Intervention de Franck Menonville

Réunion du 12 octobre 2022 à 21h30
Politique énergétique de la france — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Franck MenonvilleFranck Menonville :

Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, entre le printemps 2020 et le 1er septembre 2022, les prix de marché ont été multipliés par trois pour le pétrole, par cinq pour le gaz et par quarante pour l’électricité. Comment en sommes-nous arrivés là ? Après la pandémie, la reprise économique a suscité des tensions sur les marchés, avec le retour de l’inflation.

Le 24 février dernier, en envahissant l’Ukraine, Vladimir Poutine a déclenché un conflit qui a entraîné, entre autres choses, une flambée sans précédent des cours de l’énergie, le gaz devenant un moyen de pression.

L’Europe, qui était dans un état de dépendance à l’égard des hydrocarbures russes, se trouve aujourd’hui dans une situation difficile, ce qui nous annonce un hiver particulièrement complexe. Il faut le dire, la France est structurellement moins dépendante du gaz russe que l’Allemagne, qui a renoncé au nucléaire.

Si la situation de la France semblait meilleure en théorie, le nucléaire étant l’un des atouts de la politique énergétique française, force est de le constater, la moitié de nos 56 réacteurs est aujourd’hui à l’arrêt pour des problèmes de maintenance.

Cette année, nous serons pour la première fois importateurs d’électricité, parce que nous n’avons pas su anticiper et préserver notre parc. Permettez-moi d’illustrer la situation. Le 21 juillet 2022, RTE a fourni en moyenne plus de 7 000 mégawatts sur le marché spot européen, soit 15 % de la consommation nationale.

Une certaine idée de l’écologie incitait à la réduction, voire à la disparition du nucléaire. Aujourd’hui, cette filière est mal en point et fragilisée. Nous devons tout faire pour conserver nos savoir-faire et garantir son avenir.

À Saint-Nazaire, le 22 septembre dernier, le président Macron a esquissé, alors que nous sommes au pied du mur, l’accélération de la stratégie nucléaire de la France.

Voilà trente ans, nous étions les champions du monde de l’énergie nucléaire civile. Nous disposions d’une autonomie et nous exportions même notre excédent électrique. Nous avons baissé la garde en menant des politiques contradictoires, guidées par des choix idéologiques manquant souvent de réalisme. Ainsi Ségolène Royal souhaitait-elle baisser de 75 % à 50 % la part du nucléaire à l’horizon de 2025. Une orfèvre en matière de géopolitique et de planification énergétique !

Ne devrions-nous pas, madame la Première ministre, réviser cet objectif, qui subsiste encore dans la loi, à horizon 2035 ? Nous serons bientôt en 2023 et, nous le savons, les besoins d’électricité seront croissants.

À la longue liste qui nous conduit à la situation actuelle, on peut ajouter l’abandon du projet de centrale Superphénix de traitement des déchets nucléaires en 1997. Quant au projet Astrid, pourtant lancé en 2010, il a été abandonné en 2019 sans programme de recherche de substitution, fermant ainsi la porte à de nouvelles avancées technologiques. La décision de fermeture de Fessenheim prise sous la présidence de François Hollande nous oblige aujourd’hui, dans notre région Grand Est, à rouvrir une centrale à charbon.

Je n’évoquerai pas l’affaiblissement continu des capacités financières d’EDF, notamment fragilisée par l’Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce problème ne sera pas exclusivement réglé par la nationalisation.

Les injonctions contradictoires ont contribué à fragiliser cette filière d’excellence française. La structuration même des portefeuilles ministériels antérieurs n’est sans doute pas étrangère à une telle situation.

Ainsi, les précédents grands ministères de l’écologie et du développement durable n’avaient pas naturellement dans leur ADN la capacité de planification énergétique et industrielle. Nous attendons beaucoup de la constitution du nouveau ministère de la transition énergétique, qui semble aller dans le bon sens. Notre pays a besoin d’un grand ministère de l’énergie et de l’industrie.

Par ailleurs, force est de constater que l’on a affaibli dans notre pays le pilier du nucléaire, sans pour autant atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, en matière de développement d’énergies renouvelables, dans la PPE. En effet, les complexités administratives rendent le déploiement des EnR difficile et beaucoup trop long par rapport à nos voisins européens.

Notre bouquet énergétique a besoin tant du nucléaire que des énergies renouvelables. Madame la Première ministre, les projets de loi que vous avez annoncés aujourd’hui devront absolument répondre à une telle situation. Il faut travailler sur tous ces leviers ! Il n’est pas acceptable d’attendre plus de dix ans pour voir naître un projet éolien ou solaire porté et voulu par les territoires. Par rapport aux autres pays européens, c’est en effet presque le double de temps !

La crise à laquelle nous devons faire face rend cependant criant le besoin d’un changement structurel de la politique énergétique française. Notre économie est déjà touchée par la crise économique. Il faut bien veiller à ne pas fragiliser davantage notre tissu économique. Dans le cadre d’un éventuel délestage, il faudra absolument être en mesure de prioriser et protéger la capacité productive.

À l’heure actuelle, en France, force est de le constater, de nombreuses usines tournent au ralenti en raison de l’augmentation des prix de l’énergie. Dans nos territoires, nous sommes tous alertés sur la situation complexe, voire intenable dans le temps, pour ce qui concerne l’industrie, l’artisanat et, quelquefois, l’agriculture.

Nombre de nos chaînes de valeur sont mises en péril par des importations plus compétitives. La crise énergétique est en train de porter un coup dur à notre industrie, alors même que la France a besoin de s’engager dans un mouvement de réindustrialisation. Nos collectivités territoriales, nos industries, nos entreprises et les ménages français, déjà fortement affectés, subissent d’ores et déjà les conséquences économiques de cette crise énergétique. Les inquiétudes qui remontent du terrain sont grandissantes.

La France a mis en place un bouclier tarifaire, afin d’aider les ménages à faire face à l’envolée des prix de l’énergie. Ces mesures nécessaires représentent un coût important. Pourtant, elles demeurent incomplètes au regard de la disparité des situations rencontrées sur le terrain.

L’Europe doit au plus vite trouver des solutions. Il faut penser différemment la politique énergétique européenne et, plus précisément, le marché intérieur européen de l’énergie. Nous devons découpler le prix de l’électricité de celui du gaz, comme vous l’avez annoncé.

Pour conclure, je dirai que nous devons bâtir une véritable stratégie de long terme. Elle ne peut être dissociée de la question industrielle, l’énergie étant au cœur de notre économie.

Notre politique énergétique doit reposer sur trois piliers : premièrement, l’optimisation et la promotion d’économies d’énergie reposant sur la recherche et le développement de technologies économes en matière de rénovation énergétique ; deuxièmement, le défaut, autant que possible, des énergies renouvelables ; troisièmement, la relance, autant que nécessaire, du nucléaire, en accentuant nos savoir-faire technologiques.

Mes chers collègues, il n’y a pas de place pour l’idéologie et le dogmatisme. Nous devons adopter une vision de long terme répondant aux besoins croissants d’une électricité décarbonée, pour aller vers la sortie programmée des énergies fossiles.

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