Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi annoncé lors des conclusions du Beauvau de la sécurité en 2021 s’inscrit dans la logique de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, dont nous demandons l’abrogation. Dans la suite du livre blanc de la sécurité intérieure publié au mois de novembre 2020, ce projet de loi consacre près de la moitié des moyens prévus à la transformation numérique. Loin de moi l’idée de rejeter une telle transformation, mais il me semble que l’équilibre n’est pas respecté : la formation de nos policiers aurait dû, elle aussi, faire l’objet d’un effort important en termes de moyens.
Je sais bien que certains ici ne veulent pas l’entendre, mais mon groupe s’est toujours refusé à stigmatiser nos forces de l’ordre, et il a toujours reconnu les difficultés inhérentes à l’accomplissement de leurs missions. Mais nous défendons l’idée selon laquelle les dispositifs de maintien de l’ordre doivent reposer le plus souvent possible sur la négociation, le dialogue et la pédagogie, et non sur la répression, au risque d’aggraver le sentiment de défiance envers la police et une partie de la population.
Monsieur le ministre, vous affirmez que ce projet de loi serait un levier de rapprochement avec les citoyens, mais, force est de le constater, c’est le contraire qui est vrai.
D’une part, les victimes seront mises à distance par cette loi. Ainsi, les dépôts de plainte devraient s’effectuer en présentiel, et non en ligne. Chacune et chacun ici peut en comprendre les raisons.
D’autre part, le projet de loi s’éloigne de la coordination entre police et justice en prônant le tout répressif par la systématisation et la simplification de la procédure. Simplifier la procédure pénale sans vouloir l’expliquer, n’est-ce pas considérer que nos agents seraient incapables de la comprendre ?
Vous ne cessez de nous répéter qu’il ne s’agit pas d’un texte sur la justice, mais, au regard des dispositions qui y figurent, nous pouvons sérieusement en douter.
En généralisant l’amende forfaitaire délictuelle à certains délits, le texte prive les justiciables des garanties fondamentales qu’offre la procédure pénale. Il délègue aux agents de police une fonction qui relève en principe de l’autorité judiciaire, comme l’ont souligné la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et le Conseil d’État dans son avis du 10 mars dernier.
Il est également envisagé que les OPJ puissent procéder à des constatations et des examens techniques ou scientifiques sans réquisition préalable, ce qui éloignerait les enquêteurs du contrôle en temps réel du parquet ou du juge d’instruction. Il est difficile d’accepter l’idée que la police technique et scientifique puisse s’autosaisir.
En outre, un abaissement des exigences dans le recrutement des OPJ n’est pas souhaitable. Un OPJ dispose de pouvoirs coercitifs dont ne dispose pas un agent de police judiciaire. La responsabilité nécessite l’expérience. De même, mettre en place la fonction d’assistant de police et de gendarmerie n’est pas un gage d’efficacité. La procédure pénale, même dans ses aspects les plus minimes, nécessite vigilance et rigueur.
Mes chers collègues, avec ce texte, nous sommes face à une « macdonaldisation » de la procédure pénale.
Servir le citoyen et sa sécurité : voilà le cœur battant du métier de policier. Le projet de loi l’ignore, pour nous proposer la vision un peu fantasmée, celle d’une police hyperéquipée. C’est le label Robocop qui nous est présenté. Des exosquelettes et des policiers, des gendarmes et des pompiers « augmentés » ne feront pas de nos agents de police de meilleurs professionnels.
Le texte passe à côté des véritables enjeux des métiers de la sécurité publique. Nous souhaitons une police qui mette en œuvre le triptyque prévention/dissuasion/répression. Nous voulons une police non pas coupée du citoyen, mais une police de proximité exemplaire et digne, ce qui est l’ambition de milliers de policières et de policiers.
Votre tâche au Gouvernement, notre tâche au Parlement, est d’aider à restaurer une confiance trop souvent perdue. Quelle politique mettez-vous en place pour parler à la jeunesse des quartiers populaires ? Nous dénonçons par ailleurs les partenariats privilégiés envisagés avec des sociétés privées, dans la droite ligne du projet de sécurité globale envisagé dans la Lopmi. Un tel souhait traduit la volonté de l’exécutif de se couper de la police républicaine au profit de sociétés de sécurité mercantiles et bien éloignées des fonctions régaliennes de l’État.
Enfin, ce projet de loi est l’antichambre de la réforme à venir. La départementalisation de la police judiciaire serait synonyme d’intrusion du pouvoir exécutif dans les procédures pénales. La colère s’exprime fortement au sein de la magistrature, chez les avocats et, comme nous l’avons vu la semaine dernière, chez les enquêteurs de police judiciaire.
Monsieur le ministre, notre société est sous tension. À la crise sociale se sont ajoutées les crises sanitaires et la guerre sur notre continent. La réalité de la crise climatique et écologique est incontournable. L’insécurité est globale et la police se doit d’être une force d’apaisement, et non pas d’ajouter de l’anxiété à l’anxiété.
Cette difficile équation – je veux bien le reconnaître – entre prévention, accompagnement et protection est un défi. En l’état, votre projet de loi et votre approche ne peuvent pas le relever.
Nous voterons donc contre le projet de loi, et nous proposerons au Sénat d’autres voies, même si j’ai bien compris que celles-ci risquent d’être rejetées par nos rapporteurs.