Intervention de Raymonde Poncet Monge

Réunion du 18 octobre 2022 à 14h30
Formation des internes en médecine générale et lutte contre les déserts médicaux — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Raymonde Poncet MongeRaymonde Poncet Monge :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, signe de l’impuissance des politiques publiques, les zones sous-denses s’étendent depuis longtemps, renforçant les inégalités d’accès aux soins.

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), entre 2015 et 2018, la part de la population française vivant en zone sous-dotée en médecins généralistes a augmenté de 50 %. Particulièrement impactées, les zones rurales et les zones populaires des métropoles subissent à la fois les fermetures des hôpitaux de proximité, des maternités et des services d’urgence, ainsi que le non-remplacement des médecins, des infirmiers ou des sages-femmes.

Toujours selon la Drees, 60 % des personnes en territoires ruraux connaissent des difficultés d’accès à un médecin généraliste. Comme souvent, les mesures d’incitations financières ont été privilégiées. Des dizaines de millions d’euros ont été dépensés, avec des résultats plus que décevants. En 2014, puis en 2019, la Cour des comptes avait constaté que ces mesures avaient plutôt provoqué des effets d’aubaine pour les médecins déjà en place.

Cet échec doit nous conduire à reprendre l’analyse des causes, pour de nouvelles solutions.

Si certaines études scientifiques disponibles concluent qu’un stage long en zone rurale sous-dotée, surtout en fin de cursus, peut encourager les nouveaux médecins à s’installer, d’autres considèrent son impact comme très faible.

Toutefois, d’autres études pointent des pistes intéressantes, car structurelles, ayant donné d’excellents résultats, de surcroît durables, notamment à l’étranger. À ce sujet, la méta-analyse de la Drees, en 2021, est formelle : il ressort de toute la littérature scientifique que le choix de s’installer dans une zone mal desservie est en premier lieu lié à un ensemble de facteurs personnels, et ce sans méconnaître les conditions d’environnement plus générales : intensité des services publics, proximité de centres hospitaliers, autres professionnels de santé installés sur le territoire, dynamisme des activités économiques.

Toutes ces raisons, nous les connaissons. Cependant, de façon constante, les travaux de recherche concluent que l’origine rurale du médecin est un facteur essentiel et le meilleur prédicteur de l’installation en zone rurale. Le fait d’être né en milieu rural, d’y avoir grandi, d’y avoir effectué sa scolarité ressort dans tous les pays comme un des déterminants majeurs du choix d’exercer dans cet environnement.

Or les territoires ruraux étant majoritairement populaires, les élèves qui en sont issus se heurtent à la sélection à l’université, amplifiée depuis quelques années par Parcoursup, véritable machine de reproduction sociale. Après les grandes écoles, les études de santé comptent parmi les plus clivées socialement. Ainsi, alors que les enfants des cadres métropolitains sont surreprésentés en études de médecine, leurs chances de réussite sont deux fois et demie fois supérieures à celle d’un enfant d’ouvrier.

Cette absence de diversité sociale a été amplifiée par les politiques de déstructuration de l’enseignement supérieur et la concentration des lieux de formation. Les fusions des universités vont frontalement à l’encontre des recommandations de l’OMS, qui préconise justement la décentralisation des centres de formation dans les territoires ruraux et sous-denses.

De nombreux pays ont entamé une démarche de décentralisation des ressources à des centres satellites ruraux, voire ont ouvert de nouvelles écoles de médecine. Je pense à la Norvège, à l’Australie ou au Canada, qui suivent ainsi les recommandations de l’OMS.

De la critique des critères de sélection à l’université pour ouvrir la diversification sociale à la décentralisation, autant que possible, des lieux de formations, certaines solutions durables contre les déserts médicaux réclament des mesures structurelles, qui questionnent les politiques en matière tant d’enseignement supérieur que d’aménagement du territoire.

L’aménagement du territoire accentue aujourd’hui un phénomène de répartition sociale du territoire, entre, d’un côté, une concentration des cadres, que le chercheur Guillaume Faburel appelle les « classes créatives », au sein des grandes métropoles, et, de l’autre, des territoires ruraux majoritairement ouvriers, qui subissent la dévitalisation économique, la fermeture des services publics et les déserts médicaux.

Il n’est pas étonnant que le démographe Hervé Le Bras ait pu dire hier que la France des déserts médicaux était celle des « gilets jaunes ». Or, pour lutter contre un tel phénomène, l’OMS recommande des politiques d’admissions ciblées pour les étudiants d’origine rurale et une décentralisation d’une partie des campus et des programmes d’internat.

Cette proposition de loi présente, selon nous, une solution de régulation très partielle et contestée, en faisant l’économie d’autres types de régulation, notamment par l’installation, comme des causes que je viens d’évoquer.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe écologiste votera contre ce texte.

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