Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi, déposée par l’excellent Bruno Retailleau et inscrite à l’ordre du jour sur la demande du groupe Les Républicains, a deux objectifs, auxquels la commission des affaires sociales a pleinement souscrit.
Le texte vise d’abord à améliorer la formation des médecins généralistes, en allongeant d’un an le troisième cycle de cette spécialité – cette nouvelle année, voulue professionnalisante, doit permettre de mieux accompagner les étudiants dans la découverte de l’autonomie et de l’exercice ambulatoire –, mais la proposition de loi vise également à trouver un nouveau moyen d’action pour s’attaquer à la problématique de l’accès aux soins ; j’y reviendrai.
L’article unique de la proposition de loi porte la durée du troisième cycle des études de médecine générale à quatre ans et consacre la quatrième année à la réalisation d’un stage en médecine ambulatoire, en autonomie supervisée. Une telle mesure est envisagée depuis plusieurs années. La durée du troisième cycle de médecine générale, restée fixée à trois ans, fait en effet figure d’exception, puisque le troisième cycle des quarante-trois autres spécialités s’étend sur quatre à six années. Elle empêche donc la médecine générale de bénéficier de l’ensemble des avancées de la réforme du troisième cycle des études de médecine, intervenue en 2017, et l’isole des autres spécialités.
Ainsi, les futurs médecins généralistes sont les seuls à ne pas bénéficier de la troisième phase, dite de consolidation, de l’internat, qui vise à consolider les connaissances et compétences acquises jusque-là par les étudiants. Ils ne bénéficient pas non plus du statut de docteur junior, associé à cette dernière phase, qui permet aux étudiants de réaliser, pendant une année entière, des stages en autonomie progressive et supervisée, tout en bénéficiant d’une meilleure rémunération.
Enfin, alors que la soutenance de la thèse d’exercice constitue désormais l’une des conditions d’accès à la phase de consolidation, et est donc souvent réalisée dans les délais, les étudiants de médecine générale ne bénéficient pas de cette incitation. Les retards de soutenance sont fréquents et reportent d’autant l’installation des jeunes médecins généralistes.
La durée du troisième cycle de médecine générale est calée sur la durée minimale fixée par l’Union européenne et se révèle plus courte que celle qui est retenue dans de nombreux autres pays : par exemple, au Danemark, en Suède ou en Norvège, les médecins généralistes suivent un troisième cycle de cinq ans.
Les enseignants et médecins que nous avons entendus en audition sont en majorité très favorables à une telle mesure. Plusieurs d’entre eux nous ont d’ailleurs indiqué y travailler depuis plusieurs années.
Ils ont insisté sur l’opportunité d’enrichir les référentiels de formation. En effet, la maquette actuelle ne comprend pas suffisamment de stages en ambulatoire, alors que ce mode d’exercice constitue un débouché naturel de la médecine générale. En effet, seuls deux des six stages prévus sont obligatoirement réalisés en ville. Ce sont pourtant ces stages qui préparent le mieux les étudiants à l’exercice libéral, en leur donnant une expérience concrète du fonctionnement d’un cabinet ou d’une structure d’exercice coordonné. La mise à jour de la maquette devrait aussi permettre aux étudiants qui le souhaitent d’approfondir plus facilement des compétences spécifiques, communes à plusieurs spécialités.
En améliorant la professionnalisation des internes de médecine générale, la présente proposition de loi vise ainsi à favoriser leur installation rapide. L’ajout d’une phase de consolidation encouragera les étudiants à soutenir leur thèse dès l’issue de la troisième année ; ils ne pourront plus, comme aujourd’hui, la reporter jusqu’à trois ans après la fin de leur internat.
Surtout, la réalisation de stages en ambulatoire et en autonomie supervisée pendant une année entière permettra d’améliorer largement la professionnalisation des étudiants et de mieux les préparer à l’exercice en ville. L’extension du troisième cycle proposée dans le texte devrait donc être en elle-même favorable à l’amélioration de l’offre de soins.
Toutefois, la proposition de loi ne s’arrête pas là. Afin de répondre plus directement aux problèmes d’accès aux soins dans de très nombreux territoires, elle prévoit également que les stages en ambulatoire de quatrième année seront prioritairement réalisés dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé.
Cette mesure a concentré, au cours des dernières semaines, les inquiétudes des organisations représentatives des internes, qui ont craint que la formation ne soit instrumentalisée pour régler les difficultés d’accès aux soins. Je tiens donc à lever toute ambiguïté, comme vient de le faire M. Retailleau : il n’est pas question, dans le texte que nous examinons aujourd’hui, de sacrifier la qualité de l’encadrement ni de la formation des étudiants. Au contraire, il est prévu que les stages de quatrième année seront, comme les autres, supervisés par des maîtres de stage formés et agréés par l’université. Cela devra permettre de mieux accompagner les étudiants dans la découverte de l’exercice ambulatoire et l’appréhension progressive de l’autonomie.
Afin de tenir compte des inquiétudes exprimées par les organisations d’étudiants, et parce que l’expression « désert médical » ne lui a pas paru décrire fidèlement la réalité, contrastée, des zones sous-denses, la commission a modifié l’intitulé de la proposition de loi, afin de mettre en valeur son objectif premier : l’amélioration de la formation des internes en médecine générale.
Cela dit, il me semble impossible d’ignorer entièrement les besoins de santé de nos territoires pour l’affectation des internes en stage. L’accès à un médecin généraliste constitue un enjeu majeur pour nos concitoyens. Or la démographie de la profession est particulièrement sinistrée, la France ayant perdu environ 5 000 généralistes en dix ans. La diminution de la densité médicale aggrave les inégalités territoriales d’accès aux soins. La suppression du numerus clausus et l’augmentation du recrutement d’étudiants ne permettront pas de résoudre cette difficulté avant plusieurs années. C’est pourquoi les affectations doivent être cohérentes avec les besoins de santé des territoires chaque fois que cela est possible, sans entraîner de perte de qualité de l’encadrement des étudiants.
Afin d’assurer la pleine efficacité de la mesure, les efforts devront être poursuivis pour augmenter encore le nombre de maîtres de stages universitaires et s’assurer que ceux-ci maillent suffisamment le territoire. Il s’agit d’un enjeu central et bien identifié. À ce titre, des collectivités territoriales se sont déjà employées à favoriser l’augmentation du nombre de maîtres de stages au cours des dernières années, en facilitant, en accord avec les facultés de médecine, l’organisation des formations de maîtrise de stage au plus près de leur lieu d’exercice.
C’est à la condition de concilier ces deux impératifs – amélioration de la formation des étudiants, d’une part ; amélioration du service rendu à la population dans les territoires, d’autre part – que la réforme sera un succès.
Le texte est un pas indispensable pour améliorer la réponse apportée aux attentes de soins de nos concitoyens. Il a deux mérites : celui de démystifier l’installation, en favorisant une meilleure connaissance de l’exercice en cabinet, mais également celui de démystifier la notion de zone sous-dense : il y a une vie dans ces territoires ; vous le savez tous, mes chers collègues !
Un deuxième motif d’inquiétude réside dans la situation matérielle des étudiants dont l’affectation serait éloignée de leur domicile. Les collectivités territoriales font déjà beaucoup d’efforts dans ce domaine. Je constate par ailleurs que le Gouvernement a souhaité ouvrir une concertation dans le cadre d’une mission interministérielle et n’est pas fermé à l’idée de modalités de rémunération spécifiques à la médecine générale. Cela me semble indispensable.
Les docteurs juniors, quand bien même ils exercent en autonomie progressive, sont aujourd’hui rémunérés forfaitairement et – il faut le dire – assez faiblement au regard du travail qu’ils accomplissent. Je souhaite que des solutions puissent être trouvées pour rétribuer justement les étudiants de médecine générale qui suivront cette année supplémentaire et leur permettre de réaliser leurs stages sans difficulté matérielle. Il s’agit d’une condition essentielle à la réussite de la réforme.
Enfin, les organisations que nous avons entendues nous ont toutes confirmé que l’ajout d’une quatrième année ne devait pas s’appliquer aux étudiants actuels du troisième cycle de médecine générale, afin de ne pas nuire à la cohérence de la formation de ces derniers. La commission a donc adopté un amendement en ce sens, afin de prévoir que le dispositif s’applique seulement aux étudiants qui, à la date de publication du texte, n’auront pas encore débuté le troisième cycle. Ce délai doit également permettre de prendre le temps nécessaire pour établir, avec les parties prenantes, le nouveau référentiel de formation : j’ai pu constater, lors de mes auditions, que la plupart d’entre elles y avaient déjà beaucoup travaillé.
Je souhaite maintenant m’attarder sur le contexte dans lequel intervient l’examen du texte. Le Gouvernement a repris l’essentiel du dispositif pour l’inclure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 26 septembre dernier, alors même que la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a été déposée au Sénat au mois de janvier 2022 et était déjà inscrite à son ordre du jour. D’ailleurs, monsieur le ministre, ce que vous proposez s’inspire de nos travaux.
Comme Bruno Retailleau le rappelait, nous avons adopté dès 2019 un dispositif prévoyant que les étudiants de médecine générale devaient réaliser, lors de leur troisième année d’internat, un stage d’une année en pratique ambulatoire en autonomie supervisée, en priorité dans les zones sous-denses ; cette durée avait été ramenée à au moins un semestre à l’issue de la commission mixte paritaire. Or cette disposition n’a jamais été appliquée par le Gouvernement, qui n’a pas pris les décrets nécessaires malgré les promesses faites dans cet hémicycle.
La présente proposition de loi reprend également une recommandation du rapport de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, qui consistait à « renforcer la formation en médecine générale par une quatrième année d’internat exercée […] en priorité en zone» sous-dense ».
Je crois enfin que la proposition de loi de M. Bruno Retailleau constitue, monsieur le ministre, le véhicule le plus sûr pour adopter cette mesure, non pas seulement parce qu’elle est antérieure au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 et qu’elle est issue de nos travaux, mais également parce que l’article 23 du PLFSS, qui contient cette réforme, n’est pas conforme à la loi organique, l’absence d’incidence financière de la mesure sur les régimes obligatoires de base étant mise en évidence par l’étude d’impact du Gouvernement lui-même.
C’est pourquoi je vous propose d’adopter cette proposition de loi, mes chers collègues. Elle constitue le meilleur moyen d’instaurer cette quatrième année, qui permettra d’améliorer la formation des étudiants de médecine générale et, surtout, l’accès aux soins dans nos territoires.