Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 13 octobre 2022 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de l'intérieur — Après l'article 14 bis

Gérald Darmanin :

Vous ne remettez pas en cause la loi Besson en elle-même, madame la sénatrice – j’ai bien compris néanmoins que vous vous posiez des questions quant à sa légitimité, en tout cas quant à son application. Vous proposez qu’un groupe occupant un terrain public, s’il a commis des infractions, ne puisse plus se prévaloir du droit de s’y installer quand bien même la commune concernée ne se serait pas conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma approuvé par l’organe délibératif du département.

Cette disposition me paraît intéressante : la philosophie de la loi Besson, c’est l’accueil des gens du voyage, pas l’accueil inconditionnel de toutes les personnes, y compris celles qui commettent des actes délictuels ou violents et dégradent le bien public sans jamais payer de réparations. Ayant été maire, je vois parfaitement ce que vous voulez dire.

Si j’en approuve le principe, votre amendement pose néanmoins une difficulté : vous évoquez un « groupe ». Or, en tant que ministre de l’intérieur, je ne vois pas comment, sauf à se faire un petit plaisir démagogique, on pourrait inscrire dans le code pénal la mention d’un tel « groupe » sans davantage de précisions… La composition des « groupes » que vous visez est évolutive : leurs quinze ou vingt membres peuvent ne pas toujours être les mêmes.

À coup sûr, le Conseil constitutionnel censurerait une telle disposition, car il n’y a pas de responsabilité pénale du fait d’autrui. Par ailleurs, les procédures ouvertes sur ce fondement seraient sans doute très largement remises en cause par la partie défenderesse : quinze des vingt personnes qui sont de retour sur le terrain occupé ont certes été reconnues coupables des dégradations constatées, plaidera-t-on par exemple, mais les cinq autres, étant nouvelles, peuvent continuer de se prévaloir de leurs droits…

Si je comprends votre proposition, madame la sénatrice, je pense que ce dispositif ne « vole » pas, comme disent les techniciens du droit, au sens où l’adoption de cet amendement ne saurait produire les effets escomptés – c’est tout à fait normal s’agissant d’un amendement qui n’a pas été examiné par la commission des lois : le droit est complexe…

Ce qui est certain, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice, c’est que les occupations de caravanes posent un triple problème – et je m’adresse à deux sénateurs de la Haute-Savoie.

Premièrement, il appartient au conseil départemental d’élaborer un schéma. Ayant été moi-même conseiller départemental, je suis bien placé pour savoir qu’il faut parfois prendre ses responsabilités. Ces schémas peuvent tenir compte de différents paramètres : ici trop d’urbanisation, là une frontière, là un fleuve, là encore des difficultés d’application de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Lorsque des communes sont privées du concours de la force publique au motif qu’elles ne se sont pas conformées au schéma départemental, il doit être possible, avant d’envisager la modification de la loi ou l’intervention du préfet, de demander aux élus départementaux d’élaborer un autre schéma.

C’est ainsi que j’ai moi-même procédé dans mon département… Je ne dis pas que tout est absolument parfait dans le département du Nord, qui voit lui aussi passer beaucoup de gens du voyage dans des conditions qui peuvent s’avérer difficiles tant pour eux que pour la puissance publique. Mais les choses s’y sont beaucoup calmées depuis que, par exemple, la faculté a été accordée aux communes de mutualiser une aire d’accueil des gens du voyage. C’est ce qui s’est passé dans ma propre commune, qui s’est rapprochée de communes voisines se trouvant dans une situation analogue ; j’avais préalablement obtenu, avec la majorité départementale, une modification du schéma.

Je connais un peu la situation de la Haute-Savoie – je lis la presse et j’ai visité votre département il y a peu. La première des choses à faire serait d’obtenir du conseil départemental, dont je salue le président, M. Saddier, qu’il revoie le schéma d’accueil. Les services de la préfecture de Haute-Savoie sont à votre disposition pour vous accompagner dans ce travail.

Deuxièmement, la question se pose de l’applicabilité des lois Besson et surtout Besson II, compte tenu des autres contraintes qui s’imposent aux élus locaux – je pense notamment à l’article 55 de la loi SRU.

Cette question ne relève pas de ma compétence de ministre de l’intérieur, mais c’est bien malgré tout ledit ministre que les collectivités viennent chercher pour expulser des personnes avec le concours de la force publique ; or, à titre personnel, il me semble inopérant de dire à une commune qui se trouve avoir peu de foncier qu’elle doit à la fois respecter la loi SRU et les obligations de mise à disposition d’une aire d’accueil des gens du voyage.

Je sais que le Gouvernement n’a pas répondu très favorablement aux demandes qui lui ont été adressées, mais la Haute Assemblée pourrait le pousser à agir en ce sens : je suis pour que les communes qui mettent une aire d’accueil à la disposition des gens du voyage puissent voir diminuer d’autant les obligations qui leur incombent en application de la loi SRU. En effet, il y a bien là, en un sens, une forme de logement social : il faut organiser la scolarisation des enfants, le ramassage des ordures, le raccordement au réseau électrique, etc.

À supposer qu’un tel principe puisse prévaloir, les schémas départementaux seraient plus faciles à élaborer, vous les respecteriez davantage, vous seriez donc plus fondés à adresser au préfet une demande d’expulsion et celui-ci vous accorderait plus aisément le concours de la force publique.

Troisièmement, je veux aussi souligner la grande difficulté que peuvent poser les questions de propriété, publique ou privée, des terrains concernés. Prenons l’exemple d’un terrain privé dont le propriétaire ne porte pas plainte, voire reste introuvable – dans ma propre commune, le cas s’est présenté de terrains industriels dont on ne savait même plus à qui ils appartenaient après trente ou quarante ans d’abandon… Tant que le propriétaire de ce terrain ne porte pas plainte, sachant qu’on ne peut pas porter plainte à sa place, toute la population de la commune continue de subir les désagréments – terrain privé, désagréments publics.

Il faut sans doute, monsieur le rapporteur, que le législateur se penche sur cette question pour permettre par exemple à la puissance publique, un certain délai étant échu, de se substituer propriétaire si celui-ci ne porte pas plainte.

Il m’est aussi arrivé de constater que plusieurs terrains publics coexistaient sur la parcelle occupée. Si le département, le syndicat intercommunal et la commune n’arrivent pas à tomber d’accord, il devient impossible d’expulser les personnes.

Lorsque le préfet refuse d’accorder le concours de la force publique – on m’interpelle souvent sur ce thème –, c’est parfois qu’il a simplement oublié de consulter sa boîte mail ou de répondre à son téléphone

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