Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 11 octobre 2022 à 21h30
Orientation et programmation du ministère de l'intérieur — Article 1er et rapport annexé, amendement 178

Gérald Darmanin :

J’avoue ne pas comprendre ces amendements visant à supprimer certains alinéas, en particulier l’amendement n° 178.

En quoi mettre plus de policiers et de gendarmes dans la rue et accéder ainsi à la demande d’une grande partie de la gauche, à savoir une police plus présente, moins d’interventions et plus d’accompagnement et de présence de proximité – en soi, d’ailleurs, la police doit être de proximité – est une « fuite en avant libérale » ? J’ai du mal à suivre ce raisonnement.

Nous apportons au contraire la démonstration que, par une augmentation d’effectifs, que vous êtes très nombreux à me demander, quels que soient les groupes politiques auxquels vous appartenez, par la réserve opérationnelle, par la suppression d’un certain nombre de tâches périphériques, on mobilise les policiers et les gendarmes pour faire ce pour quoi ils ont été engagés, à savoir être présents sur la voie publique.

Madame la sénatrice, qui s’occupera des extractions judiciaires, demandez-vous ? L’administration pénitentiaire – de même qu’il est normal que les policiers s’occupent de la délinquance. A-t-elle assez de moyens pour le faire ? C’est une question intéressante à laquelle je réponds : hier, non, demain, oui.

Le projet de loi de finances pour 2023 qui sera bientôt soumis à votre examen prévoit en effet, à la suite du rapport conjoint avec le ministère de la justice, la création de 200 équivalents temps plein au sein de l’administration pénitentiaire. Ceux-ci remplaceront les deux ou trois policiers qui, notamment dans toutes les villes de province, sont chargés de procéder à l’extraction d’un détenu de la maison d’arrêt pour qu’il soit présenté devant le juge ou à celle d’un individu du commissariat pour qu’il soit présenté à la maison d’arrêt. Ce n’est pas aux policiers de faire ce travail, qui n’apporte aucune avancée policière.

Il est vrai que, depuis de très nombreuses années, le ministère de l’intérieur supplée au manque de moyens du ministère de la justice. Dans une ville qui compte un tribunal correctionnel, cela signifie que, sur quatre policiers prévus pour la journée, deux sont occupés à procéder aux extractions judiciaires, au lieu de répondre au 17 ou de faire des patrouilles dans le centre-ville ou dans les quartiers populaires.

Je le répète, madame la sénatrice, vouloir augmenter la présence policière n’a rien d’une fuite en avant libérale. Ne voyez pas de l’ultralibéralisme partout, il y en a déjà assez, me semble-t-il. Si je comprends souvent le raisonnement politique du groupe communiste, il me semble qu’il commet là une erreur d’analyse.

J’ai également du mal à suivre votre analyse sur les assistants d’enquête. À l’évidence, vous n’avez pas discuté avec les trois syndicats en charge du personnel administratif : tous, quels qu’ils soient, sont extrêmement favorables à cette mesure, même ceux que je ne citerai pas et qui, pour bien les connaître, ne sont pas très éloignés de votre orientation politique, madame la sénatrice. J’apprécie particulièrement leur façon de se battre en faveur de ces ouvriers administratifs, qui ne sont pas toujours reconnus par les ministères, notamment par le ministère de l’intérieur.

J’en profite pour dire ici à ces syndicats que les personnels administratif, technique et scientifique font partie de la communauté de la police nationale. Souvent, c’est une partie de la police statutaire ou de la gendarmerie statutaire qui n’est pas très favorable à cette évolution, alors même que celle-ci va très largement dans le sens de ce que vous prônez pour la fonction publique, à savoir la montée en formation, en gamme et en promotion des agents des catégories C ou B, qui connaissent les mêmes difficultés que les policiers – ils sont parfois même victimes d’attentats terroristes, comme ce fut le cas de Mme Stéphanie Monfermé à Rambouillet. Ils disposeront donc d’une compétence particulière.

Il ne s’agit pas d’ultralibéralisme : je ne vous ai pas annoncé que l’on allait embaucher des contractuels ou demander à des sociétés privées de le faire ! Ce sont des personnels administratifs du ministère de l’intérieur, qui ont le statut de fonctionnaire.

Je le répète, je pense que vous vous trompez d’analyse et de combat.

J’en viens à l’amendement n° 21, présenté par Éric Kerrouche. Là encore, il y a là, me semble-t-il, une incompréhension collective.

En quoi consiste la politique du chiffre, sinon à fixer à des services des objectifs chiffrés de réussite ? Si je demande que la délinquance baisse de 5 % en Saône-et-Loire ou que la direction départementale de Saône-et-Loire procède à 150 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) dans le mois, c’est de la politique du chiffre. Ce n’est jamais ce que j’ai demandé aux services de police et encore moins ce que je demande maintenant !

En tant que ministre de l’intérieur, à l’instar du ministère des comptes publics qui rend publics les chiffres du déficit ou des dépenses publiques ou du ministre du travail qui rend publics les chiffres du chômage, je rends publics un certain nombre de chiffres. Ce n’est pas en soi un objectif, c’est une statistique qui vaut ce qu’elle vaut – vous avez d’ailleurs raison, monsieur le sénateur, il y a des biais statistiques comme partout et les sociologues n’en sont pas exempts, puisque, par définition, tout est subjectif ! On peut d’ailleurs discuter de ces théories et je suis tout à fait ouvert aux analyses scientifiques de l’ensemble de ceux qui réfléchissent au fonctionnement de la police nationale ou de la gendarmerie nationale.

Pour autant, quand je rends publics des chiffres de la délinquance, comme tous mes prédécesseurs et comme tous mes futurs successeurs, je ne fais rien d’autre que révéler l’activité des services, notamment les plaintes déposées dans les commissariats ou les interpellations de trafiquants. Je n’y mets pas d’objectif, je dresse un constat. Fixer des objectifs serait d’ailleurs absurde pour des faits aussi difficilement mesurables, au sens policier du terme, que les violences intrafamiliales.

J’ai tendance à penser que, lorsque les chiffres des violences intrafamiliales augmentent, c’est un drame pour ceux qui les subissent, mais en même temps le révélateur que les services de police et de gendarmerie transforment en plaintes ce qui faisait hier l’objet de mains courantes.

Pour autant, monsieur le sénateur, comme l’a souligné M. le rapporteur, il n’est pas anormal que le ministre de l’intérieur explique comment on va réussir à doubler le nombre de policiers et de gendarmes présents sur la voie publique, sinon ce serait un vœu pieux. Si je ne le faisais pas, vous me le demanderiez !

Je l’ai déjà expliqué, je veux bien le faire de nouveau : pour accroître la présence sur la voie publique, nous avons prévu la création de 8 500 effectifs supplémentaires, la création de la réserve opérationnelle dans la police nationale – nous avons décidé de geler les crédits de réserve de la gendarmerie nationale qui étaient auparavant annulés –, la fin des cycles horaires qui prenaient trop d’énergie et empêchaient les policiers d’être sur la voie publique – c’est notamment la fin du « vendredi fort » de la police nationale, que j’ai eu l’occasion d’évoquer avec le sénateur Dominati –, l’allégement des procédures pénales, grâce aux assistants d’enquête ou aux AFD – on peut en combattre le principe, mais cela participe de la simplification qui crée plus de présence sur la voie publique, je ne reprends pas l’exemple du téléphone que j’ai mentionné tout à l’heure –, la fin des extractions judiciaires, la fin des procurations – une procuration, c’est 10 euros et 10 minutes pour un officier de police judiciaire.

Voilà, monsieur le sénateur, comment on arrive au doublement de la présence policière sur la voie publique.

N’y voyez pas de chiffres statistiques : j’essaie de justifier devant le Parlement des crédits budgétaires, c’est-à-dire l’impôt des Français, que vous m’accorderez, je l’espère ; qui plus est, je serai obligé de justifier l’emploi de cet argent devant la Cour des comptes.

Il faut tout de même que l’on dispose de chiffres, sinon le débat serait vain. Depuis que je suis ministre de l’intérieur et c’était aussi le cas de mes prédécesseurs, il n’a jamais été question de fixer à des chefs de police des taux de réussite : un tel procédé conduirait en effet à ne pas prendre des plaintes et à les transformer en mains courantes, pour essayer de faire baisser les chiffres, ou à retarder les procédures – en ne traitant par exemple celles du mois de novembre qu’au mois de janvier suivant – pour montrer que le ministre de l’intérieur avait raison.

Je suis d’accord avec vous pour refuser une telle manœuvre. En revanche, il me paraît normal que l’on dévoile les chiffres de la délinquance et que l’on en discute, y compris pour que je puisse vous expliquer pourquoi ils augmentent ou baissent si l’on n’est pas d’accord sur le constat. Parvenir à doubler, ce qui est un effort considérable, la présence sur la voie publique sans doubler le nombre d’effectifs de voie publique demandait une démonstration.

Pour qu’il n’y ait pas de difficultés de compréhension entre nous, je répète que les dispositions que je vous présente dans le rapport annexé ne visent pas à revenir à une politique du chiffre, que je ne cautionne pas non plus dans mes autres actions politiques.

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