Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 2 juin 2010 à 14h30
Défenseur des droits — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, madame le ministre d'État, mes chers collègues, instituer un Défenseur des droits procède d’un postulat selon lequel la Constitution de 1958 n’offre pas de garanties suffisantes en matière de protection des droits et des libertés. Est-ce si exact que cela ? Personnellement, je ne le crois pas : les droits sont garantis et protégés par l’autorité judiciaire !

La dénomination « Défenseur des droits » est d’ailleurs curieuse. Il aurait mieux valu, n’en déplaise à notre cher président de la commission des lois, parler de Défenseur des libertés, car, pour défendre des droits, encore faut-il pouvoir sanctionner leur violation. Or le Défenseur des droits n’aura aucun pouvoir de coercition.

Mais il y a plus grave. La réforme proposée vaut en fait condamnation implicite de nombreuses autorités indépendantes. Pourtant, rien ne donne à penser qu’elles ont démérité, au contraire ; j’en veux pour preuve qu’elles sont de plus en plus sollicitées.

Le regroupement arbitraire – pourquoi les unes et pas les autres ? – sous une même autorité de compétences par nature différentes et obéissant à des logiques divergentes n’offrira pas les mêmes garanties de visibilité et risquera d’aboutir à une dilution des compétences. Cette décision n’était donc pas indispensable, monsieur le rapporteur, même si je tiens à saluer le travail que vous avez accompli.

La Constitution ne fixant pas de périmètre pour les pouvoirs du Défenseur des droits, il vous était loisible d’y mettre ce que vous vouliez. En sus des pouvoirs prévus par le Gouvernement, vous y avez donc inclus la HALDE. Pourquoi ne pas y avoir ajouté la CADA, la CNIL ou le Contrôleur général des lieux de privation de libertés ? J’ai une petite idée sur la réponse, mais nous y reviendrons tout à l’heure.

En attendant, je limiterai mon intervention à la suppression du Défenseur des enfants, qui est absolument inacceptable. La personne de l’enfant doit en effet être prise en compte en tant que telle. Or cela ne sera plus le cas.

Contrairement à ce que l’on pense souvent, dans une société de plus en plus injuste et égoïste comme l’est la société française, les enfants ne sont épargnés ni par la maltraitance ni par l’exploitation sexuelle. Tous ceux qui, de près ou de loin, s’occupent de la protection de l’enfance le savent.

Eh bien, désormais, les enfants ne trouveront plus l’oreille attentive que la loi du 6 mars 2000 leur avait offerte. C’est un recul par rapport aux engagements internationaux de la France, qui a été l’une des premières à ratifier la convention internationale des droits de l’enfant, comme par rapport à la convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant, adoptée à Strasbourg le 25 janvier 1996 et ratifiée par notre pays le 1er août 2007.

À ce jour, le Défenseur des enfants a traité environ 20 000 réclamations. Le nombre de saisines a même été en augmentation de plus de 10 % ces dernières années, ce qui prouve que l’institution a trouvé ses marques. D’ailleurs, 8 % des saisines émanent des mineurs eux-mêmes et un quart d’entre elles concerne des enfants âgés de onze à quinze ans. Ces chiffres prouvent bien que l’institution est connue et reconnue, notamment par la population concernée. Or je doute fort qu’autant de réclamations concernant des enfants arrivent jusqu’au Défenseur des droits.

Il est en effet à craindre que cette nouvelle institution, dont l’appellation ne correspond pas au vocabulaire que connaissent les enfants, fasse perdre sa spécificité à une instance qui a su prouver son efficacité et assurer sa visibilité.

Le texte tel qu’il est rédigé est en net recul par rapport aux missions actuelles du Défenseur des enfants, qui défend non seulement les enfants, mais également les droits qui leur sont attribués par la loi et par les conventions internationales auxquelles nous avons souscrit. En outre – et c’est peut-être là que le bât blesse le plus –, cette institution est appelée à donner son avis sur les différents projets de loi et décrets relatifs à la protection de l’enfance et au statut des enfants.

La France, comme je viens de le dire, a été l’un des premiers pays à ratifier la convention internationale des droits de l’enfant et à avoir mis en place cette autorité. Alors que quatre-vingts pays l’ont suivie en créant des autorités spécialement dédiées aux droits des mineurs, le dernier en date étant la Fédération de Russie, en 2009, notre pays fait aujourd’hui marche arrière !

C’est d’autant plus affligeant que, le 22 juin 2009, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU rendait un rapport dans lequel il notait les avancées de la France, mais où il pointait aussi ses insuffisances en l’invitant « à continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants […] et à lui allouer les ressources financières et humaines suffisantes […] ». Ce même comité avait d’ailleurs noté, en 2002, que l’accès des enfants aux organismes susceptibles de protéger leurs droits était en général limité. Il est vrai que, depuis 2002, des progrès ont été accomplis à cet égard.

Quoi qu'il en soit, les recommandations des deux Défenseures des enfants que nous avons connues ont permis des évolutions législatives notables sur plusieurs points : l’accès des familles à leur dossier d’assistance éducative, l’accès des individus à leurs origines, la lutte contre les mariages forcés en élevant l’âge du mariage des jeunes filles de quinze à seize ans, la prise en charge des mineurs en zone d’attente.

Les Défenseures des enfants successives ont émis des critiques contre la loi relative à la prévention de la délinquance, qui instaure des peines planchers. Elles ont également pointé les graves dysfonctionnements de la France en matière de traitement des mineurs étrangers isolés et des familles étrangères retenues dans des centres de rétention administrative.

La disparition programmée de la Défenseure des enfants, à moins que le Sénat n’ait un sursaut de dignité, mes chers collègues, comme celle de la CNDS et, grâce à M. Gélard, de la HALDE paraissent donc en cohérence avec une volonté très actuelle de limiter au maximum l’influence de certains contre-pouvoirs. Il faut croire que leur indépendance dérange le pouvoir en place...

En fait, le Gouvernement prend le prétexte d’une réforme constitutionnelle qui ne l’y obligeait nullement pour faire disparaître des institutions indépendantes qui le dérangeaient. Trois institutions, qui sont autant d’exemples, sont supprimées : la CNDS, qui pointe chaque année les manquements des autorités de police et de gendarmerie ; la HALDE, qui a pris position contre les tests ADN – ils ont d’ailleurs été abandonnés depuis – ; la Défenseure des enfants, qui a critiqué la situation des mineurs étrangers en détention.

Si toutes les autorités indépendantes qui ont des compétences en matière de libertés individuelles avaient été regroupées sous la seule entité constitutionnelle du Défenseur des droits, alors oui, peut-être, la situation aurait été différente. Mais tel n’est pas le cas. Il faut donc bien l’admettre : le texte qui nous est présenté ne peut pas être voté en l’état.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion