Des choix technocratiques nous ont fait abandonner la médecine et la santé aux mains de comptables et de technocrates. À l’époque, nous avions pensé qu’il suffirait, pour ralentir les dépenses de santé, de rationner l’accès aux médecins et d’en former de moins en moins.
Des choix idéologiques nous ont conduits à tout miser sur une organisation de notre système de santé très hospitalo-centrée. En conséquence, la médecine libérale a été mise à mal, et la formation de nos jeunes médecins dans les facultés de médecine a été orientée vers autre chose que leur installation en médecine générale.
La médecine générale a subi ces deux influences, qui, en définitive, l’ont extrêmement fragilisée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le moment est venu d’y remédier. Ce sont non seulement les Français, mais aussi les élus locaux qui supportent les conséquences d’une telle situation. Beaucoup de maires n’en peuvent plus ; ils sont en première ligne. La population, dans les villages, les petites ou les grandes villes, les rend responsables, alors qu’ils ont rivalisé de propositions, allant jusqu’à salarier des médecins, ouvrir des maisons de santé ou des centres de soins non programmés. Ce n’est plus possible : nous ne voulons plus laisser les maires et nos compatriotes seuls avec ce problème ! Soit nous agissons, soit nous n’agissons pas ! Par ce texte, nous proposons d’agir.
Il n’y a pas de panacée. Nous n’arriverons pas à trouver la seule et unique bonne solution. J’en suis certain, il faut un bouquet de solutions. Je vous demande pardon, mais celles qui existent aujourd’hui sont insuffisantes ! Beaucoup de facultés n’ont pas les moyens de faire face au déblocage du numerus clausus et de former de nouveaux médecins. Par ailleurs, cette formation prend dix ans, sans compter les années d’installation. Va-t-on attendre dix ans ? Quinze ans ? Non ! Il n’est plus possible d’attendre !
D’autres solutions existent, par exemple des aides de l’État aux collectivités. Mais elles viennent trop tardivement. D’ailleurs, ce n’est pas ce que demandent les médecins. C’est juste une rustine, et non une réponse fondamentalement satisfaisante !
Certains collègues de différents groupes défendent des mesures coercitives. Je me souviens de l’excellent rapport d’information de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, du groupe Union Centriste, qui comportait en particulier une analyse de l’efficacité des mesures coercitives et du conventionnement sélectif en Allemagne. Je vous invite à en relire les conclusions. La coercition avait permis d’un petit peu réguler les zones surdenses – et encore ! –, mais cela n’avait rien amélioré dans les zones sous-denses. Échec et mat, vous en conviendrez !
La solution ne réside ni dans la coercition ni dans le palliatif que constituent les aides actuelles, au demeurant insuffisantes. La solution est curative. Nous essayons de creuser pour la trouver. Ne restons pas les bras ballants en laissant nos compatriotes et les maires de France seuls face à ce problème !
Cette solution nous a été inspirée, en quelque sorte, par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi Buzyn, dans laquelle nous avions demandé aux jeunes médecins généraux de passer six mois sur le terrain pendant la dernière année du troisième cycle. Mais jamais le décret n’a été pris ! On nous a expliqué qu’il ne fallait pas déshabiller Paul pour habiller Jacques et que les internes devaient rester dans l’hôpital.
Nous avons creusé pour trouver des solutions. Nous vous proposons ce texte important. Il s’agit de créer une quatrième année de consolidation et de professionnalisation pour les étudiants de troisième cycle de médecine générale.
Nous voulons tout d’abord permettre l’installation, certes provisoire, de 3 500 à 4 000 jeunes médecins généralistes sur l’ensemble du territoire, en ville ou en zone rurale, car la France entière est désormais un vaste désert médical. Nous tenons beaucoup par ailleurs à les rémunérer de manière attractive, comme de vrais médecins, avec un paiement à l’acte. Nous voulons aussi permettre aux collectivités de s’engager : de nombreuses collectivités ne demandent pas mieux que de mettre à la disposition de ces médecins un logement, par exemple ; cette question se pose s’agissant de personnes qui vont passer une année dans un territoire. Cela permettrait surtout de faciliter l’installation de ces jeunes médecins dans nos territoires urbains et ruraux, alors que la formation actuelle ne les incite pas à s’installer.
À la lecture des comptes rendus des auditions et de l’excellent rapport de Mme Imbert, on constate qu’à défaut de faire l’unanimité, un consensus s’est établi. Lorsque nous avons rencontré l’ordre national des médecins, les deux grands syndicats des médecins généralistes et les deux grands syndicats des internes, je n’avais pas senti une franche opposition.
Les internes en médecine générale sont les seuls internes à ne pas avoir cette quatrième année de consolidation depuis que la médecine générale est devenue une spécialité. Il y a là un problème. Cette année de consolidation permettrait de mieux préparer et d’inciter à l’installation des jeunes médecins, à condition que ces derniers soient accompagnés par un médecin référent ; il est important d’y insister et de le mettre en œuvre.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué avoir en quelque sorte repris une telle proposition dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). À mon sens, vous l’avez fait de façon précipitée, sans concertation, et sans en définir les modalités, ce qui a pu raidir un certain nombre de syndicats, notamment ceux des internes. Je pense en outre que la rédaction de votre texte lui fait courir le risque d’être jugé anticonstitutionnel, car une telle mesure n’a pas de conséquences sur les finances sociales.
Peu importe : notre proposition de loi est, en quelque sorte, une séance de rattrapage, et je suis heureux de pouvoir y contribuer utilement.
Mes chers collègues, quand on choisit de devenir médecin – monsieur le ministre, vous êtes médecin, de même que plusieurs membres de la Haute Assemblée –, on choisit non seulement une vocation, mais aussi une mission de service public. C’est au regard de cette mission de service public, à laquelle je crois beaucoup, que nous devons examiner la présente proposition de loi.
Cela nous oblige, nous, parlementaires, à bouger, à voter, à faire des propositions. Et cela vous oblige, vous, exécutif, à consolider ces propositions. Cela oblige les jeunes médecins, quand ils s’investissent dans ce beau métier, à considérer qu’on ne peut pas laisser des millions de Français sans médecin traitant.
C’est une prise de responsabilité. Nous prenons les nôtres aujourd’hui, avec une forme de courage et beaucoup de sincérité. Monsieur le ministre, vous devez aussi prendre les vôtres, de même que le milieu médical. C’est fondamental : cette réforme est nécessaire et urgente.