Intervention de Clément Beaune

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 octobre 2022 à 16h30
Audition de M. Clément Beaune ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires chargé des transports

Clément Beaune , ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports :

La question des mobilités est une préoccupation importante du prochain budget, au carrefour de nombreux débats actuels : pouvoir d'achat, sobriété, économie d'énergie et, sur le long terme, transition énergétique, les transports représentant 30 % des émissions de gaz à effet de serre de notre pays et à peu près autant en termes de consommation d'énergie. Il s'agit d'un défi, mais aussi d'une chance, puisque ce secteur est un des vecteurs de nos efforts de sobriété aujourd'hui, mais surtout de nos transformations en matière de transition écologique demain.

Sur l'orientation générale des politiques publiques en matière de transport, je porterai trois grandes priorités dont le projet de loi de finances est un premier reflet. La première est la modernisation et de la régénération de notre réseau ferré. Le transport ferroviaire est la colonne vertébrale de la mobilité verte et son socle est le réseau. Nous avons parfois tendance à ne pas voir les difficultés ou, à l'inverse, à sous-estimer nos investissements collectifs. Si nous n'avons pas à rougir en la matière, par rapport à nos voisins européens, nous avons une difficulté spécifique : l'âge de notre réseau. Un réinvestissement important a eu lieu ces dernières années, de moins de 2,5 milliards d'euros par an, nous sommes passés à un contrat de performance de 2,9 milliards d'euros par an sur les dix prochaines années. Il s'agit d'un changement majeur, quand on sait qu'il y a quinze ans, nous n'investissions que 1 milliard d'euros par an dans notre réseau ferré. Nous sommes donc en train de rattraper notre retard, même si, sans doute, nous devons aller encore plus loin et plus vite. Cette évolution est en partie retracée dans le budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui sera voté en fin d'année.

S'agissant de SNCF Réseau, ce qui compte, au-delà de la question des personnes, est celle des moyens et de leur mobilisation. Cela étant, il était important d'ouvrir un nouveau chapitre. M. Luc Lallemand a mené un effort de rétablissement financier très important. Au moment où nous devons réinvestir encore davantage, déployer le contrat de performance et mettre en place une nouvelle programmation, il était souhaitable, dans la relation avec les régions notamment, de donner une nouvelle impulsion à la tête de SNCF Réseau. M. Chabanel, qui sera sans doute bientôt désigné formellement président, est un des meilleurs connaisseurs de notre réseau ferré.

Notre deuxième axe porte sur les transports du quotidien, qui recouvrent des réalités territoriales diverses et qui ne sont pas réservés aux grandes agglomérations et aux grandes villes. Il faut assumer, en revanche, que nos priorités devront varier selon la nature du territoire et les besoins de mobilité. Dans les grandes agglomérations, les transports publics, ferrés en particulier, sont évidemment prioritaires. Un certain nombre de lignes - en particulier les lignes d'équilibre du territoire comme Paris-Clermont-Ferrand ou Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) - sont aussi, d'une certaine façon, des transports du quotidien. Elles représentent des liaisons économiquement vitales que nous devons rénover.

Dans les zones plus rurales et enclavées où une offre de transports publics similaire à celle des grandes agglomérations n'est pas envisageable, nous devons aussi assumer que la voiture fasse partie des solutions. En France, 85 % des déplacements se font par la route, pour les loisirs comme pour le travail. Cette réalité ne disparaîtra pas d'un coup de baguette magique. Nous ne devons pas cibler la voiture en tant que telle, mais la voiture individuelle et polluante, ce qui implique le passage au véhicule électrique.

À cet égard, le dispositif de leasing social, dont les premiers crédits sont bien prévus dans le PLF, et les dispositifs existants qu'il complète - prime à la conversion, bonus-malus - sont essentiels pour favoriser la démocratisation du véhicule électrique, notamment dans les zones rurales. J'aimerais que l'on change cette perception selon laquelle le véhicule électrique serait une solution réservée aux privilégiés et aux centres-villes. Il doit être à l'avenir une solution essentielle pour les ménages modestes et dans les zones rurales qui ne disposent pas de transports publics suffisamment denses.

J'insiste par ailleurs sur la priorité transversale de la décarbonation. Cette préoccupation doit « irriguer » tous nos modes de transport. Elle implique certes des changements d'usage et le report modal, notamment de la voiture individuelle et polluante vers des modes de transport plus propres chaque fois que possible, mais il y a aussi, au sein de ces modes - l'automobile ou l'aviation par exemple -, un potentiel de décarbonation.

Décarboner, ce n'est pas éliminer des modes de transport, c'est aussi verdir des modes de transport qui, aujourd'hui, contribuent à nos émissions de gaz à effet de serre. Nous n'allons à l'évidence supprimer ni la voiture ni l'avion - j'y tiens, en tant que membre d'un Gouvernement qui porte une politique industrielle -, mais nous devons changer nos usages, verdir notre industrie et nos appareils et établir des règles internationales et européennes qui poussent à la décarbonation. J'insiste : tous les modes de transport contribuent à la décarbonation, même si le report vers le ferroviaire est une des solutions clés à notre nécessité de transition écologique.

J'en viens aux chiffrages. Vous le savez, il n'est pas facile de restituer l'effort budgétaire global en matière de transport, s'agissant d'une compétence partagée. L'effort de l'État lui-même n'est pas retracé dans le seul programme budgétaire 203 consacré aux transports. Cet effort d'ensemble est évalué à 12 milliards d'euros dans le PLF pour 2023. Il s'agit d'une augmentation importante de 15 % par rapport à 2022. Sur ces 12 milliards d'euros, plus de la moitié sont alloués aux transports ferroviaires et collectifs. De plus, dans le programme 203, les trois quarts des crédits sont consacrés au ferroviaire, notamment au financement des ressources du réseau. Pour être complet, il faut ajouter à ces 4,1 milliards d'euros du programme 203 les 3,8 milliards d'euros prévus dans le budget de l'Afitf. Par rapport à la trajectoire prévue par la loi d'orientation des mobilités, la Première ministre a bien voulu accorder dans ce PLF une augmentation de 150 millions d'euros en crédits de paiement, dont la première action sera un complément de financement pour la modernisation du réseau ferroviaire, au-delà du contrat de performance.

Il faut encore ajouter à cet effort près de 1 milliard d'euros alloués à la Société du Grand Paris pour des infrastructures de transport en Île-de-France, 250 millions d'euros consacrés, au-delà des ressources budgétaires, à Voies navigables de France, un budget de l'aviation civile qui atteint 800 millions d'euros, principalement pour le contrôle et la sécurité aériens, et un effort de 500 millions d'euros qui se poursuit, notamment à travers le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), pour financer la recherche et l'innovation. Citons également les 400 millions d'euros d'avances consenties au projet Charles-de-Gaulle Express.

Il faut ajouter enfin 1,3 milliard d'euros pour les moyens consacrés au verdissement du parc automobile, qui regroupent le bonus-malus, la prime à la conversion et les premiers crédits qui seront déployés en 2023 au titre du dispositif de leasing social, dont les paramètres ne sont pas encore arrêtés.

Vous m'interrogez ensuite sur l'horizon de déploiement d'une filière de production de carburants propres dans le domaine de l'aviation. Pour avoir une filière, il faut un signal clair montrant la réalité du besoin et de la demande. Nous savons aujourd'hui que le faible développement des carburants durables d'aviation (CAD ou SAF en anglais) s'explique par une production insuffisante en amont. En réalité, nos avionneurs sont capables d'atteindre des taux d'incorporation très élevés et les compagnies aériennes n'y sont pas opposées, même si les coûts sont plus importants, parce qu'elles en voient bien la nécessité.

À l'échelle européenne, nous discutons d'un texte intitulé Refuel EU Aviation, qui fixera pour 2025, 2030 et au-delà, des cibles d'incorporation communes à tous les États européens et à tous les aéroports. Nous devrons sans doute revoir à la hausse les cibles qui seront fixées - probablement 6 % pour 2030 - afin de donner aux producteurs un signal sans lequel ils ne se lanceront pas dans un effort industriel et massif de production. En tout état de cause, le reste de la filière est prêt, qu'il s'agisse des avionneurs comme des aéroports, qui sont disposés à déployer les infrastructures nécessaires à ces carburants.

S'agissant enfin de l'actualisation de la programmation, le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), dont font partie madame et messieurs les sénateurs Herzog, Tabarot et Dagbert, rendra un rapport, probablement avant le début du mois de décembre, qui servira de base à la définition d'une nouvelle programmation pluriannuelle. Nous aurons besoin à l'évidence d'une actualisation de la programmation. Le Gouvernement n'a pas encore arrêté sa position quant à la forme - nouvelle loi d'orientation ou pas - qu'elle pourrait prendre.

Le rapport du COI enclenchera aussi le travail très attendu sur le volet mobilité de la nouvelle génération de contrats de plan État-Région (CPER). Nous devons sans tarder ouvrir les négociations qui déboucheront, je l'espère, sur une signature au plus tard à la fin du premier semestre 2023. En attendant, il n'y aura pas d'année « blanche ». Les projets engagés seront maintenus et les financements des CPER en 2023 ne seront jamais inférieurs au niveau qui a été programmé et exécuté en 2022. Nous avons en effet besoin de donner une visibilité satisfaisante à nos partenaires, en particulier aux régions.

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