Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 11 octobre 2022 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de l'intérieur — Rapport annexé

Gérald Darmanin :

Monsieur Sueur, je ne peux pas vous laisser dire que cette réforme porte atteinte aussi peu que ce soit à l’indépendance de la justice. Ce serait faire de la politique et tromper ceux qui nous écoutent, or je sais que telle n’est pas votre intention.

Encore une fois, la réforme de la police nationale n’est pas de nature législative. Or vous savez mieux que quiconque qu’une modification des rapports entre l’autorité judiciaire et les forces de l’ordre relèverait nécessairement de l’échelon législatif.

Le fait qu’aucune disposition législative ne soit nécessaire pour créer la police nationale « nouvelle formule », à l’instar de ce qui a été fait pour la gendarmerie ou la préfecture de police, et mettre en œuvre la départementalisation démontre bien qu’il n’y a aucune modification des rapports entre l’autorité judiciaire et les services qui dépendent du ministère de l’intérieur. Il me paraît nécessaire de le souligner.

Par ailleurs, personne n’a proposé d’autre réforme que la mienne. Cela n’a rien d’étonnant puisque cela fait trente-cinq ans que tout le monde propose la même !

Le taux de résolution des homicides diminue. La délinquance est de plus en plus multiforme, complexe et internationale, notamment pour ce qui concerne les stupéfiants et la délinquance financière. L’époque des gangs « à la papa » est révolue : nous avons désormais affaire à des réseaux extrêmement complexes et « technologisés ». Enfin, tout le monde s’accorde pour dire que notre filière investigation est en souffrance et trop peu efficace, les pouvoirs publics ne faisant pas beaucoup d’efforts pour la remotiver.

Fort de tous ces constats, je vous présente la même réforme que celle qu’ont proposée une grande partie de mes prédécesseurs et la Haute Assemblée elle-même – j’ai déjà évoqué les rapports d’origine variée qui ont été faits sur le sujet. Or on me répond que j’ai raison, mais qu’il ne faut rien changer. Je suis navré, mais la politique, ce n’est pas cela !

Si l’on est d’accord sur le fait que les homicides sont en augmentation, que les trafics de stupéfiants sont de plus en plus complexes et qu’ils pourrissent la vie de nos concitoyens, que l’élucidation n’est pas au rendez-vous et que l’investigation est en souffrance, il faut en tirer des conclusions.

Permettez-moi d’évoquer deux enquêtes récentes sur des trafics de stupéfiants, la première menée par la PJ et la seconde par la sûreté départementale – afin de préserver le secret de l’instruction, je ne divulguerai aucun nom – qui permettent de mieux comprendre la réalité du quotidien.

Au terme d’un long travail, la PJ a saisi 5, 5 kilogrammes de drogue, trois véhicules et elle a procédé à cinq mises sous écrou dans un territoire du sud de la France, tandis que dans un département différent, la sûreté départementale a saisi 21 kilogrammes de drogue et procédé à trois mises sous écrou.

Dans ces conditions, comment peut-on affirmer que la PJ n’intervient que sur le haut du spectre et que la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) ne traite, comme je l’ai entendu dire, que le « petit judiciaire » ? C’est non seulement insultant, car je rappelle que les policiers affectés à la sécurité publique sont saisis de 90 % des enquêtes, mais aussi inexact, car ce qui était vrai il y a quarante ans ne l’est plus aujourd’hui : chaque jour, les policiers des commissariats de France saisissent des dizaines de kilogrammes de cannabis et sont saisis de tentatives d’homicide et d’homicides.

Or les policiers affectés à la sécurité publique ne bénéficient pas de la même formation et du même accompagnement que leurs collègues de la police judiciaire, qui sont des policiers très qualifiés. Ils ne sont pas intégrés dans une chaîne judiciaire leur permettant de bénéficier des technologies, d’accéder aux échanges internationaux et aux informations sur lesquels leurs collègues s’appuient.

Sur les 20 000 enquêteurs de police judiciaire que compte la France, 5 000 sont des enquêteurs de la PJ et 15 000 sont dans les commissariats.

Grâce à la réforme que nous proposons, et qui est proposée depuis très longtemps, la PJ comptera non pas 5 000 effectifs comme c’est le cas aujourd’hui, mais 20 000. Cette réforme a pour objectif non pas d’appauvrir la police judiciaire en lui retirant ses 5 000 enquêteurs, mais de la renforcer en rattachant à la filière judiciaire 15 000 enquêteurs qui dépendent actuellement de la sécurité publique.

Si un OPJ peut en effet être amené à traiter du « petit judiciaire », il ne viendrait à l’idée de personne de demander à de grands enquêteurs issus de brigades très spécialisées de traiter des violences intrafamiliales, quoique cela n’ait rien d’infamant. Tel n’est pas le discours que je porte depuis des années – je pense que tout le monde l’aura compris. En revanche, il peut arriver qu’un OPJ particulièrement dynamique repère que le point de deal et le chouf qui se trouvent sur son secteur sont en lien avec un réseau plus important.

Mesdames, messieurs les sénateurs, on peut déployer autant de policiers que vous le souhaitez, mais si l’on n’arrête que les détaillants, jamais les grossistes, on pourra continuer longtemps à augmenter les effectifs ! Le problème, c’est que l’on n’arrête pas suffisamment de grossistes, car ils se trouvent à Dubaï ou en Asie – ils sont sans doute français –, d’où ils commandent, sur leur ordinateur, la cocaïne qui arrive dans nos ports ! Le fait est que, malheureusement, la délinquance s’est beaucoup transformée par rapport à ce que vous avez pu connaître dans différents services de police, si bien que ce qui fonctionnait auparavant ne fonctionne plus et que les services de police ont évolué.

Il y a deux solutions, monsieur Sueur.

Soit vous vous prononcez contre la réforme pour des raisons politiques, et je pourrais le comprendre puisque nous faisons de la politique. Mais, dans ce cas, il est un peu vain de débattre des amendements et des missions.

Soit vous considérez qu’il faut faire cette réforme que tout le monde essaie de mettre en œuvre depuis trente-cinq ans. Je conviens que le contexte est sans doute difficile, puisque les élections professionnelles de la police nationale, comme partout dans la fonction publique, auront lieu dans un mois. J’aurais pu attendre avant de vous proposer cette réforme, mais j’ai choisi de faire ce qui me paraît conforme à l’intérêt général.

Comme l’a dit M. le rapporteur, nous pouvons évaluer les directions territoriales de la police nationale (DTPN) qui existent déjà dans les territoires ultramarins – pas un procureur général ne s’est d’ailleurs plaint de ces directions uniques –, mais aussi les directions départementales de la police nationale qui ont été mises en œuvre, à titre expérimental, dans dix départements de métropole. Certains sénateurs, issus de ces départements, connaissent ces expérimentations.

De plus, deux missions parlementaires travaillent actuellement sur cette question.

Enfin, je vous propose, monsieur le président de la commission des lois, de m’inviter à vous présenter le rapport que j’ai demandé à l’IGJ, à l’IGPN et à l’IGA quand celui-ci me sera remis. Il sera encore temps de modifier certains points de la réforme, puisque, je le répète, celle-ci relève uniquement du domaine réglementaire.

Monsieur Sueur, je vous ai proposé de rectifier votre amendement afin d’y inclure toutes les conditions que vous évoquez. Vous ne saisissez pas la balle au bond, ce qui me conduit à penser que vous souhaitez sans doute davantage contrarier le Gouvernement que réformer la police nationale !

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