Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on dit le Sénat conservateur, mais il est des changements que nous accueillons bien volontiers. Ainsi, l’organisation, en amont de l’examen du projet de loi de finances, d’un débat sur les finances locales est une nouveauté qui a tout pour nous plaire.
La réforme de la loi organique relative aux lois de finances, il y a un an, en a fait un jalon du débat budgétaire. C’est une première. C’est l’occasion pour nous, avant d’entrer dans le dur des discussions, de faire le point sur la situation des collectivités.
Dans le rapport qu’elle a présenté en commission des finances la semaine dernière, la Cour des comptes a posé un diagnostic clair et ouvert des pistes de réformes, dont chacun peut s’emparer.
L’autre particularité de ce débat, c’est qu’il a lieu au début du quinquennat, donc au début d’une nouvelle séquence politique. Nos discussions ne peuvent, à cet égard, faire l’impasse sur le programme du Président de la République qui a été réélu.
Le Président de la République s’est engagé à poursuivre le chemin tracé depuis la crise sanitaire et le plan de relance, en baissant les impôts de production via notamment la suppression de la CVAE. Ce n’est pas spontanément le souhait le plus partagé parmi les élus locaux que nous sommes… Nous aurons tout loisir, durant l’examen du projet de loi de finances, de débattre des modalités techniques et du calendrier de mise en œuvre de cette suppression.
Mais ce débat est l’occasion de prendre un peu de hauteur et de discuter des grandes orientations que nous souhaitons donner à la réforme de la fiscalité locale.
Je rappellerai d’abord pourquoi nous sommes favorables, par principe, à la réduction des impôts de production.
En 2020, avant la baisse de la CVAE, ces impôts représentaient plus de 5, 3 % du PIB en France, contre 2, 6 % dans l’Union européenne et seulement 0, 8 % en Allemagne.
Or ces impôts sont injustes pour les entreprises, parce qu’ils pèsent non pas sur les bénéfices, mais sur les facteurs de production. Ils sont surtout contre-productifs, car ils pénalisent tout particulièrement les entreprises industrielles.
La suppression de ces impôts est donc une bonne nouvelle pour notre industrie et, indirectement, pour nos territoires. Si cela n’affectait pas les finances des collectivités locales, je pense que le Sénat ne pourrait que s’en réjouir. Mais c’est notre rôle de nous assurer que cette suppression sera aussi une bonne nouvelle pour les collectivités.
Or, en l’espèce, je partage certaines des craintes exprimées ici. Le problème est non pas la suppression de cet impôt, mais bien son remplacement et la territorialisation de sa compensation – vous avez évoqué cette question, madame la ministre.
L’affectation d’une fraction de TVA donne certes aux collectivités des ressources fiscales dynamiques, ce qui peut rassurer, mais elle les prive d’un levier de politique économique.
Cette nouvelle dépossession, engagée après la suppression de la taxe d’habitation, contribue à placer davantage les collectivités sous la coupe de l’État. Elle est mal vécue – vous êtes élue locale, vous le savez, madame la ministre –, même si la territorialisation que vous avez annoncée permet de rassurer.
La préservation de l’autonomie financière des collectivités – Roger Karoutchi en a parlé – ne doit pas se faire aux dépens de leur autonomie fiscale, déjà réduite comme peau de chagrin. Je sais, madame la ministre, que Christophe Béchu et vous-même partagez l’objectif de préserver cette autonomie.
Or les collectivités ont montré leur capacité à tenir les comptes : à la fin de 2021, Christine Lavarde l’a mentionné, elles dégageaient un excédent budgétaire de 5 milliards d’euros, certes en raison des circonstances, mais surtout parce qu’elles savent être prudentes.
Depuis cet excédent, la reprise à la sortie de la crise sanitaire et les tensions en Ukraine ont tiré les coûts de fonctionnement à la hausse. Aujourd’hui, les élus locaux font face à des augmentations qui les placent dos au mur.
Dans son rapport, la Cour des comptes propose plusieurs pistes de réforme afin de remettre à plat le financement des collectivités.
L’une de ces pistes consiste à partager la fiscalité nationale. C’est une piste qui a le mérite de garantir aux collectivités des ressources dynamiques, qui suivent le cours de l’inflation.
La Cour propose aussi d’attribuer un type d’impôt par strates de collectivité. Cette piste a le mérite de clarifier les choses, mais elle ne répond pas aux préoccupations des collectivités. L’urgence est non pas de remettre la fiscalité à plat, mais de sauvegarder l’autonomie financière des collectivités, qui doivent garder la maîtrise de leur destin et de leurs politiques, particulièrement lors des crises comme celle de l’énergie que nous traversons.
Madame la ministre, pouvez-vous nous rassurer à ce sujet ? Il y va de la préservation des services publics de proximité. Nos élus locaux sont inquiets. Ils attendent des engagements forts de la part du Gouvernement.