Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 12 octobre 2022 à 21h30
Politique énergétique de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la politique énergétique nationale exige cohérence, constance et résolution. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que, depuis trop longtemps, les gouvernements n’ont pas eu cette exigence pour notre pays.

Je ne développerai pas les tergiversations et les atermoiements du Président de la République en matière de politique nucléaire.

En revanche, alors qu’il nous faut actualiser rapidement la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l’énergie, vous nous présentez un projet de loi, nécessaire au demeurant, mais technique, centré sur les procédures. Quelle est votre logique ? Pourquoi ce saucissonnage, alors que les Français et leurs élus ont besoin de lisibilité et de partage des objectifs pour s’engager eux aussi dans la transition énergétique ?

Nous devons collectivement réussir une transition de civilisation, car c’est bien de cela qu’il s’agit, avec la fin de l’usage des énergies fossiles carbonées et la mise en œuvre de modèles de développement fondés sur la notion de durabilité, dans un cadre de justice sociale et d’équité.

Toutefois, cet impératif de long cours, beaucoup trop négligé jusqu’ici malgré de nombreuses alertes, doit être conjugué avec des réponses immédiates et financièrement accessibles aux besoins actuels des entreprises et de tous nos concitoyens. En effet, les Français doivent être soutenus davantage qu’ils ne le sont actuellement par les mesures que vous proposez, et ils ne comprennent pas que la France ne puisse pas les aider, comme l’Allemagne s’apprête à le faire pour son peuple, avec un plan de 200 milliards d’euros.

Sur les marchés de l’énergie, des mesures structurelles fortes doivent aussi être prises ; j’y reviendrai en fin de propos.

Au regard des enjeux climatiques et environnementaux, des techniques de production énergétique disponibles, de leurs impacts identifiés et de leurs coûts, des incertitudes et risques qu’elles présentent, le débat de ce soir doit prendre appui sur les données scientifiques et les études techniques dont nous disposons. C’est donc en m’appuyant sur le dernier rapport du Giec et sur l’étude de RTE sur les futurs énergétiques de la France à l’horizon de 2050 que je vous présenterai les analyses et les préconisations du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Selon nous, il faut réaffirmer le rôle majeur que le groupe EDF doit jouer, dans l’intérêt national ; nous vous questionnerons sur votre projet pour cette entreprise, qui sera d’ici peu publique à 100 %.

Mon groupe souhaite que vous nous disiez ce soir les hypothèses et les orientations que vous retenez pour engager sans tarder le pays vers le futur énergétique dont il a besoin, pour lui-même et à l’égard de ses partenaires européens et mondiaux.

Dans la perspective de la neutralité carbone à l’horizon de 2050, la future loi énergie-climat devra confirmer la trajectoire d’extinction des sources d’énergie carbonées. Cela signifie la fin du pétrole et des gaz d’origine fossile importés, donc la substitution de l’électricité et du gaz décarbonés à ces ressources.

D’après la SNBC, l’électricité doit représenter, à terme, 55 % de l’énergie finale consommée, contre 25 % aujourd’hui. Faites-vous vôtre cet objectif ou entendez-vous le réviser ? Et dans ce cas, à quel niveau ?

Dans le cadre de l’hypothèse d’une électricité représentant 55 % de l’énergie finale consommée, RTE propose six scénarios, du plus sobre, avec une production de 555 térawattheures, au plus élevé, avec 754 térawattheures, lié à une production d’hydrogène décarboné en grande quantité et à la réindustrialisation profonde de notre économie. L’électrification plus ou moins rapide des filières et des usages existants constitue un facteur déterminant de la production électrique nécessaire.

À partir de ces scénarios, quel mix de production électrique décarbonée entendez-vous proposer au Parlement lors de la mise à jour prochaine de la PPE en cours ? Les scénarios de RTE recouvrent en effet des choix très différents de politique industrielle, du « 50 % nucléaire » au « 100 % renouvelables ».

Le Président de la République a décidé voilà peu, après avoir fixé des orientations inverses il y a quelques années, de commander 6 réacteurs de type EPR 2 et de lancer des études pour 8 autres EPR 2 et des petits réacteurs modulaires SMR. EDF a engagé le programme de grand carénage, c’est-à-dire de prolongation des réacteurs nucléaires existants, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Faut-il comprendre, sur le fondement de ces décisions, que le Gouvernement s’engage résolument vers un mix électrique à 50 % d’énergies renouvelables et 50 % de nucléaire ? Je vous le demande, madame la Première ministre. Pouvez-vous nous dire, pour la clarté de notre débat et la compréhension de vos propositions, quels ont été les facteurs ayant conduit à ce choix ?

Selon mon groupe, le mix énergétique doit résulter d’une approche pragmatique, s’inscrivant bien entendu dans l’objectif zéro carbone de 2050.

En réalité, incertitudes et risques doivent être pris en compte dans les choix à opérer. Par exemple, au regard des difficultés rencontrées dans de nombreux territoires pour développer des projets éoliens, photovoltaïques ou de méthanisation, l’accélération du nombre de projets nécessaires aux scénarios à très forte proportion d’énergie renouvelable nous paraît de plus en plus problématique.

J’indique en outre qu’un scénario avec 100 % d’énergies renouvelables exigerait de multiplier par 21 la puissance installée en photovoltaïque et par 4 celle de l’éolien terrestre. Pour obtenir 100 gigawattheures d’électricité photovoltaïque supplémentaire, il faudra aller 10 fois plus vite. Ces rythmes sont très supérieurs à ce qu’ont fait nos partenaires européens les plus actifs depuis plus de dix ans. En sommes-nous capables ? Je vous pose la question…

Autre incertitude dans le domaine du nucléaire : l’affaiblissement de cette filière industrielle en France au cours des décennies passées ; je parle non pas de l’exploitation, mais de la construction. Les difficultés techniques rencontrées aujourd’hui soulèvent des interrogations quant à notre capacité à mener à bien les programmes de prolongation de la durée de vie des réacteurs existants ou de construction et de mise en service dans les temps impartis des nouveaux réacteurs annoncés.

L’analyse doit intégrer les coûts complets de réalisation, c’est-à-dire les coûts de production, d’acheminement et de flexibilité nécessaires au fonctionnement du réseau en toutes circonstances, l’impact environnemental des installations de production, notamment en ce qui concerne les sols. En outre, elle doit tenir compte de l’objectif – ni fait ni à faire ! – de zéro artificialisation nette des sols issu de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, mais également les émissions de gaz à effet de serre, en cycle de vie, des systèmes électriques envisageables.

Dans la perspective, hautement souhaitable, du renforcement de notre souveraineté énergétique, les risques liés aux approvisionnements, ainsi que l’existence de filières industrielles nationales, doivent être également intégrés. La question de l’emploi local, pour la construction, mais aussi et surtout pour l’exploitation, doit être prise en compte et orienter le choix de notre mix.

S’il fallait faire le choix d’un scénario parmi ceux qu’a proposés RTE, les critères d’évaluation que je viens d’évoquer nous amèneraient à faire le choix d’un mix à 50-50 : 50 % de nucléaire et 50 % d’énergies renouvelables.

Nous considérons cependant que la situation énergétique dans laquelle se trouve notre pays, indépendamment, je tiens à le souligner, des conséquences de la guerre en Ukraine, justifie que le Gouvernement pousse tous les curseurs dans le sens d’un développement accéléré de l’ensemble des modes de production d’énergie décarbonée.

Pour réussir la transition énergétique, en situation d’incertitude, voire de risque, comme je viens de le dire, il faut que nous nous donnions des marges en matière de puissance installée. Nous devons industrialiser les procédures de réalisation des projets, de la concertation publique à la mise en service.

Comment allez-vous, pour cela, mettre en ligne les acteurs, de l’État aux collectivités locales, en passant par les comités régionaux de l’énergie et les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR), qui doivent être adaptés aux besoins ? Sur quels principes concrets votre planification repose-t-elle ?

À ce stade, le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, nécessaire, ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux et des difficultés rencontrées dans les territoires. Dans ce cadre, et pour que l’agriculture contribue à la production énergétique renouvelable française sans réduire sa fonction nourricière première, une définition de l’agrivoltaïsme devra être inscrite dans la loi, comme le Sénat s’apprête d’ailleurs à le faire. Nous souhaitons connaître la position du Gouvernement sur ce point.

Nous devons également aborder avec vous la question de l’avenir du groupe EDF, du projet que le Président de la République et le Gouvernement entendent donner à cette entreprise, dans un contexte énergétique pour le moins instable et qui ne date pas de la crise ukrainienne…

Dans les faits, et le départ du président-directeur général, Jean-Bernard Lévy, en atteste, le Président de la République et ses gouvernements, après avoir passé cinq ans à ne prendre aucune décision à la hauteur des enjeux, sont restés muets sur le rôle qu’ils entendent faire jouer à EDF, dont la situation actuelle est pourtant extrêmement difficile. Jamais, depuis sa création en 1946, cette grande entreprise nationale n’avait été autant affaiblie, faute d’un pilotage politique pertinent. C’est à se demander si tout cela n’était pas voulu !

De manière significative, l’ancien président de la Commission de régulation de l’énergie, qui est aujourd’hui membre de votre gouvernement, madame la Première ministre, indiquait lui-même : « Depuis dix ans, EDF a été la vache à lait de l’État ». Je précise que le personnel, qui est dévoué aux missions d’intérêt général de l’entreprise, n’y est pour rien ; la responsabilité est politique, exclusivement politique. Nous souhaitons que vous vous en expliquiez dans le cadre de ce débat.

Madame la Première ministre, pouvez-vous nous présenter les conséquences institutionnelles et juridiques de l’offre publique d’achat (OPA) que vous avez lancée ?

Le statut actuel de l’entreprise est-il amené à évoluer, par exemple vers un établissement public à caractère industriel et commercial (Épic) ? Quel rôle exact l’État actionnaire unique jouera-t-il ? Une OPA ne constitue pas un projet industriel. Quel est donc votre projet industriel, social et environnemental pour EDF ? Avez-vous, comme c’est hautement souhaitable, renoncé au découpage de l’entreprise ? Comment financerez-vous les investissements d’EDF nécessaires au grand carénage, aux énergies renouvelables et aux réseaux de distribution et de transport ?

Pouvez-vous nous expliquer comment et dans quel cadre juridique vous comptez financer le nouveau parc nucléaire commandé par le chef de l’État ? Ce financement sera-t-il réalisé dans le cadre du groupe EDF ou en dehors de celui-ci ? Quelle place entendez-vous donner à la production hydraulique ? Comment envisagez-vous de préserver dans la durée le caractère public de ce parc de production ?

Pour terminer, je voudrais aborder la dimension européenne du sujet.

Si le mix est une prérogative nationale des États membres, le marché de l’énergie est placé sous la responsabilité de l’Union européenne. Cette contradiction interne explique en grande partie les difficultés que rencontrent de nombreux consommateurs français et européens, et cela ne date pas de la crise ukrainienne !

Quelles propositions le gouvernement français va-t-il défendre auprès de la Commission européenne et de sa puissante direction générale de la concurrence pour que le marché et les prix payés par les consommateurs, particuliers et industriels, reflètent au plus près les coûts complets sur long terme des mix énergétiques nationaux ?

Nous souhaitons que les tarifs régulés de l’électricité perdurent et que ceux du gaz soient maintenus au-delà de la date de suppression annoncée.

Nous vous demandons de faire en sorte que les petits consommateurs obtiennent des prix stables dans le temps et que les chefs d’entreprise aient de la visibilité en matière de prix de l’énergie sur le moyen et le long terme.

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