Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 11 octobre 2022 à 21h30
Orientation et programmation du ministère de l'intérieur — Article 1er et rapport annexé, amendement 82

Gérald Darmanin :

Les sénateurs Durain et Benarroche soulèvent ici une question très importante, même si l’amendement n° 82, certes tempéré par celui de M. Durain, ne constitue pas vraiment une marque de confiance envers les forces de l’ordre… Monsieur Benarroche, vous semblez être pris d’une folie de contrôles et de sanctions, emporté par une sorte d’autoritarisme finalement, qui ne ressemble guère à la manière dont vous abordez d’autres sujets…

L’absence de fait divers dans l’actualité récente devrait nous permettre d’avoir une discussion apaisée sur ce sujet.

Je soulignerai d’abord un paradoxe : ce sont les magistrats instructeurs qui saisissent librement – c’est l’article 12-1 du code de procédure pénale – le service qui mène une enquête. C’est bien de manière tout à fait libre que le procureur de la République ou le juge d’instruction saisit l’IGPN, l’IGGN ou tout autre service de police judiciaire. L’IGPN et l’IGGN, en tant que services enquêteurs, ne s’autosaisissent pas, elles sont saisies par un magistrat.

Or je pense pouvoir dire que nous sommes tous très attachés au libre choix du service enquêteur par le magistrat instructeur.

J’ajoute que si l’IGPN ou l’IGGN ne respectaient pas les règles déontologiques ou démocratiques, celles d’un État de droit, les magistrats instructeurs ne les saisiraient pas !

Par ailleurs, votre intervention, monsieur Durain, me paraît datée. Depuis le Beauvau de la sécurité, j’ai nommé un magistrat à la tête de l’IGGN comme à celle de l’IGPN, en l’occurrence dans cette dernière une ancienne procureure de la République.

Ces nominations n’ont pas de précédent dans l’histoire du ministère de l’intérieur ! Je le redis, c’est la première fois que le ministre de l’intérieur nomme à ces postes des personnes qui ne sont ni des policiers, ni des gendarmes, ni des préfets, ni des fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Ce sont donc bien des magistrats, qui plus est de l’ordre judiciaire, qui sont dorénavant chefs des inspections, c’est-à-dire responsables des enquêtes qui sont menées.

Ces nominations, qui découlaient directement des débats que nous avons eus lors du Beauvau de la sécurité, n’ont pas suscité de contestation dans les rangs des policiers ou des gendarmes.

Par conséquent, il est désormais faux de dire que ce sont des policiers ou des gendarmes qui dirigent les inspections.

Par ailleurs, l’IGPN et l’IGGN ne sont pas seulement des services d’enquête, ce sont aussi des services d’inspection à la disposition des directeurs d’administration centrale et du ministre de l’intérieur, comme cela existe dans d’autres ministères avec l’inspection générale de la justice, l’inspection générale des finances (IGF) ou encore l’inspection générale de l’environnement et du développement durable.

C’est donc « mon » inspection, si j’ose dire, et elle me rend des rapports à ce titre. Ainsi, personne n’a contesté le fait que l’IGPN était qualifiée pour rédiger un rapport sur la réforme de la police judiciaire.

Il me semble que vos amendements devraient distinguer clairement les fonctions d’enquête et d’inspection de ces services. Personne n’imagine que l’inspection générale de la justice soit indépendante du ministre de la justice ou que l’inspection générale des finances le soit du ministre de l’économie et des finances. C’est le principe même d’un service d’inspection de dépendre de son ministre de tutelle !

J’ajoute que l’IGF peut, comme l’IGPN et l’IGGN, être saisie par la justice pour effectuer un contrôle, par exemple lorsque la question du secret fiscal se pose. Ce n’est pas très fréquent, mais cela existe. Personne ne dit dans ce cas que l’IGF est juge et partie.

Il est vrai qu’il existait un certain nombre de difficultés dans le fonctionnement de l’IGPN et de l’IGGN, par exemple le faible nombre d’enquêteurs – nous l’avons augmenté –, l’absence de publication des rapports – comme le rapporteur l’a indiqué, j’ai décidé la publication de tous les rapports – ou encore l’absence de délai fixé aux directeurs généraux pour réagir à ces rapports – je leur ai demandé de prendre, dans un délai de deux mois, les sanctions demandées par l’IGPN ou l’IGGN.

Je pense que ces améliorations, notamment la nomination de magistrats à la tête des inspections, ont été largement relevées, y compris par la Défenseure des droits – je l’en remercie.

Autre critique que j’ai entendue : le Gouvernement n’a pas créé d’organe de contrôle parlementaire. C’est tout de même une drôle de critique, sachant qu’il y a séparation des pouvoirs ! Il ne revient évidemment pas à l’exécutif d’intervenir dans le fonctionnement des assemblées. Nous sommes favorables, de notre place, à la création d’un tel organe de contrôle, comme cela existe pour les services de renseignement, mais c’est au Sénat et à l’Assemblée nationale de prendre cette décision, s’ils le souhaitent. Cette critique s’adressait donc non pas à l’exécutif, mais plutôt à votre assemblée !

Il se trouve en outre que l’IGPN et l’IGGN ne sont pas la reproduction du corps des policiers et des gendarmes, qui ont d’ailleurs souvent une image assez peu positive des inspections.

Ainsi, le film Bac Nord ne met pas vraiment à l’honneur l’IGPN : on a l’impression que les policiers sont broyés par un service d’inspection technocratique venu de Paris, les « bœufs carottes » comme on les appelle dans la police.

Cela ne fait évidemment plaisir à aucun policier ou gendarme de répondre de ses actes devant l’IGPN ou l’IGGN. Ce sont de véritables services enquêteurs, avec une grande conscience professionnelle, et il n’est guère agréable de devoir leur répondre.

À partir de là, il est vrai, monsieur Durain, qu’il existe un débat de société : devons-nous créer sur ce sujet, comme nous l’avons fait sur beaucoup d’autres, une autorité administrative indépendante ? L’exécutif doit-il se dessaisir de son pouvoir disciplinaire ?

Je n’ai rien contre les autorités administratives indépendantes, mais nous rognons, en les créant, les pouvoirs de l’exécutif et du législatif. Vous n’aurez pas le débat que nous avons en ce moment même dans l’hémicycle avec le président d’une autorité administrative indépendante – il ne pourrait pas répondre à cette place à vos interpellations ou à vos critiques. Il n’est pas possible d’avoir ces mêmes échanges qu’avec un membre du Gouvernement.

Réfléchissons donc bien avant de transférer un tel pouvoir. La démocratie britannique a aussi des défauts et je ne suis pas certain que toutes ses qualités soient transposables dans la nôtre.

De plus, devons-nous dissocier la mission d’enquête des missions de conseil et d’audit ? Je ne le pense pas, parce que, lorsque nous constatons qu’une personne a commis une erreur ou une faute, nous devons bien sûr en tirer les conséquences pour cette personne, mais aussi pour la chaîne de commandement et l’organisation de la profession, par exemple en termes de formation, de matériel ou de formalisation des ordres.

Lorsqu’une sanction est prise contre un policier ou un gendarme, l’administration s’interroge également sur son propre fonctionnement et elle engage le cas échéant un certain nombre d’évolutions dans ses procédures.

Si nous séparons les missions d’enquête, d’une part, de conseil et d’audit, d’autre part, nous n’assurons pas cette fluidité.

J’ajoute que la Défenseure des droits, une autorité administrative indépendante, peut déjà être saisie de manquements sans passer par l’IGPN ou l’IGGN et qu’elle contrôle l’action des inspections – elle publie des rapports sur ce sujet, elle a d’ailleurs participé au Beauvau de la sécurité.

Bien sûr, tout n’est pas parfait, mais les réformes que nous avons engagées – nomination de magistrats à la tête des inspections, publication des rapports, délai de deux mois pour prendre des sanctions, etc. – ont permis d’améliorer les choses. Nous essayons de nous inspirer des bonnes pratiques que nous voyons ailleurs, mais il ne me paraît pas cohérent de demander au ministre de l’intérieur, et à lui seul, de se séparer de son service d’inspection.

Prenons le temps de voir ce que ces réformes, mises en œuvre voilà seulement quelques mois, changeront dans la pratique, d’autant qu’elles constituent déjà une révolution pour la maison.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à ces amendements.

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