Le poids des mots, ce n’est pas rien ; il est grand temps d’en changer certains…
J’habite moi-même une région où l’angoisse des patients et des soignants est grande. L’accès aux soins y est le problème central, sans doute à l’origine d’un sentiment d’abandon dramatiquement vécu par les habitants et les électeurs. On ne peut certes ignorer l’attente des territoires – les travaux que nous avons menés avec Hervé Maurey et Jean-François Longeot l’ont démontré –, mais on ne peut pas dire que ce soient des déserts !
De nouvelles manières de travailler y amènent de nouveaux habitants, des projets y émergent, des soignants y viennent aussi, certes en nombre – hélas ! – insuffisant, mais de leur plein gré et avec un vrai projet de vie. Les jeunes médecins ne construisent pas leur vie en fonction de primes ; ils la construisent en cherchant à s’épanouir professionnellement et personnellement. Donc, pas de « désert » ; pas de punition !
Cela, notre commission l’a bien compris. Elle a veillé à présenter en séance un texte désormais intitulé proposition de loi visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale. Si l’initiative de Bruno Retailleau et de certains de nos collègues vise à orienter la formation des jeunes praticiens vers plus d’ambulatoire, alors, elle est intéressante et doit être soutenue.
Les autres spécialisations médicales se font en quatre années. Il y a donc une forme de logique à aligner cette spécialité sur les autres, à considérer que la médecine générale est une spécialité pleine et entière, exigeant une phase longue de pratique de terrain, qui est au fond la meilleure des écoles. L’année en tant que docteur junior, pour être pleinement attractive, devra être assortie d’une juste rémunération.
Cette période sera un peu comme les remplacements que faisaient les jeunes médecins généralistes ici ou là, pendant quelques mois ou années, période que certains d’entre vous ont sans doute connue, le temps d’écrire leur thèse, avant de se fixer pour de bon.
Voici ce que je lis dans le communiqué d’un regroupement de jeunes généralistes installés ou remplaçants : « Nous témoignons tout notre soutien à nos futurs confrères en formation ; nous réclamons pour eux une formation de qualité et une phase de consolidation qui les accompagne réellement dans la construction de leur projet. » Oui, il est indispensable que cette quatrième année soit une plus-value pour eux.
Au sein du groupe Union Centriste, les avis sur ce texte sont majoritairement favorables. Néanmoins, si, pour ma part, je m’apprête à le voter, certains de mes collègues émettent, je le sais, des réserves sur le nombre potentiellement insuffisant de maîtres de stage, sur la nécessité d’une plus grande concertation, sur le besoin d’enseignants en médecine générale ou encore sur le risque d’une coercition déguisée.
Par le passé, j’ai moi-même accueilli dans mon foyer, en tant que conjoint collaborateur d’un médecin généraliste, de jeunes internes en fin d’études, pour des sessions de quelques semaines. Je sais combien ces séjours, à ce moment de leur vie, à la découverte d’un territoire, au contact des habitants de celui-ci, peuvent être déterminants. Trois de ces stagiaires se sont installés près de chez nous. Une année pleine et entière en autonomie aurait certainement eu des effets encore plus significatifs. Par conséquent, j’y crois.
J’y crois, mais avec des réserves. Quid, en effet, des maîtres de stage ? Pour connaître les médecins généralistes de mon département, la Nièvre, et leur charge de travail, je sais que les sessions de formation à Dijon, située à deux heures et demie de route, pendant des journées entières et revenant régulièrement, c’est très dissuasif. Si certaines sessions sont, depuis la crise sanitaire, assurées à distance, celles qui subsistent en présence devraient être organisées au plus près des médecins, dans tous les départements, comme cela commence à se pratiquer en de rares endroits. Cette possibilité doit se généraliser. C’est à ce prix que de nouveaux médecins viendront grossir les rangs des maîtres de stage universitaires.
Actuellement, l’ambulatoire est déjà au programme du diplôme d’études spécialisées de médecine générale, mais il est insuffisamment mis en œuvre, faute de lieux de stages et, parfois, parce que les internes restent – hélas ! – dans les centres hospitaliers universitaires pour remédier au manque de personnel, ce qui est inadmissible.
La réflexion autour de l’ambulatoire doit être globale. Elle doit concerner également les spécialistes, ne pas rester théorique et s’inscrire peut-être dans un vaste chantier de refonte des études médicales, en s’inspirant d’autres modèles voisins.
Reste l’épineux sujet du lieu de ces stages, puisqu’il est désormais acquis que c’est presque tout le territoire national qui est en zone sous-dotée. Les internes aiment les stages enrichissants. Mais, en fin de cursus, ils peuvent également avoir des charges de famille et des ancrages que l’on comprend aisément. Le lieu de vie pendant une année entière, après de longues études, ce n’est pas rien.
L’idéal serait alors qu’ils puissent se diriger vers une région, probablement sous-dotée, puisqu’elles le sont presque toutes, où ils ont déjà une attache, voire un début de projet. « Quatrième année » ne doit pas impliquer « territoire inconnu », non plus que « désert » ou « punition ». Il faut prévoir de la souplesse dans les affectations.
Cela m’amène à un autre sujet essentiel, celui de l’origine géographique des étudiants. Prenons encore le cas de ma région. Si tous ceux qui réussissent le concours de médecine à Dijon sont de jeunes Dijonnais qui ont bénéficié d’une proximité familiale et d’un contexte connu, il semble difficile, sauf coercition, de les voir s’installer en milieu rural !
C’est pourquoi il est capital que les formations se délocalisent, ne se cantonnent pas aux grandes villes universitaires et viennent au plus près des territoires. C’est en partie les années pendant lesquelles nous n’avons formé que de jeunes urbains que nous payons actuellement.
Une faculté de médecine est ainsi en train de se mettre en place à Orléans. Le parcours accès santé spécifique (Pass), première année d’études de médecine, ouvert à Nevers après de longues années de bataille, a permis à 50 % des étudiants de réussir le concours. Voilà une vraie solution, et il y en a d’autres ailleurs en France ! Les « déserts médicaux » sont tout simplement des déserts de formation.
Il en faut plus, monsieur le ministre ; le numerus apertus doit muter en numerus proximus !