Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 18 octobre 2022 à 14h30
Formation des internes en médecine générale et lutte contre les déserts médicaux — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe Les Républicains relative à la formation des internes en médecine générale nous permet d’avoir un débat sur les réponses publiques à apporter aux difficultés d’accès aux soins. Je salue le travail de Mme la rapporteure Corinne Imbert.

Comment accepter que 30 % de la population française vive dans un désert médical ? La difficulté à obtenir un rendez-vous avec un généraliste en secteur 1 n’est plus une situation spécifique aux territoires ruraux ; elle concerne désormais également les territoires périurbains et urbains. Ainsi, la région Île-de-France est le premier désert médical de France. En effet, 62, 4 % de la population francilienne – cela représente 7, 6 millions de personnes – a du mal à accéder aux médecins, trop peu nombreux. Les maires sont soumis à rude épreuve pour trouver une solution coûte que coûte !

Il faut le répéter, depuis vingt ans, les gouvernements successifs ont refusé de supprimer le numerus clausus et d’augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants en médecine. L’ancienne ministre de la santé, Agnès Buzyn, reconnaissait elle-même, dans une tribune parue dans le journal Le Monde, que le numerus clausus avait été desserré de façon trop progressive et que l’on avait « perdu plus de quinze ans ».

Depuis 2017, les gouvernements d’Emmanuel Macron n’ont pourtant pas corrigé la tendance, puisque le remplacement du numerus clausus par le numerus apertus n’a pas significativement augmenté le nombre de médecins formés. Faute de moyens financiers et humains supplémentaires pour les universités, le nombre d’étudiants en médecine est passé de 9 300 en 2020 à seulement 11 180 en 2021, alors que les besoins sont plus importants, la population plus nombreuse, les patients plus âgés et souvent atteints de polypathologies.

Dans ce contexte, la proposition de loi du groupe Les Républicains visant à ajouter une quatrième année d’études aux internes en médecine générale non seulement ne résoudra rien, mais, au contraire, démotivera et précarisera les internes.

Tout d’abord, je souhaite dire quelques mots sur la méthode : ajouter une dixième année d’étude sans avoir ouvert de négociation avec les internes revient à mettre la charrue avant les bœufs.

En outre, une réforme de la formation des internes nécessiterait de discuter du contenu pédagogique et du rythme des études, de réfléchir à la prise en compte de l’épuisement professionnel qui touche les deux tiers des internes, à la revalorisation de leur statut, aux mesures de lutte contre les comportements sexistes lors des stages dénoncés par l’Association nationale des étudiants en médecine de France. Je le rappelle, un interne a environ trois fois plus de risque de se suicider qu’un jeune du même âge, à telle enseigne que, en 2021, une campagne intitulée #ProtègeTonInterne avait été lancée.

L’idée d’ajouter une dixième année d’études prouve bien que cette proposition de loi est en déconnexion totale avec la réalité des internes. Du reste, elle ne réglera ni la pénurie des médecins ni l’aspiration des jeunes médecins, qui souhaitent, à juste titre, pouvoir pratiquer la médecine en conciliant davantage vie familiale et vie personnelle.

Aujourd’hui, les nouveaux médecins aspirent en majorité à exercer leur activité dans un cadre salarié, en équipe, dans un territoire muni d’un hôpital de proximité, et non en libéral, comme le privilégie cette proposition de loi. Il faudrait donc favoriser les stages et l’installation en centre de santé.

L’incitation à faire des stages dans les territoires sous-dotés n’entraînera pas mécaniquement l’arrivée de 3 900 internes dans les déserts médicaux. Les incitations fiscales à l’installation ont démontré leurs limites, puisque seulement 400 médecins par an réclament les 50 000 euros proposés pour s’installer dans un territoire sous-doté.

Les internes qui souhaiteraient effectuer un stage dans un désert médical devront être encadrés par un médecin senior, alors que, par définition, les déserts médicaux sont dépourvus de médecin ou, en tout cas, manquent de médecins disponibles.

De plus, l’ajout d’une année supplémentaire en stage créera une année blanche d’installation de nouveaux médecins.

Enfin, les critères d’attractivité pour les jeunes médecins font cruellement défaut, puisque les politiques d’austérité menées au cours des vingt dernières années, y compris par la droite, cher collègue Bruno Retailleau, ont entraîné la fermeture des hôpitaux et maternités de proximité, ainsi que la disparition des services publics de proximité.

Selon nous, la réponse politique doit être multiple. Mais, dans le temps qui m’est imparti, je souhaite privilégier quatre propositions qui me semblent majeures : l’augmentation des moyens des universités pour former davantage de professionnels de santé ; le développement de centres de santé ; le rétablissement de la permanence médicale la nuit et le week-end, via l’abrogation du décret Mattei et la revalorisation des gardes de tous les soignants dans le public et le privé ; enfin, la mise en place d’un conventionnement sélectif dans les zones surdotées.

Mes chers collègues, vous êtes loin du compte avec votre proposition de loi. Aussi, les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront contre ce texte, tout comme nous voterons contre l’article 23 du PLFSS pour 2023, qui prévoit un dispositif similaire.

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