Intervention de Denise Saint-Pé

Réunion du 12 octobre 2022 à 21h30
Politique énergétique de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Denise Saint-PéDenise Saint-Pé :

Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, avant que d’évoquer la politique énergétique de la France, il nous faut établir ce que nous sommes en droit d’attendre d’un système énergétique.

Je pense tout d’abord à la sécurité. Derrière ce concept, je vise surtout les questions d’approvisionnement, afin d’éviter délestages, rationnements et blackout.

La deuxième exigence, c’est le maintien de notre souveraineté. Notre système énergétique doit le moins possible dépendre de puissances étrangères, surtout quand elles sont potentiellement instables ou hostiles.

Enfin, troisième exigence, pour atténuer le changement climatique en cours, nous devons tendre vers la neutralité carbone.

À l’heure actuelle, force est de constater que notre système énergétique présente malheureusement des lacunes sur les trois tableaux. La plus visible aujourd’hui concerne l’insécurité d’approvisionnement, avec le spectre d’une pénurie d’énergie qui ressurgit. Pour l’électricité, cela tient notamment au vieillissement des centrales nucléaires. Quant au gaz, il fait désormais défaut aux Européens du fait de la guerre en Ukraine, même si la France en souffre moins que nombre de ses voisins.

Ces déficiences nous rendent dépendants de l’étranger, qu’il s’agisse de notre voisin allemand pour l’électricité en période de pointe ou bien de la Norvège et du Qatar pour le gaz.

Enfin, notre mix énergétique n’est pas assez décarboné, car plus de 60 % de nos besoins énergétiques sont encore satisfaits par du gaz et du pétrole. En cela, il est vrai que nous faisons mieux que bien d’autres pays. Mais c’est encore largement incompatible avec les objectifs fixés par l’accord de Paris sur le climat. Il nous faut donc réformer notre système énergétique, à la fois pour répondre aux enjeux immédiats et pour garantir les générations futures.

À court terme, le Gouvernement semble avoir bien saisi les enjeux depuis plusieurs mois. Il était effectivement nécessaire de sécuriser l’approvisionnement en gaz de notre pays en trouvant de nouveaux fournisseurs, ce qui a permis de remplir nos stocks au maximum avant l’hiver.

À moyen terme, il faudrait toutefois envisager de produire ce gaz sur le sol national, par exemple avec la méthanisation.

De même, il fallait organiser la sobriété pour réduire les tensions sur notre système électrique. C’est l’intérêt du plan dévoilé jeudi dernier, rappelant que les efforts en la matière doivent concerner tout autant l’État et les entreprises que les particuliers et les collectivités locales.

Madame la Première ministre, je salue votre mobilisation constante et celle de votre gouvernement auprès de la Commission européenne, pour faire en sorte que celle-ci propose des solutions collectives aux États membres. C’est à ce niveau que les actions seront les plus efficaces en matière énergétique, car c’est à l’Union européenne de régler le problème central posé par cette crise : celui de la formation du prix de l’électricité.

Ce prix correspond au coût marginal du dernier opérateur connecté au réseau, c’est-à-dire, aujourd’hui, les centrales à gaz, dont le coût de production tire l’ensemble des prix vers le haut. Aussi faut-il découpler au plus vite le prix de l’électricité de celui du gaz.

Pour ce faire, deux voies existent : soit par le haut, soit par le bas. Par le haut, c’est-à-dire en créant un grand service européen de l’énergie, public et monopolistique. Hélas, cela relève actuellement de l’utopie. Nous n’arrivons déjà pas à nous mettre d’accord sur la taxonomie…

L’autre voie, la plus réaliste, est une sortie par le bas, c’est-à-dire une forme de renationalisation du système. C’est ce qu’ont fait l’Espagne et le Portugal avec l’aval de la Commission européenne. Ils ont ainsi le droit, durant un an, de déconnecter le prix du gaz de celui de l’électricité. De fait, cela leur réussit : à la fin du mois d’août dernier, le prix du mégawattheure s’élevait à 660 euros en France et en Allemagne et à 240 euros en Espagne et au Portugal.

Cette dérogation leur a été accordée pour deux raisons : une très faible interconnexion avec le reste de l’Europe et une électricité très décarbonée.

Symétriquement, cela signifie que l’on doit envisager la solution ibérique pour les pays européens dont l’électricité est déjà largement décarbonée, comme la France. Les choses ne peuvent en effet plus continuer ainsi : une fois nos centrales remises en ordre de marche, notre situation énergétique serait meilleure en faisant cavalier seul avec le monopole d’EDF, plutôt qu’en restant dans le marché de l’électricité communautaire.

Dans le même ordre d’idées, l’ouverture du marché de l’énergie n’a pas donné des résultats satisfaisants. Revenir sur cette réforme nous permettrait de supprimer cette absurdité qu’est l’Arenh. Ce dispositif a constitué une belle aubaine pour des opérateurs qui se sont comportés comme de simples négociants, engrangeant des profits sur l’argent du contribuable investi dans les centrales.

Il est temps désormais de cesser de considérer l’énergie comme une simple marchandise. Il faut la prendre pour ce qu’elle est réellement : un bien public de première nécessité. À ce titre, il convient de s’interroger sur la pertinence d’un éventuel retour aux tarifs réglementés de vente de l’électricité et même du gaz.

À plus long terme, c’est d’une vision stratégique dont nous avons besoin, à l’instar de celle qui a été présentée par le Président de la République dans son discours de Belfort, en février dernier. Cette stratégie repose sur le triptyque sobriété, nucléaire et renouvelable. Nous ne pouvons qu’y souscrire.

Néanmoins, si l’on regarde plus en détail ce beau tableau, les choses se compliquent singulièrement.

Tout d’abord, les projections relatives à la sobriété nous semblent irréalistes. Certes, nous pouvons renforcer nos efforts sur de nombreux plans, comme l’isolation des bâtiments ou l’autoconsommation. Mais réduire nos besoins énergétiques de 40 % d’ici à 2040, alors même que nous serons plus nombreux et 20 % plus riches si la croissance moyenne annuelle n’est que de 1 % sur cette période, qui peut y croire ? C’est pourtant sur une telle anticipation que reposent la stratégie nationale bas carbone et tous les scénarios de RTE.

En adoptant des hypothèses plus réalistes, ce sera déjà une très belle performance que d’arriver à maintenir, et non augmenter, nos besoins énergétiques d’ici à 2040. Mais dans ce cas de figure, ce n’est pas 60 % d’électricité en plus qu’il nous faudra produire au milieu du siècle, mais le double ou le triple. C’est la raison pour laquelle les annonces faites jusqu’ici en matière de nucléaire, même si elles vont incontestablement dans le bon sens, nous semblent bien trop insuffisantes.

À Belfort, le Président de la République a déclaré qu’aucun réacteur en état de produire ne devait être fermé. Mais le plan de fermeture de 12 réacteurs d’ici à 2035 est toujours en vigueur. Va-t-il enfin être officiellement abandonné ? Dans l’affirmative, va-t-on prolonger nos réacteurs au maximum ? C’est une question clé, car le nombre d’EPR à construire en dépend.

De plus, aucun plan de développement de SMR n’a été annoncé, alors que le petit nucléaire semble une solution d’avenir prometteuse.

Ensuite, la recherche et l’innovation dans le nouveau nucléaire semblent relancées. Mais à quelles fins précisément ? Fermeture du cycle du combustible ? Réacteurs de quatrième génération au thorium ? Il faut un plan et des objectifs.

Enfin, pour ce qui est des renouvelables, je ne veux pas ici empiéter sur nos débats à venir lors de l’examen du projet de loi Énergies renouvelables (EnR), mais je puis déjà dire que le groupe Union Centriste plaidera en faveur de l’essor de l’agrivoltaïsme, de la géothermie et de la biomasse.

Plus globalement, chacun des trois volets du plan français se heurtera à un grave problème de ressources humaines. Il faut former dès maintenant de vrais professionnels du nucléaire, des réseaux électriques intelligents, de l’isolation des bâtiments et des EnR. Avons-nous un plan de formation digne de ce nom pour faire face à ces besoins ? Si oui, il nous faudra le connaître.

Les événements, autant que le sens de l’histoire, nous invitent à un big-bang énergétique. Montrons-nous à la hauteur de ce rendez-vous.

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