Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, être policier, c’est être au centre de la vie en société, « au centre des choses », comme l’écrivait Albert Camus dans Les Justes.
Un policier doit être en contact permanent avec la population. Il doit être le garant de la confiance que doivent inspirer les pouvoirs publics au citoyen. Il s’agit d’un lien de confiance que permet une police de proximité. C’est une conception de la police qui est défendue par le groupe CRCE, mais qui ne l’est pas dans ce projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
En effet, la Lopmi traduit, à l’issue de cette première lecture, une conception des métiers de la sécurité intérieure qui est toujours bien éloignée de la nôtre, et ce malgré l’exercice de notre droit d’amendement.
Au cours de nos débats, nous avons été cohérents par rapport à nos interventions passées sur la loi Sécurité globale. Nous le répétons, une autre voie est possible : une police qui ouvre des vocations, éveille les jeunes, donne envie de s’engager. Non pas une police trop souvent coupée du citoyen, mais une police de proximité, exemplaire et digne, comme nous le soulignions déjà dans notre proposition de loi du 11 septembre 2017 visant à réhabiliter la police de proximité, qui privilégiait cette vision de la sécurité et reposait sur le triptyque prévention, dissuasion, répression.
Aujourd’hui, la Lopmi met à distance les victimes. Le numérique est en réalité un faux ami, vecteur de simplification. La modernité et l’efficacité ne doivent pas être synonymes d’éloignement. Un tel projet de loi ne peut qu’accentuer le fossé entre police et victime : le temps passé sur la voie publique dans des actions de sanction ou de répression sera la règle, et le temps au commissariat ou à la brigade l’exception.
Aussi, je tiens à souligner que la modification de la procédure pénale et du droit pénal, induite en particulier par une telle distanciation, relève de la compétence propre du ministère de la justice et qu’elle n’aurait pas dû avoir sa place dans une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Vous l’avez reconnu vous-même lorsque vous avez écarté des amendements en reprochant aux parlementaires d’empiéter sur ce périmètre de compétence. Pourtant, vous n’avez pas su être critique envers votre texte, puisque vous avez persisté dans votre défense de la simplification de la procédure pénale.
Or celle-ci doit continuer à préserver un équilibre entre l’objectif de recherche, la poursuite des infractions et la garantie de la liberté et des droits des citoyens. Une simplification de la procédure pénale ne permet aucunement une amélioration de la qualité des enquêtes.
Face à cela, nous avons défendu que la procédure pénale était une garantie indispensable en matière de libertés et de droits fondamentaux pour tous les justiciables, qu’il n’aurait pas fallu simplifier.
De plus, en matière de droit pénal, nous avons mis en relief que l’amende forfaitaire délictuelle représentait un risque d’arbitraire et de disparités de traitement contraires au principe d’égalité devant la justice. Nous dénonçons donc le maintien d’une amende forfaitaire faisant fi du principe d’opportunité de la peine. Nous rappelons qu’il s’agit d’une procédure de masse, systématisée, qui ne fonctionne déjà pas en termes de régularisation des délits.
Nous regrettons également que la question de la formation approfondie des policiers et gendarmes à la procédure pénale n’ait pas été élevée au rang de priorité par ce texte.
En effet, la suppression des trois ans d’ancienneté requis pour passer le concours d’OPJ est un abaissement des exigences en termes de recrutement qui n’est pas souhaitable. La responsabilité nécessite la formation, l’expérience et le recul. Une prise de poste immédiate à la sortie de l’école ne permet pas de satisfaire de telles exigences, bien que cela soit le cas à la sortie d’autres écoles de la fonction publique, comme l’École nationale de la magistrature (ENM).
De même qu’il est difficile d’être jugé par un juge de 25 ans, il sera de même difficile pour un prévenu d’être perquisitionné par un OPJ novice ou pour des policiers d’être encadré par un OPJ sans expérience.
Ce texte est un projet de loi de chiffres, d’effectifs, qui ne se penche pas sur l’humain, sur le rapport entre citoyens et police, les citoyens et le service public. La modernisation du ministère de l’intérieur se paie au prix de la déshumanisation de la police : c’est une rupture.
Le ministère impose sa vision. Il ne prend pas en compte, par exemple, l’impopularité de la police dans les quartiers populaires et les difficultés structurelles de la police. Vous devez accepter, monsieur le ministre, le constat de cette défiance d’une partie de notre jeunesse à l’égard d’une police qui met la pression sans s’atteler, avec d’autres services publics, à resserrer les liens distendus.
C’est une évidence : le tout-répressif ne fonctionne pas et n’a jamais porté ses fruits, bien au contraire ! Il faut donc repenser l’action de notre police, mais aussi de la justice.
Dans le domaine du maintien de l’ordre, ce projet de Lopmi consacre également une police de la répression contre ce qui est dénommé dans le rapport annexé la « subversion ».
Nous défendons une doctrine selon laquelle les dispositifs de maintien de l’ordre doivent reposer le plus souvent possible sur la négociation, le dialogue et la pédagogie, doctrine que nous défendions déjà dans notre proposition de loi du 22 janvier 2019 visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre, et à modifier la doctrine dans ce domaine.
Il faut enfin tirer les leçons des méthodes d’encadrement des manifestations, depuis celles contre la loi El Khomri jusqu’aux manifestations de « gilets jaunes » et aux mouvements lycéens, par exemple.
Il y a aujourd’hui urgence à tirer les leçons de l’escalade de la violence et de l’usage disproportionné de la force publique par les autorités. Un travail d’ampleur doit être engagé pour mettre en œuvre des stratégies de désescalade efficaces. Celui-ci doit commencer par une étude sérieuse, complète, détaillée et documentée des avantages et des inconvénients de chaque type de doctrine.
Le groupe CRCE refuse de stigmatiser les forces de l’ordre ; je l’ai dit à plusieurs occasions. Et c’est justement parce que nous sommes soucieux des conditions de travail de nos policiers et gendarmes, mais également du sens des professions de la sécurité publique, que nous voterons contre ce texte. Votre projet de Lopmi est contraire non seulement à l’objectif de rapprochement de la police avec les citoyens, mais également à l’idée que nous nous faisons du métier de policier.
Notre peuple exprime souvent une grande inquiétude face aux questions de sécurité. Nous ne pensons pas, contrairement à vous, que la fuite en avant sécuritaire réponde à ces préoccupations. Les chiffres, monsieur le ministre, sont là pour le prouver.
C’est dans le cadre d’un projet de société mettant le service public au cœur de l’épanouissement collectif que nous concevons une action de la police renouvelée, restaurée, efficace.