Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1947, Jean-François Gravier publiait Paris et le désert français, ouvrage qui fit longtemps référence et dans lequel l’auteur démontrait le fort déséquilibre entre Paris et la province, analysant les conséquences qui en résultaient.
Soixante-quinze ans plus tard, la rhétorique du désert retrouve une acuité et une actualité particulièrement sensibles, notamment en matière médicale.
Depuis quelques dizaines d’années, cher Bernard Jomier – sans doute au moins quarante ans –, les déserts médicaux se répandent sur l’ensemble du territoire, au point de n’être plus cantonnés à la ruralité : les villes, et notamment leurs quartiers périphériques, sont désormais concernées.
La question est de savoir si ces déserts médicaux sont des phénomènes spécifiques ou s’ils ne sont pas plutôt la conséquence d’un phénomène global lié à la disparition des services publics dans les territoires ruraux et dans certains quartiers suburbains.
Peut-on raisonnablement espérer l’installation de médecins et de leurs familles dans des lieux sous-équipés en services publics de qualité, notamment scolaires et culturels, largo sensu.
Peut-on raisonnablement envisager que la vie et le rythme de travail d’un médecin de campagne des années 1970-1980 correspondent aux attentes des nouvelles générations ? Cela vaut également pour la médecine de ville.
Les évolutions des mentalités et la juridicisation de la société ont nécessairement un impact sur les installations en libéral.
Face à cette situation complexe et multicausale, il est impératif de proposer des solutions permettant de concilier les attentes des jeunes médecins avec celles d’une patientèle inquiète de voir son accès aux soins limité.
La proposition de loi déposée par Bruno Retailleau s’inscrit dans cette volonté d’apporter, d’une part, des réponses précises à nos concitoyens, mais aussi aux élus locaux, qui sont souvent en première ligne devant les doléances de leurs administrés, et d’améliorer, d’autre part, le cursus de formation des étudiants en médecine générale.
Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour le Sénat. Dès 2019, monsieur le ministre, nous avions adopté un dispositif presque similaire, resté depuis lettre morte en l’absence des décrets d’application nécessaires, qui relèvent du Gouvernement. Et voilà que l’exécutif ajoute à la hâte au PLFSS examiné cet automne un article reprenant quasiment les termes de cette proposition de loi sans y apporter la moindre plus-value. La méthode est pour le moins discutable, car elle traduit une forme de mépris à l’égard du travail parlementaire consistant à se l’approprier en catimini au lieu de le valoriser.
Mais laissons de côté ce problème méthodologique et concentrons-nous sur les dispositions du texte ; elles ont fait l’objet de débats fort intéressants en commission des affaires sociales, tant le sujet revêt différentes dimensions : enjeux sociétaux, aménagement du territoire, formation de nos étudiants.
Je sais que les internes contestent en ce moment même le bien-fondé d’une telle réforme, en raison de l’allongement d’un an de la durée du troisième cycle des études de médecine générale. En outre, l’obligation de réaliser cette quatrième année en stages ambulatoires, sous un régime d’autonomie supervisée et prioritairement dans les zones sous-denses identifiées par les agences régionales de santé (ARS) inquiète aussi certains d’entre eux.
Il convient de souligner les apports de ce texte pour la professionnalisation des internes en médecine générale. Grâce à cette année supplémentaire, ils acquerront le statut de docteur junior, dont jusqu’à présent ils ne bénéficient pas. Grâce à l’accompagnement d’un médecin « superviseur », ils seront mieux préparés à l’exercice de la médecine en ville.
Ce texte constitue donc une réelle avancée, bien que certains points restent en suspens.
C’est le cas notamment des conditions de rémunération de ces étudiants, mais également de leurs conditions d’accueil dans les communes. Leurs frais d’hébergement et de transport seront-ils à la seule charge des collectivités ? Comment les inciter à s’installer dans ces zones sous-denses ?
De même, la question de l’encadrement demeure essentielle. Les maîtres de stage formés seront-ils en nombre suffisant ? Et seront-ils équitablement répartis sur l’ensemble du territoire ?
Le versement des honoraires pédagogiques des maîtres de stage devra se faire dans des délais raisonnables et non, comme cela se passe trop souvent, plusieurs mois après la fin des stages des internes. De tels retards de paiement pénalisent et démotivent les maîtres de stage qui se sont engagés dans le processus d’accompagnement et de formation des internes.
Enfin, il convient de mener une réflexion sur le lien entre la création de postes d’internes et les caractéristiques des bassins de vie où sont implantées les universités en matière démographique, sanitaire ou sociologique, et ce afin d’éviter les distorsions entre la réalité de terrain et le nombre d’internes formés dans les centres hospitaliers universitaires.
Un exemple simple : dans les Alpes-Maritimes, …