Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 11 octobre 2022 à 21h30
Orientation et programmation du ministère de l'intérieur — Article 1er et rapport annexé

Gérald Darmanin :

Monsieur le sénateur, je ne suis pas intervenu plus avant sur votre amendement, parce que nous aurons un débat demain ou après-demain sur les refus d’obtempérer à l’occasion de l’examen de l’article 7 bis du texte, qui a été inséré sur l’initiative du rapporteur, je le rappelle, et non du Gouvernement.

La question est extrêmement difficile.

Personne ne peut se satisfaire d’un décès, pas plus de celui d’un policier ou d’un gendarme victime d’homicide – il n’y a pas d’autre mot – que de celui de toute personne, contrevenante ou accompagnante, qui viendrait à perdre la vie lors d’un contrôle routier.

Personne ne peut non plus accepter que l’autorité de l’État soit à ce point bafouée. C’est pourtant le cas quand on ne s’arrête pas lorsqu’un policier ou un gendarme dit « stop ! ». Force doit rester à la loi. Alors que faire devant un refus d’obtempérer ? Car il y en a désormais toutes les demi-heures, en zone de police comme de gendarmerie.

Je vous prie de bien vouloir excuser cette tautologie, mais peut-être faut-il rappeler cette évidence à nos concitoyens : il faut s’arrêter quand un policier ou un gendarme vous demande de le faire. C’est le b.a.-ba ! Je sais que vous n’avez pas dit l’inverse, monsieur le sénateur, mais on ne parle pas d’une situation où il y aurait en quelque sorte égalité entre le policier et celui qui ne se serait pas arrêté.

Dans le cas d’espèce, une personne a commis un délit, à savoir un refus d’obtempérer. Lorsqu’elle est arrêtée, d’une manière ou d’une autre, on constate malheureusement très souvent qu’elle conduit sans permis ou sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, ou qu’elle devrait être en prison ou encore qu’elle a dans sa voiture de la drogue ou d’autres substances illicites. Ceux qui décident de ne pas s’arrêter à un contrôle de police alors même qu’ils n’ont rien à se reprocher, comme on dit dans le langage policier, sont extrêmement rares. §Cette remarque vaut également pour nos amis douaniers, qui vivent les mêmes situations.

Nous ne sommes manifestement pas d’accord sur les statistiques, mais nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler d’ici à la présentation de l’amendement proposé par le président Bruno Retailleau et le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, car il est important de confronter nos chiffres. À ma connaissance, il n’y a pas eu davantage de tirs par les policiers et par les gendarmes en 2021 qu’avant la loi portée par votre majorité – il y en a même eu moins, si j’ai bonne mémoire, en 2021 qu’en 2017. Durant les années covid, c’est-à-dire en 2020 et 2021, durant lesquelles le nombre de voitures en circulation était censé avoir diminué, il y a eu plus de 150 tirs. On constate donc des refus d’obtempérer même quand on interdit aux gens de conduire, ce qui n’est pas totalement illogique…

Il est donc statistiquement faux, me semble-t-il, de dire que les policiers et les gendarmes tirent plus à cause de la disposition législative que vous avez fait voter ou en raison d’un défaut de formation, alors même que, comme le rapporteur l’a rappelé, le nombre de refus d’obtempérer a augmenté. Pour résumer, le nombre de tirs a légèrement diminué et celui des refus d’obtempérer s’est accru. Mais il est vrai qu’il y a eu davantage de tirs mortels, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

La question à se poser est donc triple.

Les policiers et les gendarmes causent-ils plus de décès en tirant en raison d’une mauvaise formation au maniement des armes ?

Les personnes refusant d’obtempérer prennent-elles de plus en plus de risques en fonçant délibérément sur les forces de l’ordre, au lieu de simplement chercher à les éviter, ce qui pousse ces dernières à tirer devant ce que l’on peut appeler – il revient bien sûr à la justice de qualifier les faits, mais j’évoque cette possibilité pour les besoins de ma démonstration – une tentative d’homicide ?

À l’école de police, on apprend qu’il ne faut pas tirer lorsqu’une voiture prend la fuite sans foncer sur le policier. En revanche, si elle se dirige à vive allure vers l’agent, il peut, dans le respect de certaines règles déontologiques, sortir son arme et tirer.

Devons-nous considérer que nous n’avons pas trouvé les moyens techniques permettant d’arrêter des véhicules autrement que par des armes à feu ? On a inventé le LBD pour que les policiers et les gendarmes ne tirent pas avec des armes à feu sur les manifestants. On peut toujours discuter de son utilisation, mais force est de constater qu’elle emporte moins de risques létaux qu’un revolver : nous disposons donc d’une arme intermédiaire pour les manifestations. Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur que je suis n’a pas d’arme intermédiaire à proposer, entre l’arme à feu et ne rien faire, pour arrêter un véhicule.

La loi pour une sécurité globale a permis une avancée, puisqu’il est désormais possible d’utiliser des stop sticks sans autorisation judiciaire. Jusque-là, personne, y compris les policiers municipaux, ne pouvait y recourir sans être officier de police judiciaire. C’était absurde, je vous le concède, et, avec le rapporteur Marc-Philippe Daubresse, nous avons supprimé la mesure dans cette loi. Mais c’est insuffisant.

Nous devons être un peu moins définitifs dans l’analyse des tirs mortels ou des tentatives d’homicide, selon la façon dont on regarde les choses. Monsieur le sénateur, il est plus facile d’avoir ce débat lors d’une soirée sénatoriale comme celle-ci ou dans la moiteur et le confort de mon bureau. De même, j’ai beaucoup de respect pour les commissaires de police, que vous avez évoqués, mais il se trouve que ce sont rarement eux qui se retrouvent, à deux heures du matin, avec le policier adjoint, sur une route du Lot-et-Garonne : même si certains commissaires le font, ce sont le plus souvent les gardiens de la paix ou les brigadiers-chefs qui effectuent des contrôles en pleine nuit.

Je le répète, c’est toujours facile de juger quand on n’est pas face à une voiture qui roule à 150 kilomètres à l’heure, la nuit sans phares, et qui fonce sur un de vos collègues.

Soyez-en convaincu, je suis toujours le premier à demander des précisions : quelle est la formation suivie par ces policiers ? Comment ont-ils tiré et fallait-il vraiment utiliser quinze cartouches ? Pourquoi ont-ils tiré sur le passager ? Dispose-t-on d’une vidéo ? Pourquoi n’ont-ils pas utilisé leur caméra ?

Mais je me mets aussi un instant à la place des policiers et des gendarmes quand ils m’expliquent qu’à 3 heures du matin, après cinq heures de contrôle dans le froid et déjà trois refus d’obtempérer, ils n’ont eu que quelques secondes pour décider d’utiliser ou non leur arme devant le danger représenté par une voiture fonçant dans le noir sur un de leurs collègues.

J’ai du mal à jeter l’opprobre sur eux, monsieur le sénateur, et je ne dis d’ailleurs pas que c’est ce que vous faites. On aura beau faire des études statistiques et sociologiques, examiner les modalités de la formation – et il faut sans doute les faire –, à la fin des fins, ce n’est pas nous qui sommes devant ces véhicules qui foncent à 150 kilomètres à l’heure, quand les pères et mères de famille que sont les policiers et les gendarmes se demandent comment réagir.

Leur réaction peut parfois être considérée comme excessive, mais c’est à la justice d’en décider ; mais quelquefois on se dit que leur comportement est compréhensible. Je constate d’ailleurs qu’une affaire évoquée par les médias ne fait souvent plus parler d’elle au bout de quelques jours, alors qu’il serait intéressant de regarder dans le calme ce qu’il en est.

C’est parce que l’IGPN et l’IGGN ont une bonne réaction en mettent systématiquement en garde à vue les policiers ou les gendarmes qui ont tiré, même si ceux-ci sont parfaitement dans leur droit. Elles attendent ensuite par précaution la décision du procureur de la République pour savoir s’ils sont mis en examen, ce qui peut arriver. Cela montre bien qu’on ne laisse pas faire n’importe quoi à des gens qui incarnent la violence légitime.

On ne peut pas dire non plus, mais vous le savez bien, monsieur le sénateur, qu’il ne se passe rien quand un policier tire. Pour lui, c’est toujours un problème personnel, humain et juridique.

Je le répète, à mes yeux, ce sujet est très important. J’entends bien que certains réclament un meilleur encadrement, mais il faut aussi prendre en compte la détresse de ceux qui incarnent l’autorité de l’État, policiers ou gendarmes, lorsqu’une personne ne s’arrête pas devant leurs injonctions. La question se pose à tous ceux qui sont au pouvoir, quelles que soient leurs sensibilités politiques.

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