesure, d'où la nécessité d'un tel mécanisme : tout comme pour le covid, un même choc produit des effets asymétriques, selon les capacités budgétaires des uns et des autres. Les chefs d'État ou de gouvernement ont demandé à la présidente de la Commission européenne de formuler des propositions d'ici au 21 octobre 2022. Parmi les options figure l'utilisation d'outils tels que REPowerEU ou NextGenerationEU, ou d'autres mis en place suite à la crise du covid.

La stratégie « Farm to Fork », son adaptation durant la crise du covid et le sommet UE Afrique de février 2022 visent à assurer la sécurité alimentaire, chez nous et chez nos voisins africains.

Monsieur Corbisez, le Danemark a accepté de participer à l'effort pour soutenir l'Ukraine en renonçant aux canons Caesar, qui devaient lui être livrés, afin d'assurer un soutien plus rapide, du fait de leur disponibilité immédiate. La Facilité européenne pour la paix permet de renouveler les stocks et ainsi d'autoriser de tels prélèvements. L'UE s'apprête à se doter d'un fonds d'urgence de près de 500 millions d'euros pour reconstituer ses capacités en équipements militaires et en munitions. Le règlement en question est en cours de négociation, pour une adoption d'ici à fin 2022 ; nous veillerons à ce qu'il bénéficie en priorité aux industries européennes.

Monsieur Fernique, l'État de droit est assurément important pour le Gouvernement : j'en ai peut-être même, parfois, trop parlé... Deux procédures sont en cours envers des États membres. La Commission européenne réalise chaque année un rapport sur l'État de droit dans les 27 pays de l'UE accompagné de recommandations : nous devons en tenir le plus grand compte.

La moitié de l'inflation européenne provient des prix de l'énergie, directement en lien avec l'agression russe ; 20 % environ de l'inflation sont liés à l'alimentaire. Le bouclier énergétique a été mis en place afin de limiter les effets sur les citoyens ; de même, des mesures sont venues protéger le budget alimentation des ménages, en particulier des plus vulnérables.

Le pacte de stabilité et de croissance doit permettre de concilier la soutenabilité des finances publiques à moyen terme, la préservation de la croissance grâce à des investissements productifs et la double transition numérique et écologique. Nous discutons avec la Commission européenne et le Conseil afin de déterminer la trajectoire budgétaire appropriée au regard des investissements nécessaires tout en respectant l'objectif de la soutenabilité des finances publiques.

La senne démersale faisait l'objet d'un consensus très fragile entre États membres, consensus remis en cause par l'amendement présenté au Parlement européen, finalement rejeté. Sans ce rejet, l'ensemble du texte n'aurait pas pu être adopté, faisant courir le risque que des États étrangers puissent venir pêcher dans nos eaux territoriales avec des navires industriels.

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