Intervention de Patrice Gélard

Réunion du 2 juin 2010 à 14h30
Défenseur des droits — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard :

Monsieur le président, madame le ministre d'État, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la Haute Assemblée se préoccupe du sort des autorités administratives indépendantes.

Ainsi, en 2005, le défunt Office parlementaire d’évaluation de la législation m’avait chargé de rédiger un rapport sur ces autorités, ce qui m’avait alors conduit à constater qu’il y en avait trop – depuis, d’autres encore ont vu le jour – et qu’il était nécessaire d’envisager le regroupement de certaines d’entre elles statuant dans des domaines voisins.

Ce rapport avait ensuite donné lieu à un important débat au Conseil économique et social et au sein de l’Académie des sciences morales et politiques. Cette question a depuis lors été abordée par le comité Balladur, qui a proposé, dans son rapport intitulé Une République plus démocratique, de créer un défenseur – non pas des droits, un autre intitulé avait été trouvé – disposant de larges compétences afin de lui permettre de mieux assurer la défense des droits.

À cet égard, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a considérablement modifié les rapports entre l’État et le citoyen, même si on ne s’en est pas encore rendu compte. Ainsi, les questions prioritaires de constitutionnalité se développent. M. le président vient d’ailleurs de nous communiquer la liste des questions dont vient encore d’être saisi le Conseil constitutionnel. C’est là un bouleversement, une transformation considérable. Le Conseil supérieur de la magistrature pourra lui aussi être saisi par nos concitoyens. L’avenir nous dira ce qu’il adviendra de ce droit nouveau.

Le Défenseur des droits fait partie de cette catégorie nouvelle de protections améliorées des droits des citoyens dans une République plus démocratique.

Je me suis replongé dans les débats sur la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, en particulier dans ceux portant sur l’article 71-1. L’examen en première lecture à l’Assemblée nationale de cet article n’avait pas apporté beaucoup d’éléments. C’est son examen par le Sénat qui a donné toute sa dimension à cet article instaurant le Défenseur des droits.

Permettez-moi de vous donner lecture de cet article, car il est capital pour la suite : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. » Le projet de loi organique peut attribuer au Défenseur des droits des compétences allant au-delà de celles qui sont prévues par la Constitution, ce que prévoit d’ailleurs le texte de la commission.

Je poursuis : « Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office.

« La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions.

« Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.

« Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement. »

Je dirai un mot sur la nomination du Défenseur des droits. Comme le président de la HALDE, le président de la CNDS, le Défenseur des droits des enfants ou le Médiateur de la République, le Défenseur des droits sera nommé par le Président de la République, mais – et c’est une nouveauté – après son audition par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat et leur vote. Ces commissions peuvent donc s’opposer à une nomination.

Jusqu’à présent, personne – et pourtant de nombreux articles ont été publiés sur ce sujet ces temps derniers – ne s’est plaint du manque d’indépendance du Médiateur de la République, de la Défenseure des enfants ou du président de la CNDS. Au contraire, tout le monde vante leur indépendance ! Or je rappelle que tous ont été choisis par le Président de la République, sans intervention du Parlement.

Je suis certain que, si l’une des commissions compétentes du Sénat ou de l’Assemblée nationale s’opposait, à la majorité relative, à la nomination d’une personnalité choisie par le Chef de l’État, celui-ci ne pourrait pas la nommer, d’une part parce que l’autorité de cette personnalité s’en trouverait diminuée, d’autre part parce que les médias jetteraient le discrédit sur cette nomination.

Par conséquent, je fais confiance au mécanisme constitutionnel. J’estime qu’il a fait ses preuves puisque personne ne reproche quoi que ce soit aux différentes personnalités qui se sont succédé à la tête des institutions que j’ai évoquées. Je ferme cette parenthèse. Je ne reviendrai pas sur ce sujet.

Je souhaite maintenant attirer votre attention sur le fait que l’article 71-1 s’impose à nous, législateurs organiques : nous devons le rendre applicable et faire en sorte que le Défenseur des droits puisse exercer la plénitude de ses attributions, telles que le Constituant les a définies. Si nous le « détricotions », le Conseil constitutionnel nous censurerait, car nous nous serions alors accaparés d’une compétence négative. Nous devons remplir la mission qui est la nôtre, c'est-à-dire rendre possible l’application de l’article 71-1.

Permettez-moi d’attirer votre attention sur l’appellation « Défenseur des droits ». Le Défenseur des droits n’est pas le défenseur des droits des citoyens, des apatrides, des enfants ou des personnes ayant fait l’objet d’une discrimination. Il est le défenseur de tous les droits. En vertu de la Constitution, il a une compétence générale, qui se substitue donc à celle des autres autorités, lesquelles seront désormais en situation d’infériorité par rapport à lui.

Ainsi, une autorité constitutionnelle va être mise en place.

Pour ma part, je comprends très bien le point de vue de ceux qui n’ont pas voté la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; ils restent simplement fidèles à la position qu’ils avaient adoptée à l’époque. Je tiens par exemple à saluer Mme Boumediene-Thiery, qui a parfaitement exprimé son opinion à l’égard du Défenseur des droits depuis 2008. Il y a une totale continuité dans son discours et sans doute dans le message qu’elle nous adressera aujourd'hui. De même, je salue l’attitude du groupe CRC-SPG, qui traduit elle aussi une continuité et une fidélité à une décision prise antérieurement. Ceux qui n’étaient pas favorables à la création du Défenseur des droits hier maintiennent leur position aujourd'hui. Très bien !

Toutefois, je souhaite préciser un élément. Nous sommes là non pas pour nous prononcer sur la création de cette nouvelle autorité, mais pour appliquer la Constitution ! Et comme la Constitution prévoit l’existence du Défenseur des droits, nous devons adopter le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui en déterminent les modalités d’application !

Cela étant, comme vous le savez, j’ai demandé à la commission d’adopter certains amendements déposés par le groupe CRC-SPG, par le groupe RDSE ou par le groupe socialiste. Vous voyez donc que je ne suis pas systématiquement hostile aux initiatives des opposants aux deux projets de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui.

Simplement, ceux qui ont voté la révision constitutionnelle doivent à présent faire en sorte qu’elle puisse s’appliquer, en adoptant la loi organique.

Nous sommes en présence d’une institution nouvelle. Notre première interrogation a concerné le champ de compétences du Défenseur des droits.

En recensant les différentes autorités administratives indépendantes qui ont justement pour mission d’assurer d’une manière ou d’une autre la défense des droits et des libertés du citoyen, nous nous sommes aperçus que, outre les structures initialement visées par le projet de loi – en l’occurrence, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la CNDS –, nous devions également nous intéresser à d’autres organes.

Je pense en particulier à la HALDE. Comme je l’ai déjà indiqué – j’y reviendrai tout à l’heure –, je souhaite que cette autorité soit intégrée dans la nouvelle institution, et ce pour plusieurs raisons.

En revanche, nous n’avons pas souhaité intégrer, du moins dans l’immédiat, en raison de leur complexité, d’autres institutions pourtant également chargées de défendre les droits et libertés des citoyens.

En l’occurrence, je fais d’abord référence au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dont la création remonte à deux ans seulement, autorité tout à fait intéressante qui a permis un certain nombre d’avancées. Selon l’actuel titulaire du poste, il serait logique que cette institution soit intégrée à terme. Dans l’immédiat, c’était visiblement prématuré ; deux ans d’expérience, ce n’est pas assez ! Il faut laisser se poursuivre un début d’expérience qui est très positif, même si M. Delarue ne sait pas toujours comment ses décisions sont appliquées par la suite.

Tout comme des délégués du Médiateur de la République sont présents au sein des établissements de détention, le Défenseur des droits, dont le champ de compétence couvrira tous les domaines, aura des représentants dans les prisons. Il sera également à l’écoute des enfants et des personnes victimes de discriminations. En d’autres termes, il sera chargé d’une mission générale, globale, de défense des droits !

Nous n’avons pas non plus retenu la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et ce pour une raison simple. Cette instance, gigantesque machine dont les fonctions ne cessent d’ailleurs d’augmenter, est un outil plus de régulation que de médiation ou de contrôle. Il était donc difficile de l’intégrer au sein du Défenseur des droits.

En revanche, madame le garde des sceaux, je souhaiterais que la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, soit fusionnée dans les plus brefs délais avec la CNIL. Cela va de soi, car les missions de la CADA sont de plus en plus liées à l’informatisation et à la numérisation. Il serait donc logique de l’intégrer à la CNIL.

Par conséquent, le projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission, intègre le Médiateur de la République, le CNDS, le Défenseur des enfants et la HALDE au sein du Défenseur des droits.

À ce stade du débat, je voudrais naturellement rendre hommage à chacune des institutions que je viens de mentionner. À l’évidence, aucune d’elle n’a démérité, et leurs responsables, leur président ou celui qui en tient lieu, sont dignes de toute notre admiration. D’ailleurs, nous avons entendu le Médiateur de la République, et nous allons bientôt entendre la Défenseure des enfants ou le représentant de la CNDS. Nous savons bien qu’ils ont effectué un travail important et qu’ils mènent une action positive.

Mais, justement, certains se sont plaints de l’absence de transparence de leurs décisions et de l’absence de suites efficaces donnée par l’administration à leur action.

Dès lors, le statut constitutionnel du Défenseur des droits renforcera toutes ces institutions, qui ont mérité à la fois l’admiration et le respect, du point de vue tant de leur fonctionnement que de la qualité des personnes nommées.

Dès lors, nous nous sommes livrés à un important travail de vérification, afin de nous assurer que le projet de loi reprenait bien l’ensemble des prérogatives, compétences et missions des autorités administratives indépendantes ainsi fusionnées. Nous avons donc réintégré les éléments qui avaient été oubliés dans le projet de loi. Nous avons évidemment conservé tout ce qui nous a semblé positif, y compris la référence aux traités internationaux qui nous lient, notamment en matière de défense des droits de l’enfant.

Nous avons mis en place les collèges, qui n’existaient pas auparavant, et nous en avons même créé un nouveau. Aujourd'hui même, nous avons démocratisé la composition de ces collèges en adoptant plusieurs amendements qui visent à permettre aux personnalités nommées de coopter, en raison de leurs compétences, un certain nombre de membres pour compléter les collèges.

Nous avons étendu l’ensemble des compétences des uns et des autres à chacune des missions, s’agissant notamment des visites et du droit de saisine. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit tout à l’heure par Mme le garde des sceaux ; c’était parfait ! Il suffit de se reporter à notre rapport pour se rendre compte que nous avons intégré tous ces éléments.

À cet égard, je proteste énergiquement et violemment contre les assertions contenues dans un certain nombre d’articles, parfois rédigés par des personnalités particulièrement éminentes qui ont raconté n’importe quoi ! Les auteurs de tels articles se sont uniquement fondés sur le texte présenté par le Gouvernement, sans tenir compte de la version issue des travaux de la commission. Ce n’est pas admissible ! En effet, on a diffusé de fausses informations. Certaines interviews de personnalités étaient biaisées d’emblée et ont contribué à instaurer un climat qui n’avait pas lieu d’être !

Permettez-moi également de m’élever vigoureusement contre les comportements, que je trouve inadmissibles, consistant à publier des pages complètes dans les plus importants journaux de notre pays pour la défense de tel ou tel organisme ! Ce n’est pas acceptable ! Pour notre part, nous n’avons pas fait cela. Nous n’avons pas acheté des pages dans les journaux Le Figaro, Le Monde ou Libération pour affirmer que le texte rédigé par la commission était le meilleur. Nous n’avons pas non plus téléphoné à chacun de nos collègues, les uns après les autres, pour leur indiquer dans quel sens il fallait voter…

Aujourd’hui, je lisais sur Facebook – d’ordinaire, c’est bien Facebook !

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