Monsieur le ministre, je tiens à dire tout d’abord que j’apprécie particulièrement les développements de votre rapport annexé à l’article 1er. Nous demandons beaucoup à nos policiers et à nos gendarmes, mais ils ont besoin de soutien et d’accompagnement. Or, dans ce rapport, nous trouvons tout ce dont nous rêvons pour un meilleur fonctionnement de la police et de la gendarmerie et pour une meilleure prise en charge des victimes.
Toutefois, je ne suis pas sûre que tout soit applicable sans recours à des modifications législatives, que l’on ne trouve pas dans le texte dont nous sommes saisis aujourd’hui. Je pense par exemple aux évolutions nécessaires pour assurer notre sécurité lors des grands événements sportifs à venir. Ce n’est pas grave, car l’intention est louable, et cela nous donnera l’occasion de nous revoir prochainement !
Revenons donc au texte. Un syndicat bien connu communique souvent en disant que le problème de la police, c’est la justice. C’est oublier que, parfois, le problème de la justice, c’est la police ! Je n’incrimine évidemment pas les policiers, mais force est de constater que la filière d’investigation n’attire plus autant qu’auparavant. Ses difficultés de recrutement font que de nombreuses équipes sont en sous-effectif. Cela a des conséquences directes sur la qualité des enquêtes et le délai de mise en œuvre de la réponse pénale.
Les stocks qui se constituent dans les commissariats sont autant d’affaires non traitées, donc de justice non rendue, qui vont trop souvent se terminer en déclaration sans suite, faute d’avoir les moyens de les poursuivre. Cela laisse toujours un sentiment – mais est-ce un sentiment ? – d’injustice au plaignant.
Le texte prévoit une facilitation de l’exercice des missions d’investigation, un renforcement de l’efficacité de leur action, une formation initiale plus orientée vers les métiers de l’investigation, ainsi que la création d’agents de police judiciaire. Je salue également la proposition de nos rapporteurs Loïc Hervé et Marc-Philippe Daubresse d’attribuer la qualité d’agent de police judiciaire aux élèves officiers de la gendarmerie nationale durant leur scolarité, afin qu’ils puissent constituer un renfort appréciable durant leur stage en unités territoriales.
Ces apports devraient permettre à plus de dossiers d’être traités et aideront aussi à mieux accompagner les victimes. Attention toutefois à certaines propositions du rapport annexé. Permettre à chacun et chacune de déposer une plainte et d’en effectuer le suivi en ligne, avec un contact direct par chat avec un policier ou un gendarme, c’est une formidable idée. Mais est-ce bien réaliste ? Ces propositions représentent un bond de géant par rapport à la situation actuelle, et je crains quelques déceptions. J’espère cependant me tromper.
Sur le cas particulier des violences intrafamiliales, qui sont devenues un contentieux de masse avec la libération de la parole, le rapport prévoit le doublement du nombre d’enquêteurs dédiés et le financement de 200 postes d’intervenants sociaux en police et en gendarmerie. Ces intervenants sociaux sont très utiles, et il est vrai que leur financement posait trop souvent un problème ; vous proposez de le régler.
Je salue aussi la création d’un fichier de prévention des violences intrafamiliales, afin de mesurer, pour un jour empêcher la réitération de faits de violence, et pour prendre en compte les signaux de dangerosité. L’efficacité de cet outil dépendra de la formation des forces de l’ordre et de leur capacité à distinguer des signaux faibles et à prendre les bonnes décisions rapidement. Un gendarme ne doit plus hésiter à demander le retrait d’une arme à feu d’un ami chasseur dans un contexte de violences intrafamiliales.
Les associations pourront accompagner plus efficacement les femmes victimes de violences en organisant le dépôt de plainte dans leurs locaux et en signalant les faits dont elles ont connaissance aux forces de l’ordre. J’imagine que ce dépôt de plainte se fera par déplacement d’un officier ou d’un agent de police judiciaire, d’où l’utilité de la création de ces derniers.
Toutes ces mesures vont dans le bon sens et sont les bienvenues si elles sont réellement appliquées. Je ne manquerai pas d’en suivre très attentivement la mise en œuvre, après avoir fait un état des lieux dans le cadre de la mission que m’a confiée la Première ministre sur les violences intrafamiliales.
J’ai souvent eu l’occasion de me pencher sur la situation du numérique dans la justice, bien moins dans la police. Heureusement, je ne suis pas dépaysée, tant les problèmes sont similaires ! D’ailleurs, justice et police ont tout intérêt à travailler et à concevoir ensemble les outils transversaux. Ainsi, Cassiopée, qui pénalise tant magistrats que policiers et gendarmes dans le cadre de la procédure pénale numérique, est un bon exemple de cette nécessité d’un travail concerté.
L’idée d’une grande agence du numérique pour le ministère de l’intérieur, avec une double tête gendarmerie/police, paraît donc pertinente, mais seulement si les leçons de l’échec du projet Scribe, en partie dû à une divergence de vision sur le numérique entre police et gendarmerie, ont bien été tirées.
Enfin, certains sujets ne relèvent pas de la loi, mais il faut aussi se concentrer sur le plus urgent et sur ce qui peut être réglé rapidement. Par exemple, certaines gendarmeries – au hasard, dans l’Yonne – ne sont toujours pas raccordées à la fibre, et ne le seront pas, dans le meilleur des cas, avant 2023. Il est sans doute possible d’accélérer les choses. Je vous ai alerté sur ce sujet par une récente question écrite, restée sans réponse à ce jour.
Cela souligne l’importance du maillage territorial, que vous venez renforcer avec les nouvelles brigades de gendarmerie et les gendarmes mobiles, mieux équipés, en plus grand nombre, ainsi que par le développement des maisons France Services.
Monsieur le ministre, je suis toujours surprise d’entendre vos services parler de « création » de maisons France Services. §Notre préfet, notamment, parle souvent de création, alors qu’il s’agit plutôt d’une montée en compétences de structures déjà existantes. Il y a suffisamment à faire, et vous en faites déjà beaucoup, pour ne pas gommer ce que vos prédécesseurs ont déjà créé. Je le dis d’autant plus facilement qu’il ne s’agissait pas de ma famille politique…
Ce texte, enrichi par le travail de nos rapporteurs, que je tiens à saluer une nouvelle fois, constitue une bonne réponse aux problématiques que nous connaissons, sous réserve de sa juste application. Vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur la vigilance du Sénat à cet égard.
Le groupe Union Centriste votera ce texte.